Nous avons encore en Efpagne, en Portugal, en
Aquitaine & même en France, des maifons couvertes
de chaume ou de bardeau ( c ).
Au royaume de Pont dans la Colchide, on étend
de part & d’autre fur le terrein des arbres ; Pur chacune
de leurs extrémités on y en place d’autres , de
maniéré qu’ils enferment un efpa'ce quarré de toute
leur longueur. Sur ces arbres placés horifontalement,
on y en éleve d’autres perpendiculairement pour
former des murailles que l’on garnit d’éehalas & de
terre graffe : on lie enluité les extrémités de ces murailles
par des pièces de bois ctui vont d’angle en
angle , & qui fe croifent au milieu: pour en retenir
les quatre extrémités ; & pour former la couverture
do ces efpeces de cabanes , on attache aux quatre
coins , par une extrémité, quatre pièces de bois qui
vont fe joindre enfemble p a rl’aiftre vers le milieu,
& qui font allez longues pour former un toit en
croupe , imitant une pyramide à quatre faces , que
l ’on enduit auflî de terre graffe.
Il y a chez ces peuples de deux efpeces de toits en
croupe ; celui-ci, que Vitruve appelle tefludinatum ,
parce que l’eau S’écoule des quatre côtés à-la-fois ;
l’autre, qu’il appelle difipluviatunt, eft lorfque le faîtage
allant d’un pignon (d') à l’autre, l’eau s’écoule
des deux côtés.
Les Phrygiens, qui occupent des campagnes où
il n’y a point de bois, ereufent des fôffés circulaires
ou petits tertres naturellement élevés qu’ils font les
plus grands qu’ils peuvent, auprès defquels ils font
un chemin pour y arriver. Autour de ces creux ils
élevent des perches qu’ils lient par en haut en forme
de pointe ou de cône, qu’ils couvrent de chaume, &
fur cela ils amaffent de la terre & du gafon pour
rendre leurs demeures chaudes en hiver & fraîches
en été.
En d’autrës lieux on couvre les cabanes avec des
herbes prifes dans les étangs.
A Marfeille les maifons font couvertes de terre
graffe paîtrie avec de la paille. On fait voir encore
maintenant à Athènes, comme und chofe curieufe
par fon antiquité, les toîts de l’aréopage faits de terre
graffe, & dans le temple du capitole , la cabane de
Romulus couverte de chaume.
Au Pérou , les maifons font encore aujourd’hui
de rofeaux & de cannes entrelacées, femblables aux
premières habitations des Egyptiens & des peuples
de la Paleftine. Celles des Grecs dans leur origine
n’étoient non plus conftritites que d’àfgille qu’ils n’â-
voient pas l’art de durcit par lè fecôurs du feu. En
Irlande, les maifons nê font cortftruites qu’avec des
menues pierres ou du roc mis dans de la terre détrempée
, & de la moufle. Les Abyflïns logent dans des
cabanes faites de torchis ( e ).
Au Monomotapa les maifons font toutes confinâtes
de bois. On voit encore maintenant des peuples
fe conftruire , faute de matériaux & d’une certaine
intelligence, des cabanes avec des peaux & des os
de quadrupèdes & de monftres marins.
Cependant on peut conjeftürer que l’ambition de
perfeftionner ces cabanes & d’autres bâtimens élevés
par la fuite, leur fit trouver les moyens d’allier avec
quelques autres fofliles l’argille & la terre graffe, que
(c) C’eft un petit ais de mairain en forme de tüilè ou de
latte, de dix ou douze pouces de long, fur iïx à fept de large
, dont on fe fert encore à-préfent pour couvrir des han-
gards, appentis, moulins, &c.
(d) Pignon eft, à la face d'un mur élevé d’à-plomb , le
triangle formé par la bafe & les deux côtés obliques d’un toit
dont les eaux s’écoulent de part & d’autre.
