II en avoit eu une autre avec un difciple de Socin,
appelle Wijjoratius, en 16 7 1, fur laTrihité ; car Leibnitz
étoit encore théologien dans le fens ftrift de ce '
mot, & publia contre l'on adverfaire un écrit intitulé
Sacro-fancla Trinitas per nova inventa logicce de-
fin fa. C ’eft toujours le même efprit qui régné dans
les ouvrages de Leibnitz. A l’occafion d’une question
fur les myfteres, il propofe des moyens de perfectionner
la Logique , Sc il expofe les défauts de
celle qu’on fuivoit. Il fut appellé aux conférences
qui fe tinrent vers le commencement de ce fiecle
Uir le mariage d’un grand prince catholique Sc d’une
princeffe luthérienne. Il releva M. Burnet, évêque
de Salisbury, furies vues peu exa&esqu’il avoit
eues dans fon projet de réunion de l’églife anglicane
avec l’églife luthérienne. Il défendit la tolérance
des religions contre M. Peliflon. Il mit au jour la
Théodicée en 1711 : c’eft une réponfe aux difficultés
de Bayle fur l’origine du mal phyfique & du mal
moral. I . , T -,
Nous devrions prefentement avoir epuile Leibnitz
; cependant il ne l’eft pas encore. 11 conçut le
projet d’une langue philofophique qui mît en fociété
toutes les nations : mais il ne l’executa point ; il remarqua
feulement que des fçavans de fon tems, qui
avoient eu la même vue que lu i, perdoient leur
tems , & ne frappoient pas au vrai but.
Après cette ébauche de la vie fçavante de Leibnitz
, nous allons paffer à quelques détails de fa vie
particulière.
Il étoit de la fociété fecrete des alchimiftes de
Nuremberg , lorfque M. le baron de Boinebourg ,
miniflre de l’éleéleur de Mayence, Jean-Philippe ,
rencontré par hafard dans une hôtellerie, reconnut
fon mérite, lui fit des offres , Sc l’attacha à fon maître.
En 1688 lelefteur de Mayence le fit confeiller
de la chambre de révifion de fa chancellerie. M. de
Boinebourg avoit envoyé fort fils a Paris ; il engagea
Leibnitz à faire le voyage , & à veiller à fes
affaires particulières & à la conduite de fon fils. M.
de Boinebourg mourut en 1673 , & Leibnitz paffa
en Angleterre , oh peu de tems après il apprit la
mort dé l’éle&eur : cet événement renverfa les com-
mencemens de fa fortune ; mais le duc de Brunfwic
Lunebourg s’empara de lui pendant qu’il etoit vacant
, Sc le gratifia de la place de confeiller & d’une
penfion. Cependant il ne partit pas fur le champ pour
l’Allemagne. Il revint à Paris , d’où il retourna en
Angleterre ; & ce ne fut qu’en 1676 qu’il fe rendit
auprès du duc Jean Frédéric, qu’il perdit au bout de
trois ans. Le duc Erneft Augufte lui offrit fa protection
, & le chargea de l’hiftoire de Brunfwic :
nous avons parlé de cet ouvrage & des voyages
qu’il occafionna. Le duc Erneft le nomma en 1696
fon confeiller-privé de juftice : on ne croit pas en
Allemagne qu’un philofophe foit incapable d’affaires.
En 1699 l’académie des fciences de Paris le mit à la
tête de fes affociés étrangers. Il eût trouvé dans '
cette capitale un fort affez doux , mais il falloit
changer de religion, Sc cette condition lui déplut. Il
infpira à l’éleCteur de Brandebourg le defîein d’établir
une académie à Berlin, & ce projet fut exécuté
en 1700 d’après fes idées : il en fut nommé préfident
perpétuel, Sc ce choix fut généralement applaudi.
En 1710 parut un volume de l’académie de Berlin
fous le titre de Mifcellanea BtroLinenJia. Leibnitz
s’y montra fous toutes fes formes , d]hiftorien, d’an-
nquaire, d’étymologifte, de phyficien , de mathématicien
, & même d’orateur.
Il avoit les mêmes vêbes furies états de l’éle&eur
de Saxe ; & il méditoit l’établiffement d’une autre
académie à Drefde, mais les troubles de la Pologne
ne lui laifferent aucune efpérance de fuccès.
