joûte même pour furcroît de preuves, que les moutons
de Caftille & d’Andaloufie, tranfportésdans les
belles plaines de Salisbur.y, n’y donnent pas des
laines auffi. précieufes, quas bccticus adjuvat aër.'
Je conclusdonc avec les perfonnes les plus éclairées
de ce royaume, qu’il eft tout-à-fait impofîible à
la France de fe paflër des laines étrangères , & que
fans le feçours des riches toifons qui lui viennent des
îles Britanniques & d’Efpagne, les manufa&ures des
Gobelins , d’Abbeville & de Sedan, tomberaient
bientôt dans le diferédit, & ne pourroient pas même
fiibfifter.
Je fuis cependant bien éloigné de penfer qu’on ne
foit maître en France de perfectionner la qualité, &
d’augmenter la quantité des laines qu’on y recueille ;
mais ce tems heureux n’eft pas près de nous, & trop
d’obftacles s’oppofent à nous flatter de l’efpérance
de le voir encore arriver. ( D . J. )
LAINES , apprêt des ( Économie ruflique & Manufactures.
) ce font les différentes façons qu’on donne
aux laines.
Les laines avant que d’être employées reçoivent
bien des façons, & paffent par bien des mains.
Après que la laine a été tondue , on la lave,,on la
t rie , on l’épluche, on la drouffe, on la carde-, ou
on la peigne fuivant fa qualité ; enfuite on la mêle,
& on la' file. Expliquons toutes ces façons ; j’ai lu
d’excellens mémoires qui m’en ont inftruir.
i°. Toriee/Lcs anciens arrachoient leurs laines,
ils lie la tondoient pas ; vellus à vellendo. Ils pre-
noient pour cette opération le tems où la laine fe
.fépare du corps de l’animal ; 6c comme toute la toi-
fon ne quitte pas à la fois, ils couvroient de peaux
pendant quelques femaines chaque bête P laine, juf-
qu'à ce que toute la toifon fût parvenue au degré de
maturité qu’il falloit, pour ne pas caufer à ces bêtes
des douleurs trop cuifantes. Cette coutume prévaloir
encorefous Vefpafien dans plufîeurs provinces
de .l’empire; aujourd’hui elle eft avec raifon totalement
abandonnée.
Quand le tems efl venu de décharger les moutons
du poids incommode de leur laine, on prend les me-
fures fuivantes. Les laboureurs intelligens préviennent
cette opération, en faifant laver plufîeurs fois
fur pie la laine avant que de l’abattre.
Cette maniéré étoit pratiquée chez les anciens ;
elle efl paffée en méthode parmi les Anglois, qui
doivent principalement à ce^ foin l’éclat & la blancheur
de leurs laines. Débarraflee du fuin & des matières
graiffeufes qui enveloppoient fes filets, elle
recouvre le reffort & la flexibilité quilui efl propre.
Les poils detenus.jufques-là dans la prifon de leur
furge, s’élancent avec facilité, fe fortifient en peu
de jours , prennent du corps, & fe rétabliffent dans
leur état naturel ; au lieu que le lavage qui fuccede à
la coupe, dégage feulement la laine de fes faletés
fans lui rendre 1a première qualité & fon ancienne
confiflance.
Pour empêcher que le tempérament de l’animal
ne s’altere par le dépouillement de fon vêtement,
on a foin d’augmenter fa nourriture, à mefure qu’on
approche du terme de fa tonte.
Quand l’année a été pluvieufe, il fuffit que chaque
mouton ait été lavé quelques jours confécutifs ,
avant celui où on le décharge de fa laine ; mais fi
l ’année a été feche, il faut difpofer chaque bête à
cette opération, en la lavant quinze jours, un mois
auparavant. Cette pratique prévient le déchet de la
laine qui efl très- confidérable, lorfque l’année a été
trop feche. On doit préférer l’eau de la mer à l’eau
douce, l’eau de pluie à l’eau de riviere ; dans les
Jieuxoù l’on manque abfolumentde ces fecours, on
mêle du fel dans l’eau qu’on fait fervir à ce lavage.
