'quefois ceux qui n’ont que de la mémoire au-deffus
des perfonnes d’un efprit plus v i f& plus brillant. Un
-auteur qui écrivoit fort élégamment, quoique dans
un fiecle barbare , leur donne toutes ces louanges.
Voyt^ Lucas de Penna , apudMorhoff. Polyhift. liv. I.
ch. iij, p. 27. Liber , dit-il, ejl Lumen cordis, fpeculum
corporis , virtutum ma gifler, vitiorum dcpulfor, cororia
prudentum , cornes itineris > domejîicus ami eus, congerro
jacentis , Collega & confiliarius præfidentis , myrophe-
■ cium eloquentice, hortus plants fructibus , pratum fiori-
bus difiinclum , memoriæ penus , vita recordationis. Vo-
catus properat, juffus fifiinat, femptr præflo e/l, nun-
qûàrn non niorigerus , rogatus confefiim r'efpondet, ar-
cana révélât, obfcura illüfirat, ambigua certiorat, per-
plexa refolvit , contra adverfam fortunam deferifor ,
Jecundtz modérât or , opes adauget , jacluram propul-
J a t , &c.
Peut-être leur plus grande gloire vient-elle de s’être
attiré l’affeCtion des plus grands hommes dans
tous les âges. Cicéron dit de M. Caton : Marcum
Catonem vidtin bi bliot ccd confedentem mültis circumfu-
fum fioicorum libris. Erat tnim, ut feis, in eo inexhaufia
aviditas legendi , née fatiari poterat. Quipp'ë qui, nec
reprehoifiomm vulgi inanem reformidans , in ipfâ curiâ
Jolerct legere, feept dum fenatus cogebatur , nihil opéra
rtipublicce dttrahens. De divinat. lib. I I I . n°. / /. Pline
l ’ancien, l’empereur Julien, & d’autres dont il feroit
trop long de rapporter ici les noms fameux, étoient
aufli fort paflionnés pour la leCture : ce dernier a
perpétué fon amour pour les livres, par quelques
épigrammes grecques qu’il a fait en leur honneur.
Richard Bury, évêque de Durham, & grand chancelier
d’Angleterre , a fait un traité fur l’amour des
livres. Voye[ Pline, epifi. y. lib. III. Pkilobiblionfive
de arnore librorum. Fabrice , bibl. lat. med. avi. tom. I.
p. 842 & fuiv. Morhojf. Potyhifi. liv. I. ch. xvij.
pag. îÿô. Salmuth, adpancirol. lib. I. tit 22. p. Gy.
Barthol. de lib. legend. differt. I. p. 1. & fuiv.
Les mauvais effets qu’on peut imputer aux livres,
c’ eft qu’ils emploient trop de notre tems & de notre
attention , qu’ils engagent notre efprit à des chofes
qlii ne tournent nullement à l’utilité publique , &
qu’ils nous infpirent de la répugnance pour les aftions
& le train ordinaire de la vie civile ; qu’ils rendent
pareffeux & empêchent de faire ufage des talens que
l ’on peut avoir pour acquérir par foi-même certaines
connoiffances, en nous fourniffant à tous momens
des chofes inventées par les autres ; qu’ils étouffent
nos propres lumières , en nousfaifant voir par d’autres
que par nous-mêmes; outre que les caraCteres
mauvais peuvent y puifer tous les moyens d’infeCter
le monde d’irréligion , de fuperftition, de corruption
dans les moeurs , dont on eft toujours beaucoup
plus avide que des leçons de fageffe & de vertu. On
peut ajouter encore bien des chofes contre l ’inutilité
des livres ; les erreurs, les fables, les folies dont ils
font remplis , leur multitude exceflïve , le peu de
certitude qu’on en tire, font telles , qu’il paroît plus
aifé de découvrir la vérité dans la nature & la raifon
des chofes, que dans l’incertitude & les contradictions
des livres. D ’ailleurs les livres ont fait négliger
les autres moyens de parvenir à la connoiffance des
chofes, comme les obfervations , les expériences ,
&c. fans lefquelles les fciences naturelles ne peuvent
être cultivées avec fuccès. Dans les Mathématiques,
par exemple , les livres ont tellement abattu l’exercice
de l'invention , que la plupart des Mathématiciens
fe contentent de refoudre un problème par ce
qü’en ont dit les autres, & non par eux-mêmes , s’écartant
ainfi du but principal de leur fcience, puif-
que ce qui eft contenu dans les livres de Mathématiques
n’eft feulement que l’hiftoire des Mathématiques
, & non l’art ou la fcience de réfoudre desquef-
lions, chofe qu’on doit apprendre de la nature & de
la réflexion , & qu’on ne peut acquérir facilement
par la Ample le&ure.
