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-nienneSj'ïl n'y avoit gueres moyen de garder le célibat
auprès d’elles, & leurs attraits fuffifoient pour
faire defirer le mariage. ,
Ajoutez qu’il étoit interdit à ceux que la lachete
avoit fait fauver d’une bataille. Et quel eft le Spartiate
qui eut ofé s’expofer à cette double ignominie
!
Enfin, à moins que de fe marier, tous les autres
remedes contre l’amour pour des femmes honnêtes,
étoient à Sparte ou dangereux ou rares. Quiconque
y violoit une fille, étoit puni de mort. A 1 égard de
l’adultere, il ne faut que fe fouvenir du bon mot de
Géradas. Un étranger demandoit à ce Lacédémonien
, comment on puniffoit cette aÛion à Sparte :
Elle y eft inconnue, dit Géradas. Mais. fuppofons
l’événement, répondit l’étranger ; en ce cas, répliqua
le Spartiate, il faudroit que le coupable payât un
taureau d’une fi grande taille , qu’il put boire de la
pointe du mont Taygete dans la riviere d Eurotas.
Mais,. reprit l’étranger, vous ne fongez donc pa s,
qu’il eft impoffible de former un fi grand taureau.
Géradas fouriant ; mais vous ne fongez donc pas
vo u s , qu’il eft impoffible d’avoir une galanterie cri-,
minelle avec une femme de Lacédémone.
N’imaginons pas que les anciens auteurs fe con-
tredifent, quand ils nous affurent qu’on ne voyoit
point d’adultere à Sparte, 8c que cependant un mari
cédoit quelquefois fon lit nuptial à un homme de
bonne mine pour avoir des enfans robuftes 8c bien-
faits ; les Spartiates n’appelloientpoint cette ceffion
un adultéré. Ils croyoient que dans le partage d’un bien
fi précieux, le confentement ou la répugnance d’un
mari, fait ou détruit le crime, 8c qu’il en étoit de
cette a&ion comme d’un tréfor qu’un homme donne
quand il lui plaît, mais qu’il ne veut point qu’on lui
raviffe. Dans cette rencontre, la femme ne trahif-
foit pas fon époux ; & comme les perfonnes inté-
reffées, ne fentoient point d’offenfe à ce contrat,
elles n’y trouvoient point de honte. En un mot, un-
Lacédémonien ne demandoit point à fa femme des
.voluptés, il lui demandoit des enfans.
Que ces enfans dévoient être beaux 1 Et comment
n’auroient-ils point été tels, fi on confidere outre
leur origine, tous les foins qu’on y apportoit ? Lifez
feulement ce que le poète Oppian en a publié. Les
Spartiates, dit-il, fe perfuadant que dans le tems de
la conception , l’imagination d’une mere contribue
auxbeautés de l’enfant, quand elle fe repréfente des
objets agréables, étaloient auxyeux de leurs époufes,
les portraits des héros les mieux faits, ceux de Caf-
tor 8c de Pollux, du charmant Hyacinthe, d’Apollon,
de Bacchus, de Narciffe, & de l’incomparable
Nerée,. roi d eNaxe, qui au rapport d’Homere , fut
le plus beau des Grecs qui combattirent devant
Troye.
Envifagez enfuite combien des enfans nés de
peres 8c meres robuftes, chaftes 8c tempérans, dévoient
devenir à leur tour forts 8c vigoureux ! Telles
étoient les infthutions de Lycurgue, qu’elles ten-
doient toutes à produire cet effet. Philopoemen voulut
contraindre les Lacédémoniennes d’abandonner
la nourriture de leurs enfans, perfuadé que fans ce
moyen ils auroient toujours une ame grande & le
coeur haut. Les gardes même des dames de Sparte
nouvellement accouchées, étoient renommées dans
toute laGrecepour exceller dans les premiers foins
de la v ie , & pour avoir une maniéré d’emmaillotter
les enfans, propre à leur rendre la taille plus libre
& plus dégagée que par-tout ailleurs. Amida vint de
Lacédémone à Athènes pour alaiter Alcibiade.
Malgré toutes les apparences de la vigueur des
enfans, les Spartiates les éprouvoient encore à leur
naiffance, en les lavant dans du vin. Cette liqueur,
felQn leur opinion, ayoit la vertu d’augmenter la
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force de la bonne conftitution, ou d’accabler la’
langueur de la mauvaife. Je me rappelle qu’Henri
IV. fut traité comme un fpartiate. Son pere Antoine
de Bourbon, après l’avoir reçu des bras de la fa-:
ge-femme, lui fit fucer une gouffe d’a il, 8c lui mit
du vin dans la bouche.
