que le mortier même, eft runion de la chaux avec
le fable , le ciment ou autres poudres ; c’eft de cet
alliage que dépend toute la bonté de la conftruc-
tion. Il ne fuffit pas de faire de bonne chaux, de la
bien éteindre , & de la mêler avec de bon fable , il
faut encore proportionner la quantité de l’un & de
l’autre à leurs qualités , les bien broyer enfemble,
lorfqu’on eft fur le point de les employer ; & s’il fe
peut n’y point mettre de nouvelle eau, parce qu’elle
furcharge ôc amortit les efprits de la chaux. Pe-
rault, dans fes commentaires fur Vitruve, croit que
plus la chaux a été corroyée avec le rabot , plus
selle devient dure.
La principale qualité du mortier étant de lier les
pierres les unes avec les autres, ôc de fe durcir quelque
tems après pour ne plus faire qu’un corps folide ;
cette propriété venant plutôt de la chaux que des autres
matériaux, il fera bon de favoir pourquoi la
pierre, qui dans le four a perdu fa dureté , la reprend
étant mêlée avec l’eau ôc le fable.
Le fentiment des Chimiftes étant que la dureté
des corps vient des fels qui y font répandus , qui
fervent à lier leurs parties ; de forte que félon eu x ,
la deftruûion des corps les plus durs, qui fe fait à la
longueur des tems, vient de la perte continuelle de
leurs fels , qui s’évaporent par la tranfpiration, ôc
que s’il arrive que l’on rende à un corps les fels qulil
a perdus ~il reprend fon ancienne dureté par la jonction
de fes parties :
Lorfque le feu échauffe ôc brûle la pierre , il emporte
avec lui la plus grande partie de fes fels volatils
& fulfurés qui lioient toutes fes parties ; ce qui la
rend plus poreufe ôc plus légère. Cette chaux cuite
& bien éteinte , étant mêlée avec le fable , il fe fait
dans ce mélange une fermentation caufce par les parties
falines Ôc fulfurées qui reftent encore dans la
chaux, & qui faifant fortir du fable une grande quantité
de fels volatils , fe mêlent avec la chaux, &
en rempliffent les pores ; ôc c’eft la plus ou moins
grande quantité des fels qui fe rencontrent dans de
certains fables , qui fait la différence de leurs qualités.
De-là vient que plus la chaux & le fable l'ont
broyés^nfemble, plus le mortier s’endurcit quand il
eft employé, parce que les frottemens réitérés font
fortir du fable une plus grande quantité de fels. C ’eft
pour cela que le mortier employé auffitôt, n’eft pas
li bon qu’au bout de quelques jours, parce qu’il faut
donner le tems aux i'els volatils du fable de paffer
dans la chaux, afin de faire une union indiffoluble ;
l’expérience fait encore voir que le mortier qui a demeuré
longtems fans être employé, & par confé-
• quent dont les fels fe font évaporés, fe deffeche, ne
fait plus bonne liaifon , & n’eft plus qu’une matière
feche ôc fans onéhiofité ; ce qui n’arrive pas étant
• employé à propos, faifant fortir de la pierre d’autres
fels , qui paffent dans les pores de la chaux, lorf-
qu’elle-même s’infinue dans ceux de la pierre ; car
quoiqu’il femble qu’il n’y ait plus de fermentation
clans le mortier lorfqu’on l’emploie, elle ne laiffe pas
cependant que de fubfifter encore fort longtems
après fon emploi, par l’expérience que l’on a d’en
voir-qui acquièrent de plus en plus de la'dureté par
les fels volatils qui paffent de la pierre dans le mortier
, ôc par la tranfpiration que fa chaleur y entretient
; ce que l’on remarque tous les jours dans la
démolition des anciens édifices, où l’on a quelquefois
moins de peine à rompre les pierres qu’à les dé-
funir,fur-tout lorfque ce font des pierres fpongieufes,
dans lefquels le mortier s’eft mieux infinué.
Plufieurs penfent que la chaux a la vertu de brû-
der certains corps, puifqu’elle les détruit. Il faut fe
.garder de croire que ce foit par fa chaleur : cela vient
plutôt de l’évaporation desfels qui lioient leurs part
ies enfemble , oççafionaée par la chaux, Ôc qui font
paffés en elle-, ôc qui n’étant plus entretenus fe dé*
truifent, & caufent aufli une deftruûion dans ces
corps.
