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bouchure ; Alexandre de Parme, malgré cela, entreprit
de faire un pont de 1400 piés de long au-def-
fous de cette place pour empêcher les fecours qui
pourroient venir de Zélande. Il en vint à bout, & il
ne s’étoit point fait jufqu’alors d’ouvrage en ce genre
comparable à celui-là. Ce fut contre ce pont que
Jambelli deftina fes machines infernales. Stradon dans
cet endroit de fon hiftoire, une des mieux écrites de
ces derniers tems, fait une belle defeription de ces
machines & de la maniéré dont on s ’en fer voit. Je
vais le traduire ici.
» Ceux qui défendoient Anvers, dit cet auteur ,
» ayant achevé l’ouvrage qu’ils préparaient depuis
» long-tems pour la ruine du pont, donnèrent avis
» de cela à la flotte qui étoit au-delà du pont du côté
» de la Zélande, que le quatrième d’Avril leurs vaif-
» féaux fortiroient du port d’Anvers fur le foir ;
» qu’ainfl ils fe tinffent prêts pour palier avec le
» convoi des munitions par la breche qu’on feroit
» infailliblement au pont. Je vais, continue 1 hifto-
» rien, décrire la ftru&ure des bateaux d’Anvers &
» leurs effets, parce qu’on n’a rien vu dans les fie-
» clés palfés de plus prodigieux en cette matière ,
» & je tirerai ce que je vais en dire des lettres d’A-
» lexandre de Parme au roi d’Efpagne Philippe 11.
» & de la relation du capitaine Tue.
» Frédéric Jambelli ayant paffé d’Italie en Ef-
» pagne pour offrir fon fervice au roi, fans pou-
» voir obtenir audience , fe retira piqué du mé-
» pris que l’on faifoit de fa perfonne, dit en par-
» tant que les Efpagnols entendroient un jour parler
» de lui d’une maniéré à fe repentir d’avoir méprifé
» fes offres. Il fe jetta dans Anvers, & il y trouva
» l’occaflon qu’il cherchoit de mettre fes menaces à
» exécution. Il conftruifit quatre bateaux plats ,
» mais très-hauts de bords, & d’un bois très-fort &
» & très-épais, & imagina le moyen de faire des
» mines fur l’eau de la maniéré luivante. Il fit dans
» le fond des bateaux & dans toute leur longueur
u une maçonnerie de brique & de chaux, de la hau-
» teur d’un pié & de la largeur de cinq. Il éleva tout
» à l’entour & aux côtés de petites murailles, & fit
» la chambre de fa mine haute &£ large de trois piés ;
» il la remplit d’une poudre très-fine qu’il avoit fait
» lui-même, & la couvrit avec des tombes , des
» meules de moulin, & d’autres pierres d’une ex-
» traordinaire groffeur : il mit par-deffus des bou-
» lets, des monceaux de marbre, des crocs, des
» clous & d’autre ferraille, & bâtit fur tout cela
» comme un toit de groffes pierres. Ce toit n’étoit
» pas plat, mais en dos d’âne, afin que la mine ve-
» nant à crever l’effet ne s’en fit pas feulement
»> en-haut, mais de tous côtés. L’efpace qui étoit
» entre les murailles de la mine & les côtés des ba-
» teaux, fut rempli de pierres de taille maçonnées
» & de poutres liées avec les pierres par des cram-
» pons de fer. Il fit fur toute la largeur des bateaux
» un plancher de groffes planches, qu’il couvrit cn-
» core d’une couche de brique, & fur le milieu il
» éleva un bûcher de bois poiffé pour l’allumer,
» quand les bateaux démareroient, afin que les en-
» nemis les voyant aller vers le pont, cruffent que
» ce n’étoient que des bateaux ordinaires qu’on en-
» vo yo it pour mettre le feu au pont. Pour que le
» feu ne manquât pas de prendre à la mine, il fe fer-
» vit de deux moyens. Le premier fut une meche
» enfoufrée d’une certaine longueur proportionnée
» au tems qu’il falloit pour arriver au pont, quand
» ceux qui les conduiroient les auroient abandon-
» nés & mis dans le courant. L’autre moyen dont il
»> fe fervit pour donner le feu à la poudre étoit un
» de ces petits horloges à réveils-matin, qui en fe
» détendant après un certain tems battent le fiifil.