Les enfans qui fortoient heureufement de cette
épreuve , ( 8c l’on en voyoit peu, fans doute, qui
y fuccombafl'ent ) avoient une portion des terres de
la république, affignée pour leur fubfiftance, 8C
jouiffoient du droit de bourgeoifie. Les infirmes
étoient expofés à l’abandon, parce que félon l’efprit
des lois de Lycurgue, un lacédémonien ne naiffoit
ni pour foi-même, ni pour fes parens, mais pour la
république, dont il falloit que l’intérêt fût toujours.
préféré aux devoirs du fang. Athénée nous affure
que de dix en dix jours, les enfans paffoient en revue
tous nuds devant les éphores,. pour examiner-
fi leur fanté pouvoit rendre à la république le fervi-
ce qu’elle en attendoit.
Lacédémone ayant, avec une poignée de fujets, à
foutenir le poids des armées de l’Afie, ne devoit fa
confervation qu’aux grands hommes qui naiffoient
dans fon fein pour la défendre ; auffi toujours occupée
du foin d’en former, c’étoit fur. les enfans que
le portoitla principale attention du gouvernement..
Il n’eft donc pas étrange que lorfqu’Antipater vint à
demander cinquante enfans pour otages, ils lui répondirent
bien différemment de ce que nous ferions,
aujourd’hui, qu’ils aimeroient mieux lui donner le
double d’hommes faits , tant ils eftimoient la perte.
de l’éducation publique !
Chaque enfant de Sparte avoit pour ami particulier
un autre lacédémonien , qui s’attachoit intimement
à lui. C ’étoit un commerce d’efprit & de
moeurs, d’oii l’ombre même du crime étoit bannie ;
ou comme dit le divin P laton, c’étoit une émulation
de vertu entre l’amant & la perfonne aimée. L ’amant
devoit avoir un foin continuel d’infpirer des fenti-
mens de gloire à l ’objet de fon affeâion. Xénophon
comparoit l’ardeur 8c la modeftie-de cet amour mutuel
aux enchaînemens du coeur qui font entre le '
pere 8c fes enfans.
Malheur à l’amant qui n’eût pas donné un bon
exemple à fon éleve , Sc'qui ne l’eût pas corrigé de
fes fautes ! Si l’enfant vient à faillir, dit Elien, on
le pardonne à la foibleffe de l’âg e, mais la peine
tombe fur fon tuteur, qui eft obligé d’être le garant^
des fautes du pupille qu’il chérit. Plutarque rapporte
que dans les combats à outrance que les enfans fai—
foient dans le Platonifte, il y en eut un qui ïaiffa
échapper une plainte indigne d’un lacédémonien ,
fon amant fut auffitôt condamné en l’amende. Un
autre auteur ajoute, que fi quelqu’amant venoit à
concevoir, comme dans d’autres villes de G re ce ,
des defirs criminels pour l’objet de fes affeûions, il
ne pouvoit fe fauver d’une mort infâme que par une
fuite honteufe. N’écoutons donc point ce qu’Héfy-
chius 8c Suidas ont ofé dire contre la nature de cet
amour ; le verbe laconlfein doit être expliqué des
habits & des moeurs de Lacédémone, & c’eft ainfi
qu’Athénée 8c Démofthene l’ont entendu.
En un mot, on.regardoit l’éducation de Sparte-
comme fi pure & fi parfaite, que c’étoit une'grâce de
permettre aux enfans de quelques grands hommes
étrangers, d’être mis fous la difcipline lacedémo-
nienne. Deux célébrés athéniens , Xénophon 8c
Phocion, profitèrent de cette faveur.
De plus, chaque vieillard, chaque pere de famille
avoit droit de châtier les enfans d’autrui comme les
liens propres; 8c s’il le négligeoit, on luiimputoit
la faute commife par l’enfant. Cette loi de Lyenrgue
tenoit les peres dans une vigilance continuelle , 8c
rappelloit fans celle aux enfans qu’ils appartenoient
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à la république. Auffi. fe foum.ettoient-ils de lëur
propre mouvement à la cenfure de tous les, vieillards
; jamais ils ne rencontroient un homme d’âge,
qu’ils ne s’arrêtaffent par refpeél jufqu’à ce qu’il tût
pafie ; & quand ils étoient affis, ils felevoient furie
champ à fon abord.. C’eft ce quifaifoit dire aux autres,
peuples de la G rèce, que fi la derniere faifon de la
vie avoit quelque choie de flatteur, ce n’étoit qu’à
Lacédémone.
