
Il faut Sabord commencer, comme nous l ’avons
dit ci-deffus , par avoir deux baffins^ 6c £ ,fig -3'!I
l’un A plus élevé que l’autre, mais tous deux bien
p av és , & revêtus de maçonnerie bien enduite dans
leur circonférence. On remplira enfuite le baffin
fupérieur^ de chaux que l’on éteindra, & que l’on
Fera couler dans l’autre B comme à l’ordinaire. Lorf-
que tout y fera paffé, on jettera deffus autant d’eau
qu’on en a employé pour 1 éteindre, qu’on broyera
bien avec le rabot, & qu’on laiffera enfuite repofer
pendant vingt quatre heures, ce qui lui donnera le
tems de fe raffeoir, après lequel on la trouvera couverte
d’une quantité d’eau verdâtre qui contiendra
prefque tous fes fels, & qu’on aura foin de mettre
dans des tonneaux; puis on ôtera la chaux qui fe
trouvera au fond du, baffin B , 6c qui ne fera plus
bonne à rien: enfuite on éteindra de la.nouvelle
chaux dans le baffin fupérieur A , 6c au lieu de fe
fervir d’eau ordinaire, on prendra celle que l ’on
avoit verfée dans les tonneaux, & on fera couler à
l’ordinaire la chaux dans l’autre baffin B. Cette préparation
la rend fans doute beaucoup meilleure,
puifqu’elle contient alors deux fois plus de fel qu’au-
paravant: S’il s ’agiffoit d’un ouvrage de quelqu’im-
portance fait dans l’eau, on pourrqit la rendre encore
meilleure , en recommençant l’opération une
fécondé fois, 6c une troifieme s’il étoit néceffaire.
Mais la chaux qui refteroit dans le baffin B cette
fécondé & cette troifieme fois, ne feroit pas fi dépourvue
de fels, qu’elle ne pût encore fervir dans
les'fondations;, dans le maffif des gros murs, ou à
quelqu’autre ouvrage de peu d’importance. A la vérité
il en coûtera pour cela beaucoup plus de tems
& dé peine ; mais il ne doit point être queftion d’économie
lorfqu’il s’agit de certaine ouvrages qui
ont befoin d’être faits avec beaucoup de précaution.
Ainfi, comme dit M. Bélidor, faut-il que parce que
l’on eft dans un pays où les matériaux font mauva
is , on ne puiffe jamais faire de bonne maçonnerie.,
puifqué l’art peut corriger la nature par une
infinité de moyens?
Il faut encore remarquer que toutes les eaux ne
font pas propres à éteindre la chaux ; celles de rivière
& de fdurce font les plus convenables : celle
de puits peut cependant être d’un bon ufage, mais il
ne faut pas s’en fervir fans l’avoir laiffé féjourner pendant
quelque tems à l’air, pour lui ôter fa première
fraîcheur qui ne manqueroit pas fans cela de reffer-
rer les pores de la chaux, 6c de lui ôter fon aâi-
vité. Il faut fur-tout éviter de fe fervir d’eau bour-
beufe 6c croupie, étant eompofée d’une infinité de
corps étrangers capables de diminuer beaucoup les
qualités de la chaux. Quelques uns prétendent que
l’eau de la mer n’eft pas propre à éteindre la chaux,
ou l’eft très-peu, parce qu’étant falée , le mortier
fait de cette chaux feroit difficile à fécher. D ’autres
au contraire prétendent qu’elle contribue à faire
de bonne chaux, pourvû que cette derniere foit
forte ôt graffe, parce que les fels dont elle eft com-
pofée, quoique de différente nature, concourent à
la coagulation du mortier ; au lieu qu’étant foible,
fes fels détruifent ceux de la chaux comme leur étant
inférieurs.
De la chaux félon fes façons. On appelle chaux
vive celle qui bout dans le baffin lorfqu’on la détrempe.
Cnaux éteinte ou fufée, celle qui eft détrempée,
& que l’on conferve dans le baffin. On appelle encore
chaux fufée, celle qui n’ayant point été éteinte,
eft reftée trop long-tems expofée à l’air, & dont
les fels & les efprits fe font évaporés , 6c qui par
conféquent n’eft plus d’aucun ulàge.
Lait de chaux, ou laitance, celle qui a été de;
trempée claire /qui reffemble à du lait, & qui fert à blanchir les murs 6c plafonds.