» Celui - ci faifant feu devoit donner fur une traînée
» de poudre qui aboutiffoit à la mine.
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» Ces quatre bateaux ainfi préparés dévoient être
» accompagnés de treize autres ou il n’y avoit point
» de mine, mais qui étoient de fimples brûlots. On
» avoit fu dans le camp des Efpagnols qu’on prépa-
» roit des brûlots dans le port d’Anvers ; mais on
» n’y avoit nul foupçon de l’artifice des quatre ba-
» teaux & Alexandre de Parme crut que le deffein
» des ennemis étoit feulement d’ attaquer le pont en
» même tems au-delfus du côté d’Anvers, & au-def-
» fous du côté de la Zélande. C ’eft pourquoi il ren-
» força les troupes qu’il avoit dans les forts des di-
» gués voifines, & fur tout le pont, & y diftribua
» tes meilleurs officiers, qu’il expofoit d’autant plus
» au malheur qui les menaçoit, qu’il fembloit pren-
» dre de meilleures mefures pour l’éviter. On vit
» fortir d’abord trois brûlots du port d’Anvers , &C
» puis trois autres, & le refte dans le même ordre.
» On fonna l’allarme, & tous les foldats coururent
» à leurs portes fur le pont. Ces vaifleaux voguoient
» en belle ordonnance, parce qu’ils étoient conduits
» chacun par leurs pilotes. Le feu y étoit fi vive-
» ment allumé qu’il fembloit que les vaifleaux me-
» mes brûloient, ce qui donnoit un fpeèlacle qui eut
» fait plaifir aux fpeûateurs qui n’en n’euffent eu
» rien à craindre : car les Efpagnols de leur cote
» avoient allumé un grand nombre de feux fur
» leurs digues & dans leurs forts. Les foldats étoient
» rangés en bataille fur les deux bords de la riviere
» & fur le pont, enfeignes déployées, avec les offi-
» ciers à leur tête ; & les armes brilloient encore
» plus à la flamme qu’elles n’auroient fait au plus
» beau l'oleil.
» Les matelots ayant conduit leurs vaifleaux juf-
» qu’à deux mille pas du pont, firent prendre, i'ur-
» tout aux quatre-où étoient les mines, le courant
» de l’eau, & fe retirèrent dans leurs efquifs; car
» pour ce qui eft des autres ils ne fe mirent pas fi
» fort en peine de fi bien diriger leur route; ceux-ci
» pour la plûpart échouèrent contre l’eftaccade &
» aux deux bords de la riviere. Un des quatre defti-
» nés à rompre le pont, fit eau & coula bas au mi-
» lieu de la riviere ; on en vit fortir une épaiffe fu-
» mée fans autre effet. Deux autres furent pouffés
» par un vent qui s’éle v a , & portes par le cou-
» rant vers Calloo au rivage du côté de la Flandre ;
» il y eut pendant quelque tems fujet de croire que
» la même chofe arriveroit au quatrième, parce
» qu’il paroiffoit aufli tourner du côté de la rive de
» Flandre ; les foldats voyant tout cela, &c que le
» feu paroiffoit s’éteindre lur la plûpart des bateaux,
» commencèrent à fe moquer de ce grand appareil
» qui n’aboutiffoit à rien ; il y en eut même d’affez
» hardis pour entrer dans un des deux qui avoient
» échoué au bord, & ils y enfonçoient leurs piques
» fur le plancher pour découvrir ce qu’il y avoit
» deffous; mais dans ce moment, ce quatrième vaif-
» feau, qui étoit beaucoup plus fort que les autres,
» ayant brifé l’eftaccade, continua fa route vers le
» pont. Alors les foldats efpagnols que l’inquiétude
» reprit, jetterent un grand cril Le duc de Parme
» qui étoit aufli attentif à la flotte hollandoife qui
» étoit au-deffous du pont du côté de Lillo, qu’aux
» brûlots qui venoient d’Anvers, accourut à ce cri.
» Il commanda aufli-lôt des loldats & des matelots ;
» les uns .pour détourner le vaiffeau avec des crocs ;
» les autres pour fauter dedans & y éteindre le feu ,
» & fe mit dans une efpece de château de bois, bâti
» fur pilotis à la rive de Flandre, & auquel étoient
» attachés les premiers bateaux clu pont. Il avoit
» avec lui les feigneurs de Roubais, Caëtan, Billi,
» Duguaft, & les officiers du corps-de-garde de ce
»château.
