que quand ils ont vu le cours & le nombre des traditions
fe groffir affez, pour faire craindre que la religion
n’en fouffrît.
Les rabbins donnent une autre origine aux Caraï-
tes : ils Les font paroître dès le tems d’Alexandre le
Grand ; ca r, quand le prince entra à Jérufalem, Jad-
dus, le fouverain'facrificateur* étoit déjà le chef des
Rabbiniftes ou Traditionnaires, & Ananus & Caf-
canatus, foutenoient avec éclat le parti des Caraï-
tes. Dieu fe déclara en faveur des premiers ; car
Jaddus fit un miracle en préfence d’Alexandre ; mais
Ananus & Cafcanatus montrèrent leur impuiffance.
L ’erreur eft fenfible ; car Ananus, chef des Caraï-
tes, qu’on fait contemporain d’Alexandre le Grand ,
n’a vécu que dans le viij. fiecle de l’Eglife chrétienne.
Enfin, on les regarde comme une branche des Sad-
ducéens, & on leur impute d’avoir fuivi toute la
doétrine de Zadoc & de fes difciples. On ajoute
qu’ils ont varié dans la fuite , parce que s’apperce-
vant que ce fyftème les rendoit odieux, ils en rejet-
terent une partie, & fe contentèrent de combattre
les traditions & la loi orale qu’on a ajoutée à l’Ecriture.
Cependant les Caraïtes n’ont jamais nié l’immortalité
des âmes ; au contraire le caraïte que le
pere Simon a cité, croyoit que l’ame vient du ciel,
qu’elle fubfifte comme les anges, & que le fiecle à
venir a été fait pour elle. Non-feulement les Caraïtes
ont repouné cette accufation, mais en récriminant
ils Soutiennent, que leurs ennemis doivent
être plutôt foupçonnés de fadducéïfme qu’eu x, puif-
qu’ils. croyent que les âmes feront anéanties , après
quelques années de fouffrances & de tourmens dans
les enfers. Enfin, ils ne comptent ni Zadoc ni Bati-
thos au rang de leurs ancêtres & des fondateurs de
leur feûe. Les défenfeurs de Caïn, de Judas, de
Simon le Magicien, n’ont point rougi de prendre
les noms de leurs chefs ; les Sadducéens ont adopté
celui de Zadoc : mais les Caraïtes le rejettent & le
maudiffent, parce qu’ils en condamnent les opinions
pernicieufes.
Eufebe ( Prcep. evang. lib. VIII. cap. x . ) nous
fournit une conjeélure qui nous aidera à découvrir
la véritable origine de cette fecte ; car en faifant un
extrait d’Ariftobule, qui parut avec éclat à la cour
de Ptolomée Philometor, il remarque qu’il y avoit
en ce tems-Ià deux partis différens chez les Juifs,
dont l’un prenoit toutes les lois de Moïfe à la lettre,
& l’autre leur donnoit un fens allégorique. Nous
trouvons-là la véritable origine des Caraïtes, qui :
commencèrent à paroître fous ce prince ; parce que
ce fut alors que les interprétations allégoriques &
les traditions furent reçues avec plus d’avidité & de
refpeéri La religion judaïque commença de s’alterer
par le commerce qu’on eut avec des étrangers. Ce
commerce fut beaucoup plus fréquent depuis les
conquêtes d’Alexandre, qu’il n’étoit auparavant; .
& ce fut particulièrement avec les Egyptiens qu’on
fe lia , fur-tout pendant que les rois d’Egypte furent
maîtres de la Judée, qu’ils y firent des voyages &
des expéditions, & qu’ils en tranfporterent les ha-
bitans. On n’emprunta pas dés Egyptiens leurs idoles
, mais leur méthode de traiter la Théologie &• la
Religion. Les doéleurs juifs tranfportés ou nés dans
ce pays-là, fe jetterent dans les interprétations allégoriques
; & c’eft ce qui donna occalion aux deux
partis dont parle Eufebe, de fe former & de divifer
la nation.