La chaux fe vend à Paris, au muid contenant
douze feptiers, le feptier deux mines, 6c la mine
deux minots,dont chacun contient un pié cube. On
la mefure encore par futailles, dont chacune contient
quatre piés cubes : il en faut douze pour un
muid, dont fix font mefurés combles , 6c les autres
rafes.
Du fable. Le fable, du latin fabulum, eft une matière
qui différé des pierres 6c des cailloux ; c’eft
une efpece de gravier de différente grofleur ,
âpre, rabotèux 6c fonore. 11 eft çncore diafane ou
opaque, félon fes différentes qualités, les fels dont
il eft formé, 6c les différens terreinsoù il fe trouve :
il y en a de quatre efpecçs ; celui de terrein ou de
ca v e , celui de riviere, celui de ravin, 6c celui de
mer. Le fable de cave eft ainfi appelle* parce qu’il
fe tire de la fouille des terrés, lorfque l’on conftruit
des fondations de bâtiment. Sa couleur eft d’un brun
noir. Jean Martin, dans fa traduftion de Vitruve ,.
l’appelle/ùWc de foffé. Philibert de Lorme l’appelle
fable de terrain. Perault n’a point voulu lui donner
ce nom, de peur qu’on ne l’eût confondu avec terreux
, qui eft le plus mauvais dont on puiffe jamais
fe fervir. Les ouvriers l’appellent fable de cave, qui
eft l'arena di cava des Italiens. Ce fable eft très-
bon lorfqu’il a été féché quelque tems à l ’air. Vitruve
prétend qu’il eft meilleur pour les enduits & crépis
des murailles 6c des plafonds , lorfqu’on l’emploie
nouvellement tiré de la terre ; car fi on le. garde ,
le fôleil 6c la lune l’àlterent, la pluie le diffbut, 6c
le convertit en terre. Il ajoute encore qu’il, yaut
beaucoup mieux pour la maçonnerie que pour les
enduits, parce qu’il eft fi gras 6c fe feche fi promptement
, que le mortier le gerfe ; c’eft pourquoi ,
dit Palladio", on l’emploie préférablement dans les
murs & les voûtes continues^
Ce fable fe divife en deux efpeces ; l’une que l’on
nomme fable mâle , 6c l’autre fable femelle, Le premier
eft d’une couleur foncée 6c égale dans fon même
lit ; l’autre eft plus pâle 6c inégale.
Le fable de riviere eft jaune , rouge, .ou blanc ,
6c fe tire du fond des rivières ou des fleuves, avec
des dragues , fig. //j). faites pour cet ufage ; ce
qu’on appelle draguer. Celui qui eft près du rivage,,
eft plus aifé à tirer; mais n’eft pas le meilleur, étant
fujet à être mêlé 6c couvert de v a fe , efpece de limon
qui s’attache deffus dans le tems des grandes,
eaux 6c des débordemens. Alberti & Scamozzi prétendent
qu’il eft très-bon lorfque l’on a ôté cette fu-
perficie, qui n’eft qu’une croûte de mauvaife terre.
Ce fable eft le plus eftimé pour faire de bon mortier
, ayant été battu par l’eau , & fe trouvant par-
là dégorgé de toutes les parties terreftres dont il
tire fon origine : il eft facile de comprendre que plus
il eft graveleux , pourvû qu’il ne le foit pas trop ,
plus il eft propre par fes cavités 6c la vertu de la
chaux à s’agraffer dans la pierre , ou au moilori à
qui le mortier fert de liaifon. Mais fi au contraire,
on né ehoifit pas un fable dépouillé de toutes fes,
parties terreufes, qu’il foit plus doux 6c plus humide
, il eft capable par-lâ de diminuer & d’émouffer
les efprits de la chaux, 6c empêcher le mortier fait
de ce fable de s’incorporer aux pierres qu’il doit unir
enfemble , & rendre indiffolubles.
Le fable de riviere eft un gravier,qui félon Scam-
mozzi 6c Alberti, n’a que le deffus de bon,le deffous
étant des petits cailloux trop gros pour pouvoir s’incorporer
avec la chaux & faire une bonne liaifon.
Cependant on ne laiffe pas que de s’en fervir dans
la conftru&ion des fondemens, gros murs, &c. après
avoir été paffé à la claye. (jri)
Le fable de mer , eft une efpece de fablon fin,
que l’on prend fur les bords de la mer 6c aux envi-;
(m) Une claie eft une efpece de grille d'oiïcr, qui fert à
tamifer le fable.
irons, qui n’eft pas fi bon que les autres. Ce fable
: joint à la chaux, dit Vitru ve, eft très-long à fécher.