La laine, comme les fruits , a fon point de matufité;
on tortdles brebis fuivant les faifpns & félon le
climat. Dans le Piémont on tond trois foisTannée*
en Mai, en Juillet & en Novembre ; dans les lieux
où l’on tond deux fois l ’an , là première coupé des
laines fe fait en Mars, la fécondé en Août ; les toifons
de la fécondé coupe font toujours inférieures
en qualité à celles delà première. En France on ne
fait communément qu’une tonte par an , en Mai ou
en Juin ; on tond les agneaux en Juillet.
^Si dans le grand nombre il fe rencontre quelque
bête qui foit attaquée de maladie * il faut bien fe
garder de la dégarnir, la laine en ferait défeélueufe ,
6c l’on expoferoit la v ië de l’animal.
Après avoir pris toutes les mefùres que je viens
d’expofer, il feroit imprudent de fixer tellement un
jour pour abattre les laines, qu’on ne fut plus maître
de différer l ’opération, fuppofé qu’ii furvînt quelque
intempérie; il faut en général choifir un tems
chaud, un ciel ferain, qui femble promettre plufîeurs
belles journées conlécutives. N’épargnez rien pour
avoir un tondeur habile ; c’efl un abus commun à
bien des laboureurs de faire tondre leurs bêtes par
leurs bergers, 6c cela pour éviter une légère dépen-
fe , qu’il importe ici de favoir facrifier, même dans
l’état de pauvreté.
C ’efl une bonne coutume que l’on néglige dans
bien des endroits, de couvrir d’un drap l’aire où l ’on
tond la laine ; il faut que le lieu foit bien fec & bien
nettoyé. Chaque robe de laine abattue doit être repliée
féparément, 6c dépofée dans un endroit fort
aere. On laifle la laine en pile le moins de tems qu’il
efl poflible ; il convient de la porter fur le champ au
lavage, de peur que la graille 6c les matières hété-
rogenesdont elle efl imprégnée, ne viennent à rancir
6c à moifir, ce qui ne manqueroit pas d’altérer
confidérablement fa qualité.
Une^ tonte bien faite efl une préparation à une
pouffe plus abondante. On lave les moutons.qu’on
a tondus, afin de donner à la nouvelle laine un effor
plus facile ; alors comme avant la tonte , l’eau de la
mer efl préférable à l’eau douce pour les laver, l’eau
de pluie 6c l’eau falée , à l’eau commune des ruif^
féaux 6c des fleuves.
Les forces, en féparant les filets de leurs tiges Z
laiffent à chaque tuyau comme autant de petites
bleffures , que l’eau falée referme fubitement. Les
anciens au lieu de laver leurs bêtes après la tonte
les frottoientde lie d’huile ou de vin, de vieux-oint*
defoufre, ou de quelqu’autre Uniment femblable;
& je crois qu’ils faifoient mal, parce qu’ils arrêtoient
la tranfpiration.
La première façon que l’on donne à la toifon qui
vient d’être abattue, c’efl de l’émécher; c’efl-à-dire
dé couper avec les forces l ’exrémité de certains filets,
qui furpaffent le niveau de la toifon ; la qualité de
ces filets excédens, eft d ’être beaucoup plus greffiers
, plus durs 6c plus fecs que les autres ; leur mélange
feroit capable de dégrader toute la toifon.
2°. Lavage. La laine en furge porte avec elle un
germe de corruption dans cette craffe, qu’on nom-
me afipe, quand elle efl détachée de la laine. Elle
provient d’une humeur onélueufe, qui en fortant
des pores de l’animal, facilite l’entrée du fuc nourricier
dans les filets de la toifon; fans cette matière
huileufe qui fe reproduit continuellement, le foleil
deffécheroit le vêtement de la brebis, comme il feche
les moiffons ; & la pluie qui ne tient pas contre
cette huile féjournant dans la toifon, pourriroit bientôt
la racine de la laine.
Cette fecrétion continuelle des parties graiffeufes
forme à la longue un fédiment, & de petites croûtes
qui gâtent la laine, fur-tout pendant les tems‘chauds.
