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les jugemens rendus par les évêques, en ordonptfnt
qu’ils pourroient juger les- affaires civiles comme
arbitres du .contentement des parties. Çonftantin or-;
donna que leurs jugemens feroient exécutés fans
appel, 8c que les juges féculiers les feroient exécuter
par leurs officiers.
Arcadius & Honorius s’étant apperçu que quelques
évêques cherchoient à «étendre trop loin la
puiffance qui leur avoit été accordée, les réduifi-
rent à juger feulement des, affaires de religion. Ce
réglement fut renouvellé par Valentinien II. en fa
novelle iz . où il déclare.formellement que les évêques
& les prêtres forum legibus non kabere , nie de
alibs caufis, prester religionem, poffe cognofcere ; il leur
permet feulement de connoître des caufes d’entre
clercs ou entre laies, mais feulement du contentement
des parties, 8c en vertu d’un compromis.
- Ainfi lorfqu’il s’agiffoit de religion, le pape & les
évêques étoient juges, & dans ces matières l’appel
du jugement de l’évêque étoit porté au métropolitain,
de celui-ci au primat ou au.patriarche, fui-
vant les différens lieux ; dans l’occident on appel-
loit du primat au pape ; 8c dans l’orient, des exarques
ou primats au patriarche de Conftantinople ;
on ne voulut pas permettre l’appel du patriarche
au pape.
Mais lorfqu’il s’agiffoit de procès, les évêques
n’en connoiffoient que par compromis ; ce fut la
première caufe pour laquelle il n’y avoit pas d’appel
de leurs fentences.
; Juftinienen ajouta enfuite une autre, en ordonnant
que les jugemens des évêques feroient refpe&és
comme ceux des préfets du prétoire, dont il n’y
avoit pas d’appel ; il rendit aux évêques toute l’autorité
que quelques-uns de fes prédéceffeurs leur
avoit ôtée; il leur établit même une axidience publique
, 8c donna auffi aux clercs 8c aux moines le
privilège de ne pouvoir être obligés de plaider hors
de leur province, 8c de n’avoir que leur évêque
pour juge en matière civile, 8c pour les crimes eccléfiaftiques.
Ce même empereur connoiffant la probité & la
charité des évêques, 8c fuivant en cela l’exemple
de plulieurs de fes prédéceffeurs, leur donna beaucoup
d’autorité dans certaines affaires temporelles,
comme dans la nomination des tuteurs & des curateurs
, dans les comptes des deniers communs des
villes, les marchés 8c réception des ouvrages publics
, la vifite des prifons, 8c pour la protection des
efclaves, des enfans expofés, des personnes miféra-
bles, enfin pour la police contre les jeux de hafard,
8c contre la proftitution ; mais leur autorité par
rapport à ces différentes chofes, ne confiftoit qu’à
veiller à l’exécution des réglemens. concernant la
piété 8c les bonnes moeurs, fans qu’ils euffent à cet
égard aucune jurifdiclion coaûive.
Les loix civiles qui autorifoient les évêques à
connoître des différends des clercs, entroient dans
les vûesde l’Eglife, qui étoient d’empêcher fes minif-
tres de plaider, ou du moins qu’ils ne paruffent
devant les juges laïques, dans la crainte que cela
ne tournât au mépris du miniltere eccléfiaffique ;
c’eft pourquoi letroifieme concile de Carthage avoit
ordonné que fi un évêque, un prêtre, ou autre
clerc pourfuivoit une caufe dans un tribunal public,
que fi c’étoit en matière criminelle, il teroit dé-
pofé, quoiqu’il eût gagné fa caufe; que fi c’étoit
en matière civile, il perdroit le profit du jugement
s’il .ne vouloit pas s’expofer à être dépofé.
Le concile de. Calcédoine ordonne qu’un clerc
qui a une affaire contre un autre clerc, commence
par le déclarer à fon évêque, pour l’en faire juge,
ou prendre des arbitres du.contentement de.l’évêque.
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Quelques autres conciles, poftérietirs ne défendent
pas abfolument aux clercs d’agir devant les
juges féculiers, mais de 5’y adreffer ou d’y répon-7
dre fans la permiffion de l’évêque.