Les murs qui en font faits ne peuvent pas foutenir
un grand poids, à moins qu’on ne les bâtiffe à différente
reprife. Il ne peut encore fervir pour les enduits
& crépis , parce qu’il fuinte toujours par le
fel qui fe diffout, & qui fait tout fondre. Alberti
prétend qu’au pays de Salerne , le fable du rivage
de la mer eft auffi bon que celui de ca v e , pourvu
qu’il ne foit point pris du côté du midi. On trouve
encore, dit M. Bélidor, une efpece de fablon excellent
dans les marais , qui fe connoît lorfqu’en
marchant deffus , on s’apperçoit qu’il en fort de
l ’eau ; ce qui lui a fait donner le nom de fable bouillant.
En général, le meilléur fable eft celui qui eft net,
.& point terreux ; ce qui fe connoît de piufieurs maniérés.
La première , lorfqu’eri le frottant dans les
mains, on fent une rudeffe qui fait du bruit, & qu’il
n’en refte aucune partie terreufe dans les doigts. La
fécondé lorfqu’après en avoir jetté up peu dans
un vafe plein d’eau claire 6c l’avoir brouillé ; fi l’eau
en eft peu troublée , c’eft une marque de fa bonté.
On le connoît encore, lorfqu’après en avoir étendu
fur de l’étoffe blanche , ou fur du linge, on s’ap- ,
perçoit qu’après l ’avoir fecoué, il ne refte aucune
partie terreufe attachée deffus.
Du ciment. Le ciment n’ eft autre chofe ,. dit Vitruve
, que de la brique ou de la tuile concaffée ;
mais cette dernière eft plus dure 6c préférable. A
fon défaut , on fe fert de la première , qui étant
moins cuite, plus tendre & plus terreufe, eft beau- !
coup moins capable de réfifter au fardeau.
Le ciment ayant retenu après fa cuiffon la cauf-
ticité des fels de la glaife, dont il tire fon origine ,
eft bien plus propre à faire de bon mortier, que le
fable. Sa dureté le rend auffi capable de réfifter
aux plus grands fardeaux , ayant reçu différentes
formes par fa pulvérifation. La multiplicité de fes
angles fait qu’il peut mieux s’encaftrer dans les inégalités
des pierres qu’il doit lie r , étant joint avec
la chaux dont il foutient l’aâion par fes fels, 6c qui
l’ayant environné, lui communique les liens ; de façon
que les uns & les autres s’animant par leur onc-
tuofité mutuelle , s’infinuent dans les pores de la
pierre, 6c s’y incorporent fi intimement, qu’ils coopèrent
de concert à recueillir, 6c à exciter les fels
des différens minéraux auxquels ils font joints : de
maniéré qu’un mortier fait de l’un 6c de l’ autre 'eft
capable, même dans l’ea u , de rendre la conftruc-
tion immuable.
D e la po{{olane , & des différentes poudres qui fer-
' vent aux memes ufages. La pozzolane , qui tire fon
nom de la ville de Pouzzole, en Italie, fi fameufe
par fes grottes & fes eaux minérales , fe trouve
dans le territoire de cette v ille , au pays de B a ye,
6c aux environs du Mont-Véfuve ; c’eft une efpece
de poudre rougeâtre, admirable par fa vertu. Lorfqu’on
la mêle avec la chaux, elle joint fi fortement
les pierres enfemble, fait corps, 6c s’endurcit tellement
au fond même de la mer, qu’ il eft impoffible
de les défunit#Ceux qui . en ont cherché la raifon,
dit Vitruve, ont remarqué que dans ces montagnes
& dans tous ces environs ; il s’y trouve une quantité
de fontaines bouillantes, qu’on a cru ne pouvoir venir
que d’un feu lbuterrain, de foufre, de bitume
6c d’alun, & que la vapeur de ce feu traverfant les
veines de la terre, la rend non-feulement pluslé1-
gere , mais encore lui donne une aridité capable
d’attirer l’humidité. C’eft pourquoi,lorfque l’on joint
par le moyen de l’eau, ces trois chofes qui font engendrées
par le feu, elles s’endurciffent fi prompte-
-ment 6c font un corps fi ferme, que rien ne peut le
rompre, ni difioudre.
