étant immortelle, elle ne mourra point, & ne refîuf-
citera jamais. On ne peut pas dire aùfli qu’elle rentrera
dans un autre corps au dernier jour : car outre
que l’ame reprendra par la réfurrettion le même
corps qu’elle a animé pendant la v ie , & qu’il y aura
feulement quelque changement dans fes qualités ;
les Pharifiens repréfentoient par-là la différente condition
des bons & des méchans, immédiatement
après la mort ; & c’eft attribuer une penfée trop
fubtile à Jofephe , que d’étendre fa vue jufqu’à la
réfurreftion. Un hiftorien qui rapporte les opinions
d’une lê fte , parle plus naturellement, & s ’explique
avec plus de netteté.
Moeurs des Pharifiens. Il eft tems de parler des auf-
térités des Pharifiens; bar ce fut par là qu’ils féduifi-
rent le peuple, &c qu’ils s’attirèrent une autorité qui
les rendoit redoutables aux rois. Ils faifoient de longues
veilles , & fe refufoient jufqu’au fommeil nécef-,
faire.Les uns fe couchoient fur une planche très-étroi-
tejafin qu’ils ne puffent fe garantir d’une chute dange-
reufe, lorfqu’ils s’endormiroient profondément ; &
les autres encore plus aufteres femoient fur cette
planche des cailloux & des épines , qui troublaflent
leur repos en les déchirant. Ils faifoient à Dieu de
longues oraifons, qu’ils répétoient fans remuer les
yeux , les bras , ni les mains. Ils achevoient de mortifier
leur chair par des jeunes qu’ils obfervoient deux
fois la femaine ; ils y ajoutaient les flagellations ; &
c ’étoit peut-être une des raifons qui les faifoit ap-
peller des Tire-fang, parce qu’ils fe déchiroient impitoyablement
la peau, & le fouettoient jufqu’à ce
que le fang coulât abondamment. Mais il y en avoit
d’autres à qui ce titre avoit été donné, parce que
marchant dans les rues les yeux baiffés ou fermés ,
ils fefrappoient la tête contre les murailles. Ilschar-
geoient leurs habits de phylafteres , qui contenoient
certaines fentences de la loi. Les épines étaient attachées
aux pans de leur robe, afin de faire couler
le fang de leurs piés lorfqu’ils marchoient; ils fe fépa-
roient des hommes, parce qu’ils étoient beaucoup
plus faints qu’eux , & qu’ils craignoient d’être fouillés
par leur attouchement. Ils fe lavoient plus fou-
vent que les autres , afin de montrer par là qu’ils
avoient un foin extrême de fe purifier. Cependant
à la faveur de ce zele apparent, ils fie rendoient vénérables
au peuple. On leur donnoit le titre de fages
par excellence ; & leurs difciples s’entrecrioient, le
Juge explique aujourd'hui. On enfle les titres à proportion
qu’on les mérite moins ; on tâche d’impofer
aux peuples par de grands noms, lorfque les grandes
vertus manquent. La jeuneffe a voit pour eux une
fi profonde vénération, qu’elle n’ofoit ni parler ni
répondre , lors même qu’on lui faifoit des cenfures ;
.en effet ils tenoient leurs difciples dans une efpece
d’efclavage , & ils régloient avec un pouvoir abfo-
Ju tout ce qui regardoit la religion.
On diftingue dans le Thalmud fept ordres de Pharifiens.
L’un mefuroit l’obéiflance à l’aune du profit
& de la gloire; l’autre ne levoit point les piés en
marchant, & on l’appelloit à caufe de cela le phari-
fien tronque ; le troifieme frappoit fa tête contre les
murailles , afin d’en tirer le lang ; un quatrième ca-
choit fa tête dans un capuchon, & regardoit de cet
enfoncement .comme du fond d’un mortier ; le cinquième
demandoit fièrement, quefaut-ilquejefafje }
je le ferai. Qu'y a-t-il à fo in que je n'aye fait ? le fi-
xiemeobéifloit par amour pour la vertu & pour la ré-
eompenfe; & le dernier n’exécutoit les ordres de
Dieu .que par la crainte de la peine.