En revanche le Cza r, qui étoit allé àTorgaupour
le mariage de fon fils aîné St de Charlote-Chriftine »
vit Leibnitz, le confulta fur le deffein oh il etoit de
tirer fes peuples de la barbarie,l’honora de prefens,
Sc lui conféra le titre de fon confeiller.-privé de juftice
, avec une penfion confidérable.
Mais toute profpérité humaine ceffe ; le roi de
Pruffe mourut en 1713 , Sc le goût militaire de fon
fucceffeur détermina Leibnitz à chercher un nouvel
azile aux fciences. Il fe tourna du côté delà cour,
impériale, Sc obtint la faveur du prince Eugène ;
peut-être eût-il fondé une académie à Vienne , mais
la pefte furvenue dans cette ville rendit inutiles tous
fes mouvemens.
Il étoit à Vienne en 1714 lorfque la reine Anne
mourut. L’éleCteur d’Hanovre lui fucceda. Leibnitz
fe rendit à Hanovre , mais il n’y trouva pas le r o i ,
Sc il n’étoit plus d’âge à le fuivre. Cependant le roi
d’Angleterre repaffa en Allemagne , & Leibnitz eut
la joie qu’il defiroit : depuis ce tems fa fante s affaiblit
toujours. Il étoit fujet à la goutte ; ce mal lui
gagna les épaules, & une ptifane dont un jéfuite
d’Ingolftad lui avoit donné la recette, lui caufa des
con vulfions Sc des douleurs exceffives, dont il mourut
le 14 Novembre 1716.
Dans cet état il méditoit encore. Un moment ayant
que d’expirer il demanda de l’encre & du papier :
il écrivit ; mais ayant voulu lire ce qu’il avoit éc r it,
fa vûe s’obfcurcit, & il ceffa de v iv r e , âgé de 70
ans. Il ne fe maria point ; il étoit d’une complexion
forte ; il n’avoit point eu de maladies que quelques
vertiges & la goutte. Il étoit fombre,& paffoit fou-
vent les nuits dans un fauteuil. Il étudioit des mois
entiers de fuite ; il faifoit des extraits de toutes fes
leélures. Il aimoit à converfer avec tonte forte de
perfonnes, gens de cour, foldats, artifans, laboureurs.
Il n’y a guere d’ignorans dont on ne puiffe
apprendre quelque chofe. U aimoit la fociété des
femmes , Sc elles fe plaifoient en la fienne. Il avoit
une correfpondance littéraire très-étendue. Il four-
niffoit des vûes aux fçavans ; il les anitnoit ; il leur
applaudiffoit ; il chériffoit autant la gloire des autres
que la fienne. Il étoit colere , mais il revenoit
promptement ; ils’indignoit d’abord de la contradiction
, mais fon fécond mouvement étoit plus tranquille.
On l’accufe de n’avoir été qu’un grand Sc rigide
obfervateur du droit naturel : fes pafteurs lui
en ont fait des réprimandes. publiques Sc inutiles.
On dit qu’il aimoit l’argent ; il avoit amaffé une
fomme confidérable qu’il tenoit cachee. Ce trefor,
après l ’avoir tourmenté d’inquiétudes pendant fa
v ie , fut encore funefte à fon héritière ; cette femme
, à l ’afpeCt de cette richeffe, fut fi faifie de jo ie ,
qu’elle en mourut fubitement.
II ne nous refte plus qu’à expofer les principaux,
axiomes de la philofophie de Leibnitz. Ceux qui
voudront connoître plus à fond la vie , les travaux,
Sc le caraCtere de cet homme extraordinaire * peuvent
eonfulter les aCtes desfçavans,Kortholt,Eckard,
Baringius, les mémoires de l’académie des fciences,
l’éloge de Fontenelle , Fabricius , Feller -, Gritnd-
mann , Gentzlcennius, Reimann, Collins, Murat,
Charles Gundelif-Ludovici. Outre Thomafius dont
nous avons parlé,il avoit eu pour inftituteur en Ma-
thérnatiques Kunnius, & en Philofophie Scherzerôc
Rappo.lt. Ce fut Weigel qui lui fit naître l’idée de
fon arithmétique binaire, ou de cette méthode d’ex-,
primer tout nombre avec les deux caraCteres 1 Sc o.
