diftin&e du cor.p s , & q u’on fuppoferoit que la penfée
&: la volonté ne font que-des qualités de la nia-
tjer.e ; c.ela même ne prouveroit pas quela lib&rtéàe
la volonté fut une chofe impoflible.
Je dis, 1 °. que .tout effet ne .peut pas être .produit
par des caufes externes, mais qu’il faut de toute
néceffité reconnoitre .un commencement d’a&ion,
c’e ft-à -d ire , un pouvoir d’agir indépendamment
d’aucune aCtion antécédente, .& que ce pouvoir eft.
actuellement dans l’homme. Cela a déjà été prouvé
dans Varticle dit C oncours.
Je dis en fécond lieu, que la penfée &c la volonté
n’étant point des qualités de la matière,elles ne peuvent
pas par conféquent être foumifes à feslois ; car
tout ce qui eft fait ou eompofé d’une chofe, il eft
toujours cette même chofe dont il eft eompofé. Par
exemple, tous les changemens, toutes les compofi-
tions, toutes les divilions poffibles de la figure ne
font autre chofe que figure ; & toutes les compofi-
tions , tous les effets poffibles du mouvement ne feront
jamais autre chofe que mouvement. Si donc il
y a eu un tems où il n’y ait eu dans l’univers autre
chofe que matière & que mouvement, il faudra dire
qu’il eft impoflible que jamais il y ait pu avoir dans
l’univers autre chofe que matière & que mouvement.
Dans cette fuppofition, il eft aufli impoflible que
l’intelligence, laréfléxion & toutes les cliverfes fen-
fations ayent jamais commencé à exifter; qu’il eft
maintenant impoflible que le mouvement foit bleu
ou rouge, & que le triangle foit transformé en un
fon. Voye[ Varticle de /’Am e , où cela a été prouvé
plus au long.
Mais quand même j’accorderois à Spinofa & à
Hobbes que la penfée & la volonté peuvent être &
font en effet des qualités de la matière , tout cela ne
décideroit point en leur faveur la queftion préfente
fur la liberté, & ne prouveroit pas qu’une volonté
libre fut une chofe impoflible ; c a r , puifque nous
avons déjà démontré que la penfée &c la volonté ne
peuvent pas être des productions de la figure & du
mouvement, il eft clair que tout homme qui fuppofe
que la penfée & la volonté font des qualités de la
matière, doit-fuppofer aufli que la matière eft capable
de certaines propriétés entièrement différentes
de la figure & du mouvement. Or fi la matière eft
capable de telles propriétés, comment prouvera-t-on
que les effets de la figure & du mouvement, étant
tous néceffaires, les effets des autres propriétés de
la matière entièrement diftinCtes de celles-là, doivent
être pareillement néceffaires ? Il paroit par là
que l’argument dont Hobbes & fes fe&ateurs font
leur grand bouclier, n’eft qu’un pur fophifme ; car
ils fuppofent d’un côté que la matière eft capable
de penfée & de volonté, d’où ils concluent que
l’ame n’eft qu’une pure matière. Sachant d’un autre
côté que les effets de la figure & du mouvement
doivent tous être néceffaires, ils en concluent que
toutes les opérations de l’ame font néceffaires ; c’eft-
à-dire j que lorfqu’il s’agit de prouver que l’ame
n’eft que pure matière, ils fuppofent la matière capable
non feulement de figure & de mouvement,
mais aufli d’autres propriétés inconnues. Au contraire,
s’agit-il de prouver que la volonté & les autres
opérations de l’ame font des chofes néceffaires,
ils dépouillent la matière de ces prétendues propriétés
inconnues, & n’en font plus qu’un pur folide,
eompofé de figure & de mouvement.
Après avoir fatisfait à quelques objections qu’on
fait contre la liberté, attaquons à notre tour les par-
tifans de l’aveugle fatalité. La liberté brille dans tout
fon jour, foit qu’on la confidere dans l’efprit, foit
qu’on l’examine par rapport à l’empire qu’elle exerce
fur le corps. Et i°. quand je veux penfer à quelque
chofe, comme à la vertu que l’aimant a d’attirer
le fer ; n’eft-il pas certain que j’applique mon a me
à méditer cette queftion toutes les fois qu’il me
-plaît, & que je l’en détourne quand je veux ? Ce
feroit chicaner honteufement que de vouloir en-douter.
