
ges , que le vainqueur de Darius avoit refpeélee ;
car il ne toucha jamais au culte des peuples vaincus.
Tandis qu’un lieutenant d’Omar fubjugue la Per-
fe , un autre enleve l’Egypte entière aux Romains,
& une grande partie de la Lybie. C eft dans cette
conquête qu’eft brûlée la fameiilè bibliothèque d’Alexandrie
, monument des connoiffances & des erreurs
des hommes , commencée par Ptolomée Phi-
ladelphe,& augmentée partant de rois. Alors les
Sarraiins ne vouloient de fcience que 1 alcoran ;
mais ils faifoient déjà voir que leur génie pouvoit
s’étendre à tout. L’entreprife de renouveller en
Egypte l’ancien canal creufé par les rois, & rétabli
eniuite par T rajan, & de rejoindre ainli le Nil à la
mer Rouge, eft digne des fiecles les plus éclairés.
Un gouverneur d’Egypte entreprend ce grand travail
fous le califat d’Omar, & en vint à bout.
Quelle différence entre le génie des Arabes & celui
des Turcs ! ceux-ci ont laiffé périr un ouvrage,
dont la confervation valoit mieux que la poffeflion
d ’une grande province. ^
Les f'uccès de ce peuple conquérant femblent dus
plutôt à l’enthoufiafme qui les animoit & à l’efprit de
là nation, qu’à fes conducteurs : car Omar eft affaffi-
né par un efclave perfe en 603. Ottnan, fon fuc-
ceffeur, l’eft en 655 dans une émeute. Aly, ce fameux
gendre de Mahomet , n eft^ élu & ne gouverne
qu’au milieu des troubles ; il meurt affafline
au bout de cinq ans comme fes prédéceffeurs , &
cependant les armes mufulmanes font toujours vic-
torieufes. Cet Aly que les Perfans reverent aujourd’hui
, & dont ils fuivent les principes en oppo-
fition de ceux d’Omar, obtint enfin le califat, &
transféra le fiége des califes de la ville de Médine
où Mahomet elt énfeveli, dans la ville de Couffa ,
fur les bords de l’Euphrate : à peine en refte-t-il aujourd’hui
des ruines ! C’eftle fort de Babylone , de
■ Séleucie, &c de toutes les anciennes villes de la
Chaldée , qui n’étoient bâties que de briques.
Il eft évident que le génie du peuple arabe , mis
en mouvement par Mahomet, fit tout de lui-même
pendant près de trois fiecles, & reffembla en cela
au génie des anciens Romains. G’eft en effet fous
Valid, le moins guerrier des califes, que fe font
les plus grandes conquêtes. Un de fes generaux
«tend fon empire jufqu’à Samarkande en 707. Un
autre attaque en même tems l’empire des Grecs vers
la mer Noire. Un autre , en 711 ? paffe d Egypte
en Efpagne , foumife aifément tour à tour par les
Carthaginois , par les Romains , par les Goths &
Vandales, & enfin par ces Arabes qu’on nomme
Maures. Ils y établirent d’abord le royaume de Cor-
doue. Le fultan d’Egypte fecoue à la vérité le joug
du grand calife de Bagdat, & Abdérame, gouverneur
de l’Efpagne conquife, ne reconnoît plus le
fultan d’Egypte : cependant tout plie encore fous
les armes mufulmanes.
Cet Abdérame , petit - fils du calife Hésham ,
prend les royaumes de Caftille , de Navarre , de
Portugal, d’Arragon. Il s’établit en Languedoc; il
: s’empare de la Guienne & du Poitou ; &c fans Charles
Martel qui lui ôta la vi&oire & la vie, la France
étoit une province mahométane.
Après le régné de dix-neuf califes de la maifon
.des Ommiades , commence la dynaftie des califes
abaffides vers l’an 751 de notre ere. Abougiafar
Almanzor, fécond calife abaflide , fixa le fiége de
ce grand empire à Bagdat, au-delà de l’Euphrate,
dans la Chaldée. Les Turcs difent qu’il en jetta les
fondemens. Les Perfans affurent quelle étoit très-
ancienne , & qu’il ne fit que la réparer. C’ett cette
ville qu’on appelle quelquefois Babylone, & qui a
été le fujet de tant de guerres entre la Perfe & la
• Turquie.