» Il y avoit parmi eux un vieux enfeigne, do-
» meftique du prince de Parme, à qui ce prince fut
MAC
& en cette occafion redevable de là v ie, Cet homme
» qui fa voit quelque chofe du métier d’ingénieur,
» foit qu’il fût inftruit de l’habileté de Jambelli &c
» du chagrin qu’on lui avoit fait en Efpagne, fo.it
» par une infpiration de Dieu qui avoit voulu qu’An-
» vers fût pris par Alexandre de Parme, s’appro-
» cha de ce prince, & le conjura de fe retirer puif-
» qu’il avoit donné tous les ordres néceffaires. Il le
» fit jufqu’à trois fois, fans que ce prince voulût
» fuivre fon confeil ; mais l’enfeigne ne fe rebuta
» pas : & au nom de D ieu , dit-il à ce prince, en fe
» jettant à fes piés, croyez feulement pour cette
» fois le plus affeftionné de vos ferviteurs. Je vous
» affure que votre vie eft ici en danger ; & puis fe
» relevant, il le tira après lui. Alexandre aufli fur-
» pris de la liberté de cet homme que du ton, eh
» quelque façon infpiré, dont il lui parloit, le fui-
» v it , accompagné de Caëtan, & Duguaft.
» A peine étoient-ils arrivés au fort de Sainté-
» Marie, fur le bord de la riviere du côté de Flan-
» dre, que le vaiffeau creva avec un fracas épou-
» ventaole. On vit en l ’air une nuée de pierres, de
» poutres, de chaînes, de boulets; le château de
» bois, auprès duquel la mine avoit jou é, une par-
» tie des bateaux du pont, les canons qui étoient
» deffus, les foldats furent enlevés & jettés de tous
» côtés. On vit l’Efcaut s’enfoncer en abyme, &
» l’eau pouflee d’une telle violence qu’elle paffa. fur
» toutes les digues, & un pié au - deffus du fort de
» Sainte-Marie ; on fentit la terre trembler à près de
» quatre lieues de-là ; on trouva de ces groffes tom-
» bes dont la mine avoit été couverte à mille pas de
» l’Efcaut.
Un des autres bateaux qui avoit échoué contre le
rivage de Flandre, fit encore un grand effet ; il périt
huit cens hommes de différent genre de mort ; une
infinité furent eftropiés, & quelques-uns échappèrent
par des hazards furprenans.
Le vicomte de Bruxelle, dit l’hiftorien, fut tranf-
porté fort loin, &c tomba dans un navire fans fe faire
aucun mal. Le capitaine T u e , autèur d’une relation
de cette avanture, après avoir été quelque tems fuf-
pendu en l’air tomba dans la riviere ; & comme il
îavoit nager, & que dans-le mouvement du tourbillon
qui l’emporta, fa cuiraffe s’étoit détachée de
fon corps, il regagna le bord en nageant ; enfin, un
des gardés du prince de Parme fut porté de l’endroit
du pont qui touchoit à la Flandre, à l’autre rivage
du côté du Brabant, & ne fe bleffa qu’un peu à l’épaule
en tombant. Pour ce qui eft du prince de Parme
, on le crut mort ; car comme il étoit prêt d’entrer
dans Sainte-Marié, il fut terraffé par le mouvement
de l’air,& frappé en même tems entre les épaules
& le cafque d’une poutre ; on le trouva évanoui
& fans connoiffance : mais il fevint à lui un peu
après ; & la première chofe qu’il fit fut de faire amener
promptement quelques vaifleaux, non pas pour
réparer la breche du pont, car il falloit beaucoup de
tems pour ce la , mais feulement pour boucher l’efpace
que la mine avoit ruiné, afin que le matin il ne
parût point à la flotte hollandoife, qu’il y eût de paf-
fage ouvert ; cela lui réuflit. Les Hollandois voyant
des foldats dans toute la longueur du pont qui n’avoit
point été ruinée, & dans les bateaux dont on avoit
bouché la breche, &c entendant fonner de tous côtés
les tambours & les trompettes, n’oferent tenter
de forcer le partage. Cela donna le loifir aux Efpagnols
de réparer leur pont ; & quelque tems après,
Anvers fut contraint de capituler.