Origine des Efféniens. Les Efleniens qui devroient
être fi célébrés, par leurs auftérités & par la fainteté
exemplaire dont ils faifoient profeflxon , ne le font
prelque point. Serrarius foutenoit qu’ils étoient connus
chez les/«i/i depuis la fortie de l’Egypte, parce
qu’il a fuppofé que c’étoient les Cinéens defcendus
de Jethro, lefquels fiuvirent Moïfe, & de ces gens-
là fortirent les Réchabites. Mais il eft évident qu’il
le trompent, car les Efleniens & les Réchabites
etoient deux ordres différens de dévots, & les-pre-
miers ne paroiflent point dans toute l’hiftoire de
1 ancien-Teftament comme les Réchabites. Gale fça-
vant anglois, leur donne la même antiquité ; mais de
plus il en fait les peres & les prédéceffeurs de Pytha-
gore & de les difciples. Onn’eri trouve aucune trace
dans 1 hiftoire des Machabées fous lefquels ils doi*
vent être nés; l’Evangile n’en parle jamais, parce
qu ils ne fortirent point de leur retraite pour aller disputer
avec J. C . D ’ailleurs ils ne vouloient point fe
confondre avec les Pharifiens, ni avec le reftedA
J u i f , parce qu’ils fe croyoient plus faints qu’eu x;
enfin ils etoient peti nombreux dans la Judée, &
c était principalement en Egypte qu’ils avoient leur
retraite, & où Philon les avoit vus.
Drufiusfait defcendre les Efféniens de ceux qu’Hir-
can perfécnta , qui fe retirèrent dans les deferts &
qui s’(accoutumèrent par néceffité à un genre de vie
tres-dur j dans lequel ils perfévererent volontairement;
niais il faut avouer qu’on ne connoît pas l’origine^
de ces fedaires. Ils paroiffent dans l’hifloire
de Jofephe, fous Antigonus ; car ce fut alors qu’on
vit cq prophète effenien, nommé Judas 3 lequel avoit
prédit qu’Antigonus feroit tué un tel jour dans une
tour.
Hifloire des Efféniens. Voici comme Jofephe ( bello
Jud. lib. II. cap xij. ) nous dépeint ces feftaires.
»Ils font Juifsde nation, dit-il, ils vivent dans une
» union très-étroite, & regardent les voluptés com-
» me des vices que 1 on doit fuir, & la continence
» & la vi&oire de fes pallions,’ comme des vertus.
» que 1 on ne fauroit trop eftimer. Ils rejettent le ma-
» riage, non qu’ils croyent qu’il faille détruire la>
** *jace ^es hommes', mais pour éviter l’intempérance
, e^ femmes, qu’ils font perfuadés ne garder pas
» la foi à leurs maris. Mais ils ne taillent pas néan-
» moins de recevoir les jeunes enfans qu’on leur
»donne pour les inftruire , & de les élever dans la
» vertu avec autant de foin & de charité que s’ils en
» etoient les peres, & ils les habillent & les nour-
» nfîent tous d^une même forte.
» Ils méprifent les richefles ; toutes chofes font
» communes entre eux avec une égalité fi admirable,
» que lorfque quelqu’un embrafle leur fe&e, il fe dé-
» pouille de la propriété de ce qu’il poffede , pour
» éviter par ce moyen la vanité des richefles, épar-
» gner aux autres la honte de la pauvreté, & par un
» li heureux mélange, vivre tous enfemble comme
» freres.
» Ils ne peuvent fouffrir de s’oindre le corps avec
» de l’huile ; mais fi cela arrive à quelqu’un contre
» fon gré , ils efliiyent cette huile comme fi c’étoient
» des taches &c des feuillures ; & fe croyent allez pro-
» près & aflez pares, pourvu que leurs habits foient
» toujours bien blancs.
» Ils choififlent pour économes des gens de bien
» qui reçoivent tout leur revenu, & le diftribuent fe-
» Ion le befoin que chacun en a. ils n’ont point de
» ville certaine dans laquelle ils demeurent, mais
» ils font répandus en diverfes villes, où ils reçoi-
» vent ceux qui défirent entrer dans leur fociété • &
» quoiqu’ils ne les ayent jamais vus auparavant, ils
» partagent avec eux ce .qu’ils ont, comme s’ils les
» connoifloient depuis long tems. Lorfqu’ils font,
» quelque voyage, ils ne portent autre chofe que des
» armes pour fe défendre des voleurs. Ils ont dans
» chaque ville quelqu’un d’eux pour recevoir & loger
» ceux de leurfe&e qui y viennent, & leur donner
» des habits, & les autres chofes dont ils peuvent.
