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propre d e l’cfpfit national de chacune a elles, qui
fait envifager diverfement les mêmes idées. Ceci
demande d’être développé. Il faut remarquer dans
la fignification des mots deux fortes d’idées confti-
tutives , l ’idée fpécifique & l’idée individuelle. Par
l’idée spécifique de la fignification des .mots , j’en-
tens le point de vue général qui caraûerife chaque
efpece de mots, qui fait qu’un mot eft de telle efpece
plutôt que de telle autre , qui par conféquent convient
à chacun des mots de la même efpece, 8c ne
convient qu’aux mots de cette feule efpece. C ’eft la
différence de ces points de vue généraux > de ces
idées fpécifiques, qui fonde la différence de ce que
les Grammairiens appellent les parties d’oraifon, le
nom, le pronom, l’adje&if, le verbe , la prépofi-
tion , l’adverbe , la conjonction , 8c l'inter jeétion :
& c’eft la différence des points de vue acceffoires,
dont chaque idée fpécifique eft fufceptible, qui fert
de fondement à la foufdivifion d’une partie d’oraifon
en fes efpeces fubalternes ; par exemple, des
noms en fubftantifs 8c abftraètifs , en propres 8c ap-
pellatifs , &cy Voyt{ N o m » Par l’idée individuelle
de la ,fignification des mots , j’entens l’idée fingu-
liere qui caraèterife le fens propre de chaque mot,
& qui le diftingue de tous les autres mots de la
même efpece-, parce qu’elle ne peut convenir qu'à
un feul mot de la même efpece. Ainfi c’eft à la différence
de ces idées fingulieres que tient celle des individus
de chaque partie d’oraifon , ou de chaque
efpece fubalterne de chacune des parties d’oraifon :
& c’eft de la différence des idées acceffoires dont
chaque idée individuelle eft fufceptible > que dépend
la différence des mots de la même efpece que
l ’on appelle fynonymes ; par exemple, en François,
des noms , pauvreté , indigence , difette , befoin, né-
cefjitè ; des adjeètifs, malin, mauvais , méchant, malicieux
i des verbes, jecourir, aider, afjifler, 8cc.
Voye^ fur tous ces mots les fynonymes françois de
M. l’Abbé Girard ; 8c fur la théorie générale des fynonymes
, l ’article S y n o n y m e s . On fent bien que dans
chaque idée individuelle , il faut diftinguer l’idée
principale 8c l’idée acceffoire : l’idée principale peut
être commune à plufieurs mots de la même efpece,
qui different alors par les idées acceffoires. Or c’eft
juftement ici que fe trouve une fécondé fource de
différences entre les mots des diverfes langues. I! y
a telle idée principale qui entre dans l’idée individuelle
de deux mots de même efpece, appartenans
à deux langues différentes , fans que ces deux mots
foient exactement fynonymes l’un de l’autre : dans
l ’une de ces deux langues , cette idée principale
peut conftituer feule l ’idée individuelle, & recevoir
dans l’autre quelque idée acceffoire ; ou bien, s’allier
d’une part avec une idée acceffoire, & de l’autre
, avec une autre toute différente. L’adjéètif
vacuus, par exemple , a dans le latin une fignification
très-générale , qui étoit enfuite déterminée par
les différentes applications que l’onenfaifoit : notre
françois n’a aucun adjeètif qui en foit le correfpon-
dant exact ; les divers adjectifs, dont nous nous fer-
vons pour rendre le vacuus des latins , ajoutent à
l’idée générale, qui en conftitue le fens individuel,
quelques idées acceffoires qui fuppofoient dans la
langue latine des applications particulières 8c des
complémens, ajoutez : Gladius vagind vacuus, une
épée nue ; vagina enfe vacua , un fourreau vuide ;
vacuus animus, un efprit libre , &c. Voye[ Hy p a l l
a g e . Cette fécondé différence des langues eft un
des grands obftacles que l’on rencontre dans la traduction
, 8c l’un des plus difficiles à furmonter fans
altérer en quelque chofe le texte original. C ’eft
auffi ce qui eft caufe que jufqu’ici l’on a fi peu réuffi
à nous donner de bons dictionnaires , foit pour les
langues mortes, foit pour les langues vivantes : on
LAN
n’a pas allez analy.fé les différentes idéespartielleS £
foit principales, foit acceffoires , que l’ufage a atta*
chées à la fignification de chaque mot & l’on ne doit
pas en être furpris. Cette analyfe fuppofe non-feulement
une logique fûre & une grande fagacité ,mais
encore une leCture immenfe , une quantité prodi-
gieufe de comparaifons de textes , & conféquem-
ment un courage & une confiance extraordinaires ,
& par rapport à la gloire du fuccès, un défintéreffe-
mentqifil eft auffi rare que difficile, de trouver dans
les gens de lettres, même les plus modérés. Voyez
D ic t io n n a ir e .
