& ils l’approprièrent toute à cet ufage. Cet héritage
ne demeura pas en friche entre les mains de ces
fcholaftiques, qui enchérirent fur le ridicule de leurs
anciens prédéceffeurs. Univerfaux, catégories, 6c
autres doOes bagatelles firent l’effence de la logique
6c l’objet de toutes les méditations 6c de toutes les
dilputes. Voilà l’état de la logique depuis fon origine
jufqu’au fiecle pafle, 6c voilà ce qui l’a voit fait tomber
dans un décri dont bien des gens ont encore de
la peine à revenir. Et véritablement il faut avouer
que la maniéré dont on traite encore aujourd’hui la
logique dans les écoles, ne contribue pas peu à fortifier
le mépris que beaucoup de perfonnes ont toû-
jours pour cette fcience.
En effet, foit que ce foit un vieux refpeft qui
parle encore pour les anciens , ou quelque autre
chimere de cette façon, ce qu’il y a de certain,
c’eft qive les pointilieries de l’ancienne école régnent
toujours dans les nôtres, & qu’on y traite la Philofophie
comme fi l’on prenoit à tâche de la rendre
ridicule, & d’en dégoûter fans reffource. Qu’on
ouvre les cahiers qui fe diûent dans les univerfités,
n’y trouverons - nous pas toutes ces impertinentes
queftions ?
Savoir fi là Philofophie, prife d’une façon collect
iv e , ou d’une façon diftributive, loge dans l’entendement
ou dans la volonté.
Savoir fi l’être eft univoque à l’égard de la fub-
ftance 6c de l’accident.
Savoir fi Adam a eu la philofophie habituelle.
Savoir fi la logique enfeignante fpéciale eft diftin-
guée de la logique pratique habituelle.
Savoir fi les degres métaphyfiques dans l’individu
font diftingués réellement, ou s’ils ne le font que
virtuellement & d’une raifon raifonnée.
Si la relation du pere à fon fils fe termine à ce
fils confidéré abfolument, ou à ce fils confidéré
relativement.
Si l’on peut prouver qu’il y ait autour de nous
des corps réellement exiftans.
Si la matière fécondé, ou l’élément fenfible, eft
dans un état mixte.
Si dans la corruption du mixte il y a réfolution
jufqu’à la matière première.
Si toute vertu fe trouve caufalement ou formellement
placée dans le milieu, entre un aOe mauvais
par excès, & un a£le mauvais par défaut.
Si le nombre des vices eft parallèle ou double
de celui des vertus.
Si la fin meut félon fon être ré e l, ou félon fon
être intentionnel.
Si fyngatégoriquement parlant le concret & l’ab-
ftrait f e . . . Je voiis fais grâce d’une infinité d’autres
queftions qui ne font pas moins ridicules, fur lef-
quelles on exerce l’efprit des jeunes gens. On veut
les juftifier, en difant que l’exercice en eft très-
utile, & qu’il fubtilife l’efprit. Je le veux; mais fi
toutes ces queftions, qui font fi fort éloignées de
nos befoins, donnent quelque pénétration 6c quelque
étendue à l’efprit qui les cultive, ce n’eft point
du tout parce qu’on lui donne des réglés de raifon-
nement, mais uniquement parce qu’on lui procure
de l’exercice : & exercice pour exercice, la vie
étant fi courte , ne vaudrait - il pas mieux exercer
tout d’abord l’efprit, la précifion 6c tous les talens
fur des queftions de fervice, 6c fur des matières
d’expérience? Il n’eft perfonne qui ne fente que ces
matières conviennent à tous les états; que les jeu*
nés efprits les faifiront avec feu, par-ee qu’elles font
intelligibles ; 6c qu’il fera trop tard de les vouloir
apprendre quand on fera tout occupé des befoins
plus preffans de l’état particulier qu’on aura em-
braffé.
On ne peut pardonner à l’école fon jargon inintelligible,
& tout cet amas de queftions frivoles 6c
puériles , dont elle amufe fes élèves , fur-tout depuis
que des hommes heureufement infpirés, & fécondés
d’un génie v if 6c pénétrant, ont travaillé à
la perfectionner, à l’épurer & à lui faire parler un
langage plus vrai 6c plus intéreffant.
