un cheval, ne lançait plus loin sa djerid, ne décochait une flèche -
avec plus de justesse. Toujours le premier dans les combats, le
dernier dans les retraites, il animait les troupes du geste et de la
voix ; il leur montrait l’exemple d’un courage emporté, ou d’une
bravoure intrépide.
Les fêtes qu’on lui donnait, les brillantes qualités dont il était
doué, les traits de bienfaisance et de bravoure qu’on se plaisait a
rappeler, quelques anecdotes singulières et plaisantes qu’on racontait
à son égard, tout attira sur lui les regards de la nation. Partout
on parlait d’Ismâël avec éloges , partout on publiait qu’il allait
prendre le commandement des armées, et déjà on faisait des voeux
pour ses succès, déjà les guerriers accouraient en foule se ranger
sous ses drapeaux.
Méhémet, attentif à ce qui se passait, conçut tout à coup de l’inquiétude
: il craignit d’avoir un jour à combattre dans Ismaël un
rival bien plus dangereux que Djafïàr ; il le savait ambitieux quoique
livré aux plaisirs ; il ne pouvait se dissimuler qu’il n’eût des
droits au trône ; il n’ignorait pas que les tribus militaires du midi
lui étaient attachées ; il était bien persuadé que la nation entière
aurait toujours plus de penchant pour un neveu de Kérim , que
pour un simple gouverneur de province. Toutes ces considérations
le portèrent à arracher Ismaël à ses plaisirs , et à lui faire
crever les yeux dans le moment même où l’on s’attendait à lui voir
prendre le commandement de l’armée.
Cet événement eut lieu à peu près dans le même tems queDjaffar
évacuait Ispahan. Djaffar, qui avait déjà ressenti les effets du courroux
d’Ismaël, qui connaissait toute l’étendue de son courage et
de ses ressources, qui craignait qu’une partie de l’armée ne prît
parti pour lu i, n’avait pas voulu l’attendre ni hasarder un combat.
Qu’on juge de l’étonnement de Lutf-Ali en apprenant le retour
de son père ! en apprenant que ce retour n’avait pas pour cause
une défaite, mais seulement la crainte de se voir attaquer par un
ennemi qui ne pouvait pas avoir des forces supérieures ! Quelle
dût être l’indignation de ce jeune homme plein d’ardeur, tout bouillant
de courage, de voir fuir un vieux guerrier sans combattre,
de lui voir manquer une si belle occasion de se délivrer d’un rival!
Son premier mouvement fut de sortir de Chiras, et d’aller avec
ses troupes au-devant de son p è re , pour l ’engager à retourner à
Ispahan, ou pour lu i permettre d’y aller à sa place. Il était persuadé
que le nombre des troupes qu’ils avaient à leur solde, devait
suffire pour forcer Méhémet à évacuer la capitale de la Perse s’il y
était déjà en tré , et même pour le poursuivre jusqu’au fond du
Mazanderan.
Djaffar avait déjà appris qu’Ismaël était à jamais hors d’état de
lui nuire : il savait déjà que les forces de Méhémet n’étaient pas
supérieures aux siennes ; néanmoins il persista dans le dessein qu’il
avait pris de remettre à une autre fois de se mesurer avec son ennemi.
Malgré les vives instances de L u t f -A li, il ne voulut jamais
ni retourner sur ses pas ni permettre à son fils d e suivre les mou-
y.eixiens de son coeur ; seulement il lui promit qu’ils iraient ensemble
attaquer Méhémet au retour dé la belle saison : en attendant il lui
ordonna de se porter sur Ta ron, ville située entre le Kerman et le
Laarestan , pour y appaiser quelques troubles qui y étaient survenus.
Après le départ de .Lutf-Ali, Djaffar résolut de se faire maigrir,
attendu qu’étant extrêmement gras et d’une taille fort élevée, il ne
trouvait pas de chevaux en état de le porter long-tems; ce'qui le
privait souvent, dans un combat, d’aller là où sa présence pouvait
être nécessaire.
Les médecins auxquels il s’adressa, remplirent si bien ses intentions
moyennant la diète qu’ils lui firent observer, et les drogues
qu’ils lui firent prendre, qu’il maigrit excessivement en peu de tems,
et qu’il ne tarda même pas à se trouver si faible, si exténué, si souffran
t,q u ’on craignit pour sa vie. Ori suspendit alors le traitement
auquel il avait eu l’imprudence de se soumettre; mais il n’était plus
tems : son état devint de jour en jour plus fâcheux malgré tous les
anodins, tous les restaqrans et tous les balsamiques auxquels on
eut recours. La science des médecins échoua dans cette seconde
entreprise : rien ne put calmer l’irritation que les premières drogues
avaient produite, ou arrêter l ’érosion qu’elles avaient occasionnée.
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