La dofe du fable avec la chaux eft ordinairement
de moitié ; mais lorfque le mortier eft bon, on y
peut mettre trois cinquièmes de fable fur deux de
chaux, ôc quelquefois deux tiers de fable fur un de
chaux, félon qu’elle foifonne plus ou moins ; car
jlorfqu’elle eft biengraffe ôc faite de bons cailloux,
on y peut mettre jufqu’à trois quarts de fable fur un
de chaux ; mais cela eft extraordinaire, car il eft fort
rare de trouver «de la chaux qui puiffe porter tant de
fable. Vitruve prétend que le meilleur mortier eft
celui où il y a trois parties de fable de ca v e , ou deux
de fable de riviereou de mer, contre une de chaux,
qui, ajoute-t-il, fera encore meilleur , fi à ce dernier
on ajoute une partie de tuileau pilé, qui n’eft
autre chofe que du’ ciment.
Le mortier fait de chaux ôc de ciment fe fait de la
même maniéré que le dernier ; les dofes font les mêmes
plus ou moins, félon que la chaux foifonne. On
fait quelquefois aufli un mortier compofé de ciment
ôc de fable, à l ’ufage des bâtimens de quelque importance.
Le mortier fait avec de la pozzolane fe fait auflî
à peu-près comme celui de fable. Il eft, comme nous
l’avons dit c i-d e v an t , excellent pour les édifices
aquatiques.
Le mortier fait de chaux & de terraffe de Hollande
fe fait en choififfant d’abord de la meilleure
chaux non éteinte , & autant que l’on peut en employer
pendant une femaine ; on en étend un pié d’é-
paiffeur dans une efpece de baflin , que l’on arrofe
pour l’éteindre ; enfuite on le couvre d’un autre lit
de terraffe de Hollande , aufli d’environ un pié d’é -
paiffeur ; cette préparation faite, on la laiffe repofer
pendant deux ou trois jou rs, afin de donner à la
chaux le tems de s’éteindre, après quoi on la brouille
ôc on la mêle bien enfemble avec des houes (fig.
/18. ) , ôc des rabots (fig.Jry.) , Ôc on en fait un tas
qu’on laiffe repofer pendant deux jours, après quoi on
en remue de nouveau ce que l’on veut en employer
dans l’efpace d’un jour ou deux,la mouillant de tems
en tems jufqu’à ce qu’on s’apperçoive que le mortier,
ne perd point de fa qualité.
- En plufieurs provinces le mortier ordinaire fe prépare
ainfi, cette maniéré ne pouvant que contribuer
beaucoup à fa bonté.
Comme l’expérience fait voir que la pierre dure
fait toujours de bonne chaux , ôc qu’un mortier de
cette chaux mêlé avec de la poudre provenant dû
charbon ou mache-fer que l’on tire des forges, eft
une excellente liaifon pour les ouvrages qui font
dans l’eau ; il n’eft pas étonnant que la cendrée de
Tournày foit auflî excellente pour cet ufage, participant
en même tems de la qualité de ces deux matières
; car il n’eft pas douteux que les parties de
charbon qui fe trouvent mêlées avec la cendrée, ne
contribuerit beaucoup à l’endurcir dans l’eau.
Pour faire de bon mortier avec la cendrée de
Tournay, il faut d’abord bien nettoyer le fond d’un
baflin B fig. 3 ; , qu’on appelle batterie, qui doit être
pavé de pierres plates & unies , ôc conftruit de la
même maniéré dans fa circonférence , dans lequel
011 jettera cette cendrée. On éteindra enfuite dans
un autre baflin A , à côté de la chaux, avec une
quantité d’eau fuflifante pour la bien diffoudre, après
quoi on la laiffera couler dans le baflin B , où eft la
cendrée, à travers une claie C , faite de fil d’archalj
tout ce qui ne pourra paffer au travers de cette claie
fera rebuté. Enfin on battra le tout enfemble dans
cette batterie pendant dix à douze jours confécutifs,
ôc à différente reprife, avec une damoifelle, fig. i^y ,
efpece de cylindre de bois ferré par-deffous, du
poids d’environ trente livres, jufqu’à ce qu’elle fafle
une pâte bien graffe ôc bien fine. Ainfi faite, on peut
l’employer fur le champ , ou la conferver pendant
plufieurs mois de fuite fans, qu’elle perde de fa qualité
, pourvu que l’on ait foin de la couvrir & de la
mettre à l’abri de la poufliere, du foleil ôc de la pluie.