A l’égard de la maniéré d’écrire ou de compofer
des livres, il y a aufli peu de réglés fixes & univer-
lelles que pour l’art de parler, quoique le premier
foit plus difficile que l’auire ; car un leCteur n’eft pas
fi aifé a furprendre ou à éblouir qu’un auditeur ,les
defauts d’un ouvrage ne lui échappent pas avec la
même rapidité que ceux d’une eonverfation. Cependant
un cardinal de grande réputation réduit à très-
peu de points les réglés de l’art d’écrire ; mais ces
réglés font-elles aufli ai fées à pratiquer qu’à preferi-
ré? Il fau t , d i t - il, qu’un auteur confidere à qui il
écrit, ce qu’il écrit, & comment & pourquoi il écrit.
Veyeç Auguft. Valer. de caut. in edend. libr. Pour
bien écrire & pour compofer un bon livre , il faut
choifir un fujet intéreffant, y réfléchir long-tems &
profondément ; éviter d’étaler des fentimens ou des
chofes déjà dites, ne point s’écarter de fon fujet, &
ne faire que peu ou point de digreflions ; ne citer que
par nécéfîité pour appuyer une vérité,- ou pour embellir
fon fiijet par une remarque utile.ou neuve &
extraordinaire ; fe garder de cite r, par exemple, un
ancien philofophe poiir lui faire dire des choies que
le dernier des hommes auroit dit tout aufli bien que
lu i, 6c ne point faire le prédicateur, à moins que le
fujet ne regarde la chaire. Koÿe{ la nouv. rcpubl. des
Lettres , tome XXXIJC. p. 42y.
Les qualités principales que l’on exige d’un livre,
font, félon Salden* là folidité , la clarté & la conci-
fion. On peut donner à lin ouvrage la première de
ces qualités , en le gardant quelque tems avant que
de-le donner au public, le corrigeant & le revoyant
avec le confeil de fes amis. Pour y répandre la clarté,
il faut difpofer fes idées dans un ordre convenable ,
& les rendre par des expreflions naturelles. Enfin on
le rendra concis , en écartant avec foin tout ce qui
n’appartient pas direélement au fujet. Mais quels
font les auteurs qui obfervént exactement toutes ces
réglés, qui les rempliflent avec fuccès?
Vix totidem quot
Thebarum porta vel divitis ojlia Nili.
Ce n’eft pas dans ce nombre qu’il faut ranger ces
écrivains qui donnent au public des fix ou huit livres
par an , & cela pendant le cours de dix ou douze
années, commeLintenpius, profèfleur àCopenhague,
qui a donné un catalogue de 72 livres qu’il compofa
en douze ans ; favoir fix volumes de Théologie ,
onze d’hiftoire eccléfiaftique , trois de Philofophie ,
quatorze fur divers fujets , & trente huit de Littérature.
Voye{ Lintenpius relig. incend. Berg, apud nov.
litter. Lubec. ann. 1704, p. 247. On n’y comprendra
pas non plus ces auteurs volumineux qui comptent
leurs livres par vingtaines , par centaines , tel qu’é-
toit le P. Macedo , de l’ordre de faint François ,'qui
a écrit de lui-même qu’il avoit compofé 44 volumes,
53 panégyriques, 60 ( fuivant l’anglois ) ffeeches
latins , 105 épitaphes, 500 élégies, 1 10 odes, 212
épîtres dédicatoires , 500 épîtres familières , poe-
mata epica juxta bis mille fexcenta: on doit fuppofer
que par-là il entend 2600 petits poèmes en vers héroïques
ou hexamètres , & en enfin 150 mille Vers.
Poye^ Nor . is, miles macedo. Journ. des Savans, tome
X L V lI .p . iy$.