Doctrine des Caraïtes. i°. Le fondement de la do-
éhrine des Caraïtes confille à dire qu’il faut s’attacher
fcrupuleufement à l’Ecriture fainte, & n’avoir
d’autre réglé que la loi & les conféquences qu’on en
peut tirer. Ils rejettent donc toute tradition orale,
& ils confirment leur fentiment par les citations des
autres dofteurs qui les ont précédés, lefqtiels ont en-
feigné que tout eft écrit dans la loi ; qu’il n’y a point
de loi orale donnée à Moïfe fur le mont Sinaï. Ilsde-
mandent la raifonqui auroit obligé Dieu à écrire une
partie de fes lois, & à cacher l’autre, ou à la confier
à la mémoire des hommes. Il faut pourtant remarquer
qu’ils recevoient les interprétations que les Doâeu.rs
avoient données d e la lo i ; t& par-là ils admettoient
une efpece de tradition, mais qui étoit bien différente
de celle des rabbins. Ceux-ci ajoutoient à l ’Ecriture
les conftitutions & les nouveaux dogmes de
leurs prédéceffeurs ; les Caraïtes au contraire n’a-
joutoient rien à la loi , mais ils fe croyoient permis
d’en interpréter les endroits obfcurs, 6c de recevoir
les éclaircilfemens que les anciens doéteurs en
avoient donnés.
2°. C ’eft fe jouer du terme de tradition, que de
croire avec M. Simon qu’ils s’en fervent, parce
qu’ils ont adopté les points des MafTorethes. Il eft
bien vrai que les Caraïtes reçoivent ces points;
mais il ne s’enfuit pas de-là qu’ils admettent la tradition,
car cela n’a aucune influence fur les dogmes
de la Religion. Les Caraïtes font donc deux chofes:
i° . ils rejettent les dogmes importans qu’on a ajoutés
à la loi qui eft fuffifante pour le falut ; z°. ils ne
veulent pas qu’on égale les traditions indifférentes à
la loi.
3°. Parmi les interprétations de l’Ecriture, ils ne
reçoivent que celles qui font littérales, & par con-
féquent ils rejettent les interprétations cabbalifti-
ques, myftiques , & allégoriques, comme n’ayant
aucun fondement dans la loi.
4°. Les Caraïtes ont une idée fort fimple & fort
pure de la Divinité ; car ils lui donnent des attributs
effentiels & inféparables ; & ces attributs ne font
autre chofe que Dieu même. Ils le confiderent en-
fuite comme une caufe opérante qui produit des effets
différens : ils expliquent la création fuivant le
texte de Moïfe ; félon eux Adam ne feroit point
mort, s’il n’a voit mangé de l’arbre de fcience. La
providence de Dieu s’étend auffi-loin que fa con-
noiffance, qui eft infinie, & qui découvre généralement
toutes chofes. Bien que Dieu influe dans les
aérions des hommes, & qu’il leur prête fon fecours,
cependant il dépend d’eux de fe déterminer au bien
& au mal, de craindre Dieu ou de violer fes com-
mandemens. Il y a , félon les doéleurs qui fiiivent en
cela les Rabbiniftes, une grâce commune, quife répand
fur tous les hommes, & que chacun reçoit félon
fa difpofition ; & cette dil'pofition vient de la
nature du tempérament ou des étoiles. Ilsdiftinguent
quatre difppfirions différentes dans l’ame : l’une de
mort & de vie ; l’autre de fanté, & de maladie. Elle
eft morte, lorfqu’elle croupit dans le péché ; elle eft
vivante, lorfqu’elle s’attache au bien ; elle eft malade
, quand elle ne comprend pas les vérités céle-
ftes ; mais elle eft faine, lorfqu’elle connoît l’enchaî-
nure des évenemens & la nature des objets qui tombent
fous fa connoiffance. Enfin, ils croyent que les
âmes, en fortant du monde , feront récompenfées
ou punies ; les bonnes âmes iront dans le fiecle à
venir & dans l’Eden. C ’eft ainfi qu’ils, appellent le.
paradis, où l’ame eft nourrie par la vfie & la connoiffance
des objets fpirituels. Un de leurs doéleurs
avoue que quelques-uns s’imaginoient que l’ame des
méchans paffoit par la voie de la métempficofe dans
le corps des bêtes : mais il réfuté cette opinion, étant
perfuadé que ceux qui font chaffés du domicile de
D ie u , vont dans un lieu qu’il appelle la géhenne,
où ils fouffrent à caufe de leurs péchés, & vivent
dans la douleur & la honte , où il y a un ver qui ne
meurt point, & un feu qui brûlera toujours.
