Les Egyptiens furent jaloux de voir Maïmonides
fi püiffant à la cour : pour l’en arracher, les médecins
lui demandèrent uneflai de fon art. Pour cet
effet, ils lui préfenterent un verre de poifon, qu’il
avala fans en craindre l’effet, parce qu’il avoit le
contre-poifon ; mais ayant obligé dix médecins à
avaler fon poifon, ils moururent tous, parce qu’ils
n’avoient pas d’antidote fpécifique. On dit aiifïi que
d’autres médecins mirent un verre de poifon auprès
du lit dufultan, pour lui perfuader que Maïmonides
én vouloit à fa v ie , & qu’on l’obligea de fo couper
les veines. Mais il avoit appris qu’il y avoit dans
le corps humain une veine que les Médecins ne con-
noiffoifent pas, & qui n’étant pas encore coupée,
l ’effiifion entière du fang ne pouvoit fe faire ; il fe
fauva par cette veine inconnue. Cette circonftance
ne s’accorde point avec L’hiftoire de fa vie.
En effet, non-feulement il protégea fa nation à la
cour des nouveaux fultans qui s’établiffoient fur la
ruine des Aliades, mais il fonda une académie à
Alexandrie, où un grand nombre de difciples vinrent
du fonds de l’Egypte, de la Sy r ie , & de la Judée,
pour étudier fous lui. Il en auroit eu beaucoup
davantage, fi une nouvelle perfécution arrivée en
orient, n’avoit empêché les étrangers de s’y rendre.
Elle fut fi violente, qu’une partie des Juifs fut obligée
de fe faire mahométans pour fe garantir de la
mifere : & Maïmonides qui ne pouvoit leur infpirer
de la fermeté, fe trouva réduit comme un grand
nombre d’autres, à faire le faux prophète, Sc à promettre,
à fes religionairesune délivrance qui n’arriva
pas. Il mourut au commencement duxiij. fiecle, 6c
ordonna qu’on l’enterrât à Tibérias, où fes ancêtres
avoient leur fépulture.
Le dodeur compofa un grand nombre d’ouvrages
; il commenta la mifnah ; il fit une main forte,
& le dodeur des queftions douteufes. On prétend
qu’il écrivit en Medecine, aufli-bien qu’en Théologie
& en grec comme en arabe ; mais que ces livres
font très-rares ou perdus. On l’accufe d’avoir mé-
prifé la cabale jufqu’à fa vieilleffe ; mais oh dit que
trouvant alors à Jérufalem un homme très-habile
dans cette fcience, il s’étoit appliqué fortement à
cette étude. Rabbi Chaiim affure avoir vû une lettre
de Maïmonides , qui témoignoit fon chagrin de
n’avoir pas percé plutôt dans les myfteres de la Loi :
mais on croit que les Cabaliftes ont fuppofé cette
lettre, afin de n’avoir pas été méprifés par un homme
qu’on appelle la lumière de l’orient &c de l’occident.
Ses ouvrages furent reçus avec beaucoup d’ap-
plaudiffement ; cependant il faut avouer qu’il avoit
fouvent des idées fort abftraites, & qu’ayant étudié
la Métaphyfique, il en faifoit un trop grand ufage.
Il foutenoit que toutes les facultés etoient des anges
; il s ’imaginoit qu’il expliquoit par-là beaucoup
plus nettement les opérations de la Divinité, & les
expreflions de l’Ecriture. N’eft-il pas étrange, difoit-
i l , qu’on admette ce que difent quelques dofteurs ,
qu’un ange entre dans le fein de la femme pour y
former un embryon ; quoique ces mêmes doâeurs
affurent qu’un ange eft un feu confumant, au lieu
de reconnoître plutôt que la faculté générante eft
un ange ? C ’eft pour cette raifon que D ieu parle fou-
vent dans l’Ecriture , 6c qu’il dit ,faifons l'homme à
notre image, parce que quelques rabbins avoient conclu
de ce paffage, que Dieu avoit un corps, quoi-
qu’infiniment plus parfait que les nôtres ; il foutint
que l’image fignifie la forme effentielle qui conftitue
une chofe dans fon être. Tout cela eft fort fubtil,
ne leve point la difficulté, &c ne découvre point le
véritable fohs des paroles de Dieu. Il croyoit que
les aftres font animés, & que les fpheres céleftes
.rivent. Il difoit que Dieu ne s’étoit repenti que d’une
chofe, d’avoir confondu les bons avec les méchans
dans la ruine du premier temple. Il étoit perfuadé'
que les promeffes de la L o i, qui fubfiftera toujours h
ne regardent qu’une félicité temporelle, & qu’elles
feront accomplies fous le régné du Meffie. Ilfoutient
que le royaume deJuda fut rendu à-la poftérité de
Jéchonias, dans la perfonne de Salatiel, quoique S.'.