» avoir befoin, Ils ne changent point d’habits que
» quand lés leurs font déchirés ou ufés. Ils né ven-
» dent & n’achetent rien entre eux , mais ils fe com-
» muniquent les uns aux autres fans aucun échange,
» tout ce qu’ils ont. Ils font très-religieux envers.
» Dieu , ne. parlent que des chofes faintes avant que
» le foleil foit levé , & font alors des prières qu’ils,
»ont reçues par tradition, pour demander à Dieu
» qu’il lui plaife de le faire luire fur la terre. Ils vont
» après travailler chacun à fon ouvrage, félon qu’il
» leur eft ordonné. A onze heures ils fe raftemblent
» & couverts d’un linge, fe lavent le corps dans l’eau
» froide ; ils fe retirent enfuite dans leurs cellules ,
» dont l’entrée n’eft permife à nuis de ceux qui ne
** font pas de leur f e û e , & étant purifiés de la forte,
» ils vont au réfe&oire comme en un faint temple ,
» où lorfqu’ils font affis en grand filence, on met de-
» vant chacun d’eux du pain & une portion dans un
»petit plat. Un facrificateur bénit les viandes, &
»> on n’oferoit y toucher jufqu’à çe qu’il ait achevé fa
» priere : il en fait encore une autre après le repas;;
» Ils quittent alors leurs habits qu’ils regardent com-
» me facrés, & retournent à leurs ouvrages.
» On n’entend jamais du bruit dans leurs maifons ;
» chacun n’y parle qu’à fon tour, & leur filence don-
» ne du refpeft aux étrangers. H ne leur eft permis
» de rien faire que par l’avis de leurs fupérieurs, fi
» ce n’eft d’affifter les pauvres.. . Car quant à leurs
» paren^,, ils n’oferoient leur rien donner fi on ne le
» leur permet. Ils prennent un extrême foin de re-
» primer leur colere ; ils aiment la paix, & gardent
» fi inviolablement ce qu?ils promettent, que l’on
» peut ajoûter plus de foi à leurs fimples paroles,
» qu’aux fermens des autres. Ils confiderent même
» les fermens comme des parjures , parce qu’ils ne
» peuvent fe perfuader qu’un homme ne foit pas un
» menteur, lorfqu’il a befoin pour être cru de pren-
» dre Dieu à témoin.. . . Ils ne reçoivent pas fur le
» champ dans leur fociété ceux qui veulent embraf-
» fer leur maniéré de vivre , mais ils le font demeu-
» rer durant un an au-dehors, où il^ont chacun avec
» une portion, une pioche &c un habit blanc. Ils leur
» donnent enfuite une nourriture plus conforme à la
» leur,& leur permettent de fe laver comme eux dans
» de l’eau froide, afin de fe purifier; mais ils ne les
» font pas manger au refeâoire, jufqu’à ce qu’ils ayent
» encore durant deux ans éprouvé leurs moeurs ,
» comme ils avoient auparavant éprouvé leur con-
» tinence. Alors on les reçoit p'arce qu’on les en juge
» dignes, mais avant que de s’afleoirà table avec les
» autres , ils pi'oteftent folemnellement d’bonorer &
» de fervir Dieu de tout leur coeur, d’obferver la
» juftice envers les hommes ; de ne faire jamais vo-
» lontairement de mal à perfonne; d^aflifter de tout
» leur pouvoir les gens de bien ; de garder la foi à
» tout le monde, & patticulierement aux fouve-
» rains.
» Ceux de cette feâe font très-juftes & très-exaûs
» dans leurs jugemens : leur nombre n’eft pas moin-
» dre que de cent lorlqu-’il’ les prononcent, & ce
» qu’ils ont une fois arrêté demeure immuable.
»Ils obfervent plus religieufement le fabath que
»> nuis autres de tous les Juifs. Aux autres jours, ils
»font dans un lieu à l’écart, un trou dans la terre
» d’un pié de profondeur, ofi après s’être déchargés,
» en fe couvrant de leurs habits, comme s’ils avoient
» peur de fouiller les rayons du foleil, ils rempliffent
» cette fofle de la terre qu’ils en ont tirée..
»Ils vivent fi long-tems , que plufieurs vont juf-
» qu’à cent ans ; ce que j’attribue à la ftipplicité de
» leur vie.