Tome IX .
La coniparaifon qu’en donne M. Bélidor, eft que
la tuile étant une compofition de terre , qui n’a dé
vertu pour agir avec la chaux , qu’après la cuiffon
6c après avoir été concaffée 6c réduite en poudre :
de même auffi la terre bitumineufe qui le trouve
aux environs de Naples , étant brûlée par les feux
fouterrains , les petites parties qui en réfultent 6c
que l’on peut confidérer comme une cendre , com-
pofent la poudre de pozzolane ; qui doit par conféquent
participer des propriétés du ciment. „ D ’ailleurs
la nature du terrein & les effets du feu peuvent
y avoir auffi beaucoup de part.
Vitruve remarque que dans la Tofcane 6c fur le
territoire du Mont-Appenin , il n’y a prefque point
de fable de cave ; qu’en Achaïe vers la mer Adriati^
que , il ne s’en trouve point du tout ; & qu’en Afie
au-delà de la mer, on n’en a jamais entendu parler.
De forte que dans les lieux où il y a de ces fontaines
bouillantes, il eft très-rare qu’il ne s’y faffe de
cette poudre , d’une maniéré ou d’une autre ; car
dans les endroits où il n’y a que des montagnes 6c
des'rochers, le feu ne laiffe pas que de les pénétrer,
d’en confumer le plus tendre , 6c de n’y laiffer que
l’âpreté. C ’eft pour cette raifon, que la terre brûlée
aux environs de Naples, fe change en cette poudre:
Celle de Tofcane fe change en une autre à-peu-
près femblable , que Vitruve appelle carbunculus ,
& l’une & l’autre lont excellentes pour la mâçonne-
rie ; mais la première eft préférée pour les ouvrages
qui fe font dans l’eau , 6c l’autre plus tendre que le
tu f , & plus dure que le fable ordinaire, eft refer-
vée pour les édifices hors de l’eau.
On voit aux environs de Cologne; & près du bas-
Rhin , en Allemagne , une efpece de poudre grife ,
que l’on nomme terraffe de Hollande, faite d’une terre
qui fe cuit comme le plâtre , que l’on écrafe 6c
que l’on réduit en poudre avec des meules de moulin.
Il eft affez rare qu’elle foit pure 6c point falfi-
fiée ; mais quand on en peut avoir , elle eft excellente
pour les ouvrages qui font dans l’eau ; réfifte
également à l’humidité, à la féchereflé , 6c à toutes
les rigueurs des différentes faifons : elle unit fi fortement
les pierres enfemble , qu’on l’emploie en
France 6c aux Pays-bas , pour la conftru&ion des
édifices aquatiques , au défaut de pozzolane, par la
difficulté que l’on a d’en avoir à jufte prix..
On fe fert encore dans le même pays au lieu de
terraffe de Hollande , d’ une poudre nommée cendrée
de T ourna y, que l’on trouve aux environs de
cette ville. Cette poudre n’eft autre chofe qu’un
compofé de petites parcelles d’une, pierre bleue, 6c
très-dure, qui tombe lorfqu’on la fait cuire , 6c qui
fait d’excellente chaux. Ces petites parcelles en tombant
fous la grille du fourneau , fe mêlent avec la
cendre du-charbon de terre, & ce mélange compo-
fe la cendrée de Tournay , que les marchands débitent
telle qu’elle fort du fourneau.
On fait affez fouvent ufage d’une poudre artificielle
, que l’on nomme ciment de fontainitr ou ciment
perpétuel, compofé de pots & de vafes de grais
caffés 6c pillés , de morceaux de mâchefer provenant
du charbon de terre brûlé dans les forges,
auffi réduit en poudre, mêlé d’une pareille quantité
de ciment, de pierre de meule de moulin 6c de chaux,
dont on compofé un mortier excellent, qui réfifte
parfaitement dans l’eau.
On amafle encore quelquefois des cailloux ou
gallefs, que l’on trouve dans les campagnes ou fur
le bord des rivières , que l’on fait rougir, & que
l’on réduit enfuite en poudre ; ce qui fait une etpece
de terraffe de Hollande, très-bonne pour la conftruc-
tion. . . . • •
D u mortier. Le mortier, du latin mortariutn, qui,
j félon Vitruve ; fignifie plutôt le baffin où on le fait,
M M m m m ij