§ . II. Si les langues ont des propriétés communes
tk des caraCteres différenciels, fondés fur la maniéré
dont elles envifagent la penfée qu’elles fe propofent
d’exprimer ; on trouve de même, dans l’ufage qu’elles
font de la v o ix , des procédés communs à tous
les idiomes, & d’autres qui achèvent de caraCtéri-
fer .le génie propre dè chacun d’eux. Ainfi comme
les langues different par la maniéré de deffiner l’original
commun qu’elles ont à peindre, qui eft la penfée
, elles different auffi par le choix ,1e mélange &
le ton des couleurs quelles peuvent employer, qui
font les-fons articulés de la voix, jetions encore un
coup-d’oeil fur les Langues confidérées fous ce double
point de v u e , de reffemblance 8c de différence dans
le matériel des fons. Des mémoires M. S. de M. le
préfident de Broffes nous fourniront ici les prin-?
cipaux fecours.
i°. Un premier ordre de mots que fon peut regarder
comme naturels, puilqu’ils fe retrouvent au
moins à-peu-près les mêmes dans toutes les langues 9
8c qu’ils ont dù entrer dans le fyfteme de la langue
primitive, ce font les interjections, effets néceffaires
de la relation établie par la nature entre certaines
affeCtions de l’ame 8c certaines parties organiques
de la voix. Voye^ In t e r je c t io n . Ce font les premiers
mots , les plus anciens, les plus originaux de
la langue primitive ; ils font invariables au milieu
des variations perpétuelles des langues , parce qu’en
conféquence de la conformation humaine, ils on t,
avec l’affeCtion intérieure dont ils font l ’expreffion,
une liaifon phyfique , néceffaire 8c indeftruCtible.
On peut aux interjections joindre , dans le même,
rang, les accens, efpece de chant joint à la parole ,
qui en reçoit une vie 8c une aCtivité plus grandes ;
ce qui eft bien marqué par le nom latin accentus, que
nous n’avons fait que francifer. Les accens font
effectivement l’ame des mots , ou plutôt ils font au
difeours ce que le coup d’archet 8c l’expreffion font
à la mufique ; ils en marquent l’efprit, ils lui donnent
le g o û t , c’eft-à-dire l’air de conformité avec
la vérité ; 8c c’eft fans doute ce qui a porté les Hébreux
à leur donner un nom qui lignifie goût ,faveuri
Ils font le fondement de toute déclamation orale ,
8c l’on fait affez combien ils donnent de fupériorité
au difeours prononcé furie difeours écrit. Car tandis
que la parole peint les objets * l’accent peint la
maniéré dont celui qui parle en eft affeCté , ou dont
il voudroit en affeCter les autres. Ils naiffent de la
fenfibilité de l’organifation ; & c’eft pour cela qu’ils
tiennent à toutes les langues , mais plus ou moins *
félon que le climat rend une nation plus ou moins
fuceptible, parla conformation de fes organes, d’être
fortement affeCtée des objets extérieurs. La langue
italienne, par exemple, eft plus accentuée que la
nôtre ; leur fimple parole , ainfi que leur mufique ,
a beaucoup plus de chant. C’eft qu’ils font fujets
à fe paffionner davantage ; la nature les a fait naître
plus fenfibles : les objets extérieurs les remuent Ci
fort, que ce n’eft pas même affez de la voix pour
exprimer tout ce qu’ils fentent, ils y joignent le
gefte , 8c parlent de tout le corps à la fois.
