
tre la lo i, plus fort que tous les faits des particuliers
qui la violent ; c’eft corrompre les propres fources
de la juftice, c’eft le crime des faux monnoycurs qui
attaque le prince 6c le peuple.-
Perfonne n’ignore en quoi confiftent les autres devoirs
des juges, & je fuis difpenfé d’entrer dans ce
détail. Je remarquerai feulement que le juge ayant
rapport avec le fouverain ou le gouvernement, avec
les plaideurs, avec les avocats, avec les fubalter-
nes de la juftice ; ce font autant d’efpeces de devoirs
ditférens qu’il doit remplir. Quant aux parties il
peut les bleffer , ou par des arrêts injuftes & précipités
, ou par de longs délais. Dans les états où régné
la vénalité des charges de judicature, le devoir
des juges eft de rendre promptement la juftice ;
leur métier eft de la différer, dit la Bruyere.
Un juge prévenu d’inclination en faveur d’une
parti«, devroit la porter à un accommodement plutôt
que d’entreprendre de là juger. T’ai lu dansDio-
gene que Chilon fe fit recufer dans une affaire
, ne voulant opiner ni contre la lo i, ni décider
contre l’amitié.
. Que 1 e juge fur-tout reprime la violence, & s’op-
pofe à la fraude qu’il découvre ; elle fuit dès qu’on
la voit. S’il craint que l’iniquité puiffe prévaloir ;
s’il la foupçone appuyée du crédit, ou déguifée par
les détours de la chicane, c ’eft à lui de contrebalance
r ces fortesde malverfations , & d’agir de fon
pour mieux faire triompher l ’innocence.
En deux mots , » le devoir d’un juge eft de ne
» point perdre de vue qu’il eft homme , qu’il ne lui
» eft pas permis d’excéder fa commifîion , que non-
» feulement la puiffance lui eft donnée, mais encore
» la confiance publique; qu’il doit toujours faire une
» attention férieufe, non pas à ce qu’il v eu t, mais à
» ce que la lo i, la juftice & la religion lui comman-
» dent ». C’eft Cicéron qui parle ainfi dans fon orai-
fon pour Cluentius, & je ne pouvois pas fupprimer
un fi beau paffage. (Z). J. )
Juge , f. m. ( Hijl. des Ifraèlites. ) gouverneur du
peuple Juif avant l’établiffement des rois ; en effet
on donna lé nom de juges à ceux qui gouvernèrent
les Ifraèlites, depuis Moïfe inclufivement jufqu’à
Saul exclufivement. Ils font appellés en hébreu fo-
phctim au plurier , & fophct au fingulier. Tertulien
n ’a point exprimé la force du mot fophetim , lorfque
citantdélivré des juges, il l’appelle le livre des cen-
feurs ; leur dignité ne répondoit point à celle des
cenfeurs romains, mais coïncidoit plutôt avec les
fuffetes de Carthage, ou les archontes perpétuels
d’Athenes.
Les Hébreux n’ont pas été les feuls peuples qui
ayent donné le titre de fuffettes ou de juges à leurs
fouverains; les Tyriens & les Carthaginois en agirent
de même. De plus les Goths n’accorderent dans
le iv. fiecle à leurs chefs que le même nom ; 6c Atha-
naric qui commença de les gouverner vers l’an 369,
ne voulut point prendre la qualité de roi, mais celle
de juge , parce qu’au rapport de Thémiftius, il re-
gardoit le nom de roi comme un titre d’autorité &
de puiffance, & celui de juge, comme une annonce
de fageffe 6c de juftice.
Grotius compare le gouvernement des Hébreux
fous les juges à celui qu’on voyoit dans les Gaules 6c
dans la Germanie avant que les Romains l’euffent
changé.
Leur charge n’étoit point héréditaire, elle étoit à
vie ; & leur fucceflîon ne fut ni toujours fuivie, ni
fans interruption ; il y eut des anarchies 6c de longs
intervalles defervitude, durant lefquels les Hébreux
n’avoient ni juges, ni gouverneurs fuprèmes. Quelquefois
cependant ils nommèrent un chef pour les
tirer de l ’opreflion ; c’eft ainfi qu’ils choifirent Jeph-
thé ayec un pouvoir limité, pour les conduire dans
la guerre contre les Ammonites ; car nous ne voyonS
pas que Jephthe ni Barac ayent exercé leur autorité
au-delà du Jourdain.