» Ils méprifent les maux de la terre, triomphent
» des tourmens par leur confiance, & préfèrent la
» mort à la v ie lorfque le fujet en eft honorable. La
» guerre que nous avons eue contre les Romains a
Tome IJÇ,
» fait Voir en mille maniérés que leur courage eft in“
» vinciblefils ont fouffert le fer & le feu plutôt que de
» vouloir dire la moindre parole contre leur légifla-
» teur , ni manger des viandes qui leur font cléfen-
» dues, fans qu’au milieu de tant de tourmens ils
» ayent jetté une feule larme, ni dit la moindre pa-
» rôle, pour tâcher d’adoucir la cruauté de leurs
» bourreaux. Au contraire ils fe moquoienr d’eux ,
» & rendoient l’efprit avec jo y e , parce qu’ils efpé-
»roient de pafler de cette vie à une meilleure ; Sc
» qu’ils croyoient fermement que, comme nos Corps
»font mortels & corruptibles, nos âmes font im-
» mortelles & incorruptibles ; qu’êlles font d’une
» fubftance aérienne très.fubtile, & qu’étant enfer-
». mees dans nos corps comme dans une prifon, où
»une certaine inclination les attire & lès arrête,elles
» ne font pas plutôt affranchies de ces liens-xhar-
» nels qui les retiennent comme dans une longue
»fervitude , qu’elles s’élèvent dans l’air & s’énvo-
» lent avec joye. En quoi ils conviennent avec les
» Grecs, qui croyent que Ces âmes heureufes ont
» leur féjour au-delà de l’Océan, dans une région où
» il n’y a ni pluie, ni neige, ni une chaleur excef-,
» fivc, mais qu’un doux zéphir rend toujours très-
» agréable : & qu’au contraire les âmes des méchans
» n’ont pour demeure que des lieux glacés & agités
»par de continuelles tempêtes, où elles gémiflent
Ȏternellement dans des peines infinies. C a r , c^eft
» ainfi qu’il me paroîtque les Grecs veulent que leurs
» héros, à qui ils donnent le nom de demi-dieux , ha-
» bitent des îles qu’ils appellent fortunées, &qu e les
» âmes des impies foient à jamais tourmentées dans
» les enfers, ainfi qu’ils difent que le font celles de
»Sifyphe, de Tantale, d’Ixion & de Tytie.
» Ces mêmes Efleniens croyent que les âmes font
» créées immortelles pour fe portera la vertu & fe
» détourner du vice ; que les bons font rendus meil-
».leurs en cette vie par l’efpérance d’être heureux
» après leur mort, & que les méchans qui s’imagi-
» nent pouvoir cacher en ce monde leurs mauvaifès
» a&ions , en font punis en l’autre par des tourmens
»éternels. Telslontleursfentimensfur l’excellence
» de l’ame. Il y en a parmi eux qui fe vantent de
» connoître les chofes à venir, tant par l’étude qu’ils
» font des livres faints & des anciennes prophéties ,
» que par le foin qu’ils prennent de fe fan&ifier ; &
» il arrive rarement qu’ils fe trompent dans leurs
» prédirions,
» Il y a une autre forte d’Efleniens qui conviennent
» avec les premiers dans l’ufage des mêmes viandes,
» des mêmes moeurs & des mêmes lois, & n’en font
» différens qu’en ce qui regarde le mariage. C ar ceux-
» ci croyent que c’eft vouloir abolir la race des hom-.
» mes que d’y renoncer, puifque fi chacun embrâf-
» foit ce fentiment, on la verroit bientôt éteinte. Ils
» s’y conduifent néanmoins avec tant de modéra-
» tion,qu’a vant que de fe marier ils obfervent durant
»trois ans fi la perfonne qu’ils veulent épdufer pa-
» roît aflez faine pour bien porter des enfans, & lorf-
» qu’après être mariés elle de vient grofle, ils ne cou-
» chent plus avec elle durant fa grofîefle , pour té-
» moigner que ce n’eft pas la volupté, mais le défit
» de donner des hommes à la république, qui les en-
» gage dans le mariage ».
Jofephe dit dans un autre endroit qu'ils abandonnaient
tout à Dieu. Ces paroles font aflez entendre le
fentiment des Efleniens fur le concours de Dieu. Cet
hiftorien dit encore ailleurs que tout dépendoit du
deftin, & qu’il ne nous arrivoit rien que ce qu’il or-
donnoit. On voit par-là que les Efleniens s’oppo-
foient aux Saducéens, & qu’ils faifoient dépendre
toutes chofes des decrets de la providence ; mais en
même tems il eft évident qu’ils donnoient à la providence
des decrets qui rendoient les événemens né-
E lj I