Un fécond ordre de mots , où toutes les Idngues
ont
LAN
bnt encore une analogie commune 8c des reffem-
blànces marquées, ce font les mots enfantins déterminés
par la mobilité plus ou moins grande de
chaque partie organique de l’inftrument vo ca l,
combinée avec les befoins intérieurs ou la néceffité
d’appeller les objets extérieurs. En quelque pays
que ce (oit, le mouvement lé plus facile eft d’ouvrir
la bouche & de remuer les levres , ce qui donne le
fon le plus plein a , 8c l’une des articulations labiales
b , p , v , ƒ ou m. De-là , dans toutes les langues, les
fyllabes ab, pa , amy ma , font les premières que
prononcent les enfans : de-là viennent papa, maman,
8c autres qui ont rapport à ceUx-ci ; & il y a
apparence que tes enfans fonneroient d’eux-mêmes
ces fons dès qu’ils feroient en état d’articuler, fi les
nourrices ,- prévenant une expérience très-curieüfe à
faire, ne les leur apprenoient d’avance; ou plutôt les
enfans ont été les premiers à les.bégayer, 8c les païens
empreffés de lier avec eux un commerce d’amour
, les ont répétés avec complaifance, 8c les ont
établis dans toutes les langues même les plus ancien-
nes^On les y retrouve en effet, avec le même fens,
mais défigurés par les terminaifonsque le génie propre
de chaque idiome y a ajoutées, & de maniéré que
les idiomes les plus anciens des ont confervés dans
lin état ou plus naturel, ou plus approchant de la nature.
En hébreu ab , en chaldéen abba , en grec
«Wtt , waWa , Tj-ctT«p , en latin pater 9 en françois
papa 8c pere, dans les îles Antilles baba , chez les-
Hottentots bo / par-tout c’eft la même idée marquée
par l ’articulation labiale. Pareillement en langue
égyptienne am , ama , en langue fyrienne aminis,
répondent exactement au latin parens ( pere ou
mere). De-là mamma (mamelle), les mots françois
maman9 mere, Ôcc. Ammon , ‘ dieu des Egyptiens,
c ’eft le foleil, ainfi nommé comme pere de la nature
; les figures & les ftatues érigées en l’honneur
du foleil étoient nommées ammanim ; & les hiéroglyphes
facrés dont fe fervoieni les prêtres , lettres
ammonéennes'. Le culte du foleil, adbpté par pref-
que tous les peuples orientaux, y a eônfacré le mot
radical am , prononcé , fuivant les différens dia-
leGtes-f ammony oman , omin .t iman , &c. Iman chez
les Orientaux fignifi&Dieu ou Etre facré -, les Turcs
l’emploient aujourd’hui dans le fens.de facerdos ;
iir-iman chez les anciens Perfes veut dire Deus.fortis,-
» Les mots abba , ou baba , ou papa , & celui de
» marna, qui des anciennes langues d’Orient femblent
» avoir paffé avec de légers changemens dans la
» plupart de celles de l’Europe , font communs, dit
» M. de la Côndamine dans fa relation de la riviere
»des Amazones , à...un grand nombre de nations-
» d’Amérique , dont le langage eft d’ailleurs très-
» différent..'Si l’on regarde ces mots comme les pre-
» miers fons-quedès enfans peuvent articuler , 8c
» par conféquent comme ceux qui ont dû par tout
» pays être adoptés: préférablement par les parens-
» qui les entendoient prononcer, pour les faire fer-
» vir de lignes aux idées de pere 8c de mere ; il reftera
» à favoir pourquoi dans toutes les langues d’Amér
i q u e où ces mots fe rencontrent, leur fignifica-.
» tion s’eft confervée fans fe croifer ; par quel ha-
» fard, dans la langue omogua , par- exemple,, àu
» centre du continent,, ou dans .quelque autre pa-
» reille , où'.les mots de papa 8c dé marna font- en
» ufage , il n’èft pas arrivé quelquefois que papa
» fignifie mere, 8c marna, pere, mais qu?on y obferve
» conftamment le contraire comme1 dans les langues.