La puiffance de leurs juges en général, ne s’éten-
doit que fur les affaires de la guerre, les traités de
paix & les procès civils ; toutes les autres grandes affaires
étoient du diftrifl du fanhédrin : les juges n’é-
toient donc à proprement parler que les chefs de la
république.
Ils n avoient pas le pouvoir de faire de nouvelles
lo ix , d’impofer de nouveaux tributs. Ils étoient
protecteurs des loix établies, défenfeurs de la religion
, & vengeurs de l’idolâtrie ; d’ailleurs fans
éclat, fans pompe, fans gardes, fans fuite, fans
équipages, à moins que leurs richeffes perfonnelles
ne les miffent en état de fe donner un train conforme
à leur rang.
Le revenu de leur charge ne confiftoit qu’en pré*!
fens qu on leur faifoit ; car ils n’avoient aucun émo-
| lument réglé, 6c ne levoient rien fur le peuple,
j A préfent nous récapitulerons fans peine les points
dans lefquels les y «ge* des Ifraèlites différoient des
rois. i° . Ils n’étoient point héréditaires ; i° . ils n’avoient
droit de v ie&de mort que félon les lois,& dé-
pendemment deslpis ; 30. ils n’entreprenoient*point
la guerre à leur gré, mais feulement quand lepeuple
les appelloit à leur tête ; 40. ils ne levoient point
d’impôts; 50. ils ne fefuccédoient point immédiatement.
Quand un juge étoit mort, il étoit libre à la
nation de lui donner un fucceffeurfurle champ , ou
d’attendre ; c’eft pourquoi on a vu fouvent plufieurs
années d’inter-juges, fi je puis parler ainfi ; 6°. ils
ne portaient point les marques de fouveraineté , ni
fceptre , ni diadème ; 70. enfin ils n’avoient point
d’autorité pour créer de nouvelles lo is , mais feulement
pour faire obferver celles de Moïfe & de leurs
predéceffeurs. Ce n’eft donc qu’improprement que
les juges font appellés rois dans deux endroits de la
Bible, fçavoir, Juges ch. ix. & ch. xviij.
Quant à la durée du gouvernement des juges , depuis
la mort de Jofuë jufqu’au régné de Saiil, c’eft
unfujetde chronologie fur lequel les fa vans ne font
point d’accord, 6c qu’il importe peu de difcuter
ici. (D .J . )
Ju g e s , livre des, ( Théol. ) livre canonique de
l ’ancien teftament, ainfi nommé parce qu’il contient
l’hiftoire du gouvernement ^es juges ou chefs principaux
qui régirent la république des Hébreux, à compter
environ trente ans depuis la mort de Jofué jufqu’à
jl’élévation de Saiil fur le trône, c’eft-à-dire
l’efpace de plus de trois cens ans.
Ce livre que l’Eglifereconnoît pour authentique
& canonique, eft attribué par quelques-uns à Phi-
nès, par d’autres à Efdras ou à Ezéchias ,. 6c par
d’autres à Samuel ou à tous les juges qui auroient
écrit chacun l’hiftoire de leur tems $c de. leur judicature.
Le P. Calmet penfe que c’eft l’ouvrage d’un
feul auteur qui vivoit après le tems des juges. La
preuve qu’il en apporte e ft, qu’au chap. xv. viij. x .
6c dans les fuivans, l’auteur fait un précis de tout le
liv re , 6c qu’il en donne une idée générale. L’opinion
qui l’attribue à Samuel paroît fort probable ;
1 °. l’auteur vivoit en un tems où les Jébuféens étoient
encore maître? de Jérufalem, comme il paroît par
le chap.j. v. z i . & par conféquent^vant D a v id ;
20. il paroît que lorfque ce livre fut éc rit, la république
des Hébreux étoit gouvernée par des rois
puifque l’auteur remarque en plus d’un endroit fous
les juges 9 qu’alors il n’y avoit point de rois en
Ifraël.