Il feroit également inutile de mettre au nombre
des écrivains qui liment leurs produélions , ces auteurs
enfans qui ont publié des livres dès qu’ils ont
été en âge de parler, comme le jeune duc du Maine,
dont les ouvrages furent mis au jour lorfqu’il n’avoit
encore que fept ans, fous le titre G oeuvres diverfes
d'un auteur deJept ans. Paris, in-quarto iG85. Voyer
le journ. des Sav. tom. X I I I . p. y. Daniel Heinïius
publia fes notés fur Silius Italiçus, fi jeune qu’il les
ihtitiilà fes hochets, crepuridià filiana, Lugd. BatâVi
'anài 1G00. On dit de Cafamuel qu’il écrivit fur la
fphere avant que d’être allez âgé pour aller à l’école
; & ce qu’il y a de fingulier , c ’eft qu’il s’aida du
traité de la fpheire de Sacrobofco ; avant que d’entendre
un mot de latin. Voye^ les enfans célébrés de
M. Baillet, n°.8 i.p. 300. A quoi l’on peut ajouter
ce que Plàccius raconte de lui-même,qu’il commença
à faire fes collections étant encore fous le gouvernement
de fâ nourrice , & n’ayant d’aiitres fecours
quede livre des prières de cette bonne-femme. Place;
de ant. excerpt. p. it)o.
M. Cornet avoit coutume de dire que pour écrire
Un livre il falloit être très-fou ou très-fage. Vigneul
Marville. Diclionn. univ. de Trév. tome I II. p. iSoc).
au mot livre. Parmi le grand nombre des auteurs, il
y en a fans doute beaucoup de l’une & de l’autre ef-
pece ; il femble cependant que le plus grand nombre
n’eft ni de l’une ni de l’autre.
On s’eft bien éloigné de la maniéré de penfer des
anciens, qui apportoient une attention extrême à
tout ce qui regarde la compofition d’un livre; ils en .
avoient une fi haute idée, qu’ils comparoient les livres
à des tréfors , thefauros oportet ejje, non libros. Il
leur fembloit que le travail, l’afliduité, l’exa&itude
d’un auteur n’étoient point encore des pafleports
fuffifans pour faire paroître un livre : une vue générale,
quoiqu’attentive fur l’ouvrage, ne fuffifoit point
à leur gré. Ils confidéroient encore chaque expref-
fion , chaque fentiment, les tournoient fur différens
points de vue , n’admettoient aucun mot qui ne fût-
exa& : enforte qu’ils apprenoient au leâeur, dans
une heure employée comme il faut, ce qui leur avoit
peut-être coûté dix ans de foins & de travail. Tels
font les livres qu’Horace regarde comme dignes d’être
arrofés d’huile de cedre , linenda cedro , c’eft-à-dire
dignes d’être confervés pourl’inftruâiohde lapofté-
rité. Les chofes ont bien changé de face : des gens
qui n’ont rien à dire, ou qu’à répéter des chofes inutiles
ou déjà dites mille fois ; pour compofer un livré
ont recours à divers artifices ou ftratagèmes : on
commence par jetter fur le papier un deflein mal digéré
, auquel on fait revenir tout ce qu’on fait &
qu’on fait mal, traits vieux ou nouveaux, communs
ou extraordinaires, bons ou mauvais, intéreflans ou
froids & indifférens, fans ordre & fans choixj n’ayant
d’autre attention, comme le rhéteur Albutius, que de
dire tout ce que l’on peut fur un fujet, & non ce que
l’on doit. Curabant, dit Bartholin, cum Albutio rhe-
tore, de omni caufâ feribere, non qua debeant fed qua po-
terant. Voye%_ Salmuth. ad pancirol. p. 1. tit. X LII.
p. 144. Guiland, de papyr. memb. 24. Reimus. idea
feptem. ant. litter. p . 29 G. Bartholi, de l'kuomo di litt.
p- m p -
Un auteur moderne a penfé qu’en traitant un fujet,-
il étoit quelquefois permis de faifir les occafions de
détailler toutes les autres connoiffances qu’on peut
a voir, Sc les ramener à fon deffein. Par exemple, un
auteur qui écrit fur la goutte , comme a fait M. Ai-
gnan, peut inférer dans fon ouvrage la nature des
autres maladies & leurs remedes, y entremêler un
lyftème de médecine, des maximes de théologie &
des réglés de morale; Celui qui écrit fur l’art de bâtir,
imitera Caramuel, qui ne s’eft pas renfermé dans
ce qui concerne uniquement l’Architeâure, mais qui
a traité en même tems de plufieurs matières de Théologie
, de Mathématiques, de Géographie , d’Hif-
toire , de Grammaire, &c. Enforte que fi nous ajoutons
foi à l’auteur d’une piece inférée dans les oeuvres
de Caramuel,fi Dieu permettoit que toutes les
fciences du monde vinffent à être perdues , On pour-
roit les retrouver dans ce feul livre. Mais , en bonne
foi, eft-ce là faire ce qu’on appelle des livres! Voye^
Aignan, Traité de la goutte, Paris tyoy. Journal des
Tome IX.