La domination des califes dura 6 55 anstdefpo-
tiques dans la religion, comme dans le gouvernement,
ils n’étoient point adorés ainfi que le grand-
lama , mais ils avoient une autorité plus réelle ; &
dans les tems même de leur décadence , ils furent
refpeôés des princes qui les perfécutoient. Tous
ces fultans turcs , arabes, tartares, reçurent l’invef-
titure des califes, avec bien moins de conteftation
que plufieurs princes chrétiens n’en ont reçu des
papes. On ne baifoit point les piés du ca life, mais
on fe profternoit fur le feuil de l’on palais.
Si jamais puiffance a menacé toute la terre, c’eft
celle de ces califes ; car ils avoient le droit du trône
& de l’autel, du glaive & de l’enthoufiafme. Leurs
ordres étoient autant d’oracles, &: leurs foldats autant
de fanatiques.
Dès l’an 671 , ils affiégerenî Conftantinople qui
devoit un jour devenir mahométane ; les divifions',
prefque inévitables parmi tant de chefs féroces,
n’arrêterent pas leurs conquêtes. Ils reffemblerent
en ce point aux anciens Romains q ui, parmi leurs
guerres civiles , avoient fubjugué l’Afie mineure.
A mefure que les Mahométans devinrent puif-
fans, ils fe polirent. Ces califes , toujours reconnus
pour fouverains delà religion , & en apparence de
l’Empire, par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres
de fi loin, tranquilles dans leur nouvelle Babylone,
y font bien-tôt renaître’ les arts. Aaron
Rachild, contemporain de Charlemagne , plus ref-
peété que fes prédéceffeurs, & qui fut fe faire
obéir jufqu’en Efpagne & aux Indes , ranima Tes
lciences , fit fleurir les arts agréables & utiles, attira
les gens de lettres, compofa des vers , & fit
fuccéder dans fes états la politeffe à la barbarie.
Sous lui les Arabes, qui adoptoient déjà les chiffres
indiens , les apportèrent en Europe. Nous né connûmes
en Allemagne & en France le cours des af-
tres, que par le moyen de ces mêmes Arabes. Le
feul mot d'almanach en eft encore un témoignage.
L’almagefte de Ptolomée fut alors traduit du grec
en arabe par l ’aftronome Benhonaïn. Le calife. Alma-
mon fit mefurer géométriquement un degré du méridien
pour déterminer la grandeur de la terre : opération
qui n’a été faite en France que plus'de 9Ô0 ans
après fous Louis XIV. Ce même aftronome Benhonaïn
pouffa fes obfervations affez loin, reconnut,
ou que Ptolomée avoit fixé la plus grande déclinai-
fon du foleil trop au feptentrion, ou que l’obliquité
de l’écliptique avoit changé. Il vit même que la période
de trentc-fix mille ans, qu’on avoit afîignée au
mouvement prétendu des étoiles fixes d’occident en
orient, devoit être beaucoup raccourcie.
La Chimie & la Medecine étoient cultivées par les
Arabes. La Chimie, perfeélionnée aujourd’hui par
nous, ne nous fut connue que par eux. Nous leur
devons de nouveaux remedes, qu’on nomme les
minoratifs, plus doux &plus falutaires que ceux qui
étoient auparavant en ufage dans l’école d’Hippocrate
& de Galien. Enfin, dès le fécond fiecle de
Mahomet, il fallut que les Chrétiens d’occident s’inf-
truififfent chez les Mufulmans.
Une preuve infaillible de la fupériorité d’une nation
dans les arts de l’efprit, c’eft la culture perfectionnée
de la Poéfie. Il ne s’agit pas de cette poéfie
enflée & gigantefque, de ce ramas de lieux communs
infipides fur le foleil, la lune & les étoiles, les
montagnes & les mers : mais de cette poéfie fage &
hardie, telle qu’elle fleurit du tems d’Augufte, telle
qu’on l’a vue renaître fous Louis XIV. Cette poéfie
d’image & de fentiment fut connue du tems d’Aaron
Rachild. En voici un exemple, entre plufieurs autres,
qui a frappé M. de Voltaire, & qu’il rapporte
parce qu’il eft court. Il s’agit de la célébré difgrace
de Giarar le Barmécide :
Mortel, foible mortel , à qui le fort profpere
Fait goûter de fes dons les charmes dangereux,
Connois quelle ejl des rois la faveur pajfagere ;
Contemple Barmécide y & tremble d'être heureux.
