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qui jette un grand jour fur la philofopkit des peuples
avec lefquels ils ont été liés.
Pour traiter cette matière avec toute la clarté pof-
fible, il faut diftinguer exactement les lieux où les
Juifs ont fixé leur demeure , & les tems où le font
faites ces tranfmigrations : ces deux chofes ont entraîné
un grand changement dans leurs opinions. 11
y a fur-tout deux époques remarquables ; la première
eft le fchifme des Samaritains qui commença
long-tems avant Efdras, 6c qui éclata avec fureur
après fa mort; la fécondé remonte jul'qu’au tems où
Alexandre tranfporta en Egypte une nombreul'e colonie
de Juifs qui y jouirent d’une grande conlidéra-
tion. Nous ne parlerons ici de ces deux époques
qu’autant qu’il fera néceffaire pour expliquer les
nouveaux dogmes qu’elles introduifirent chez les
Hébreux.
Hijloire des Samaritains. L’Eeriture-fainte nous apprend.(*’/,
Reg. / J. ) qu’environ deux cens ans avant
qu’Etdras vît le jour, Salmanazar roi des Afly riens,
ayant emmené en captivité les dix tribus d’ilra ë l,
avoit fait paffer dans le pays de Samarie de nouveaux
habitans i tirés partie des campagnes voifines de Ba-
bylone, partie d’Avach, d’Emath, de Sepharvaïm
& de Cutha ; ce qttHeur fit donner le nom de Cu-
thêens fi odieux aux Juifs. Ces différens peuples emportèrent
avec eux leurs anciennes divinités, &
établirent chacun leur fuperftition particulière dans
les villes de Samarie 'qui leur échurent en partage.
Ici l’on adoroit Sochotbenoth ; c’étoit le
dieu -des habitans de la campagne de Babylone ; là
on rendôit les honneurs divins à Nergel ; c’étoit celui
des Cuthéens. La colonie d’Emac'n honoroit Afi-
ma ; les Hevéens, Nebahaz & Tharthac. Pour les
dieux des habitans de Sepharvaïm , nommés Adva-
melech6c Anamdech, ils reffembloient aflez au dieu
Moloch, adoré par les anciens Chananéens ; ils en
avoient du moins la cruauté , & ils exigeoient auffi
lesenfans pour victimes. On ypyoit auffi les peres
infenfés les jetter au milieu des flammes en l’honneur
de leur idole. Le vrai Dieu étoit le feul qu’on "ne
connût point dans un pays confacré par tant de marques
éclatantes de fon pouvoir. Il déchaîna les lions
du pays’contre les idolâtres qui le profanoient. Ce
fléau fi violent & fi fubit portoit tant de marques
d’un châtiment du ciel, que l’infidélité même fut obligée
d’en convenir. On en fit avertir le roi d’Afly rie :
on lui repréfenta que les natipns qu’il avoit transférées
en Ifraël, n’avoient aucune connoiffance du
dieu de Samarie, & de la maniéré dont il vouloir
être honoré. Que ce Dieu irrité les perfécutoit fans
ménagement ; qu’il raffembloït les lions de toutes les
forêts, qu’il les envoyoit dans les campagnes &
jufques dans les villes ; & que s’ils n’apprenoient à
appa.ifer ce Dieu vengeur qui les pourfuivoit, ils fe-
roient obligés de déferter, ou qu’ils périroient tous.
Salmanàzàr touché de ces remontrances , fit chercher
parmi les captifs tin des anciens prêtres de Samarie,
6c il le renvoya en Ifraël parmi les nouveaux
habitans, pour leur apprendre à honorer le dieu du
pays. Les Jeçons furent écoutées par les idolâtres,
mais ïlsnc renoncèrent pas pour cela à leurs dieux;
au contraire chaque colonie-fe mit à forger la divinité.
Toutes les vijles eurent leurs idoles ; les temples 6c
k s hauts-lieux bâtis par les Ifraélites recouvrèrent
leuraneienne 6c facrilege célébrité. On y plaça des
prêtres-tirés de la plus vile populace, qui furent
chargés des cérémonies & du foin des facrifices. Au
milieu de ce bifarre appareil de fuperftition & d’i-
dolatrie , pndonna auffi fa place au véritable Dieu.