£ - •
0 0 7
Savàns 'i tome X X X IX . p. 421 & fuiv. Architecl. civil
recla y obliqua. Confid. fiel. temp. de Jerufal. trois vol.
in-fol. Vtgev. )Gy8. Journal des Savans, tome X . pag.
3 48. Nouv. rcpubl. des Lettres > tùmel.pïWày* ,
Quelquefois les auteurs débutent par un préambule
ennuyeux & abfolumènt étranger au fujet, ou
communément par une digreflion qui donne lieu à
une fécondé , & toutes deux écartent tellement l’ef-
prit du fujet qu’on le perd de vue : enfuite on nous
accable de preuves pour une chofe qui n’en a pas
befoin : on forme des objections auxquelles perfonne
n’eût pu penfer ; & pour y répondre on eft fouver.t
forcé de faire une differtation en forme , à laquelle
oh donne un titre particulier ; 6c pour allonger davantage
, On y joint le plan d’un ouvrage qu’On doit
faire, & dans lequel on promet dé traiter plus amplement
le fujet dont il s’agit, & qu’on n’a pas même
effleuré. Quelquefois cependant on difpute en forme
, on entaffe râifonnemens fur raifonnemens ,
Conféquences lUr conféquences, & l’on a foin d’ân-
noncer que ce font des deinonftratiorts géométriques;
mais quelquefois l’auteur le penfe & le dit toutleul:
enfuite on arrive à une chaîne de conféquences auxquelles
or» s’attendoit pas ; & après dix Ou douze
corollaires dans lefquels les contradictions ne font
point épargnées, on eft fort étonné de trduver pour
conclufion une propofition oü entièrement inconnue
ou fi éloignée qu’on l’avoit entièrement perdue de
vûe, ou enfin qui n’a nul rapport au fujet. La matière
d’un pareil livre eft vraiffemblablement une bagatelle
, par exemple , l’ufage de là particule E t , ou la
prononciation de Vétagrec , ou la loùangé de l’âne ,
du porc, de l’ombre, de la folie ou de la parefl’e, ou
l’art de boire , d’aimer, de s’habiller, ou l’ufage des
éperons , des fouliers > des gants, &c:
Suppofons, par exemple , un livre fur les gants y
& voyons comment un pareil auteur difpofe ion ouvrage.
Si nous confidérons fa méthode, nous verrons
qu’il commence à la maniéré des lulliftes , & qu’il
débuie par le nom & l’étymologie du mot gant,
.qu’il donne non-feulement dans la langue oii il écrit,
mais encore dansr toutes celles qu’il lait ou même
qu’il ignore, foit orientales, loit occidentales, mortes
ou vivantes , dont il a des dictionnaires ; il accompagne
chacun de ces mots de leur étymologie
tefpeCHve, & quelquefois de leurs compolés-& de
leurs dérivés, citant pour preuve d’une érudition plus
profonde les dictionnaires dont il s’eft aidé, fans oublier
le chapitre ou le mot & la page. Du nom il
paffe à la chofe avec Un travail & Une exactitude
confidérables , n’oubliant aucun des lieux communs,
comme la matière, la forme, l’ufage, l’abus, les ac-
ceffoires, les conjonCtifs ,' les disjonCtifs , &c. des
gants. Sur chacun de ces points il ne fe contentera
pas du nouveau' , du fingulier, de l’extraordinaire ;
il épuifera fon fujet, & dira tout ce qu’ il eft pofliblé
d’en dire. Il nous apprendra , par exemple, que les
gants préfervent les mains dii froid , & prononcera
que f i l'on expofe fes mains au foleil fans gants, oit
s'expofe à les avoir perdues de taches de roujfeur ; que
fans gants on gagne des engelures en hiver ; que des
mains crevajfées par les engelures font dtfogréables à la
vue , Où que ces crevaffes caufent de la douleur. Voye%
Nicolaï, difquifitio. de chirotecarum ufu & abufu. Giefs.
iyo2. Nouv. républ. des Lettr. Août tyott. page i58
* & fuiv: Cependant cet ouvrage part d’un auteur de
mérite ,■ & qui n’eft point fingulier dans fa maniéré
d’écrire : ne peù't-on pas dire que tous les auteurs
tombent dans ce défaut, aufli-bien que M. Nicolaï,
les uns plus, les antres moins ?
La forme ou la méthode d’un livre dépend de l’ef-
prit & du deffein de l’auteur, qui lui applique quelquefois
des comparaifons finguliéres. L’un fuppofe
que fon livre eft un chandelier à plufieurs branches,
H H h h î j