*94 L A I
Pour qu'une étoffe foit bien luftrée St bien câtié,
ce n’eft pas affez que les poils en foient tous couchés
du même fens, ce qui toutefois produit fur
toute l’étendue de la piece, la même réflexion de
lumière : il faut de plus qu’ils ayent entièrement
perdu leur reflort au point où ils font pliés ; fans
quoi ils fe relèveront inégalement. La première
goutte de pluie qui tombera fur l’étoffe , venant à
lécher, les poils qu’elle aura touchés, reprendront
quelqu’élafticité, fe redrefleront, & montreront
une tache où il n’y a en effet qu’une lumière réfléchie
en cet endroit, autrement qù’ailleurs.
On eflaie de prévenir cet inconvénient par l’égalité
de la prefl'e ; on réitéré le feuilletage, en fub-
ftituant aux premiers cartons d’autres cartons ou
vélins plus liftes & plus fins ; en y ajoutant de loin
en loin des plaques de fer ©u de cuivre bien chaudes.
Malgré cela, il eft prefqu’impoffible de brifer
entièrement le reflort des poils, & de les fixer couchés
fi parfaitement d’un côté, que, quoi qu’ilpuiffe
arriver, ils nefe relevent plus.
Quoique la maniéré dont on fabrique les draps,
foit mêlés, foit blancs, vienne d’être expofée avec
aflez d’exa&itude & d’étendue, & qu’elle femble
devoir former la partie principale de cet article,
cependant on fabrique avec la laine peignée une fi
grande quantité d’étoffes, que ce qui nous en refte
à dire, comparé avec ce que nous avons dit des ouvrages
faits avec la laine cardée, ne paroîtra ni
moins curieux, ni moins important ; c’eft l’objet dé
ce qui va fuivre.
Du travail du peigne. Tous les tiffus en général
pourroient être compris fous le nom d'étoffes ; il y
auroit les étoffes en foie, en laine , en poil, en or,
en argent, &c. Les draps n’ont qu’une même façon
de travaille d’apprêt. Les uns exigent plus de main-
d’oeuvre , les autres moins ; mais l ’efpece ne change
point, malgré la diverfité des noms, relative à la
qualité, au prix, aux lieux, aux manufactures, &c.
Les longues broches de fer qui forment le peigne,
rangées à deux étages fur une piece de bois avec
laquelle un autre de corne s’aflemble, & qui les
foutient, de la longueur de fept pouces ou environ ;
la première rangée à vingt-trois broches ; la fécondé
à vingt-deux un peu moins longues, & pofées dè
maniéré que les unes correlpondent fur leur rangée
, aux intervalles qui féparent les autres fur la
leur, fervent d’abord à dégager les poils, & à divi-
fer les longs filamens qu’on y pafle, de tout ce qui
s’y trouve de groflier, d’inégal & d’étranger.
Si la pointe de quelqu’une de ces dents vient à
s’émoufler à la rencontre de quelque matière dure
qui cede avec peine, on l ’aiguife avec une lime
douce ; & fi le corps de la dent fe courbe fous une
filafle trop embarraflee , on la redreflè avec un petit
canon de fer ou de cuivre.
L’application d’un peigne fur un autre, dont les
dents s’engagent dans le premier ; l’infertion des fils
entre'ces deux peignes; l’attention de l’ouvrier à
pafler fa matière entre les dents des peignes en des
fens différens, démêlent parfaitement les poils dont
chaque peigne a été également chargé.
Ce travail réitéré range le plus grand nombre de
poils en longueur, les uns à côté des autres, en
couche néceffairement plufieurs fur l’intervalle qui
fépare les extrémités des poils voifins, les uns plus
hauts, les autres plus bas, dans toute la poignée,
lelon l’étage des dents qui les faififlent.
Lorfque la laine paroît fuffifamment peignée, l’ouvrier
accroche le peigne au p ilier, pour tirer la plus
belle matière dans une feule longueur, à laquelle
il donne le nom de barre y quant à fa partie de laine
qui demeure attachée au peigne/on l’appelle retirons
parce qu’étant mêlée aveç de la laine npuvelle,
L A ï
Iéîie eft retirée une fécondé fois. À cette féconds
manoeuvre , celle qui refte dans le peigne eft appel -
lée peignons & ne Peut être que mélée avec la tra*
me deftinée aux étoffes groflieres. Les réglemens ont
défendu de la faire entrer dans la fabrication des
draps.