On connut par les inftructions du lévite d’Ifraël, que
ee Dieu fouverain méritoit un culte fupérieur à celui
qu’on-rendoit aux autres divinités; mais foit la
faute du maître,foit celk-des difciples jOn n’alfa pas
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jufqu*à comprendre que le D ieu du ciel & de la totere
, ne pouvoit fouftrir ce monftrueux affemblage j
& que pour l’adorer véritablement, il fallait l’ado^
rer feul. Ces impiétés rendirent les Samaritains extré-
mementÆdieux aux J u if ; mais la haine des derniers
augmenta, lorqu’au retour de la captivité , ils s’ap»
perçurent qu’ils n’avoient point de plus cruels enne-*
mis que ces faux freres. Jaloux de voir rebâtir k
temple qui leur reprochoit leur ancienne fépara«
tion , ils mirent tout en oeuvre pour l’empêcher. Ils
fe cachèrent à l’ombre de la religion, & aflurant les
Juifs qu’ils invoquoient le même Dieu qu’eu x, iis
leur offrirent leurs fervices pour l’accompliffement
d’un ouvrage qu’ils vouloient ruiner. Les Juifs ajoû*
tentà l’Hiftoirefainte, qu’Efdras 6c Jérémie affem-
blerent trois cens prêtres , qui les excommunièrent
de la grande excommunication ; ils maudirent celui
qui mangerait du pain avec eux, comme s’il avoit mangé
de la chair de pourceau. Cependant les Samaritains
ne ceflbïent de cabaler à la cour de Darius
pour empêcher les Juifs de rebâtir le temple ; & les
gouverneurs de Syrie 6c de Phénicie ne ceflbient
de les féconder dans ce deflein. Le fenat & le peuplé
dejérufalem les voyant fi animés contre eux, députèrent
vers Darius , Zorobabel 6c quatre autres des
plus diftingués, pour fe plaindre des Samaritains*
Le ro i ayant entendu ces députés, leur fit donner
des lettres par lefquelles il ordonnoit aux princi*
paux officiers de Samarie, de féconder les Juifs dans
leur pieux deflein, & de prendre pour cet effet fur
fon tréfor provenant des tributs de Samarie, tout ca
dont les facrificateurs de Jérufalem auroient befoin
pour leurs facrifices. ( Jofephe, Antiq. jud. lib. X I ,
cap. iv. )
La diyifion fe forma encore d’une maniéré plus
éclatante fous l’empire d’Alexandre k Grand. L’auteur
de la chronique des Samaritains {voyeffeanage,
Hiß. des Juifs, liv. III. chap. iij. ) rapporte que ca
prince pafla par Samarie, où il fut reçu par legrand
prêtre Ezéchias qui lui promit la victoire fur les Per*
les : Alexandre lui fit des préfens, Scies Samaritains
profitèrent de ce commencement de faveur pour obtenir
de grands privilèges. Ce fait eft contredit paf
Jofephe qui l’attribue aux Juifs, de forte qu’il eft fort
difficile de décider lequel des deux partis a raifon ;
& il n’eft pas furprenant que les fçavans foient partagés
fur ce fujet. Ce qu’il y a de certain c’eft que
les Samaritains jouirent de la faveur du ro i, & qu’ils
reformèrent leur dourine , pour fe délivrer du reproche
d’héréfie que leur faifoient les Juifs. Cependant
la haine de ces derniers , loin de diminuer fe
tourna en rage : Hircan affiégea Samarie, &c la rafa
de fond en comble auffi-bien que fon temple. Ellç
fortit de fes ruines par les foins d’Aulus Gabinius,
gouverneur de la province , Herode l’embellit par
des ouvrages publics ; 6c elle fut nommée Sèbafee,
en l’honneur d’Augufte.
Doctrine dis Samaritains. Il y a beaucoup d’appa*
renceque les auteurs qui ont écrit fur la religion des
Samaritains , ont épouféun peu trop la haine violent
te que les Juifs avoient pour ce peuple : ce que les
anciens rapportent du culte qu’ils rendoient à la divinité
, prouve évidemment que leur doCtrine a été
pçinte fous des couleurs trop noires : fur-tout on ne
peut guere juftifier faint Epiphane qui s’eft trompé
fouvent fur leur chapitre. 11 reproche (/ié. X I . cap.