Dans cette république l’oifiveté des jeunes gens
étoit mife au rang des fautes capitales, tandis,qu’on.
la regardoit comme une marque d’honneur dans les
hommes faits ; car elle fervoit à difeerner les maîtres
des efclaves : mais avant que de goûter les douceurs
du repos.,, il falloit s’etre continuellement
exercé dans la jeuneffe à la lutte, à la edurfe;, au-
faut, aux combats, aux évolutions militaires, à la
chaffe, à la danfe, & même aux petits brigandages.
On impofoit quelquefois à un enfant un châtiment
bien fingulier : on mordoit le doigt à celui qui avoit
failli : Héfychius vous dira les noms différens qu’on
donnoit aux jeunes gens, félon l’ordre de l’âge & des
exercices, je n’ofe entrer dans ce genre de details.
Les peres, en certains jours de fêtes, faifoient
enivrer leurs efclaves, 8c les produifoient dans cet
état méprifable devant la jeuneffe de Lacédémone,
afin de la préferver de. la débauche du v in , 8c lui
enfeigner la vertu par les défauts qui lui font oppo-
fés; comme qui voudrait faire admirer les beautés
de la nature , en montrant les horreurs de la nuit.
Le larcin étoit permis aux enfans de Lacédémone,
pour leur donner de l’adreffe, de la rufe 8c de l’activité
, 8c e’étoit le même ufage chez les Crétois*
Lycurgue, dit Montagne, confidéra au larcin, la
viv a cité, diligence , hardieffe, enfemble l’Utilité
qui revient au public, que chacun regarde plus cu-
rieufement à la confervation de ce qui eft fien; 8c
le légiflateur eftima que de cette double inftitution à
affaillir 8c à défendre, il s’en tireroit du fruit pour
la fcience militaire de plus grande confidération que
n’étoit le defordre 8c l’injuftice de femblables vols ,
qui d’ailleurs ne pouvoient confifter qu’en quelques
volailles ou légumes ; cependant ceux qui étoient
pris fur le fait, étoient châtiés pour leur mal-adreffe.
Ils craignoient tellement la honte d’être découverts
, qu’un d’eux ayant volé un petit renard, le
cacha fous fa robe, & fouffrit, fans jetter un feul
cri, qu’il lui déchirât le ventre avec les dents jufqu’à
ce qu’il tomba mort fur la place. Ce fait ne doit pas
paroître incroyable, dit Plutarque, à ceux qui fa-
vent ce que les enfans de la même ville font encore.
Nous en avons v u , continue cet hiftorien, expirer
fous les verges, fur l’autel de Diane Orthia, fans
dire une feule parole.
Cicéron avoit auffi été témoin du fpeâacle de ces
enfans, qui pour prouver leur patience dans la douleur,
fouffroient, à l’âge de fept ans, d’être fouettés
jufqu’au fang, fans altérer leur vifage. La coutume
ne l’auroit pas chez nous emporté fur la nature ; car
notre jugement empoifonné parles délices, la mol-
leffe, l’oifiveté, la lâcheté, la pareffe, nous l’avons
perverti par d’honteufes habitudes. Ce n’eft pas moi
qui parle ainfi de ma nation , on pourroit s’y tromper
à cette peinture, c’eft Cicéron lui-même qui
porte ce témoignage des Romains de fon fiecle ; 8c
pour que perfonne n’en doute, voici fes propres
termes : nos umbris ‘delitùs, otio, languore , dejîdiâ ,
animum infteimus , maloque mort delinitum, mollivi-
mus. Tufc. quæft. liv. y. cap. xxvij.
Telle étoit encore l’éducation des enfans de Sparte
, qu’elle les rendoit propres aux travaux les plus
rudes. On formoit leur corps aux rigueurs de toutes
les faifoos ;.on les plongeoit dans l’eau froide pour
les endurcir aux fatigues de la guerre, 8c on les fai-
Tome IX .