Luc affure positivement que Salatiel n’étoit pas fils
de Jéchonias, mais de Néri.
De La. Philofophie exotérique des Juifs. Les Juifs
avoient deux efpe'ces de philofophie : l’une exotérique
, dont les dogmes étoient enfeignés publique-,
ment, foit dans les livres, foit dans les écoles ; l’autre
efotérique, dont les principes n’étoient révélés
qu’à un petit nombre de perfonnes choifies, & étoient
foigneufement cachés à la multitude. Cette derniere
fcience s’appelle cabale. Voye^Üarticle C a b a l e .
Avant de parler des principaux dogmes de la philofophie
exotérique , il ne fera pas inutile d’avertir
le le&eur, qu’on ne doit pas s’attendre à trouver chez
les Juifs de la jufteffe dans les idées, de l’exa&itude
dans le raifonnement, de la précifion dans-le ftyle ;
en un mot, tout ce qui doit caraltérifer une ïaine
philofophie. On n’y trouve au contraire qu’un mélange
confus des principes de la raifon & d e la révélation',
une obfcurité affettée, & fouvent impénétrable,
des principes qui conduifent au fanatif-
me, un refpeft aveugle pour l’autorité des Do&ènrs,
& pour l ’antiquité ; en un mot, tous les défauts qui
annoncent une nation ignorante & fuperftitieufc :
voici les principaux dogmes de cette efpece de philofophie.
Idée que les Juifs ont de la Divinité. I. L’unité d’un
Dieu fait un des dogmes fondamentaux de la fyna-
gogue moderne, auffi-bien que des anciens Juifs :
ils s ’éloignent également du païen , qui croit la pluralité
des dieux ,& des Chrétiens qui admettent trois
perfonnes divines dans une feule effence.
Les rabbins avouent que Dieu feroit fini s’il avoit
un corps : ainfi, quoiqu’ils parlent fouvent de D ieu,
comme d’un homme, ils ne laiffent pas de le regarder
comme un être purement fpirituel. Ils donnent
à cette effence infinie toutes les perfeûions qu’on
peut imaginer, & en ccartent tous les défauts qui
font attachés à la nature humaine, ou à la créature •
fur-toutils lui donnent une puiffance abfolue & fans
bornes, par laquelle il gouverne l’univers.
1 1. Le ju i f qui convertit le roi de Cozar, expliquoit
à ce prince les attributs de la Divinité d’une
maniéré orthodoxe. II dit q u e , quoiqu’on appelle
Dieu miféricordieux, cependant il ne font jamais le
frémiffement de la nature, ni l’émotion du coeu r,
puifque c’eft une foibleffe dans l’homme : mais on
entend par-là que l’Etre fouverain fait du bien à
quelqu’un. On le compare à un juge qui condamne
6c qui abfout ceux qu’on lui préfente, fans que fon
efprit ni fon coeur loient altérés par les différentes
fontences qu’il prononce ; quoique de-Ià dépendent
la vie ou la mort des coupables. Il affure qu’on doit
appeller Dieu lumière : ( Corri. part. I I . ) mais il ne
faut pas s’imaginer que ce foit une lumière réelle ,
ou femblable $ celle qui nous éclaire ; car on feroit
Dieu corporel, s’il étoit véritablement lumière:
mais on lui donne ce nom, parce qu’on craint qu’on
ne le conçoive comme ténébreux. Comme cette idée
feroit trop baffe, il faut l’écarter, & concevoir Dieu
fous celle d’une lumière éclatante & inacceflïble.
Quoiqu’il n’y ait que les créatures qui foient fufeep-
tibles de vie & de mort, on ne laiffe pas de dire que
Dieu v it, & qu’il eft la vie ; mais on entend par-là
qu’il exifte éternellement, 6c on ne,veut pas le réduire
à la condition des êtres mortels. Toutes ces
explications font pures, ôc conformes aux idées que
l’Ecritiure nous donne de Dieu.