Voilà donc l’époque des machinés infernales & de
ces mines fur l’eau dont on a tant parlé dans les dernières
guerres, & qui ont fait bien plus de bruit que
de mal ; car nulle n’a eu un fi bon fuccès à beaucoup
près que celle de Jambelli en eut un au pont d’An-
Ma c -79?
v ér s, quoiqu’à ces dernieres l’on eût ajouté des bombes
& des carcaffes dont on h’avoit point encore l’u*
fage dans le tems du fiege de cette ville. Hiftoire de
la milice françoife.
Pour donner une idée de la machine infernale
échouée devant Saint-Malo, on en donnefig.
Pl. X I . de fortification, la coupe ou le profil.
B. C ’eft le fond de calle de cette machine, rempli
de fable.
C. Premier pont rempli de vingt milliers de poudre,
avec un pié de maçonnerie au-deffus.
D . Second pont garni de fix cens bombes à feu
& carcaffieres, & de deux piés de maçonnerie au*
deffus.
E. Troifieme pont au-deffus du gaillard, garni
de cinquante barils à cercle de fe r , remplis de toutes
fortes d’artifices.
F. Canal pour conduire le feu aux poudres & aux
amorces.
Le tillac, comme on lé voit en A , étoit garni de
vieux canons & d’autres vieilles pièces d’artillerié
de différentes efpeces.
» Si l’on avoit été perfuadé en France qtie ces for-
» tes d’inventions euffent pû avoir une réuflite in-
» faillible , il eft: fans difficulté que l’on s’en feroit
» fervi dans toutes les expéditions maritimes , que
» l’on a terminées fi glorieufement fans ce fecours ;
» mais cette incertitude, & la prodigieiife tlépenlè
» que l’on eft obligé d’y faire, ont été caufe que l’on
» a négligé cette maniéré de bombe d’unë conftru*
» âion extraordinaire, que l’on a vite long-tems
»'dans le port de Toulon , & qui avoit été coulée &
» préparée pour un pareil ufage ; ce fût en 168S, &c
» voici comme elle étoit faite, fuivant ce qu’en
» écrivit en ce tems-là un officier de Marine.
» La bombe qui eft embarquée fur la Flûte le Cha-
» meau, eft delà figure d’un oeuf; elle eft remplie de
» fept à huit milliers de poudre ; on peut de-là ju-
» ger de fa groffeur ; on l’a placée au fond de ce bâ-
» timent dans cette fituatiôn. Outre plufieurs grol*
» fes poutres qui la maintiennent de tous côtés | elle
» eft encore appuyée de neuf gros canons de fer de
» 18 livres de balle,quatre de chaque côté, & un fur
» le derrière qui ne font point chargés, ayant la
» bouche en bas. Par deffus on a mis encore dix
» pièces de moindre groffeur, avec plufieurs petites
» bombes & plufieurs éclats de canon, & l’on a fait
» une mâçonnerie à chaux & à ciment qui couvre &c
» environne le tout, où il eft entré, trente milliers
» de brique ; ce qui compofe comme une efpece de
» rocher au milieu de ce vaiffeau , qui eft d’ailleurs
» armé de plufieurs pièces de canon chargées à cre-
» v e r , de bombes, carcaffes & pots à feu, pour en
» défendre l’approche. Les officiers devant fe retirer
» après que l’ingenieur aura mis le feu à l’amorce
» qui durera une heure, cette flûte doit éclater avec
» fa bombe, pour porter de toutes parts lés éclats
» des bombes & des carcaffes, & câufer par ce
» mpyen l’embrafement de tout le port de la ville
» qui fera attaquée. Voilà l’effet qu’on s’èn promet :
» on dit que cela coûtera au roi quatrevingt mille
» livres.
Suivant M. Defchiéns dé Reffons « cette bom-
» be fut faite dans la vue d’une machine infer*
» naît pour Alger ; & celles que les ennemis ont
» exécutées à Saint Malo & à Dunkerque, ont été
»faites à l’inftar de celle-ci. Mais toutes ces ma-
» chines ne vallent rien, parce qu’un bâtiment étant
» à flot, la poudre ne fait pas la centième partie dé
» l’effort qu’elle feroit fur un terrain ferme ; la rai-
» fon de cela eft, que la partie la plusfoible du bâti-
» ment cédant lors de l’effet, cette bombé fe trou-*
» vant furchargée de vieux canons, de bombes,
» carcaffes & autres, tout l’effort fe fait par-deffous