Ce dernier vers eft d’une grande beauté. La langue
arabe avoit l’avantage d’être perfèétionnéé depuis
long-tems ; elle étoit fixée avant Mahomet, & ne
s’eft point altérée depuis. Aucun des jargons qu’on
parloit alors en Europe, n’a pas feulement, laiffé la
moindre trace. De quelque côté que nous nous tournions
, il faut avouer que nous n’exiftons que d’hier.
Nous allons plus loin que les autres peuples en plus
d’un genre, & c’eft peut-être parce que nous fournies
venus les derniers.
Si l’on envifage à préfent la religion mufulmane,
on la voit embraffée par toutes les Indes, & par les
côtes orientales de l’Afrique où ils trafiquoient. Si
on regarde leurs conquêtes , d’abord le calife Aaron
Rachild impofe un tribut de foixante-dix mille écus
d’or par an à l’impératrice Irene. L’empereur Nicé-
phore ayant enfuite refufé de payer le tribut, Aaron
prend l’île de Chypre, & vient ravager la Grèce.
Almamon fon ,petit-fils,.prince d’ailleurs fi recommandable
pour fon amour pour les fciences & par
fon fa voir, s’empare par fes lieutenans de l’île de
Creteén 82.6. Les Mufulmans bâtirent Candie, qu’ils
ont reprife de nos jours.
En 818, les mêmes Africains qui avoient fubjugué
l’Efpagne, & fait des incurfions en Sicile, reviennent
encore défoler cette île fertile, encouragés
par un ficilien nommé Ephémius, qui ay^nt, à l’exemple
de fon empereur Michel, époufé une religieufe,
pourfiiivi par lès lois que l’empereur s’étoit rendues
favorables, fit à peu-près en Sicile ce que le comte
Julien avoit fait en Elpagne.
Ni lés empereurs grecs, ni ceux d’occident, ne
purent alors chaffer de Sicile les Mufulmans, tant
l’orient & l’occcident étoient mal-gouvernés i Ces
conquérans alloient fe rendre maîtres de l’Italie, s’ils
avoient été unis ; mais leurs fautes fauverentRome,
comme celles des .Cat^haginois la fauverent autrefois.
Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte nom-
breufe. Ils entrent par l’embouchure du Tibre ; &
ne trouvant qu’un pays prefque defert, ils vont aflié-
ger Rome. Ils prirent les dehors,; & ayant pillé la
fiche églife dé S. Pierre hors les murs , ils. levèrent
le fiege pour aller combattre une armée de François,
qui venoit fecourir Rome, fous un général de l’empereur
Lothaire. L’armée françoife tut battue ; mais
la ville rafraîchie fut manquée, & cette expédition,
qui devoit être une conquête, ne devint par leur
mcfintelligence qu’une incurfion de barbares.
Ils revinrent bien-tôt avec une armée forriiidable,
qui fembloit devoir détruire l’Italie, & faire une
bourgade mahométane de la capitale du Chriftia-
nifme. Le pape Leon IV. prenant dans ce danger une
autorité que les généraux de l’empereur Lothaire
fembloient abandonner, fe montra digne, en défendant
Rome, d’y commander en fouverain.
Il avoit employé les richeffes de l’Eglife à réparer
lés murailles, à élever des tours, à tendre des chaînes
fur le Tibre. Il arma les milices à fes dépens ,■
engagea les habitans de Naples & de Gayette à venir
défendre les côtes & le port d’Oftie, fans manquer
à la fage précaution de prendre d’eux des otages
, fachant bien que ceux qui font affez puiffans
pour nous fecourir, le font affez pour nous nuire.
Il vifita lui-même tous les portes, & reçut lès.Sar:
rafins à leur defeente, non pas en équipage de guerrier,
ainfi qu’en avôit ufé Goflin évêque de Paris,
dans une occàfion encore plus préffante, mais comme
un pôntifè qui exhortoit un peuple chrétien, &
comme un roi qui veilloit à la fureté de fes fujets.