11 ne s’agit plus que d’en découvrir la caufé. On
-voit, t°. que l’objet n’eft pas devant mes yeux; je
n’ai ni fer ni aimant, -ce n’eft donc pas l ’objet qui
m’a déterminé à y penfer. Je fais bien que quand
mous avons vu une fois quelque chofe, il refte quelques
traces dans le cerveau qui facilitent la détermination
des efprits. Il peut arriver de-là que quelquefois
ces efprits coulent d’eux-mêmes dans ces
traces, fans que nous en fâchions la caufé ; ou même
un objet qui a quelque rapport avec celui qu’ils
repréfentent, peut les avoir excités & réveillés pour
agir, alors l’objet vient de lui-mêmefe préfenter à
notre imagination. De même »quand les efprits animaux
font émus par quelque forte paffion, l’objet fe
repréfente malgré nous ; & quoi que nous fa fiions,
il occupe notre penfée. Tout cela fe fait; on n’en
difeonvient pas. Mais il n’eft pas queftion de cela ;
car outre toutes ces raifons qui peuvent exciter en
mon efprit une telle penfée, je fens que j’ai le pouvoir
de la produire toutes les fois que je veux. Je
penfe à ce moment pourquoi l’aimant attire le fer.;
dans un moment, fi je veux, je n’y penferai plus, &C
j’occuperai mon efprit à méditer for le flux & le reflux
de la mer. De-là je pafferai, s’il me plaît, à rechercher
la caufe de la pefanteur ; enfuite je rappellerai
, fi je veux, la penfée de l’aimant, & je la con-
ferverai tant qu’il me plaira. On ne peut agir plus
librement. Non feulement j’ai ce pouvoir, mais je
fens & je fais que je l’ai. Puis donc que c’eft une vérité
d’expérience, de connoiffance & de fentiment,
on doit plutôt la confidérer comme un fait in.eon-
teftable que comme une queftion dont on doive disputer.
Il y a donc fans contredit, au-dedans de moi,
un principe, une caufe fupérieure qui régit mes
penlèes, qui les fait naître, qui les éloigne, qui les
rappelle en un inftant & à fon commandement; &
par conféquent il y a dans l’homme un efprit lihre,
qui agit for foi-même comme il lui plaît.
A l’égard des opérations du corps, le pouvoir
abfolu de la volonté n’eft pas moins fenfible. Je veux
mouvoir mon bras, je le remue auffi-tôt; je veux
parler, & je parle à l’inftant, &c. On eft intérieurement
convain’cu de toutes ces vérités, perfonne ne
les nie : rien au monde n’eft capable de les obfeur-
cir. On ne peut donner ni fe former une idée de la
liberté, quelque grande, quelque indépendante qu’elle
puiffe être , que je n’éprouve & ne reconnoiffe
en moi - même à cet égard. Il eft ridicule de dire
que je crois être libre, parce que je fois capable &
fofceptible de plufieurs déterminations oecafionnées
par divers mouvemens que je ne connois pas : car
je fais , je connois & je fens que les déterminations,
qui font que je parle, ou que je me tais, dépendent
de ma volonté; nous ne fommes donc- pas libres
feulement en ce-fens, que nous avons la eonnoiffan-
ce de nos mouvemens , & que nous ne fentons ni
force ni contrainte ; au contraire, nous fentons que
nous avons chez nous le maître de la machine qui
en conduit les refforts comme il'lui plaît. Malgré toutes
les raifons & toutes les déterminations qui me
portent & me pouffent à me promener, je fens &
je fuis perfuadéque ma volonté peut à fon gré arrêter
& fufpendre à chaque inftant l’effet de tous
ces refforts cachés qui me font agir. Si je n’agiffois
que par ces reffortscaehés, parles impreffions des
objets, il faudroit néceffairement que j’aecompliffe
tous les mouvemens qu’ils feroient capables de produire;
de même qu’une bille pouffée achevé fur la
table du billard tout le mouvement qu’elle a reçu.