Delcartes, le vrai reftaurateur du raifonnement,'
eft le premier qui a amené une nouvelle méthode
de raifonner , beaucoup plus eftimable que fa Philofophie
même, dont une bonne partie fe trouve
faune ou fort incertaine, félon les propres règles
qu’il nous a apprifes. C ’eft à lui qu’on eft redevable
de cette précifion & de cette jufteffe, qui re<me non-
feulement dans nos bons ouvrages de phyfique & de
métaphyfique , mais dans ceux de religion , de morale
, de critique. En général les principes & la méthode
de Defcartes ont été d’une grande utilité, par
l ’analyfe qu’ils nous ont accoûtumés de faire plus
exactement des mots 6c des idées, afin d’entrer plus
furement dans la route de la vérité.
La méthode de Defcartes a donné naiffance à la
logique, dite l'art de penfer. Cet ouvrage conferve
toujours fa réputation. Le tems qui détruit tout ne
fait qu’affermir de plus en plus l’eftime qu’on en fait.
Il eft eftimable fur-tout parle foin qu’on a pris de le
dégager de plufieurs queftions frivoles. Les matières
qui avoient de l’utilité parmi les Logiciens au tems
qu’elle fut faite, y font traitées dans un langage
plus intelligible qu’elles ne l’avoient été ailleurs en
françois. Elles y font expofées plus utilement, par
l’application qu’on y fait des réglés, à diverfes chofes
dont l’occafion fe préfente fréquemment, foit dans
l’ufage des fciences , ou dans le commerce de la vie
civile : au lieu que les logiques ordinaires ne fai-
foient prefque nulle application des réglés à des
ufages qui intéreffent le commun des honnêtes gens.
Beaucoup d’exemples qu’on y apporte font bien
choifis ; ce qui fert à exciter l ’attention de l’efprit,
& à conferver le fouvenir des réglés. On y a mis en
oeuvre beaucoup de penfées de Defcartes , en faveur
de ceux qui ne les auroient pas aifément ramaf-
fées dans ce philofophe.
Depuis l'art de penfer , il a paru quantité d’excel-
lens ouvrages dans ce genre. Les deux ouvrages fi
diftingués, deM. Locke fur l'entendement humain, 6c
de D. Malebranche fur la recherche de la vérité y renferment
bien des chofes qui tendent à perfectionner
la logique.
M. Locke eft le premier qui ait entrepris de démêler
les opérations de l’efprit humain , immédiatement
d’après la nature, fans fe laiffer conduire à des
opinions appuyées plutôt fur des fyftèmes que fur
des réalités ; en quoi fa Philofophie femble être par
rapport à celles de Defcartes & de Malebranche,
ce qu’eft l’hiftoire par rapport aux romans. Il examine
chaque fujet par les idées les plus fimples,
pour en tirer peu à peu des vérités intéreffantes. Il
fait fentir la fauffeté de divers principes de Defcartes
par une analyfe des idées qui avoient fait prendre le
change. Il diftingue ingénieufement l’idée de l'efprit
d’avec l’idée du jugement : l’efprit affemble promptement
des idées qui ont quelque rapport, pour en
faire des peintures qui plaifent; le jugement trouve
jufqu’à la moindre différence entre des idées qui ont
d’ailleurs la plus grande reflemblance ; on peut avoir
beaucoup d’efprit 6c peu de jugement. Au fujet des
idées fimples, M. Locke obferve judicieufement que
fur ce point, les hommes different peu de fentiment ;
mais qu’ils different dans les mots auxquels chacun
demeure attaché. On peut dire en général de cet
auteur, qu’il montre une inclination pour la vérité,
qui fait aimer la route qu’il prend pour y parvenir.
Pour le pere Malebranche, fa réputation a été fi
éclatante dans le monde philofophique, qu’il paroît
inutile de marquer en quoi il a été le plus diftingué
parmi les Philofophcs. Il n’a été d’abord qu’un pur
cartéfien ; mais il a donné un jour fi brillant à la
dodrine de D efcartes, que le difciple l’a plus répandue
par la vivacité de fon imagination & par le
charme de fes expreflions, que le maître n’avoit fait
par la fuite de fes raifonnemens & par l’ invention
de fes divers fyftèmes.