Il étoit né romain.; le courage des premiers â->es
de la république revivoit en lui dans un tems de lâcheté
& de corruption, tel qu’un des beaux monu-
mens de l’anciene Rome, qu’on trouve quelquefois
dans les ruines de la nouvelle. Son courage & fes
foins furent fécondés. On reçut vaillamment les Sar-
rafins à leur defeente ; & la tempête ayant diflipé la
moitié de leurs vaiffeaux, une partie de ces conquérans
, échapés au naufrage, fut mile à la chaîne.
Le pape rendit fa vittoire utile, en faifant travailler
aux fortifications de Rome , & à fes embelliffe-
mens , les mêmes mains qui dévoient les détruire.
Les Mahométans refterent cependant maîtres du Ga-
rillan, entre Capoue & G ayette; mais plutôt comme
une colonie de corfâires indépendans , que comme
des conquérans difeiplinés.
Voilà donc au neuvième fiecle, lés Mufulmans à
la fois à Rome & à Conftantinople, maîtres de la
Perfe, de la Syrie , de l’Arabie, de toutes les côtes
d’Afrique jufqu’au Mont-Atlas, & des trois quarts
de l’Elpagne: mais ces conquérans ne formèrent pas
une nation comme les Romains, qui étendus prefque
autant qu’eux , n’avoient fait qu’un feul peuple.
Sous le fameux calife Almamon vête l’an 81 ç
un peu après la mort.de Charlemagne, l’Egypte
étoit indépendante , & le grand Caire fut la réfi-
dence d’un autre calife. Le prince de la Mauritanie
Tangitane, fous le titre de miramolin, étoit maître
ahfolu de l’empire de Maroc. La Nubie & la Lybie
obéiffoient à un autre calife. Les Abdérames qui
avoient fonde le royaume de Cordoue , ne purent
empêcher d’autres Mahométans de fonder celui de
Tolède. Toutes ces nouvelles dynafties révéroient
dans le calife, le fucceffeur de leur prophète. Ainfi
que les chrétiens, alloient en foule en pèlerinage à
Rome, les Mahométans de toutes les parties dit
monde , alloient à la Mecque , gouvernée par un
chérif que nommoit 11 calife ; & c’étoit principalement
par ce pèlerinage , que le calife, maître de la
Mecque , étoit vénérable à tous les princes de fa
croyance ; mais ces princes dirtinguant la religion
de leurs intérêts, dépouilloient le calife en lui ren-'
dant hommage.
Çep.endant les arts fleuriffoient à Cordoue ; les
plaifirs recherchés, .la magnificence*,Ta galanterie
régnoient à la cour des rois Maures. Les tournois ,
les combats à la barrière , font peut-être dé l’invention
de ces Arabes. Ils avoient des fpe&acles, des
théâtres, qui tout groffiers qu’ils étoient, montroient
encore que les autres peuples étoient moins polii
que ces Mahométans : Cordoue étoit le feul pays
de l’occident, où la Géométrie , 1 Aftronomie , la
Chimie, la Médecine, fuffent cultivées. Sanche le
gros , roi de Lé on , fut obligé de s’aller mettre à
Cordoue en 956, entre les mains d’un médecin arabe
, qui, invité par le ro i, voulut que le roi vînt
à lui.
Cordoue. eft un pays de délices , arrofé par le
Guadalquivir, où des forêts de citronniers, d’orangers
, de grenadiers , parfument l’air , & où toùt invite
à la molleffe. Le luxe & le plaifir corrompirent
enfin, les rois mufulmans ; leur domination fut au
dixième fiecle.comme celle de prefque tous les princes
chrétiens , partagée en petits états. T olède,
Murcie, Valence, Huefca même eurent leurs rois;
c’étoit le tems d’accabler cette puiffance divifée ,
mais ce tems n’arriva qu’au bout d’un fiecIe;d?abord
en 1085 les Maures perdirent Tolède., & toute la
Caftille neuve fe rendit au Cid. Alphonfe , dit le
batailleur, prit fur eux Sarragoce en 1 1 14; Alphonfe
de Portugal leur ravit Lisbonne en 1 14 7 ; Ferdinand
III. leur enleva la ville délicieufe de Cordoue
en 12.36, & les çhaffa de Murcie & de Séville : Jac