d uKaçket et du Karduel, qui forment, à proprement parler , la
Géorgie persane , et il engagea Azad à se rendre sans délai auprès
du régent qui le réclamait.
Azad obéit sans murmurer, et parut devant Kérim avec ce
calme, avec cette noble assurance, avec cette fierté, apanages de
l ’homme que la crainte ne peut atteindre, que l ’adversité ne peut
abattre, que le souvenir de ses victoires enorgueillit.
K érim, en le vo y an t, l’invita à s’asseoir à ses côtés, et lui tendit
la main en signe d’amitié. Azad la baisa respectueusement, et s’assit
en lui disant : « Que le c iel favorise toutes vos entreprises ; qu’il
» mette toujours à vos pieds tous ceux qui, comme moi, voudront
» s’opposer à vos desseins. J ’ai eu l ’ambition de régner , non pour
» faire, comme vous, le bonheur des peuplés, mais pour les tour-
» menter, pour leur ravir le fruit de leurs travaux, pôur leur arra-
>3 cher le plus cher de leur bien, leurs enfans ; j’en ai été puni ; ils
» ont dû. m’abandonner : le ciel a dû mettre la couronne sur votre
» tête, plutôt que sur la mienne ; je me soumets à ses justes dé-
tocrets, et me prosterne à vos pieds. Vous êtes dès. ce moment
» mon maître et mon roi ; je ne suis plus que votre esclave : ce nom
» me sera doux si vous daignez quelquefois jeter sur moi un regard
» de bienveillance, et m’accorder l’estime et la confiance que je ne
» cesserai de mériter. 33
Kérim le releva, et lui dit : «A za d , je ne vous ai appelé auprès
.3» de moi que parce que j’ai espéré de vous procurer un sort plus
3 3 doux que vous ne pouviez l’avoir en Géorgie. Oublions nos que-
>3 relies, soyons amis, et croyez que ce n ’est pas l’homme le plus
33 élevé qui est le plus heureux. Le bonheur ne va pas ordinaire-
33 ment se placer dans un coeur que l’ambition ou les désirs tour-
33 mentent; il ne saurait pas non plus se fixer dans celui qui est dans
» an état de satiété. Il ne tient qu’à vous de n’avoir rien à envier
33 à personne, et de vous mettre dans la position la plus favorable
33 pour fixer le bonheur autour de vous. Vous avez assez fait pour
33 votre g lo ire ; je me charge de votre fortune , et soit que vous
33 serviez dans l’armée, soit que vous preniez place parmi mes mi-
33 nistres, soit que vous préfériez mener, dans Ispahan ou dans
33 Chiras, une vie douce et paisible, mes bienfaits vous atteindront.
33 Je vous invite pourtant à rester auprès de moi, vous m’aiderez
33 de Vos conseils. 33
Azad y resta, et se montra l ’ami le plus sincère et le plus dévoué ;
il refusa tous les emplois, toutes les dignités que Kérim lui offrit,
mais il le servit avec zèle et courage dans l’armée, et donna toujours
l’avis le plus sage dans le conseil.
Lorsque le régent eut bien établi son pouvoir au nord de la
Perse, il retourna à Ispahan, où sa présence était très-nécessaire.
Ismaël avait atteint sa vingtième année : quelques seigneurs qui
n’aimaient pas Kérim, ou qui avaient intérêt d’affaiblir son pouvoir
, voulurent profiter de cette circonstance pour engager le peuple
à demander que Kérim së démît de la régence. « Il est bien tems,
33 disaient-ils, qu’il accomplisse ses promesses ; il est bien tems qu’Is-
33 maël prenne les rênes du gouvernement, et qu’il cesse d’être un
33 simulacre de roi. 33
Cette tentative ne pouvait manquer d’échouer. Les habitans
d’Ispahan n’avaient jamais eu à se plaindre du régent; sa conduite
avait été^aussi sage qu’on avait pu le desirer. S’il gouvernait l’É ta t,
s’il disposait de toutes les forces, dé'tous les revenus de l’Empire,
c’était au nom et du consentement d’un prince encore jeune. Pourquoi
le peuple aurait-il inquiété celui q u i, dans tous les tems, avait
paru si disposé à respecter les propriétés et à protéger les personnes ;
q ü i , ayant- tout le pouvoir en main, en avait bien moins abusé
que n’aurait fait tout autre ?
h Dans un divan que Kérim convoqua peu de jours après son arrivée
, et où il appela les seigneurs et lès grands dignitaires de la v ille ,
ses partisans firent un tableau de tous les maux qui ne manqueraient
pas d’affliger l’É tat s’il se retirait avant d’avoir consolidé son ouvrage
, s’il abandonnait lé navire avant de l’avoir conduit au p o r t ,
s’il livrait Ismaël, encore jeune et saris expérience, à des conseils
qui pourraient l’égarer.
Personne n’ignorait que ce prince n’avait montré jusqu’alors ni
énergie, ni talens, ni capacité, ni aucune des qualités qu’un roi doit
a v o ir , surtout lorsqu’il s’agit d’affermir un trône ébranlé jusque