Ori difpofe par ce préparatif lès poils de la Laine
peignée, à fe tordre les uns fur les autres fans fe
cfuittér, quand des mains adroites les tireront fous
un volume toujours égal, & les feront rouler uni-*
ment fous l’impreflion circulairé d’un rouet ou d’un
fufeau.
Foyilfaure 3 c>, le travail du peigne, a , a , a , l e
fourneau polir chauffer les peignes ; b, b l’ouverture
pour faire chaufferies peignes, c, plaque de fer
qui Couvre l'entrée du fourneau, & conferve fa chaleur.
C ’eft parle même endroit qu’on renouvelle le
charbon, d , piliers qui foutiennent les crochets, e ,
fié- 42 y crochet oit chevre. f , fig. 40 , le peigne.
ë>fiS’ 3 9 * ouvrier qui peigne. A , ouvrier, qui tire
la barre quand la laine eft peignée, i , petite cuve
dans laquelle l’ouvrier teint la laine, huilée ou hu^
me&ée par le favon. K , K , banc fur lequel l ’ouvrier
eft a (fis en travaillant, & dans la capacité duquel
il met le peignon. Fig. 4 1 , canon ou tuyau de fer
ou de laiton, pour reclrefler les broches du peigne <
quand elles font courbées.
Il y a des manufacturiers qui font dans l’ufage de
faire teindre 1 e$ laines avant que de les pafler au peigne.
D ’autres aiment mieux les travailler en blanc,
& ne les mettre en teinture qu’en fils ou même en
étoffe.
La méthode de teindre en fils eft impraticable
dans certaines étoffes , telles que les mélangées &
les façonnées, &c.
Si I on teint le fil quand il eft filé, les .écheveaux
rie prendront pas la même Couleur; la teinture agira
! divêrfoment fur les fils bien tordus & fur ceux qui
le font trop ou trop peu. Il y a des couleurs qui
exigent une eau bouillante, dans laquelle les fils le
colleront enfemble ; on ne pourra les dévider, &
moins encore les mettre en oeuvre.
La laine quelque déliée qu'elle foit, eft fufeepti-
ble de plufieurs nuances dans une même couleur*
I Mais tout s’égalifera parfaitement par le mélange
du peigne & l’attention de l’ouvrier.
Il vaut donc mieux pour la perfeCtion des étoffes
fabriquées avec la laine peignée , de faire teindre la
matière avant que de la préparer, à-moins qu’on ne
fë propofe d’avoir des étoffes en blanc qu’on tein-'
dra d’une feule couleur, ou noir, ou b leu, ou écarlate
, &c.
Les laines teintes feront lavées ; les blanches feront
pilotées, puis battues fur les claies & ouver-
tes-Ià à grands coups de baguettes.
| Ces manoeuvres préliminaires que nous avons expliquées
plus haut, auront lieu, foit qu’on veuille
lés peigner enfuite , ou à l’huile ou à l’eau.
Les étoffés fabriquées avec des laines teintes peignées,
vont rarement au foulon ; conféquemment
il faut les peigner à l’eau : pour les laines blanches
& deftinées à la fabrication d’étoffes fujettes au foulon
, on les peignera à l’huile.
Les laines blanches ou de couleur qui feront peignées
fans huile, feront après avoir été battues
trempées dans une cuvette où l’on aura délayé du
favon blanc ou autre.
La Laine retirée par poignée fera attachée d’une
part au crochet dormant du dégraiffoir, & de l’autre
au crochet mobile, qui tourné fur lui-même à
l’aide des branches du moulinet, la tçrd’& la dégorge:
v oye^ fig. 43. le dégraiffoir que les ouvriers appellent
aufli vérin. A , A } les montans. B , cr^
L A I
chet rfixe ou dormant. <7, le moulinet. D , crochet
mobile. F , fig- 44, roue de retenue./’, même fig.
le chien. G , fig. '43 , la cuvette.