Le grand talent du pere Malebranche eft de tirer
d’une opinion tout ce qu’on peut en imaginer d’im-
pofant pour les conféquences, 6c d’en montrer tellement
les principes de profil, que du côté qu’il les
laifle v o ir , il eft impoflïble de ne s’y pas rendre.
Ceux qui ne fuivent pas aveuglement ce philofophe
, prétendent qu’il ne faut que l’arrêter au premier
pas ; que c’eft la meilleure & la plus courte
maniéré de le réfuter, & de voir clairement ce qu’on
doit penfer de fes principes. Ils les réduifent particulièrement
à cinq ou fix , à quoi il faut faire attention
; car fi on les lui pafle une fois, on fera obligé
de faire avec lui plus de chemin qu’on n’auroit
voulu. Il montre dans tout leur jo u r , les difficultés
de l ’opinion qu’il réfute ; & à l ’aide du mépris qu’il
en infpire, il propofe la fienne par l ’endroit le plus
plaufible ; puis, fans d’autre façon, il la fuppofe
comme inconteftable, fans avoir ou fans faire fem-
blant de voir ce qu’on y peut 6c ce qu’on y doit op-
pofer.
Outre ces ouvrages , nous avons bon nombre de
logiques en forme. Les plus confidérables font celle
de M. Leclerc. Cette logique a une grande prérogative
fur plufieurs autres ; c’eft que renfermant autant
de chofes utiles, elle eft beaucoup plus courte. L ’auteur
y fait appercevoir l’inutilité d’un grand nombre
de réglés ordinaires de logique ; il ne laifle pas
de les rapporter 6c de les expliquer aflez nettement.
Ayant formé fon plan d’après le livre de M . Locke ,
de intelleclu humano, à qui il avoue , en lui dédiant
fon ouvrage , qu’il n’a fait qu’un abrégé du fien ; il
a parlé de la nature & de la formation des idées
d’une maniéré plus jufte 6c plus plaufible que l’on
n’avoit fait dans les logiques précédentes. Il a choifi
ce qui fe rencontre de meilleur dans la logique dite
Fart de penfer. Il tire des exemples de fujets inté-
reflans. Empruntant des ouvrages que je viens de
nommer, ce qui eft de meilleur dans le fien, il ne
dit rien qui ferve à découvrir les méprifes qui y font
échappées. Il feroit à fouhaiter qu’il n’eût pas fuivi
M. Locke dans fes obfcurités, 6c dans des réflexions
aufli écartées du fentiment commun, que des principes
de la morale.
Le deflein que fe propofe M. Crouzas dans fon
liv r e , eft confidérable. Il y prétend raflembler les
principes , les maximes , les obfervations qui peuvent
contribuer à donner à l’efprit plus d’étendue,
de force , de facilité, pour comprendre la vérité , la
découvrir, la communiquer, &c. Ce deflein un peu
vafte pour une fimple logique, traite ainfi des fujets
les plus importans de la Métaphyfique. L’auteur a
voulu recueillir fur les diverfes opérations de l’efprit
, les opinions des divers philofophes de ce tems.
Il n’y a guère que le livre de M. L o ck e , auquel M.
Crouzas n’ait pas fait une attention qui en auroit
valu la peine. Il y a un grand nombre d’endroits qui
donnent entrée à des réflexions fubtiles 6c judi-
cieufes. Plufieurs réflexions n’y font pas aflez développées
, les fujets ne paroiffent ni fi amenés par ce
qui précédé , ni aflez loutenus par ce qui fuit. L’élocution
quelquefois négligée diminue de l’extrême
clarté que demandent des matières abftraites. Cet
ouvrage a pris diverfes formes & divers accroiffe-
mens fous la main de l’auteur. Tous les éloges de
M. de Fontanelle, qui y font fondus, ne contribuent
pas peu à l’embellir & à y jetter de la variété. L’édltion
de 17 1 1 , deux vol. in -n . eft la meilleure
pour les étudians, parce que c’eft la plus dégagée ,
6c que les autres font comme noyées dans les orne*
mens.