I I I . Il eft vrai qu’on trouve fouvent dans les
écrits des Doûeurs certaines expreflions fortes, 6c
quelques allions attribuées à la Divinité, qui fean-
dalifent ceux qui n’en pénètrent pas le fons ; & delà
vient que.ces gens-là chargent les rabbins de blaf-
phêmes 6c d ’impiétés, dont ils ne font pas coupables.
En effet, on peut ramener ces expreflions à un
bon fons; quoiqu’elles paroiffent profanes aux uns,
& rifibles aux autres. Ils veulent dire que Dieu n’a
châtié qu’avec douleur fon peuple, .lorfqu’ils l’irt-
troduifent pleurant pendant les trois veilles de la
nuit, ÔC criant, malheur à moi qui ai détruit marnai-
fo n , & dij'perfé mon-peuple parmi les nations de la terre.
Quelque forte que foit l’expreffion, on ne laiffe pas
d’en trouver de femblables dans les Prophètes. 11
faut pourtant avouer qu’ils outrent les chofes, en
ajoutant qu’ils ont entendu fouvent cette voix lamentable
de la D ivinité, lorfqu’ils paffent fur les
ruines du temple ; caria fauffeté du fait eft évidente.
Ils badinent dans une chofe férieufe, quand ils ajoutent
que deux des larmes de la Divinité, qui pleure
la ruine de fa maifon , tombent dans la mer, & y
caufent de violens mouvemens ; ou lorfqu’entêtés
de leurs téphilims, ils en mettent autour de la tête
de Dieu, pendant qu’ils prient que fa juftice cçde
enfin à fa miféricorde. S’ils veulent vanter par-là
la néceflité des téphilims, il ne faut pas le faire aux
dépens de la Divinité qu’on habille ridiculement aux
yeux des peuples.
IV. Ils ont feulement deffein d’étaler les effets de la
puiffance infinie de D ie u , en difant que c’eft un lion,
dont le rugiffement fait un bruit horrible ; 6c en
contant que Céfar ayant eu deffein de voir D ie u ,
R. Jofué le pria de faire fentir les effets de fa préfen-
ce. A cette priere, la Divinité fe retira à quatre
cens lieues de Rome ; il rugit, & le bruit de ce rugiffement
fut fi terrible, que la muraille de la ville
tomba , & tontes les femmes enceintes avortèrent.
Dieu s’approchant plus près de cent lieues, 6c ru-
giffant de la même maniéré, Céfar effrayé du bruit,
tomba de deffus fon trône, ôc tous les Romains qui
vivoient alors , perdirent leurs dents molaires.
V. Ils veulent marquer fa préfence dans le paradis
terreftre, lorfqu’ils le font promener dans ce lieu
délicieux comme un homme. Ils infinuent que les
âmes apportent leur ignorance de la terre, 6c ont
peine à s’inftruire des merveilles du paradis, lorfqu’ils
repréfentent ce même Dieu comme un maître
d’école qui enfeigne les nouveaux venus dans le
ciel. Ils veulent relever l’excellence de la fynago-
gu e , en difant qu’elle ejl la mere, la femme, & la fille
de Dieu. Enfin, ils difent ( Maïmon. more Nevockim,
cap. xxvij. ) deux chofes importantes à leur jufti-
fication : l’une, qu’ils font obligés de parler de
Dieu comme ayant un corps, afin de faire comprendre
au vulgaire que c’eft un être réel ; car, le
peuple ne conçoit d’éxiftence réelle que dans les
objets matériels 6c fenfibles : l’autre, qu’ils ne donnent
à Dieu que des allions nobles, 6c qui marquent
quelque perfeôion, comme de fo mouvoir & d ’agir
: c’eft pourquoi on ne dit jamais que Dieu mange
6c qu’il boit.
V I . Cependant, il faut avouer que ces théologiens
ne parlent pas avec affezd’exa&itude ni de fin-
cérité. Pourquoi obliger les hommes à fe donner la
torture pour pénétrer leurs penfées ? Explique-t-on
mieux la nature ineffable d’un D ieu , en ajoutant de
nouvelles ombres à celles que fa grandeur répand
déjà fur nos efprits ? Il faut tâcher d’éclaircir ce qui
eft impénétrable, au lieu de former un nouveau
voile qui le cache plus profondément. C ’eft le penchant
de tous les peuples, 6c prefque de tous les hommes
, que de fe former l’idée d’un Dieu corporel.