» d’Orient 8c d’Europe». Si c’eft :1a nature qui diète
aux-enfans ces premiers mots , c’èft elle aùffi qui: y.
fait attacher invariablement les mêmes idées , &c
l ’on peut puifer dans fon fein la raifon de l’uîrde
ces phénomènes comme celle de l’autre. La grande,
mobilité, des lèvres eft la caufe qui fait naître fes
Tome IX %
L A N , 26 r
premières , les articulations labiales ; 8c parmi
celles-ci , celles qui mettent moins de force 8c
d embarras dans l’explofion du fon, deviennent en
quelque maniéré les aînées, parce que la production
en eft plus facile. D ’où il fuit que la fyllabe ma eft
antérieure à bu , parce que l’articulation m fuppofe
moins de force dans l’explofion , 8c que les levres
n’y ont qu’un mouvement foible 8c len t, qui eft
caufe qu’une partie de la matière du fon réflue par
le nez. Marna eft donc antérieur à papa dans l’ordre
de la génération, 8c il ne refte plus qu’à décider :
lequel des deux, du pere ou de la mere, eft le premier
objet de l’attention 8c de l’appellation des enfans
, lequel dés deux eft le plus attaché à lèur
perfonne, lequel eft le plus utile & le plus néceffaire
à leur fubfiftance , lequel leur prodigue plus de
careffes 8c leur donne le plus de foins : & il fera
facile de conclure pourquoi le fens des deux mots
marna 8c papa eft incommutable dans toutes les lan- .
gués. Si apa 8c ama, da ns la langue égyptienne, lignifient
indiftinélément ou le pere ou la mere, ou tous
les deux ; c’eft l’effet de quelque caufe étrangère à
la nature , une fuite peut-être des moeurs exemplaires
de ce peuple reconnu pour la fource 8c le
modèle de toute.fageffe , ou l’ouvrage de la réfie-
xion & de l’art qui eft prefque auffi ancien que la
nature , quoiqu’il fe perfectionné lentement. Re- ;
marquez qùe.d’après le principe que l’on po feic i,
il eft naturel de conclure que les diverfes parties
de l’organe de la parole ne concourront à la nomination
des objets extérieurs que dans l’ordre„de.leur
mobilité : la langue ne fera mife en jeu qu’après les
levres ;> elle donnera d’abord les articulations qu’elle
produit par le mouvement de fa pointe., & enfuite
celles qui dépendent de Paétion-de la racine ,
L’Anatomie n’a donc qu’à fixer l’ordre -généalogi*.
que des fons 8c des articulations , 8c la Philofophie
l’ordre des'objets par rapport à nos befoins. ; leurs
travaux combinés donneront le dictionnaire des.
mots les.plus naturels , les plus néceffaires à \a.langue
primitive', 8c les plus univerfels aujourd’hui,
nonobftant.la diverfité des idiomes, v
Il eft une troifieme claffe de mots qui .doivent
avo ir, 8c quilont en effet dans toutes les langues les
mêmes racines, parce qu’ils font encoré.l’ouvrage
de la nature, 8c qu’ils appartiennent à la nomenclature
primitiye. Ce font ceux que .nous devons à l’onomatopée,
jôc.qui ne font que des noms imitatifs
en quelque point des objets nommés. Je dis que c’eft:
la nature qui les fuggere; 8c la preuve éri.eft, que le
mouvement naturel 8c général. dans>tous les enfans,
eft de défigner d’eux-mêmes.les chofes bruyantesjpar*
l ’imitation du bruit qu’elles font. Ils leur laifferoient
fans doute à jamais ces noms primitifs 8c naturels , Ci
l’inftruCtion 8c l’exemple, venant enfuite à deguifer
la nature 8c à la reétifîer, ou peut-être à la dépraver,
ne leur fuggéroient les appellations arbitraires, fub-«-
ftituées aux naturelles par les décifions raifonnées
o u , fi l’on v eu t, capricieufes de l’ufage. Vôyyi Onoma
to p é e .
Enfin il y a , finon dans toutes les languesyAu-n\o\ns.
dans la plûpart,une certaine quantité de m°£$ entés
fur les mêmes racines , 8c deftinés ou à la même'‘lignification
, ou à des lignifications analogues, quoique
ces racines n’ayent aucun fondement du-moins
apparent dans la nature. Ces mots Ont paffé d’une
langue dans tïne autre, d’abord comme d’une langue
primitive dans l’un de fes dialeCtes, qui par’là" lue*
ceffion des tems les a tranfmis à d?autres idiomes qui
en étoient iffus ; ou bien cette tranfmiffion s’eft faite
par un fimple emprunt, tel que nous en voyons une
infinité d’exemples dans ûoS ldrigues modernes ; r 8c
cette tranfmiffion univerfellëfuppofe en ce casque
les objets nommés font d’une néceffité générale :1e