La jurifdiclion eccléfqflique s ’accrut encor edans
les fiecles fuivans, tellement qu’en 866 le pape Nicolas
I. dans,fes réponfes aux Bulgares^ dit qu’ils
ne doivent point juger fes clercs , maxime fondée
principalement fur les fauffes décrétales , comme
l’on voit dans le decret de Gratien.
Ce pouvoir des évêques augmenta encore beaucoup
, tant par rapport au refpeâ dû à la fainteté
de leur miniftere, que par la piété des princes chré-,
tiens qui leur donnèrent, de grands biens, 8c par la
confidération dûe à leur fâvôir, fur-tout dans des
tems où les laïques étoient prefque tous plongés
dans une ignorance profonde : les évêques furent
admis dans les confeils des princes ; on leur confia
une partie du gouvernement politique, 8c cette
jurifdiclion qui n’étoit au commencement qu’extraordinaire,
fut enfuite rendue ordinaire en quelques
lieux avec plus ou moins d’étendue, félon les talens
de l’évêque, 8c l ’incapacité du comte qui étoit pré-
pofé fur la province.
Il n’y eut point de pays, fur-tout où les évêques
acquirent plus d’autorité, qu’en France ; quelques-
uns prétendent que leur jurifdiclion par rapport aux
matières temporelles, vint du commandement m i-.
litaire que les évêques 8c les abbés avoient fur leurs
hommes qu’ils menoient à la guerre; que cela entraîna
depuis la jurifdiclion civile fur ceux qui étoient
fournis à leur conduite.
■ Ce qu’il y a de.certain c’eft que le grand crédit
qu’ils eurent fous les deux premières races, la part
qu’ils eurent à l’éleftion de Pépin , la confidération
que Charlemagne eut.pour eux , firent que ce prince
leur accorda comme un droit de l’épifcopat, Sc
fous le titre de jurifdiclion eccUfiafique, une jurifdiclion
qu’ils ne tenoient auparavant que du contentement
des parties, 8c de la permiffion du
prince..
On perfuada à Charlemagne dans fa vieijleffe,
qu’il y avoit dans le code Théodofien une loi de.
Cônftantin, portant que fi de deux féculiers en
procès l ’un prenoit un évêque pour juge, l’autre
étoit obligé de fe foumettre au jugement, fans en
pouvoir appeller. Cette loi qui s ’eft trouvée infé--
rée au code Théodofien, liv. X V I . lit. 10. deepifeop.
audient. I. 1 . paffe chez tous les critiques pour fup-
pofée.
Quoi qu’il en foit, elle n’a point été inférée dans
le code de Juftinien, & elle n’avoit jamais été exécutée
jufqu’au tems de Charlemagne, lequel l’adopta
clans tes capitulaires, liv. VI. capit. cccxxxvj.
Louis le Débonnaire fon fils, en fut une des premières
vi&imes..
Le troifieme concile de Latran pouffa les chofes*
jufqu’à défendre aux laïques, fous peine d’excommunication
, d’obliger les clercs à comparoître devant
eu x , & Innocent III. décida que les clercs
ne pouvoient pas renoncer à ce p rivilège, comme
étant de droit public.
La jurifdiclion des évêques fe trouva pour-tant
fort reftrainte dès le x. fiecle, pour les matières
fpirituelles, par l ’extenfion qui fut donnée à l’autorité
du pape au préjudice des évêques, & par la
jurifdiclion des légats qui furent envoyés fréquemment
dans le xj. fiecle.
Les évêques cherchèrent à s’en dédommager, en
étendant fous différens prétextes leur jurifdiîtion fur
les matières temporelles.