Il revint fur la fin défia vie au projet de l’Encyclopédie
, qui l’avoit occupé étant jeune , & il efpé-
roit encore l’exécuter de concert avec "Wolf. Il fut
chargé par M. de Montaufierde l’édition de Martien-
Capella, à l’u&ge du Dauphin : l’ouvrage étoit achevé
lorfqu’on le lui vola. Il s’en manque beaucoup
que nous ayons.parlé de tous fes ouvrages. Il en a
peu publié féparément ; la plus grande partie eft dif-
perlée dans les journaux Sc les recueils d’académies ;
d’oh l’on a tiré fa prorogée, ouvrage qui n’eft pas
fans mérite, foit qu’on le confidere par le fond des
.chofes , foit qu’on n’ait égard qu’à l’élévation du
difeours.
I. Principes des méditations rationnelles de Leibnitz,
Il difoit : la connoiffance eft ou claire ou obfcure ,
Sc la connoiffance claire eft ou confufe ou diftinc-
t e , Sc la connoiffance diftinCte eft ou adéquate ou
inadéquate, ou intuitive ou fymbolique.
Si la connoiffance eft en même tems adéquate Sc
intuitive , elle eft très-parfaite ; fi une notion ne
fuffit pas à la connoiffance de la chofe repréfentée,
elle eft obfcure ; fi elle fuffit, elle eft claire.
Si je ne puis énoncer féparément les caraCteres
néceflaires de diftinCtion d’une chofe à une autre,
ma connoiffance eft confufe,quoique dans la nature
la chofe ait de ces caraCteres , dans l’énumération
exaCte defquels elle fe limiteroit Sc fe réfoudroit.
Ainfi les odeurs, les couleurs, les fa veurs Sc d’autres
idées relatives aux fens, nous font affez clairement
connues : la diftinCtion que nous en faifons eft
jufte ; mais la fenfation eft notre unique garant. Les
caraCteres qui diftinguent ces chofes ne font pas
énonciables. Cependant elles ont des caufes : les
idées en font compofées ; Sc il femble que s’il ne
manquoit rien , foit à notre intelligence, foit à nos
recherches, foit à nos idiomes, il y auroit une certaine
collection de mots dans lefquels elles pour-
roient fe réfoudre Sc fe rendre.
Si une chofe a été fuffifamment examinée ; fi la
collection des lignes qui la diftingue de toute autre
eft complexe, la notion que nous en aurons fera
■ diftinCte : c’eft ainfi que nous connoiflons certains
objets communs à phffieursfens,plufieursaffeCtions
de l’ame, tout ce dont nous pouvons former une définition
verbale ; car qu’eft-ce que cette définition ,
finon une énumération fuffifante des caraCteres de
la chofe ?
Il y a cependant connoiffance diftinCte d’une chofe
indéfiniffable, toutes les fois que cette chofe eft primitive
, qu’elle eft elle-même fon propre caraCtere,
bu que s’entendant par elle-même, elle n’a rien d’antérieur
ou de plus connu en quoi elle foit réloluble.
Dans les notions compofées , s’il arrive , ou que
la fomme des caraCteres ne fe faififfe pas à la fois ,
ou qu’il y en ait quelques-uns qui échappent ou qui
manquent, oh que la perception nette , générale ou
particulière des caraCteres , foit momentanée & fugitive
, la connoiffance eft diftinCte, mais inadéquate.
Si tous lés caraCteres de la chofe font permanens,
bien rendus Sc bien faifis enfemble Sc féparément,
c’eft-à-dire que la réfolution Sc l ’analyfe s’en faffent
fans embarras Sc fans défaut, la connoiffance eft
adéquate.
Nous ne pouvons pas toujours embraffer dans notre
entendement la nature entière d’une chofe très-
compofée : alors nous nous fervons de lignes qui
abrègent ; mais nous avons, ou la confcience ouJa
mémoire que la réfolution ou l’analyfe entière eft
poffible, Sc s’exécutera quand nous le voudrons ;
alors la connoiffance eft aveugle ou fymbolique.
Nous ne pouvons pas faifir à la fois toutes les
notions particulières qui forment la connoiffance
complette d’une chofe très-compofée. C ’eft un fait.
Lorfque la chofe fe peut, notre connoiffance eft intuitive
autant qu’elle peut l’être. La connoiffance
d une chofe primitive Sc diftinCte eft intuitive j celle
de la plûpart des chofes compofées eft fymbolique.