Tels font les jugemens que le pere Buffier a portés
de toutes ces différentes logiques. Ses principes du
raifonnement font une excellente logique. Il a fur-
tout parfaitement bien démêlé la vérité logique d’avec
celle qui eft propre aux autres fciences. Il y a
du neuf & de l’original dans tous les écrits de ce
pere, qui a embrafle une efpece d’encyclopédie,
que comprend l’ouvrage in-folio intitulé cours des
fciences. L’agrément du ftyle rend amufant ce liv re ,
quoiqu’il contienne véritablement l’exercice des
fciences les plus épineufes. Il a trouvé le moyen de
changer leurs épines en fleurs, & ce qu’elles ont de
fatiguant en ce qui peut divertir l’imagination. On
ne peut rien ajoûter à la précifion & à l ’enchaînement
des raifonnemens 6c des objeOions , dont il
remplit chacun des fujets qu’il traite. La maniéré facile
& peut-être égayée dont il expofe les chofes,
répand beaucoup de clarté fur les matières les plus
abftraites.
M. "Wolff a ramené les principes & les réglés de
la logique à la démonftration. Nous n’avons rien de
plus exaft fur cette fcience que la grande logique latine
de ce philofophe , dont voici le titre : philofo-
phia rationalis, five logica methodo feientified périrac-
tata y & ad ufum feientiarum atque vitee aptata. Près-
mittitur difeurfusproeliminaris de philofophia in généré.
Il a paru depuis peu un livre intitulé, effai fur l'origine
des connoiffances humaines. M. l’abbé de Con-
dillac en eft l’auteur. C ’eft le fyftème de M. Locke,
mais extrêmement perfectionné. On ne peut lui reprocher
, comme à M. Le clerc, d’être un copifte
fervile de l’auteur anglois. La précifion françoife a
retranché toutes les longueurs, les répétitions 6c le
defordre qui régnent dans l’ouvrage anglois , 6c là
clarté, compagne ordinaire de la précifion, a répandu
une lumière-vive & éclatante fur les tours obf-
curs & embarraffés de l’original. L ’auteur fe propofe,
à l’imitation de M. Locke, l’étude de l’efprit humain
, non pour en découvrir la nature, mais pour
en connoître les opérations. II obferve avec quel art
elles fe combinent, & comment nous devons les
conduire, afin d’acquérir toute l’intelligence dont
nous fommes capables. Remontant à l’origine des
idées, il en développe la génération, les luit jusqu’aux
limites que la nature leur a preferites , & fixe
par-là l’étendue 6c les bornes de nos connoiffances.
La liaifon des idées, foit avec les lignes, foit entre
elles, eft la bafe & le fondement de fon fyftème. A
la faveur de ce principe fi fimple en lui-même 6c fi
fécond en même tems dans fes conféquences , il
montre quelle eft la fource de nos connoiffances,
quels en font les matériaux, comment ils font mis
en oe uvre, quels inftrumens on y emploie, & quelle
eft la maniéré dont il faut s’en Servir. Ce principe
n’eft ni une propofition vague, ni une maxime abf-
traite , ni une fuppofition gratuite ; mais une expérience
confiante , dont toutes les conféquences font
confirmées par de nouvelles expériences. Pour exécuter
fon deflein , il prend les chofes d’aufli haut
qu’il lui eft poflible. D ’un cô té , il remonte à la perception
, parce que c’eft la première opération qu’on
peut remarquer dans famé ; & il fait voir comment
6c dans quel ordre, elle produit toutes celles dont
nous pouvous acquérir l ’exercice. D ’un autre côté,
il commence au langage d’aCtion. Il explique comment
il a produit tous les arts qui font propres à exprimer
nos penfées ; l’art des geftes , la danfe , la
parole, la déclamation, l’art de la noter, celui des
pantomimes, la mufique, la poéfie , l’éloquence,
l'écriture, & lés differens tara Ocres des langues.
M M m m ij