On pourroit alléguer plufieurs ocçaûons dans la
vie humaine, où l’empire de cette liberté s’exerce
avec tant de pouvoir qu’elle dompte les corps, &
en réprime avec violence tous les mouvemens. Dans
l’exercice de la vertu, où il s’ agit de réfifter à une
forte paffion, tous les mouvemens du corps font déterminés
par la paffion ; mais la volonté s’y oppofe
& les reprime par la feule raifon du devoir. D ’un
autre cô té , quand on fait réfléxion fur tant de personnes
qui fe font privées de la v ie , fans y être
pouffées, ni par la folie, ni par la fureur, &c. mais
par la feule vanité de faire parler d’eux, ou pour
montrer la force de leur efprit, &c. il faut néceflài-
rement reconnoitre ce pouvoir de la liberté plus fort
que tous les mouvemens de la nature. Quel pouvoir
ne faut-il pas exercer fur ce corps pour contraindre
de fang-froid la main à prendre un poignard pour fe
l’enfoncer dans le coeur.
Un des plus beaux efprits de notre liecle a voulu
effayer jufqu’à quel point on pouvoit foutenir un
paradoxe. Son imagination libertine a ofé fe jouer
fur un fujet aufli reïpeCtable que celui de la Liberté.
Voici l’objeCtion dans toute fa force. Ce qui eft dépendant
d’une chofe, a certaines proportions avec
cette même chofe-là ; e’eft-à-dire, qu’il reçoit des
changemens, quand elle en reçoit félon la nature de
leur proportion. Ce qui eft indépendant d’une chof
e , n’a aucune proportion avec elle; enforte qu’il
riemeure éga l, quand elle reçoit des augmentations
& des dimenfions. Je fuppofe, continue-t-il, avec
tous les Métaphyflciens, i° . que l’ame penfe fuivant
que le cerveau eft difpofé, & qu’à de certaines dif-
pofitions matérielles du cerveau, & à de certains
mouvemens qui s’y fon t, répondent certaines penfées
de l’ame. z°. Que tous les objetsmêmefpirituels
auxquels on penfe, laiffent des difpofitions matérielles,
c’eft-à-dire des traces dans le cerveau. 30.
Je fuppofe encore un cerveau où foient en même
tems deux fortes de difpofitions matérielles contraires
&c d’égale force; les iines qui portent l ’ame à
penfer vertueufement fur un fujet, les autres qui la
portent à penfer vicieufement. Cette fuppofition ne
peut être refufée ; les difpofitions matérielles contraires
fe peuvent aifément rencontrer enfemble
dans le cerveau au même degré, & s’y rencontrent
même néceffairement toutes les fois que l’ame délibéré
, & ne fait quel parti prendre. Cela fuppofé,
je d is, ou l’ame fe peut abfolument déterminer dans
cet équilibre des difpofitions du cerveau à choifir
entre les penfées vertueufes & les penfées vicieufes,
ou elle ne peut abfolument fe déterminer dans cet
équilibre. Si elle peut fe déterminer, elle a en elle-
même le pouvoir de fe déterminer, puifque dans
fon cerveau tout ne tend qu’à l’indétermination, &
que pourtant elle fe détermine ; donc ce pouvoir
qu’elle a de fe déterminer eft indépendant des difpofitions
du cerveau ; donc il n’a nulle proportion
avec elles ; donc il demeure le même, quoiqu’elles
changent ; donc fi l’équilibre du cerveau fubfiftanr,
l’ame fe détermine à penfer vertueufement, elle
n’aura pas moins le pouvoir de s’y déterminer,
quand ce fera la difpofition matérielle à penfer vi-
eieufement qui l’emportera fur l’autre; donc à quelque
degré que puiffe monter cette difpofition matérielle
aux penfées vicieufes, l ’ame n’en aura pas
moins le pouvoir de fe déterminer au choix des penfées
vertueufes ; donc l’ame a en elle-même le pouvoir
de fe déterminer malgré toutes les difpofitions
contraires cju cerveau ; donc les penfées de l’ame
font toujours libres. Venons au fécond cas.