On ne laiffe pas que de former contre ce fenti- •
ment quelques difficultés confidérables, par exemple
il eft dit .dans les Juges, chap, xviij, v. go 6c gt;
eue les enfans de Dan établirent Jonathan & fesfils prêtres
dans la tribu de Danjujqtd au jour de leur captivité,
& que l'idole de Micha demeura che%_ eux , tandis que la
maifon duSeigneur fut à Silo. Le tabernacle ou la maifon
de D ieu ne fut à Silo que jufqu’au commencement
de Samuel, car alors on la tira de Silo pour la
porter au camp où elle fut prife par les Philiftins ; &
depuis ce tems elle fut renvoyée à Cariath-ïarim.
Quant à la captivité de la tribu de D an , il femble
qu’on ne peut guere l’entendre que de celle qui arriv
a fous Theglapt Phalaffar , roi d’Aflirie , plufieurs
fiecles après Samuel : 6c par confequentil n a pu écrire
ce livre , à moins qu’on ne reconnoiffe que ce
paffage y a été ajoûté depuis lui ; ce qui n’eft pas incroyable
, puifqu’on a d’autres preuves 6c d autres
exemples de femblables additions faites au texte des
livres facrés. Ca lme t, Diction, de la Bible.
JUGE, f. m. ( Hijl. rom. ) dans la république romaine
, les juges furent d’abord choifis parmi les fénateurs;
l’an 630, les Gracches tranfporterent cette
prérogative aux chevaliers; Drufus la fit donner
aux fénateurs 6c aux chevaliers ; Sylla la remit entre
les mains des feuls fénateurs ; Cotta la divifa entre
les fénateurs, les chevaliers & les treforiers de
l ’épargne ; Céfar prit le parti de priver ces derniers
çle cet honneur ; enfin Antoine établit des decuries
de fénateurs, de chevaliers 6c de centurions, auxquels
iLaccorda la puiffance de juger.
Tant que Rome, ajoute l’auteur de l’Efprit des
lo is , confèrva les principes, les jugemens purent
être farts abus entre les mains des fénateurs ; mais
quand Rome fut corrompue, à quelques corps qu’on
tranfportât les jugemens, aux fénateurs, aux chevaliers
, aux treforiers de l’épargne, à deux de ces
corps, à tous les trois enfemble, enfin à quelqu’au-
tre corps que ce fût, on étoit toujours mal ; fi les
chevaliers avoient moins de vertu que les Sénateurs,
s’il étoit abfurde de donner la puiffance de
juger à des gens qui dévoient être fans ceffe fous les
yeux des juges, il faut convenir que les tréforiers de
l’épargne & les centurions avoient auffi peu de vertu
que les chevaliers ; pourquoi cela ? C eft que quand
Rome eut perdu fes principes, la corruption, la dépravation
fe glifferent prefque également dans tous
les ordres de l’état. ( D . J. )
: JUGES des enfers , ( Mythol. ) la fable en nomme
trois, Minos, Eaque & Rhadamante, 6c l’on imagine
bien qu’elle leur donne à tous trois une origine
célefte ; ce font les fils du fouverain maître des
dieux.
Rhadamante, félon l’hiftoire, fut un des Iégifla-
teurs de Crè te, qui mérita par fon intégrité & par
fes-autres vertus la fonâion de juge aux enfers, dont
les Poètes l ’honorerent. Wmjm Rh a d am an t e .
Minos fon illuftre frere 6c fon fucceffeur, eut encore
plus de réputation. Sa profonde fageffe donna
lieu de dire, qu’il étoit dans la plus étroite confidence
de Jupiter, & Jovis arcanis Minos admijfus ;
ofn ne manqua pas d’affurer après fa mort qu’il rem-
pliffoit le premier des trois tribunaux, où tous les
pâles humains font cités pour rendre compte de leurs
«étions. Voye^ MiNOS.
- Eaque régna fur Egine, aujourd’hui Eugia :
(Snopiam veteres apellavere ; fed ipfe
Æacus, Æginam genitricis nomine dédit.
; C ’eft le feul des rois de cette île , dont l’hiftoire
ait confervé le nom. Ses belles qualités lui procurer
rent une place entre Minos 6c Rhadamante : il .ju-
geoit i ’europe entière. Sa réputation fut fi grande
pendant le cours de fa v ie , que toute i’Attique ayant
été affligée d’une longue féchereffe , on confulta
l’oracle, qui répondit, que ce fléau cefferoit feulement
quand Eaque fe rendrait l’interceffeur de la
Grèce, f^oye^ Eaqu e.