On lave les laines depuis le mois de Juin jufqu’à
la fin d’Août ; c’efl le tems le plus favorable de toute
l ’année outre qu’ilfuit immédiatement l’opération
de la tonte, il a encore cet avantage, que l’eau adoucie
& attiédie en quelque forte par la chaleur des
rayons du foleil, détache & emporte plus facilement
les màlpropretës qui font comme adhérentes à la
laine.
. Plus On différé le lavage des laines, plus le déchet
efl confidérable ; il efl fouvent de moitié ; lés laines
de Caftille perdent cinquante-trois pour cent. Ce
déchet fuit cependant un peu les années; l’altération
eft plus forte quand il n’a pas plu vers le tems de la
coupe, que quand la faifon a été pluvieufe. Le moyen
le plus fur d'éviter le déchet, ou de le diminuer
beaucoup lorfque la faifon a été feche, c’eft de laver
la laine à dos plufieurs femaines, & même des
mois entiers avant le tems de la tonte.
Je ne puis ici paffer fous filencè deux abus qui in-
téreffent la, qualité de nos laines ; l’un regarde les
laboureurs ,'Tautre concerne les bouchers.
C ’eft une neceflité indifpenfable aux premiers de
diftinguer leurs moutons par quelque marque. Deux
troupeaux peuvent fe rencontrer & fe mêler ; on
peut enlever un ou plufieurs moutons ; la marqué
décele le larcin ; enfin les pâturages de chaque terme
ont des limites, 6c cette marque eft une condamnation
manifefte pour le berger qui conduit fon troupeau
dans un territoire étranger. Ce caraûere eft
donc néceffaire , l’abus ne confifte que dans la maniéré
de l’appliquer. Nos laboureurs de l’Ue de Franc
e & de la Picardie, plaquent ordinairement fans
choix des couleurs trempées dans l’huile, fur la partie
la plus précieufe de là toifon, fur le dos ou fur
les flancs ; ces marques ne s’en vont point au lavag
e ; elles relient ordinairement collées 6c adhérentes
à là toifon, 6c fouvent les éplucheurs négligent
de féparer de la laine les croûtes qu’elles forment,
parce que cette opération demande trop dè teins*
Que fuit-il de-là ? Ces croûtes paffant dans le fil,
& les étoffes qu’on en fabrique, les rendent tout-à-
fait défeûueulès ; il eft un moyen fort fimple d’obvier
à cet abus. On peut marquer les moutons à l’oreille
par ünè marque latérale, perpendiculaire ou
iranfverfale ; 6c ces marques peuvent varier à l’infir
n i, en prenant l’oreille gauche ou l’oreille droite,
ou les deux oreilles, &c.
Si cependant la nature du lieu demandoit un.figne
plus apparent, on pourroit marquer les moutons à
la tête comme on fait en Berri ; la toifon par ce
Moyen ne fouffre aucun dommage.
L ’autre abus ne concerne que les pélades, Mais il
ndmérite pas moins notre attention. Les bouchers ,
aulieu de ménageries toifons des peaux qu’ils abattent,
femblent mettre tout en oeuvre pour les falir ;
ils lesdouvreiit de graiffe & de tout cè qu’il y a de
plus infe&. Il eft d’autres détails qu’il ne feroit pas
amufantde lire ni d’expofer , & que la police pour-
roit facilement proferire , fans nuire à ces fortes de
gens, qui d’ailleurs font les derniers de la lie des
hommes \ l’on épargnerait par-là de la peine aux
mégifliers, & cette laine dans fon éfpece, feroit d’uné
meilleure qualité;
On lave, la laine par tas dans l ’eau dormante, à la
manne dans l’eau courante, & dans des cuves pleines
d’eau de riviere. laines trop malpropres &
difficiles à décraffet ( comme celles d’Efpagne ) fe
dégorgent dans un bain compofé d’un tiers d’urine *
& de deux tiers d’eau; ce feroit je penfe la meilleure
méthode pour toutes nos laines.
• Toutes les rivières ne font pas également propres
au lavage. Les eaux de Beauvais ont une qualité excellente;
on pourrait en tirer parti'mieux qu’on ne
fait, en etabliffant dans cette ville une elpece de
buanderie générale pour les laines du pays. Quand
Tome IX %
la laine a paffé par le lavage * on la Met égouter fur
. des claies.