Toute la pefée de laine eft confervée en tas dans
une corbeille pour être peignée plus aifément à l’aide
de cette humidité.
Si elle doit être tiffée en blanc, elle paffe de-Ià
au foufroir, qui eft une étuve où on la tient fans
a ir , & expofée fur des perches à la vapeur du fou-
fre qui brûle. Le foufre qui macule fans reffource
la plupart des couleurs, dégagé efficacement la laine
qui n’eft pas teinte de toutes fes impuretés, & lui
donne la Blancheur la plus éclatante. C ’eft l’effet de
l’acide fulfureux volatil qui attaque les chofes graf-
fes & onCtueufos.
Les laines de Hollande, de Nort-HoIIande, d’Eft-
Frife, du TexeT, font les plus propres à être peignées.
On peut y ajouter celles, d’Angleterre ; mais
il y a des lois féveres qui en défendent l’exportation,
& qui nous empêchent de prononcer fur fa qualité.
Les Laines du Nord, delà France, vont aufli fort
bien au peigne ; mais elles n’ont pas la finefle de celles
de Hollande & d’Angleterre. Les laines d’Efpagne,
de Berry , de Languedoc, fe peigneroient aufli ;
mais elles font très-baffes ; elles feutrent facilement
â la teinture chaude, & elles fouffrent un déchet
au-moins de cinquante par cent ; ce qui ne permet
guere de les employer de cette maniéré.
La longue/âùze qui a pa.ffé par les peignes, eft
celle qu’on deftine à faire le fil d’étain qui eft le
premier fonds de la plûpart des petites étoffés de
laine^ tant fines que communes ; on en fait aufli des
bas d’eftàme, des ouvrages de Bonneterie à mailles
fortes, & qu’on ne veut pas draper. Nous en avons
dit la raifori en parlant des laines qui fe rompent
fous la carde.
Pour difpofer la laine peignée & confervée dans
une jufte longueur à prendre un luftre qui imite celui
de la foie, il faut que cette laine foit filée au petit
rouet ou au fufeau, & le plus tors qu’il eft poflîble.
Si ce fil eft ferré, il ne laiffe échapper que très-peu
de poils en-dehors ; d’où il arrive que la réflexion
de la lumière fe fait plus également & en plus grande
maffe, que fi elle tomboit fur des poils hériffës
én tout fens, qui la briferoient & l’éparpilleroient.
Voye^fig. 4 Î , le petit rouet pour la laine peignée.
a , a , a , a 9 les piliers du banc du rouet, b , les
montans*, c , la roue. </, fa circonférence large, e ,
la manivelle, jf , la pédale ou marche pour faire
tourner la roué, g , la corde qui répond de l’extrémité
de la marche à la manivelle, h , la corde du
rouet. i , les marionettes foutenant les frafeaux.
I , les frafeaux ou morceaux de feutre ou de natte
percée , pour recevoir ou laiffer jouer la broche.
in s la broché, /r, la bobine. 0 , le banc foutenu
par les piliers a. Le fil d’étàin fe dévide de deffus
les fufeaux ou de deffus les canelles du petit rouet
fur des bobines, ou fur des pelotes, au nombre né-
ceffaire pour l’ôurdiflàge.
Toutes les particules de ce fil ont une roideur ou
un reflort qui les difpofe à une rétraCtion perpétuelle
; ce qui à la première liberté qu’on lui don-
neroit, cordeleroit un fil avec l’autre. On amortit
ce reflort en pénétrant les pelotes ou bobines de la
vapeur d’une eau bouillante.
Cela fa it, on diftribuc les pelotes dans autant de
caffetins ou de petites loges, comme on le pratique
au fil de la toile. On les tire dé-là en les menant
par un pareil nombre d’anneaux qu’il y a de pelo-?
te s , ou fans anneaux fur un oûrdiffoir ; cet ourdif-
foir où fe prépare la chaîne eft le même qu’aux
draps ; & l’ourdiffage n’eft pas différent.
Dans les lieux où fe fabriquent les petites étoffes,
comme à Aumale pour les forges ; il eft d’ufage de
L A I 195
fflenet vingt fils fur ies chevilles. de l’oHrdiffoir.