(«) Torchis, efpece de mortier fait de terre graffe détrempée
, mêlée de foin & de paille coupée & bien corroyée,
dont on fe fert à-préfent faute de meilleure liaifon : il eft ainfi
appellé à caufe des bâtons en forme de torche, au bout
defquels on le tortille pour l’employer.
leur offroient d’abord les furfaces des terreins oit ils
établiffoient leurs demeures, qui peu-à-peu leur donnèrent
l’idée de chercher plus avant d'ans le fein de
la terre nomÉdeulement la pierre , mais encore les
différentes ftmftances qui dans la fuire les puffent
mettre à portée de préférer la folidité de la maçonnent
à l’emploi des végétaux, dont ils ne tardèrent pas
à connoître le peu de durée. Mais malgré cette con-
jefture, on confidere les Egyptiens comme les premiers
peuples qui aient fait ufage de la maçonnerie ;
ce qui nous paroît d’autant plus vraiffemblahle, que
quelques-uns de leurs édifices font encore fur pié :
témoins ces pyramides çélebres , les murs de Baby-
lone confiants de brique & de bitume ; le temple de
Salomon, le phar de Ptolomée, les palais de Cléopâtre
& de Céfar, & tant d’autres monumens dont
il eft fait mention dansl’Hiftoire.
Aux édifices des Égyptiens , des Affyriens & des
Hébreux , fuccéderent dans ce genre les ouvrages
des Grecs, qui ne fe contentèrent pas feulement de
la pierre qu’ils avoient chez eux en abondance, mais
qui firent ufage des marbres des provinces d’Egypte,
qu’ils employèrent avec profufion dans la conftruc-
tionde leurs bâtimens; bâtimensmiipar la folidité
immuable feroient encore fur'pié, tans l’irruption des
barbares & les fiecles d’ignorance qui fontfurvenus.
Ces peuples, parleurs découvertes, excitèrent les autres
nations à les imiter. Ils firent naître auxRomains,
poffédés de l’ambirion de devenir les maîtres du
monde, l’envie de les furpaffer par l’incroyable folidité
qu’ils donnèrent à leurs édifices ; en joignant aux
découvertes des Egyptiens & des Grecs l’art de la
main-d’oeuvre , & l’excellente qualité des matières
que leurs climats leur procuroient : en forte que l’on
voit aujourd’hui avec étonnement plufieurs veftiges
intéreffans de l’ancienne Rome.
A ces fuperbes monumens fuccéderent les ouvrages
des Goths ; monumens dont la legereté furpré-
nante nous retrace moins lesi belles proportions de
l’Archite&ure , qu’une élégance & une pratique inconnue
jufqu’alors , & qui nous affurent par leurs
afpeôs que leurs conftruéteurs s’étoient moins attachés
à la folidité qu’au goût de l’Archite&ure & à la
convenance de leurs édifices.
Sous le régné de François I. l’on chercha la folidité
de ces édifices dans ceux qu’il fit conftruire ; & ce
fut alors que l’Architeûure fortit du cahos oii elle
avoit été plongée depuis plufieurs fiecles. Mais ce
fut principalement fous celui de Louis XIV. que l’on
joignit l’art de bâtir au bon goût de l’Archite&ure,
& où l’on raffembla la qualité des matières, la beauté
des formes, la convenance des bâtimens, les découvertes
fur l ’art du trait, la beauté de l’appareil, &
tous les arts libéralix &méchaniques.
De la maçonnerie en particulier. Il y a de deux fortes
de maçonnerie , l’ancienne , employée autrefois
par les Egyptiens, lès Grecs & les Romains, & la
moderne, employée de nos jours.
Vitruve nous apprend que la maçonnerie ancienne
fe divifoit en deux claffes ; l’une qu’on appelloit ancienne
qui fe faifoit en liaifon , & dont les joints
étoient horifontaux & verticaux ; la fécondé, qu’on
appelloit maillée, étoit celle dont les joints étoient
inclinés félon l’angle de 45 degrés, mais cette dernière
étoit très-défeâueufe, comme nous le verrons
ci-après.