Platon feint ingénieufement que lorfque Jupiter,
Neptune 6c Pluton eurent partagé le royaume de
leur pere, ils ordonnèrent que les hommes prêts à
quitter la v ie , fuffent jugés pour recevoir la récom-
penfe ou le châtiment de leurs bonnes ou mauvaifes
aftions ; mais comme ce jugement fe rendoit à l’inf-
tant qui préeédoitla mort, il étoit fujet à de grandes
injuftices. Les princes faftueux, guerriers, def-
potiques, paroiffoient devant leurs juges avec toute
la pompe 6c tout l’appareil de leur puiffance, les
eblouiffoient, & fe faifoient encore redouter, en
forte qu’ils paffoient fouvent dans l’heureux féjour
des juftes. Les gens de bien au contraire, pauvres
6c fans appui, étoient encore expofés à la calomnie,
6c quelquefois condamnés comme cbupables.
Sur les plaintes réitérées qu’en reçut Jupiter, il
changea la forme de fes jugemens ; le tems en fut
fixé au moment même qui fuit la mort. Rhadamante
& Eaque fes fils, furent établis juges; le premier
pour ies Afiatiques 6c les Afriquains, le fécond pour
les Européens; & Minos fon troifieme fils étoit au-
deffus d’eux, pour décider fouverainement en cas
d’incertitude.
Leur tribunal fut placé dans un endroit, appellé
le champ de la vérité; parce que le menfonge 6c la
calomnie n’en peuvent approcher : il aboutit d’un
côté au Tartare, 6c de l’autre aux champs Elifées.
Là comparoit un prince dès qu’il a rendu le dernier
foupir ; là , dit Socrate, il comparoit dépouillé de
toute fa grandeur, réduit à lui feul, fans défertfe ,
fans protection, muet & tremblant pour lui-même ,
après avoir fait trembler la terre. S’il eft trouvé coupable
de fautes qui foient d’un genre à pouvoir être
expiées,, il eft relégué dans le Tartare pour un tems
feulement, & avec affurance d’en fortir quand il
aura été fuffiiamment purifié. Tels étoient auffi les
difeours des autres fages de la Grèce.
Tous nos favans croyent que l’idée de ce jugement
après la mort, avoit été empruntée par les
Grecs de la coutume des Egyptiens, rapportée dans
Diodore de Sicile, 6c dont nous avons fait mention
au mot Enfer, & au mot Funérailles des Egyptiens.
La fépulture ordinaire de ce peuple, dit l’hifto-
rien G re c , étoit au-delà d’un lac nommé Achérujie..
Le mort embaumé devoit être âppôrté fur le bord
de ce la c , au pié d’un tribunal, compofé de plufieurs
juges qui informoient de fes vie & moeurs, en recevant
les dépofitions de tout le monde. S’il n’avoit,
pas payé fes dettes, on livroit fon. corps à fes créan-
cieré, afin d’obliger fa famille à le retirer de leurs
mains, en fe cottifant pour faire la fomme due ; s’il
n’avoit pas été fidele aux lois, le corps privé de fépulture
, étoit jetté dans une efpece de foffe, qu’on
nommoit le Tartare. Mais fi le jugement prononçoit.
à fa gloire, le batelier Querrou avoit ordre de conduire
le corps au-delà du la c , pour y être enfeveli
dans une agréable plaine qu’on nommoit Elifou,
Cette cérémonie finiffoit en jetrant. trois fois du fable
fur l'ouverture du ça veau , où l’on avoit enfer-,
mé lé cadavre, 6c en lui difant autant de fois adieu;
Magna mânes ter voce yocavi.
M. Maillet nous a très-bien expliqué comment on
enterroit les cadavres embaumés des Egyptiens. On
les defeendoit dans dès caveaux profonds, qui
étoient pratiqués dans le roc ou lejtuf j fous les fables
de la plaine de Memphis ; on bouchoit.le caveau
ayec.une pierre, & on laiffoit enfuite retomber par*
deffus .le fable, des endroits voifins.
Ajoutons en. pàffant» que la coutume égyptienne
de jerter trois fois duj fable fur le corps mort, devint;
univerfelle. Les Grecs en donnèrent l ’exemple aux;