Les manufacturiers doivent fe précautionnef * s'il
eft poflible, contre un grand*hombre de fuperche*
ries frauduleufes. Par exemple, quaftd l’année a été
feche ; les Laboureurs ou les Marchands qui tien*
nent les laines de la première main , les font mal laver
, afin d’éprouver moins de déchet. Qu’arrive-t il
alors ? Pour empêcher la graiffe & les ordures de pa-
roître, ils fardent les toifons qu’ils blanchiffent aved
de la c ra ye, ou d’autresingrédiens qu’ils imaginent*
Les fuites de cette manoeuvre ne peuvent être que
très-funeftes, foit au fabriquant, foit au public. Si
l’on emploie la laine comme pn Tacheté, l’étoffe n’en
vaut rien , les vers 6c les mités s’y mettent au bout
de peu dé tems, 6c l’acheteur perd fon drap. Si le
fabriquant veut rendre à la laine fâ qualité par un fécond
lavage, il lui en coûte fa façon 6c un nouveau
déchet. Il feroit à fouhaiter qu’on travaillât férieu-,
fement à la fuppreflion dé ces abus.
3 c* Triage. Après que la laine a été lavée , on là
trie , .on l’épluche, on la drouffe, on la peigne, ou
on la corde fuivant fa longueur, on la mêle 6c on là
filé.
Le triage dés laines cOnfiftè a diftinguer les diffé-«'
rentes qualités, à féparer la mere-lainé, qui eft celle
du dos -, d’avec celle des cuiffés 6c du ventre ,-qui
ne font pas également propres à toutes fortes d’ouvrages.
On peut encore entendre par ce terme , lû
partage du bon d’avéc le moindre y 6c du médiocre
d’avec le mauvais.
Les Marchands qui achètent les laines de là pre*
mie're main , fe chargent ordinairement du foin de
les trier, après les avoir fait laver. Les laines lavées,
qui ne font pas triées -, fe vendent par toifons ; celles
qui font triées -, ne fe vendent plus qu’au poids. Les
bons fabriquans penfent qu’il y a plus d’avantages à
acheter les laines toutes triées qu’en toifon ; mais
cette opinion n’eft fondée que fur là mauvaife foi
des vendeurs, qui fardent leurs toifons, en roulant
le plus fin par-deffus, & en renfermant aù-dedans
le plus mauvais.
Les Efpagnols ont ùné pratiqué contraire, für-
tOut les Hyéronimites, p.offeffeurs de la fameufe pilé
de l’Efçurial. Ces religieux vendent leur pile, non-
feulement fans féparer la'qualité des toifons, mais
ils y joignent auflx ce qu’ils nomment.laine.des agrégés,
qui viennent dés lieux circonvoifins de l’Ef-
curial. .
La bonne foi 6c la fureté du commerce jetant ré*
tablies , ce dernier parti me paroîtroit préférable à
celui que prennent nos fabriquans ; & le public &
le chef de maoufaûure y gagneraient pareillement ;
celui-ci feroit plus Maître de l’affortiment de fes
laines , & le publie aurait des étoffes plus durables.
Il y aurait ici cent chofes à obferver au fiijèt des
fraudes & des rufes, qui fe perpétuent journellement,
tant dans le lavage , que dans le triage des laines /
mais le fordide amour du gain n’eft-il pas capable
de tou t}
4°. Epluchement. La négligence des éplucheurs oc*
cafionne les noeuds & les groflèurs qui fe rencon*
trent dans les étoffes.
Les corps étrangers que Ton fépare de la laine en
l’épluchant , font, ou des ordures qui s’infinuent
dans la toifon, pendant qu’elle eft encore (pr ie dès
de l'animal, ou des molécules de fuin qui fe dur-»
eiffent, ou enfin des paillettes, 6c diverfes petites
matières qui s’attachent aux toifons lavées, Jôriqû’ari
les étend au foleil pour les faire lécher fans drap def*
fous, fans foin 6c fans attention.*
Cette façon comprend encore ce que Ton appelle
écharpir , ou ccharper la laine, ce qui confifte à dé*
çhirer & à étendre les floecons de laine qui font trop
A a ij