8. ) aux Samaritains d’adorer les téraphins que Rachel
avoit emportés à Luban, &qu e Jacob enterra«
II foutient auffi qu’ils regardoient vers le Garizim en
priant, comme Daniel à Babylone regardoit vers le
temple de Jérufakm. Mais foit quç faint Epiphane
ait emprunté cette hiftoire des Thalmudiftes ou de
quelques autres auteurs Juifs, elle eft d’autant plu*
fauffe dans fon ouvrage, qu’il s’imagjmoit que le G*-
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fizim etoit éloigné de Sanîâriè , & qu’on etoit obligé
de tourner fes regards vers cette montagne, parce
que la diftance étoit trop grande pour y aller faire
les dévotions; On foutient encore que lés Samaritains
avoient l’image d’un pigeon , qu’ils adoroient
comme un fymbole des dieux, & qu’ils avoient emprunté
ce culte des Àffyriens , qui mettoient dans
leurs étendarts une colombe en mémoire deSémira-
mis , qui avoit été nourrie par cet oifeau &c changée
en colombe, & à qui ils rendoient des honneurs
divins. Les Cuthéens qui étoient de ce pays , purent
retenir le culte de leur p ays, & en conferver la mémoire
pendant quelque tems ; car on rte déracine pas
fi facilement l’amour des objets fenfibles dans la religion
, & le peuple fe les laiffe rarement arracher*
Mais \cs Juifs font outrés fur cette matière , comme
fur tout ce qui regardé les Samaritains; Ils fou-
tiennent qu’ils avoient élevé une ftatue avec la figure
d’une colombe qu’ils adoroient ; mais ils n’en
donnent point d’autres preuves que leur perfuafion.
J’en fuis très-perfuadé, dit un rabin, &i cëtte perfuafion
ne fuffit pas fans raifons. D ’ailleurs il faut remarquer,
i°; qu’aucun des anciens écrivains, ni profanes
ni facrés, ni payens, ni eccléfiaftiques, n’ont parlé de
ce culte que les Samaritains rendoient à un oifeau :
ïefilence général eft une preuve de la calomnie des
Juifs. 2°. 11 faut remarquer encore que les Juifs n’ont
ofé l’inférer dans le Thalmud ; cette fable n’eft point
dans le texte , niais dans la glofe. Il faut donc re-
connôîtreque c’eft un auteur beaucoup plus moderne
qui a imaginé ce conte ; carie Thalmud ne fiit eom-
pofé que plufieurs fiécles après lahfine de Jérufa*
iem &c de Samarie. 30. On cite le rabin Meir, & on
lui attribue cette découverte de l’idolâtrie des Samaritains
; niais le culte public rendu fur le Garizim par
un peuple entier, n’eft pas une de ces chofes qu’on
puiffe .Cacher long-tems, ni découvrir par fubtilité
ou par hafard» D ’ailleurs le rabin Meir eft un nom
qu’on produit: il n’eft refté de lui, ni témoignage, ni
éc rit, fur lequel on puiffe appuyer cette cdnjeCture;
• - S. Epiphane les accufe encore, de nier la réfurrec-
tion des corps ; & c’eft pour leur prouver cette vérité
importante, 'qu’il leur allégué l’exemple de Sara
, laquelle conçut dans un âge avancé, 6c celui dé
la verge d’Aaron qui reverdit ; mais il y a une fi grande
diftance d’une verge qui fleurit, & d’une vieille
qui a des enfàns, à la réunion de nOs cendres difper-
fées, & au rétabliffement du corps humain pourri
depuis plufieurs fiecles, qu’on ne conçoit pas comment
il pouvoit lier (Tes idées, & en tirer une confé-
quence; Quoi qu’il en fo i t , l’accufation eft Faüffe ,
car les Samaritains eroyoient la refurreftion; En effet
on trpuvè daris leur chronique deux chofes qui le
prouvent évidemment-; car ils parlent d’un jour de
rècompehfe & de peine , ce qui, dans le ftyle des Arabes
, marque le jour de la refurreftion générale, & I
du délugedefeu. D ’ailleurs ils ont inféré dans leur
chronique l’éloge de Moïfe , que Jofué COmpofa
après la mbrt de ce légiflateur; & entre k s louanges
qu’il lui donne, il s’écrie qu’il eft le feul qui ait
reffufcitè les morts. On ne fait comment l’auteur pOu-
voit attribuer à Moïfe lâ réfurre&ion mirâculeulè de
quelques morts , puifque l’Ecriture ne le dit pas , &
que k s Juifs même font en peine de prouver qu’il
étoit le plus grand des prophètes, parce qu’il n’a pas
arrêté le foleil comme Jofué, ni reffufcitè les morts
comme Elifée. Maisce qui achevé decOnftater que
les Samaritains eroyoient la réfurre&ion, c’eft que
Ménandre qui avoit été famaritain, fondoit tonte
fa philofophie fur ce dogme. On fait d’ailleurs, 6c
faint Epiphane ne l’a point iiié, que les Dofithéens
qui formoient une feâe de famaritai.ns , en faifoient
hautement prbfeffion. Il 'eft vraiflemblable que ce
qui a donné occafion à cette erreur, c’eft que les
Tome IX ,
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Saduceeris qui nioiertt véritablement ia réfurreèlionj
furent appelles parles Pharifiens Ciuhim, c’eft-à-dirë
hérétiques > ce qui les fit confondre avec les Samaritains.