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fort coucher fur des rofeaux qu’ils étoient obligés
d’aller arracher dans l’Eurotas, fans autre infiniment
que leurs feules mains.-
On reprocha publiquement.à un jeune fpartiate
de s’être arrêté pendant l’orage fous le couvert d’une
maifon, comme auroitfait un efclave. Il étoit honteux
à la jeuneffe d’être vue fous le couvert d’uti
autre toît que celui du c iel, quelque tems qu’il fît.
Après ce la, nous étonnerons*nous que de tels enfans
devinffént des hommes fi forts, fi vigoureux 8c
fi courageux }
Lacédémone : pendant environ fept fiecles n’eut
point d’autres murailles que lés boucliers de fes fol-
dats , c’étoit encore une inftitution de Lycurgu.é:
» Nous honorons la valeur, mais bien moins qu’on
» ne faifoit à Sparte ; auffi n’éprouvons-nous pas à
» l’afpeûd’une ville fortifiée, le fentimentde mépris
» dont étoient affeûés les Lacédémoniens. Quelques-
» uns d’eux paffant fous les murs de Corinthe;quelles
» femmes, demandèrent - ils , habitent cette ville >
» Ce font, leur répondit-on, des Corinthiens : Ne
» favent-ils pa s, reprirent-ils, ces hommes vils 8c
» lâchés , que les feuls remparts impénétrables à
» l’ennemi, font des citoyens déterminés à la mort»?
Philippe ayant écrit aux Spartiates, qu’ il empêche*
roit leurs entreprifes : Quoi ! nous empêcherois-tu
de mourir, lui répondirent-ils ? L ’hiftoire de Lacédémone
eft pleine de pareils traits ; elle eft tout miracle
en ce genre.
Je fçais, comme d’autres, le prétendu bon mot
dufybarite, que Plutarque nous a confervé dans
Pélopidas. On lui vantoit l’intrépidité des Lacédémoniens
à affronter la mort dans les périls de la
guerre. Dequoi s’étonne-t-on, répondit cet homme
voluptueux, de les voir chercher dans les combats
une mort qui les délivre d’une vie miférable. Le fy-
barite fe trompoit; un fpartiate ne menoit point une
trifte v i e , une vie miférablè ; il croyoit feulement
que le bonheur ne confifte ni à vivre ni à mourir,
mais à faire l’un 8c l’autre avec gloire 8c avec gaieté.:
» Il n’étoit pas moins doux à un lacédémonien de
» vivre à l’ombre des bonnes lois, qu’aux Sybarites
» à l’ombre de leurs bocages. Que dis-je l Dans
» Suze même, au milieu de la molleffe, le fpartiate
» ennuyé foupiroit après fes groffiers feftins, feuls
» convenables à fon tempérament ». Il foupiroit après
l’inftruétion publique des falles qui nourriffoit fon
efprit ; après les fatiguans exercices qui confervoient
fa fanté ; après fa femme, dont les faveurs étoient
toujours des plaifirs nouveaux ; enfin après des jeux
dont ils fe délaffoient à ja guerre.
Au moment que les Spartiates entroient en campagne
, leur vie étoit moins pénible, leur nourriture
plus délicate, 8c ce qui les touchoit davantage, c’étoit
le moment de faire briller leur gloire 8c leur valeur.
On leur permettoit à l’armée, d’embellir leurs
habits 8c leurs armes, de parfumer 8c de treffer leurs
longs cheveux. Le jour d’ une bataille, ils couron-
noient leurs chapeaux de fleurs. Dès qu’ils étoient
en préfence de l ’ennemi, leur roi fe mettoit à leur
tête, commandoit aux joueurs de flûte de jouer l’air
de Caftor, 8c entonnoit lui-même l’hymne pour lignai
de la charge. C’étoit un fpettacle admirable 8c
terrible de les voir s’avancer à l’ennemi au fon des
flûtes, 8c affronter avec intrépidité, fans jamais rompre
leurs rangs, toutes les horreurs du trépas. Liés
par l’amour de la patrie, ils périffoient tous enfemble
, ou revenoient vi&orieux. 4
Quelques Chalcidiens arrivant à Lacédémone, a llèrent
voir Argiléonide, mere de Brafidas, qui venoit
d’être tué en les défendant contre les Athéniens.
Argiléonide leur demanda d’abord les larmes aux
y e u x , fi fon-fils
i etoit mort en homme de coeur, oc
s’il étoit digne
de fon pays. Ces étrangers plein»