Si l’ame ne peut fe déterminer abfolument, cela
ne vient que de l’équilibre fuppofé dans le cerveau ;
& l’on conçoit qu’elle ne fe déterminera jamais, fi
l’une des difpofitions ne vient à l’emporter fur l’au-
tre , ôc qu’eil_c fe déterminera néceffairement pour
celle qui Pempôrtéra ; donc le pouvoir qu’elle a de
fe déterminer au choix des penfées vertueufes ou
vicieufes, eft abfolument dépendant des difpofuions
du cerveau ; donc , pour mieux dire, l’ame n’a eft
elle-meme aucun pouvoir de fe déterminer , & cô
font les difpofitions du cerveau qui la déterminent
au vice ou à la vertu; donc les penfées de I’ame
ne font jamais libres. Or, raffemblam les deux cas;
ou il fe trouve que les penfées de l’ame font toujours
libres, ou qu’elles ne le font jamais en quelque caâ
que ce puiffe être ; or il eft vrai & reconnu de tous
que les penfées des enfans, de ceux qui rêvent, da
ceux qui ont la fievre chaude, & des fous, ne font
jamais libres.
Il eft aifé de reconnaître le noeud de ce raifortiie-
ment. Il établit un principe uniforme dans l’ame;
enforte que le principe eft toujours ou indépendant
des difpofitions du cervau, ou toujours dépendant;
au lieu que dans l’opinion commune, on le fuppofe
quelquefois dépendant, & d’autres fois indépendant»
On dit que les penfées de ceux qui ont la fievre
chaude & des fous ne font pas libres, parce que les
difpofitions matérielles du cerveau font atténuées &
élevées à un tel degré, que l’ame ne leur peut réfifter
; au lieu que dans ceux qui font fains, les difpofitions
du cerveau font modérées, & n’entraînent paà
néceffairement l’ame. Mais, i°.dans ce fyftème le
principen’étant pas uniforme,il faut qu’on l’abandonne
; fi je puis expliquer tout par un qui le foit. z°. Si,
comme nous l’avons dit plus haut, un poids de cinq
livres pouvoit n’être pas emporté par un poids de fix,
il ne le feroit pas non plus par un poids de mille ; car
s’il réfiftoit à un poids de fix livres par un principe
indépendant de la pefanteur : ce principe, quel qu’il
fût, d’une nature toute différente de celle des poids,
n’auroit pas plus de proportion avec un poids de
mille livres , qu’avec un poids de fix.Ainfi, fi l’a-
me réfifte à une difpofition matérielle du cerveau
qui la porte à un choix v icieu x, & qui, quoique
modérée, eft pourtant plus forte que la difpofition
matérielle à la vertu, il faut que l’ame réfifte à cette
même difpofition matérielle du vice , quand elle
fera infiniment au - deffus de l’autre ; parce qu’elle
ne peut lui avoir réfifté d’abord que par un principe
indépendant des difpofitions du cerveau, & qui ne
doit pas changer par les difpofuions du cerveau.
30. Si l’ame pouvoit voir très-claifement, malgré
une difpofition de l’oeil qui devrait affoiblir la vue ,
on pourroit conclure qu’elle verroit encore malgré
une difpofition de l’oeil qui devroit empêcher entièrement
la vifion, en tant qu’elle eft matérielle. 40.
On convient que l’ame dépend abfolument des difpofitions
du cerveau fur ce qui regarde le plus ou
le moins d’efprit. Cependant, fi fur la vertu ou le
vice,les difpofitions du cerveau ne détetminentl’ame
que lorfqu’elles font extrêmes, & qu’elles lui laiffent
la liberté lorfqu’elles font modérées ; enforte qu’on
peut avoir beaucoup de vertu, malgré une difpofition
médiocre au vice : il devroit être aufli qu’on
peut avoir beaucoup d’efprit, malgré une difpofition
médiocre à la ftupidité, ce qu’on ne peut pas
admettre. Il eft vrai que le travail augmente l’efprit,
ou pour mieux dire, qu’il fortifie les difpofitions du
cerveau, & qu’ainfi l’efprit croît précifément autant
que le cerveau fe perfectionne.
En cinquième lieu, je fuppofe que toute la différence
qui eft entre un cerveau qui veille & un cerveau
qui dort, eft qu’un cerveau qui dort eft moins
rempli d’ efprits , & que les nerfs y font moins tendus
; de forte que les mouvemens ne fe communiquent
pas d’un nerf à l’autre, & que les efprits qui
rouvrent une trace n’en rouvrent pas une autre qui
lui eft liée. Cela fuppofé, fi l’ame eft en pouvoir
de réfifter aux difpofitions du cerveau, lorfqu’elles