Enfin Léontiùs (de feciis, cap. 8. ) leur reproche dé
ne point reconnoître l’exiftence des anges. Il fem-
blerôit qu’il a confondu les Samaritains avec les Sa-
dilcéens ; & on ponrroit l’en convaincre par l’autorité
de faint Epiphane , qui diftinguoit les Samaritains
& les Saducéens pat ce caraâete, que les dér*
niers ne eroyoient ni les anges, ni k s ëfprits; mais
, ôn fait que ce faint a fouvent confondu les fentimens
des anciennes fettes. Le fàvant Reland ( Dijf. mife\
part. I I . p. a i ; ) penfoit que les Samaritains enten-
doient par un ange, une vertu, un infiniment dbnt la
- divinité fe fert pour agir, ou quelqu’organe fenfible
qu’il employé pour l’exécution de fes ordres : ou biert
ils eroyoient que les anges font des vertus naturellement
unies à la divinité, & qu’il fait fortir quand il
lui plaît : cela paroît par le Pentateüque famaritain,
dans lequel On fubftitue fouvent Dieu aux anges, &
les anges à Dieu;
On ne doit point oublier Simon le màgicieii dans
l’hiftoire des Samaritains, puifqu’il étoit Samaritain
lui-même, & qu’ïl dogmatifa chez eux pendant
quelque tems: voici ce que nous avons trouvé de
plus vraifemblable à fon î’ujet.
Simon étoit natif de Gitthon dans la province de
Samarie : il y a apparence qu’il fuivit la coutume
des afiatiques qui voyageoient fouvent en Egypte
pour y apprendre la philofophie. Ce fut là fans
doute qu’il s’inftruifit dans la magie qu’on enfeignoit
dans les écoles. Depuis étant revenu dans fa patrie,
il fe donna pour un grand perfonnagé, abufa long-
tems le peuple de fes preftiges, & fâcha de leur faire
croire qu’il étoit le libérateur du genre humain. S.Luc
act. xiij. ix. rapporte que les Samaritains fe laifferent
effettivement enchanter par fes artifices, & qu’ils iè
nommèrent la grande vertu de Dieu; mais On fuppofé
fans fondement qu’ils regardoient Simon le magicien
comme le meffie. Saint Epiphane affure Uphiph.
haref. pag. [64. )' que cet impofteur pfêchoit aux
Samaritains qu’il étoit le pere, & aux Juifs qu’il étoit
le fils; Il en fait par-là un extravagant qui n’auroit
trompé perfonne par la contradi&ion qui ne pouvoit
être ignorée dans une fi petite diftance de lie»;
* En effet Simon adoré des Samaritains, ne pouvoit
être le doûeur des Juifs : enfin prêcher aux Juifs
qu’il étoit le fils, e’étoit les fou le ver contre lui
comme ils s’étoient foulevés contre J. G. lorfqu’il
avoit pris le titre de fils de Dieu. Ii n’eft pas même
vraiflemblable qu’il fe regardât comme le meffie,
î° . parce que l’hiftorien làcré ne l’accufe que dé
magie, 6c c’étoit par-là qu’il avqit féduit les Samaritains
: z°. parce que les Samaritainsrappelloienf
feulement La vertu de Dieu, la grande. Simon abufa
dans la fuite de ce titre qui lui avoit été donné, &
il y attacha des idées qu’on n’avoit pas eues aü
commencement ; mais il ne prennoit pas lui-même
ce nom, c’étoient les Samaritains étonnés de fes prodiges
, qui l’appelloient la vertu de Dieu. Cela con-
venoit aux miracles apparens qu’il avoit faits, mais
on ne pouvoit pas en conclure qu’il fe regardât
comme le meffie. D ’ailleurs il ne fe mettoit pas à
la tête des armées, & ne foulevoit pas k s peuples ;
il ne pouvoit donc pas convaincre les Juifs mieux
que J. C» qui avoit fait des miracles plus réels ôc
plus grands fous Ieltrs yeux. Enfin ce ieroit le dernier
de tous Les prodiges, que Simon fe fût converti,
s’il s’étoit fait le meffie J Ion impofturé anroit paru
trop groffiere pour en foutenir la honte; Saint Luc
ne lui impute rien de femblablé : il fit ce qui étoit
aflez naturel.* convaincu de la fauffeté dé fdrt à r t ,
dont les plus habiles magiciens fe défient toujours',