Non-feulement les clercs étoient alors totalement
exempts de la jurifdiclion féculiere , mais les évêques
exerçoient même leur jurifdiclion fur les fécu-
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liers, dans la plupart des affaires ; ils prenoïent con-
noiffance des caufes réelles 8c mixtes où lès clercs
avoiènt intérêt, 8c trouvoient toujours moyen de
les attirer, foit fous prétexte de connexité, ou par
reconvention ; ils revendiquoient les criminels qui
fe difoient clercs, quoiqu’ils ne portaffent ni l ’habit
ni la tonfure ; ils donnoient la tonfure à tous
ceux qui fe préfentoient, pour augmenter le nombre
de leurs jufticiables, 8c mettoient au nombre
d ’efclaves tous ceux qui avoient la tonfure, quoi-'
qu’ils fuffent mariés. Les meubles des clercs n’é-
toient fujets qu’à la jurifdiclion eccléfaflique, fous •
prétexte que les meubles fuivent la perfonne.
Ils connoiffoient de l’exécution des contrats auxquels
on avoit àppofé la elaufe du ferment, claufe
qui étoit devenue de ftyle ; & en général toutes '
les fois qu’il pouvoit y avoir du péché ou de la
mauvaife foi dans l ’inexécution de quelque aéie,
c’en étoit affez pour attirer la caufe devant les juges--
d’Eglife, au moyen de quoi ils connoiffoient de tous
les contrats.
L ’exécution des teftamens étoit auffi de leur-
compétence, à caufe des legs pieux, ce qui entraî-
noit les fcellés 8c les inventaires.
Ils connoiffoient auffi des conventions matrimoniales
; parce que le douaire te conftituoit en face
«l’Eglife , à la porte du Moujlier.
Les veuves, les orphelins , les mineurs, les pauvres
étoient fous leur protection, 8c par-tant leurs
jufticiables.
Ils excommunioient ceux qui étoient en demeure
de payer les fommes par eux dues, 8c obligeoient
les juges laïques de contraindre les excommuniés
à fe faire abfoudre ,• fous peine d’être eux-mêmes
excommuniés, défendant de rien vendre aux excommuniés,
ni de travailler pour eux, mettant les
lieux en interdit quand les ;uges ne leur ôbéiffoient
pas ; ils joignoient même aux cenfures des amendes
pécuniaires, ce que dans l’origine les juges
d’églife n’avoient point le pouvoir de faire, ne
pouvant félon leur état impofer que des peines fpirituelles.
Ils prétendoient auffi que c ’étoit à eux à fup-
pléer la juftice féculiere lorfqu’elle étoit fufpe&e
aux parties , ou qu’elle tardoit un peu à faire
droit.
Selon eux dans les caufes difficiles, fur-tout par
rapport au point de droit, 8c quand il y avoit partage
d’opinion entre les juges, c’étoit à l’Eglite à
décider, ce qu’ils appuyoientfur ce paffage du Deutéronome
: Si difficile & ambiguum apud te judicium
ejfe perfpexeris, & judicium intra portas videris variait j
renies ad facerdotes levitici generis & ad judicem qui
fuerit illo tempore ; qui indicabunt tibiveritatem, & fa ciès
qucecumque dixerint qui proefunt in loco quem elege-
rit dominus, appliquant ainfi une loi de police de
l’ancien Teftament qui neconvenoit plus au tems
prêtent.
Enfin ils qualifioient de crimes eccléfiaftiques, même
à l’égard des laïques, la plupart des crimes, tels
que le concubinage , l’ufure, le parjure, enforte
qu’ils s’arrogeoient la comioiffance de toutes les affaires
criminelles, auffi bien que des affaires civiles;
il ne reftoit prefque plus rien aux jurifdictions fécu-
lieres.
Ces entreprifes de la jurifdiclion ecctifiafique fur la
jurifdiclion féculiere firent le fujet de la fameufe dif-
pute entre Pierre de Cugneres, avocat du ro i, 8ç
Pierre Bertrandi, évêque d’Autun, devant Philippe
de Valois à Vincennes en 13 zq.
Pierre de Cugneres foutint que l’Eglife n’avoit
que la jurifdiclion purement fpirituelle, 8c qu’elle
n’avoit pas droit de juger des caufes temporelles ; il
cotta 66 chefs, fur lefquels il foutint que les ecclé-
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fiaftiques excédoient leur pouvoir, notamment dans
les matières temporelles.dont on a vu ci-devant
que les juges d’Eglife s’étoient attribué Ià; cônrioite.
lance. .