Si les rabbins n’ont pas penfé comme le peuple , ils
ont pris plaifir à parler comme lui ; & par-là ils affoi-
bliffent lé refpeft qu’on doit à la Divinité. Il faut
toujours avoir des idées grandes & nobles de Dieu :
il faut infpirer les mêmes idées au peuple, qui n’a
que trop d’inclination à les avilir, Pourquoi donc
répéter fi fouvent des chofes qui tendent à faire regarder
un Dieu comme un être matériel ? On ne
peut même juftifier parfaitement ces do&eurs. Que
veulent-ils dire, lorfqu’ils affurent que Dieu ne put
révéler à Jacob la vente de fon fils Jofeph, parce
que fes freres avoient obligé Dieu de jurer avec eux
qu’on garderoit le focret fous peine d’excommunication
? Qu’entend-on, lorfqu’on affure que D ieu ,
affligé d’avoir créé l’homme, s’en confola, parce
qu’il n’étoit pas d’une matière célefte, puifqu’alors
il auroit entraîné dans fa révolte tous les habitans
du paradis ? Que veUt*-on dire, quand on rapporte
que Dieu joue avec le léviathan, & qu’il a tué la
femelle de ce monftre, parce qu’il n’étoit pas de la
bienféance que Dieu jouât avec une femelle ? Les
myfteres qu’on tirera de-ià à force de machines , feront
groffiers; ils aviliront toujours la Divinité; & fi
ceux qui les étudient, fo trouvent embarraffés à chercher
le fons myftique , fans pouvoir le développer,
que penfera le peuple à qui on débite ces imaginations
?
Sentiment des Juifs fur la Providence & fur la liberté.
I. Les Juifsfoutiennent que la Providence gouverne
toutes les créatures depuis la licorne, juf-
qu’aux oeufs de poux. Les Chrétiens ont accufé Maïmonides
d’avoir renverfé ce dogme capital de la Religion
; mais ce dolteur attribue ce fentiment à Epi-
cure , & à quelques hérétiques en Ifraël, & rraite
d’athées ceux qui nient que tout dépend de Dieu. Il
croit que cëtte Providence fpéciale, qui veille fur
chaque a&ion de l’homme, n’agit pas pour remuer
une feuille, ni pour produire un vermiffeau : car
tout ce qui regarde les animaux & les créatures, fe
fait par accident, comme l’a dit Ariftote.
IL Cependant, on explique différemment la clio-
fe : comme les Doâeurs fo font fort attachés à là
lefture d’Ariftote & des autres philofophes , ils ont
examiné avec foin fi Dieu favoit tous les évene-
mens » 6c cette qüeftion les a fort embarraffés. Quelques
uns ont dit que Dieu ne pouvoit connoître que
lui-même, parce que la fcience fe multipliant à proportion
des objets qu’on connoît, il faudrait admettre
en Dieu plufieurs degrés, ou même plufieurs
fciences. D ’ailleurs, Dieu ne peut favoir que ce qui
eft immuable ; cependant la pîûpart des évenemens
dépendent de la volonté de l’homme , qui eft libre.
Maïmonides, (Maïmon. 'more Nevockim. cap. x x . )
avoue que comme nous ne pouvons connoître l’efo
I fonce de D ie u , il eftauflî impoflibîe d’approfondir
la nature de fa connoiffance. « Il faut donc fe con-
» tenter de dire, qiie Dieu fait tout & n’ignore rien ;
» que fa connoiffance ne s’acquiert point par de-
» grés, & qu’elle n’eft chargée d’aucune imperfe-
» ftion. Enfin , fi nous y trouvons quelquefois des
» contradi&ions & des difficultés , elles naiffent de
» notre ignorance, & de la dilproportion qui eft en-
» tre Dieu & nous ». Ce raifonnement eft judicieux
& fage : d’ailleurs, il croyoit qu’on devoit tolérer
les opinions différentes que les fages & les Philofophes
avoient formées fur la fcience de Dieu & fur
fa providence, puifqu’ils.ne péchoient pas par ignorance,
mais parce que la chofe eft incompréhen-
fible.
I I I . Le fentiment commun des rabbins eft que la
volonté de l’homme eft parfaitement libre. Cette
liberté eft tellement un des apanages de l’homme ,
qu’il cefferoit, difent-ils , d’être homme, s’il perdoit
ce pouvoir. Il cefferoit en même tems d’être raifon-
nable, s’il aimoit le b ien, ôc fuyoit le mai fans con