Il y avoit anciennement trois genres de maçonnerie
; le premier de pierres taillées & polies, le fécond
de pierres brutes, & le troifieme de ces deux
efpeces de pierres.
La maçonnerie de pierres taillées & polies étoit de
deux efpeces ; favoir la maillée, fig. première, appel-
lée parVitruve reticulatum, dont les joints des pierres
étoient inclinés félon l ’angle de 45 degrés, & dont
leS angles étoient faits de maçonnerie en Ijaifon, pour
retenir la pouffée de ces pierres inclinées , qui ne
laiffoit pas d’être fort confidérable ; mais cette efpece
de maçonnerie étoit beaucoup moins folide,
parce que le poids de ces pierres qui portoient fur
leurs angles les faifoit éclater ou égrainer , ou du-
moins ouvrir par leurs joints , ce qui détruifoit le
mur. Mais les anciens n’avoient d’autres raifons
d’employer cette maniéré que parce qu’elle leur pa-
roiffoit plus agréable à la vûe. La maniéré de bâtir
en échiquier félon les anciens, que rapporte Palladio
dans fon I .liy . ( Voyeç la fig. 5 . ) , étoit moins défec-
iueufe, parce que ces pierres, dont les joints étoient
inclinés, étoient non-feulement retenues par les angles
du mur, faits de maçonnerie de brique en liaifon,
mais encore par des traverfes de pareille maçonneriey
tant dans l’intérieur du mur qu’à l’extérieur.
La fécondé efpece étoit celle en liaifon ( fig. 2. &
3 ) , appellée infertum , & dont les joints étoient horifontaux
& verticaux : c’étoit la plus folide , parce
que ces joints verticaux fe croifoient, en forte qu’un
ou deux joints fe trouvoient au milieu d’une pierre,
ce qui s’appelloit & s’appelle encore maintenant
maçonnerie en liaifon. Cette derniere fe fubdivife en
deux, dont l ’une étoit appellé e Amplement ifl/cr/«/«,
fig. 2 , qui avoit toutes les pierres égales par leurs
paremens ; l’autre yfig. 3 , étoit la ftru&ure des Grecs,
dans laquelle fe trouve l’une & l’autre ; mais les
paremens des pierres étoient inégaux , en forte que
deux joints perpendiculaires fe rencontroient au milieu
d’un pierre.
Le fécond genre étoit celui de pierre brute j fige
4. 5 . & <T;iI y en avoit de deux efpeces,dont l ’une
étoit appellée , comme la derniere , la friiclurt des
Grecs (fig. 4. & 5 . ) , mais qui différoit en ce que les
pierres n’en étoient point taillées, à caufe dé leur
dureté , que les liaifons n’étoient pas régulières , &
qu’elles n’avoient point de grandeur réglée. Cette
efpece fe fubdivifoit encore en deux, l’une que l’on
appelloit ifodomum (fig. 4. ) , parce que les affiles
étoient d’égale hauteur ; Yawtrçpfeudifodomum ( fig.
3.) , parce que les aflifes étoient d’inégale hauteur.
L’autre efpece, faite de pierres brutes, étoit appellée
ampleàon (fig. (T. ) , dans laquelle les aflifes n’étoient
point déterminées par l ’épaiffeur des pierres ;
mais la hauteur de chaque aflîfe étoit faite de plit*
fieurs fi le cas y échéoit, & l’efpaco'd’un parement
( f i ) à l ’autre étoit rempli de pierres jettées à l’aventure
, fur lefquelles on verfoit du mortier que
l’on enduifoit uniment ; & quand cette aflife étoit
achevée, on en recommençoit une autre par deffus z,
c’eft ce que les Limoufins appeiloient des arrafes, St
que Vitruve nomme erecla coria.