, Les idées des chofes que nous connoiflons diftine-
tement, ne nous font préfentes que par une opération
intuitive de notre entendement.
Nous croyons à tort avoir des idées des chofes ,
Tome IX .
lorfqu’il y a quelques termes dont l’explication n’a
point été faite , mais fuppofée.
Souvent nous n’avons qu’une notion telle quelle
des mots, une mémoire foible d’en avoir connu
autrefois la v aleur, & nous nous en tenons à. cette
connoiffance aveugle , fans nous embarraffer de fuivre
l’analyfe des expreffions auffi loin Sc auffi ri-
goureufement que nous le pourrions. C ’eft ainfi que
nous échappe la contradiction enveloppée dans la
notion d’une chofe compofée.
Qu’eft-ce qu’une définition nominale ? Qu’eft-ce
qu’une définition réelle ? Une définition nominale ,
c’eft 1’énuméràtion des caraCteres qui diftingue une
chofe d’une autre. Une définition réelle , celle qui
nous affure, par la comparaifon Sc l’explication des
caraCteres, que la chofe définie eft poffible. La définition
réelle n’eft donc pas arbitraire ; car tous les
caraCteres de la définition nominale ne font pas toujours
compatibles.
La fcience parfaite exige plus que des définitions
nominales, à-moins qu’on ne fâche d’ailleurs que la
chofe définie eft poffible.
v La notion eft vraie ,fi la chofe eft poffible ;fauffe,'
s’il y a contradiction entre fes caraCteres.
La poffibilité de la chofe eft connue à priori ou à
pojleriori.
Elle eft connue à priori lorfque nous réfolvons fa
notion en d’autres d’une poffibilité avouée , Sc dont
les caraCteres n’impliquent aucune contradiction : il
en eft ainfi toutes les fois que la maniéré dont une
chofe peut être produite nous eft connue ; d’oh il
s’enfuit qu’entre toutes les définitions , les plus utiles
ce font celles qui fe font par les caufes.
La poffibilité eft connue à pojleriori lorfque l’exif-
tance aCtuelle de la chofe nous eft conftatée ; car
ce qui eft ou a été eft poffible.
Si l’on a une connoiffance adéquate, l’on a auffi
la connoiffance à priori de la poffibilité ; car en fui-
vant l’analyfe jufqu’à fa fin , fi l’on ne rencontre aucune
contràdièïion , il naît la démonftration.de la
poffibilité.
^11 eft un principe dont il faut craindre l’abus. ;
c’eft que l’on peut dire une chofe,& qu’on dira vrai
fi l’on affirme ce que l’on en apperçoit clairement
& diftinâement. Combien dé chofes obfcures Sc
confufes paroiffent claires & diftinûes à ceux qui fe
preffent de juger ! L’axiome dont il s’agit eft donc
fuperflu , fi 1 on n a établi les réglés de la vérité des
idées, Sc les, marques de la clarté & de la diftinc-
tio n , de l’obfcurité & de la confufion.
Les réglés que la Logique commune prefcritfur
les cara&eres des énonciations de la vérité, ne font
méprifables que pour ceux qui les ignorent, Sc qui
n ont ni le courage ni la fagacite neceffairès pour les
apprendre : ne font-cepas les mêmes que celles des
Géomètres ? Les uns & les autres ne prefcrivent-ils
pas de n’admettre pour certain que ce qui eft appuyé
fur l ’expérience ou la démonftration. Une dé?
monftration eft folide fi elle garde les formes preferi-
tes par la Logique. Une s’agit pas toujoursde s’affu-
jettir à.la forme du fyllogifme, mais il faut que tout
raifonnement foit réduftibleà cette forme, & qu’ellè
donne évidemment force à la conclufion.
Il ne faut donc rien paffer des prémiffes ; tout ce
qu’elles renferment doit avoir été ou démontré , ou
fuppofé : dans le cas de fuppofition, la conclufion eft:
eft hypothétique.
On ne peut ni trop louer, ni s’affujettir trop fé-
vérement à la réglé de Pafcal, qui veut qu’un terme
foit défini pour peu qu’il foit obfcur, Sc qu’une pro-
pofition foit prouvée pour peu qu’elle foit douteufe»
Avec un peu d’attention fur les principes qui,précèdent
, on verra comment ces deux conditions peuvent
fe remplir.
B b b