5°. Il faut obferver rigoureufemént les jeûnes.
6°. Il n’eft point permis d’époufer 1^ feeur de fa
femme
femme, même après la mort de celle-ci.
7°. Il faut obferver exaélement dans les mariages
les degrés de parenté & d’affinité.
8°. C’eft une idolâtrie que d’adorer les anges,
le c ie l, & les aftres ; & il n’en faut point tolérer les
repréfentations.
Enfin, leur morale eft fort pure ; ils font fur-tout
'profeflion d’une grande tempérance ; ils craignent
de manger trop, ou de fe rendre trop délicats fur les
mets qu’on leur préfente ; ils ont un relpeél ex-
ceffif pour leurs maîtres; les Doéleurs de leur côté
font charitables, & enfëignent gratuitement ; ils prétendent
fe diftinguer par-là de ceux qui fe font dieux
d’argent, en tirant de grandes fommes de leurs levons.
De la fecte des Pharifens. Origine des Pharifens.
On ne connoît point l’origine des Pharifiens, ni le
tems auquel ils ont commencé de paroître. Jofephe
qui devoit bien connoître une fette dont il étoit membre
& partifân zé lé, femble en fixer l’origine fous
Jonathan, l’un des Machabées, environ cent trente
ans avant Jefus-Chrift»
On a crû jtifqu’à préfent qu’ils avoient pris le nom
de féparés, ou de Pharifens, parce qu’ils fe fépa-
roient du refte des hommes, au-deffus defquels ils
s’élevoient par leurs auftérités. Cependant il y a une
nouvelle conjeéiure fur ce nom : les Pharifiens
'étoient oppofés aux Sadducéens qui nioient les ré-
compenfes de l’autre vie ; car ils foutenoient qu’il
y avoit un paras, ou une rémunération après la
mort. Cette récompenfe faifant le point de la con-
troverfe avec les Sadducéens, & s'appelant Paras,
les Pharifiens purent tirer de-là leur nom, plutôt
que de la féparation qui leur étoit commune avec
les Pharifiens.
Doctrine des Pharifens. i° . Le zele pour les traditions
fait le premier crime des Pharifiens. Ils foutenoient
qu’outre la loi donnée furie Sinaï, & gravée
dans les écrits de Moïfe, Dieu avoit confié verbalement
à ce légiflateur un grand nombre de rits
& de dogmes , qu’il avoit fait paffer à la poftérité
fans les écrire. Ils nomment les perfonnes par la bouche
defquels ces traditions s’étoient confervées : ils
leur donnoient la même autorité qu’à la L o i, & ils
avoient raifon-, puifqu’ils fuppofoient que leur origine
étoit également divine. J. C . cenl'ura ces traditions
qui affoibliffoient le texte, au lieu de l’éclairc
ir , & qui ne tendoient qu’à flatter les paffions au
lieu de les corriger. Mais fa cenfure, bien loin de
ramener les Pharifiens, les effaroucha, & ils en furent
choqués comme d’un attentat commis par une
perfonne qui n’avoit aucune million.
2°. Non-feulement on peut accomplir la Loi écrite,
& la Loi o rale, mais encore les hommes ont affez
de forces pour accomplir les oeuvres de furéroga-
tion, comme les jeûnes , les abftinences , & autres
dévotions très-mortifiantes, auxquelles ils donnoient
un grand prix.
3°. Jofephe dit que les Pharifiens admettoient
non-feulement un Dieu créateur du ciel & de la
terre, mais encore une providence ou un deftin. La
difficulté confifte à fa voir ce qu’il entend par defïn:
il ne faut pas entendre par-là les étoiles, puifque les
Juifs n’avoient aucune dévotion pour elles.. Le deftin
chez les Payens, étoit l’enchaînement descau-
fes fécondés, liées par la vérité éternelle. C ’eft ainfi
qu’en parle Cicéron : mais chez les Pharifiens , le
deftin fignifioit la providence & les decrets qu’elle
a formés fur les évenemens humains. Jofephe explique
fi nettement leur opinion, qu’il eft difficile
de concevoir comment on a pû l’obfcurcir. « Ils
» croyent, dit-il, ( antiq.jud. lib. X V I I I . cap. ij. )
» que tout fe fait par le deftin ; cependant ils rt’ô -
# tent pas à la volonté la liberté de fe déterminer,
Tonte IX ,
» parce que, félon eu x , Dieu ufe de ce tempéra*
» ment; que quoique toutes chofes arrivent par fort
» decret, ou par fon cofifeil, l’homme cpnferve
» pourtant le pouvoir de choifir entre le vice & la
»> vertu ». Il n’y a rien de plus clair que le témoignage
de cet hiftorien, qui étoit engagé dans la feéte
des Pharifiens, & qui devoit en connoître les fond»
mens. Comment s’imaginer après cela, que les Pha»
rifiens fe cruffent fournis aveuglément aux influences
des aftres, & à l’enchaînement des caufes fécondés
?
