Kérim ne voulut point entrer à Chiras ; il préféra de se rendre
dans le Kermesir, où. il ne croyait pas que son ennemi osât le
su iv re , et où il espérait d’ailleurs rétablir plus facilement ses
affaires.
Mais rien encore ne pouvait arrêter l ’infatigable A za d , rien encore
ne pouvait lui faire lâcher prise. Résolu de faire tomber la
tête de son adversaire, ou de lui ôter du moins tout moyen de
pouvoir jamais reparaître à la tête d’une armée, il marcha toujours
sur ses traces, et le serra toujours de très-près : il était sur le point
de l’atteindre lorsque les Arabes du Dachistan , petit district du
Kermesir, s’armèrent à propos pour le sauver. Leur exemple fut
suivi de tous les autres Arabes de ces contrées. Au seul nom des
Afghans, tous coururent aux armes, tous quittèrent leurs tentes
ou leurs cabanes pour voler au combat.
En peu de jours ils furent assez nombreux pour forcer Azad à se
retirer. Il sé rendit à Chiras, y leva à la hâte de très-fortes contributions,
enleva tous les vivres qui s’y trouvaient, et vint se fortifier
à Ispahan.
Mohammed-Hassan, jusqu’a lors, n’avait pas jugé à propos de
sortir de sa province ; il avait vu s’engager la lutte entre Kérim
et Azad sans vouloir la troubler. Les succès de ce dernier, qu’il
jugeait le moins redoutable des d eu x , lui avaient fait plaisir ; il
avait espéré un moment qu’au lieu de deux ennemis, il ne lui en
resterait qu’u n , et il s’était bien proposé de tomber sur celui-ci
dès qu’il le verrait seul.
Les secours qu’avait obtenus K érim, ne détruisaient pas les espérances
de Mohammed-Hassan. Il pensait bien que les Arabes ne
s’étaient armés tous ensemble que pour éviter de passer sous la
domination des Afghans, qu’ils abhorraient encore plus que les
Persans. Cette conduite, plus intéressée que généreuse, avait empêché
la chute de Kérim, mais ne lui avait pas rendu ses forces.
L ’armée d’A z a d , déjà fort affaiblie par les combats qu’elle avait
livrés à l’ennemi, et par les marches forcées qu’elle avait faites en
le poursuivant, dut perdre bien plus lorsqu’elle fut repoussée. A u
fer des Arabes se joignirent des maladies terribles que la fatigue ,
la chaleur et la mauvaise nourriture occasionnèrent. Cette armée
était réduite à vingt mille hommes lorsqu’elle rentra dans Ispahan
à la fin de l ’été. Ainsi donc cette lutte , fatale aux deux ennemis, ne
pouvait tourner qu’à l ’avantage du troisième.
Azad vit bien qu’il rie pourrait pas se soutenir dans une ville
ennemie , s’il ne recevait promptement des secours ; il connaissait
les forces que Mohammed-Hassan avait rassemblées dans le Mazanderan
, contre la capitale, et il était bien persuadé que Kérim viendrait
s’y présenter au retour de la belle saison. Il se hâta donc de
donner des ordres pour qu’on levât promptement, dans les provinces
qui lui étaient soumises, tous les hommes en état de porter
les armes, et qu’on les lui amenât à Ispahan avant la fin de l’hiver ;
mais on eut beau employer, à cet e ffe t, les moyens les plus vio-
lens, le pays était trop épuisé, et l’émigration avait été trop considérable
pour qu’il reçût les renforts qu’il attendait.
Mohammed-Hassan ne doutait pas que le moment de frapper les
grands coups qu’il méditait, ne fût arrivé. Abattre Azad et détruire
Kérim lui parurent être l’affaire d’une campagne. Azad , selon lu i,
ne pouvait tenir un mois à Ispahan : cette ville était la moins
propre de la Perse à soutenir un siège ; ouverte de toutes parts,
on pouvait l’atteindre de partout. D ’ailleurs, sa grande population
la forçait nécessairement de se soumettre à quiconque était assez
fort pour la bloquer. K é r im , de son cô té, avait été trop affaibli
pour résister lorig-tems. S’il se renfermait dans Chiras avec le peu
de monde qui lui restait, il s’exposait à être pris ; s’il se sauvait
dans le Kermesir ou dans le Loristan, il abandonnait la partie, et
se mettait dans l’impossibilité de la reprendre. D ’ailleurs , rien
n’empêchait de l ’atteindre et de lë forcer jusques dans ses derniers
retranchemens.
Ainsi donc, au retour du printems, en l ’année l ’y56, Mohammed
Hassan sortit d’Aster-Abad , et se dirigea vers Ispahan avec
toute la confiancë que lui inspiraient ses forces et la faiblesse présumée
de ses ennemis. Son armée , qu’il avait eu le tems de bien
discipliner , de bien équiper , de bien approvisionner, avait été
portée à plus de cinquante mille hommes. Personne , en la