Bertrandi prétendit au contraire que les;eccléfiaftiques
etoient capables de la jurifdiclion temporelle
auffi bien que de la fpirituelle, il répondit à' chacun
des 66 articles 8c en abandonna quelques-uns c‘ôm-
me des abus que l’Eglife défiyoùoit ; mais il défendit
la plus grande partie Alléguant la' Coutume & la
poffeffion 8c les concédions expreffes ou tacites des
princes qui avoient cru ne pouvoir mieux faire qUe
de confier l ’exercice dercëtte portion de la juftice
aux juges d’Eglife; il exhorta le roi à ne rien innov
e r , 8c la choie en demeuralàpour lors^ ■
Mais ce qu’il eft important d’obferver-, c’eft que
Pierre de Cugneres qualifia "d’abus les- entreprifes
des eccléfiaftiques fur la jurifdiclion temporelle, 8c
c’eft à cette époque que l’on rapporte l’origine des
appels comme d’abus doht l’objet eft de contenir les
juges d’Eglife dans les bornes de leur pouvoir , 8c
de les obliger de fe conformer aux anciens-canons,
aux lois & aux ordonnances du royaume dans l’exçr-
ci ce de la jurifdiclion qui leur eft confiée.
On a encore apporté deux tempéramens polir limiter
la jurifdiclion eccUjlaflique.
L’un eft la diftin&ion du délit commun d’avec le
délit privilégié; l’Eglifç connoît du défit commun
des clercs ; le juge royal connoît du cas privilégié^
L’autre eft la diftinftion que l’on fait dans les matières
eccléfiaftiques du pétitoire d’avec le poffef-
foire ; le juge d’Eglife connoît du pétitoire, mais le
juge royal connoît leul du poffeffoiré?
. Ce fut principalement l’ordonnance de 1539 qui
commença à renfermer la jurifdiclion ecclefiaftïquc
dans les juftes bornes. François I. détendit à tous
fes fujets de faire citer les laïcs devant les juges
d’Eglife dans les a&ions pures perfonnelles, fous
peine de perdre leur caufe 8c d’amende arbitraire ,
défendit auffi par provifîon à tous juges d’Eglife de
délivrer aucunes citations verbales ni par écrit
pour citer les laïcs dans les matières pures perfon-
nelles, fous peine auffi d’amende arbitraire. Cette
même ordonnance porte que c’eft fans préjudice de la
jurifdictioneccUfiaftique dans les matières de facrement
& autres purement fpirituelles & eccléfiaftiques dont
ils peuvent connoître contre les laïcs félon la forme
de droit, Sc auffi fans préjudice de la jurifdiclion temporelle
8c féculiere contre les clercs mariés 8c non;
mariés, faifant 8c exerçant états ou négociations
pour raifon defquels ils font tenus 8c accoutumés de
répondre en cour féculiere , pour lefquels ils continueront
d’y procéder tant en matière civile que criminelle.
Il eft auffi ordonné que les appels comme d’abus
interjettés par les prêtres 8c autres perfonnes-eeelé-
fiaftiques dans Les matières de diteipline 8c dë'ifor-
reélion ou autres pures perfonnelles, 8c non dépendantes
de réalité, n’auront aucun effet fufpenfif. 1
L’ordonnance d’Orléans régla que les prélats 8c
leurs officiers n’uferoient de cenfures eccléfiaftiques
que pour des crimes fcândaleux 8c publics ; mais
comme cette difpofition donnoit lieu à beaucoup de
difficultés , Charles IX. par fes lettres patentes de
l’an 15 7 1 , régla que les prélats pourroient ufer des
cenfures dans les cas qui leur font permis par les
faints decrets 8c conciles.
L’édit de 16 9 s , concernant la jurifdiclion ecclé-
Jiaflique, ordonne que les ordonnances, édits 8c déT
élarations rendus en faveur des eccléfiaftiques concernant
leur jurifdiclion volontaire 8c contentièufe
feront exécutés.
Les principales difpofitions de cette édit font que
la connoiffance & le jugement de la doélwne con