4°. En fuivant cette lignification naturelle, il eft
aifé de développer le véritable fentiment des Pharifiens
, lefquels foutenoient trois chofes différentes.
i°. Ils croioient que les évenemens ordinaires
naturels arrivoient néceffairement, parce que la pi o*
vidence les avoit prévus & déterminés ; c’eft-là ce
qu’ils appelloient le deflin. 2°. Ils laiffoient à l’homme
fa liberté pour le bien & pour le mal. Jofephô
l’affure pofitivement, en difant qu’il dépertdoit de
l’homme de faire lé bien & le mal. La Providence
regloit donc tous les évenemens humains ; mais elle
n’impofoit aucune néceffité pour les vices ni pour
les vertus. Afin de mieux foutenir l’empiré qu’ils fe
donnoient fur les mouVemens du coeur, & fur les
aérions qu’il produifoit, ils alléguoient ces paroles
du Deutéronome, où Dieu déclare -, qu’il a mis là
mort & la vie devant fon peuple, & les exhorte à choifir
la vie. Cela s’accorde parfaitement avec l’orgueil
des Pharifiens , qui fe vantoient d’accomplir la Loi,
& demandoient la récompenfe due à leurs bonnes
oeuvres, comme s’ils l’avoient méritée. 30. Enfin,
quoiqu’ils laiffaffent la liberté de choifir entre le bien
& le mal, ils admettoient quelques fecours de la part
de D ieu; car ils étoient aidés par le deftin. Ce dernier
principe leve toute la difficulté : car fi le deftin
avoit été chez eux une caufe aveugle, un enchaîne*
ment des caufes fécondés, ou l’influence des aftres ,
il feroit ridicule de dire que le deftin JêS aidoit.
50. Les bonnes & les mauvaifes aérions font ré**
compenfées ou punies nom-feulement dans cette vie,
mais encore dans l’autre ; d’où il s’enfuit que les Phâ*
rifiens croyoient la réfurreérion.
6°. On accule les Pharifiens d’enfeigner la tranf-
migration des âmes, qu’ils avoient empruntée des
Orientaux, chez lefquels ce fentiment étoit commun
: mais cette accufation eft conteftée, parce
que J. C. ne leur reproche jamais cette erreur, Ô£
qu’elle paroît détruire la réfurreérion des morts i
puifque fi une ame a animé plufieürs corps fur la
terre, on aura de la peine à choifir celui qu’elle
doit préférer aux autres.
Je ne fais fi cela fuffit pour juftifier cette feéle i
J. C . n’a pas eu deffein de combattre toutes les erreurs
du Pharifaïïme ; & fi S. Paul n’en avoit parlé;
nous ne connoîtrions pas aujourd’hui leurs fenti-
mens fur la juftificatibn. II ne faut donc pas conclure
du fi'enee de l’Evangile, qu’ils ri’ont point cru la
tranfmigration des âmes.
II ne finit point non plus juftifier les Pharifiefls j
parce qu’ils auroient renverfé la réfurreérion par la.
métempficofe ; car les Juifs modernes admettent éga*
lement la révolution des âmes, & la réfurreérion
des corps, & le s Pharifiens ont pu faire là même
chofe.
L’autorité de Jofephe, qui parlé nettement fur
cette matière , doit prévaloir. Il affure ( Antiq. ju d »
lib. X V III. cap. ij. j que les Pharifiens croyoient
que les âmes des méchans étoient renfermées dans
des prifons, & fouffroient-là des fupplices éternels,
pendant que celles des bons trotivoienf un retour
facile à la v ie , & rentrOient dân's un autre corps.
On ne peut expliquer ce retour des atties à la vie
par la réfurreérion ; car, félon les Pharifiens-, l’ame