Le troifieme genre appellé revinHum (fig. y.fi
étoit compofé de pierres taillées pofées en liaifon St
cramponnées ; enforte que chaque joint vertical fe
trouvoit au milieu d’une p ierre, tant deffus que def-
fous , entre lefquelles jpn mettoit des cailloux St
d’autres pierres jettées à l’aventure mêlées de mortier.
Table des maniérés anciennes de bâtir , prefentées fious un même afpecl.
Des pierres taillées & polies,
De pierres brutes
C la maillée , ou reticulatum.
£ en liaifon, ou infertum, ^
la ftrutture des Grecs,
amp le cio na
infertum.
la ftru&ure des Grecs»
ifodomum.
pfieudifiodomum.
D e l’une & de l’autre y Irevinclum.
Il y avoit encore deux maniérés anciennes de bâtir
; la première étoit de pofer les pierres les unes fur
les autres fans aucune liaifon ; mais alors il falloir que
leurs furfaces fuffent bien unies & bien planes. La fécondé
étoit de pofer ces mêmes pierres les unes fur
les autres, & de placer entre chacune d’elles une lame
de plomb d’environ une ligne d’épaiffeur.
Ces deux maniérés étoient foct folides , à caufe
du poids & de la charge d’un grand nombre de ces
pierres, qui leur donnoient affez de force pour fe
foûtenir ; mais les pierres étoient fujettes par ce
même poids à s’éclater & à fe rompre dans leurs
angles, quoiqu’il y a it , félon Vitruve , des bâtimens
fort anciens où de très-grandes pierres avoient
’ été pofées horifontalement, fans mortier ni plomb,
& dont les joints n’étoient point éclatés, mais étoient
demeurés prefque invifibles par la jonÔion des pierres,
qui avoient été taillées li jufte & fe touchoient
en un fi grand nombre de parties, qu’elles s’étoient
confervees entières ; ce qui peut très-bien arriver ,
lorfque les pierres font démaigries, c’eft-à-dire plus
creufes au milieu que vers les bords, tel que le fait
voir la figure 8 y parce que lorfque le mortier fe fe-
che, les pierres fe rapprochent, & ne portent enfuite
que fur l’extrémité du joint ; & c e joint n’étant pas
affez fort pour le fardeau, ne manque pas de s’éclater.
Mais les mâçons qui ont travaillé au louvre
©nt imaginé de fendre les joints des pierres avec la
fcie , à mefure que îe môrtier fe féeboit, & dg
remplir lorfque le mortier avoit fait fon effet. Oii
doit remarquer que par là un mur de cette efpece a
d’autant moins de folidité que l ’efpace eft grand
depuis le démaigriffement jufqu’au parement de de*
v an t , parce que ce mortier mis après coup n’étant
compté pour rien, ce même efpace eft un moins
dans l’épaiffeur du mur, mais le charge d’autant
plus.
Palladio rapporte dans fon premier liv re , qu’il y4
avoit anciennement fix maniérés de faire les murailles
; la première en échiquier, la fécondé de terre
cuite ou de brique, la troifieme de ciment fait de
cailloux de riviere ou de montagne, la quatrième
de pierres incertaines ou ruftiques, la cinquième de
pierres de taille, & la fixieme de remplage.
Nous avons expliqué ci-deffus la maniéré de bâtir
en échiquier rapportée par Palladio , fig. 9.
La deuxieme maniéré etoit de bâtir en liaifon
avec des carreaux de brique ou de terre cuite grands
ou petits. La plus grande partie des édifices de Rome
connue , la rotonde, les thermes de Dioclétien
& beaucoup d’autres édifices, font bâtis de cette
maniéré.
La troifieme maniéré (fig. /o.) étoit de faire les
( ƒ») Parement d’une pierre eft (à partie extérieure ; elle
peut en avoir plufieurs, félon qu’elle eft placée dans l'angle
Taillant ou rentrant d’un bâtiment.