Lallèé fur toutes lés chevilles & le repli au retour
fur ces chevilles- ou. fur l’ourdiffoir tournant, produiront
un premier aflemblage de quarante fils ;
c eft ce qu on nomme une portée. Il faut, trente-huit
de ces portées, en conformité des règlement, pour
former la totalité de la poignée qu’on appelle chaîne.
y a donc à la chaîne 1 510 fils, qui multipliés
par la longueur que les reglemens ont enjointe, donj^
nt' 97lS ° aulnes de fils à foixante-quatre aulnes
d attache ou d’otmliîfagc.
Les apprêts de la /aine peignée., filée & ourdie:
font pour une infinité de villages dilperf# autour
des grandes mannfaûures un-fonds aufli fécond pref-
que que la propriété des terres.Çepéndanf le laboureur
n’y devrait être employé que quand il n’y a
point de. friche, & que la. culture a toute la valeur
qu’on en peut attendre. Ces travaux toutefois font
revenir fur les lieux une forte d’équivalent qui remplit
ce que les propriétaires en emportent fans retour.
On donne à toutes les étoffes dont la chaîne eft
d’étaim, des lifieres femblables à celles du drap ; mais
elles ne font pas fi larges ni fi épaiffes : la lifiere
eft ordonnée dans quelques-unes pour les diftinguer.;
De L'étoffe de deux étaims ou de L'étamine. Il y a
des étoffes dont la trame n’eft point v elu e, mais
faite de fil d’étaim ou de laine peignée, ainfi que la
chaîne ; ce qui fabrique une étoffe iifle, qui eu egard
à l’égalité ou prefque égalité de fes deux fils, fe
nommera étamine , ou étoffe à deux étaims. Au contraire
, on appellera étoffe fur étaim , celle dont la
chaîne eft de laine peignée, & la trame ou fourniture
, ou enflure de fil lâche, ou de laine cardée.
De la diffinclion des étoffes. C’eft de ces premiers
préparatifs du fil provenu de matières qui ont pafle
ou par les peignes , ou par les cardes, que naît la
différence d’une Ample toile, dont la chaîne & la
trame font d’un chaînon également tors, à une fu-
taine qui eft toute de coton , mais à chaîne lifle &:
à trame velue ; du drap, à une étamine rafo.Le drap
eft fabriqué.d’une chaîne & d’une trame qui ont été
également cardées, quoique de la plus longue & de
la plus haute laine ; au lieu que la belle étamine eft
faite d ’étaim fur étaim, c’eft-à-dire d’une chaîne &:
d’une trame également lifles, l ’une. & l’autre éga-,
lement ferrées, & d’une fine & longue laine qui a
pafle par le peigne pour être mieux torfe & rendue
plus luifante. De la forge ou de l’étoffe .drapée dont
la trame eft lâche & velue, aux burats > aux voile
s, & aux autres étoffes fines dont le fil de longueur
& celui de traverfe, font d’une laine très-fine
l’une & l ’autre peignée, & l’une & l’autre prefque
également ferrées au petit rouet. C ’eft cette égalité
ou prefque égalité des deux fils & la fiippreflïon
de tout poil élancé au-dehors, qui, avec la finefle
de la laine , donne aux petites étoffes de Reims du
Mans, & de Châlonslur-Marne, le brillant de la
foie.
L’étamine change & prend un nouveau nom avec
une forme nouvelle, fi feulement on a filé fort doux
la laine deftinée à la trame , quoiqu’elle ait été
peignée Comme celle de la chaîne.
. Ce ne fera plus une étamine , mais une forge façon
d’Aumale , fi la trame eft de laine peignée &
filée lâche au petit rouet, & que la chaîne foit
hauflèe & abaiflee par quatre marches au lièu de
deux, & que l’entrelas des fils foit doublement
croifé.
Si au contraire la trame eftgroffe & filée au grand
rouet, ce fera une forge façon de tricot.
Si la trame eft- fine , ce fera une forge façon de
Saint-Lo , ou Londres ou façon de Londres.
Si la chaîne eft filée au grand rouet & la trame