Il faut encore prendre garde quand on la rebat
pour s’en fervir de ne mettre que très-peu d’eau, ôc
même point du tout s’il fe peut, car à force de bras,
elle devient allez graffe & affez liquide; c’eft pourquoi
ce fera plutôt la pareffe des ouvriers, Ôc non
la néceflité, qui les obligera d’en remettre pour la
rebattre ; ce, qui pourroit très-bien, fi l’on n’y pre-
noit garde, la dégraiffer , ôc diminuer beaucoup de
fa bonté.
Ce mortier doit être employé depuis le mois d’A-
vril jufqu’au mois de Juillet, parce qu’alors il n’éclate
jamais, ce qui eft une de fes propriétés remarquables,
la plûpftt des cimens étant fujets à fe gerfer.
Il arrive quelquefois qu’on la mêle avec un fixie-
me de tuileau pilé ; M. Belidor fouhaiteroit qu’on
la mêlât plutôt avec*de la terraffe de Hollande ; ce
qui feroit, dit-il, un ciment le plus excellent qu’il
fût poflible d’imaginer, pour la ccmftru&ion des ouvrages
aquatiques.
Dans les provinces où la bonne chaux eft ra re,
on en emploie quelquefois de deux efpeces en même
tems ; l’une faite de bonne pierre dure, qui eft fans
contredit la meilleure, & qu’on’ appelle bon mor-
tier, fert aux ouvrages de conféquence ; & l’autre
faite de pierre commune, qui n’a pas une bonne qualité
, & qu’on appelle pour cela mortier blanc, s’emploie
dans les fondations ôc dans les gros ouvrages.
On fe fert encore d’un mortier qu’on appelle bâtard,
ôc qui ^eft fait, de bonne Ôc mauvaife chaux, qu’on
emploie aufli dans les gros murs , ôc qu’on fe garde
bien d’employer dans les édifices aquatiques.
Quelques-uns prétendent que l’iirine dans laquelle
on a détrempé de la fuie de cheminée , mêlée avec
l’eau dont on fe fert pour corroyer le mortier , le
fait prendre promptement ; mais ce qu’il y a de vrai,
c’eft que le fei armoniac. diffout dans l’eau de rivière
, qui fert à corroyer le mortier, le fait prendre
aufli promptement que le plâtre ; ce qui peut être
d’un bon ufage dans les pays où il eft très-rare ; mais
fi au lieu de fable on pulvérifoit de la même pierre
avec laquelle on a fait la chaux, ôc qu’on s’en fervît
au lieu de plâtre, ce mortier feroit fans doute beaucoup
meilleur.
Le mortier , dit Vitruve, ne fauroït fe lier avec
lui-même , ni faire une bonne liajfon-avec les pierres,
s’il ne refte longtems humide; carlorfqu’il eft trop
tôt fe c , l’air qui s’y introduit diflîpe les efprits vo latils
du fable ôc de la pierre à méfure que la chaux
les attire à elle , ôc les empêche d’y pénétrer pour
lui donner la durete neceffaire ; ce qui n’arrive point
lorfque le mortier eft longtems humide ; ces fels
ayant alors le tems de pénétrer dans la chaux. C ’eft
pourquoi dans les ouvrages qui font dans la terre,
on met moins de chaux dans le mortier, parce que
la terre étant naturellement humide, il n’a pas tant
befoin de chaux pour conferver fon humidité; ainfi
une plus grande quantité de chaux ne fait pas plus
d’effet pendant peu de tems, qu’une moindre pendant
un long tems. C ’eft par cette raifon là que les
anciens faifoient leurs murs d’une très-grande ëpaif-
feur , perfuadés qu’ils étoient qu’il leur falloit à
la vérité beaucoup de tems pour fécher, mais aufli
qu’ils en devenoient beaucoup plus folides.
Des excavations des terres, & de leurs tranfports.
On entend par excavation, non-feulement la fouille
des terres pour la conftruftion des murs de fondation
, mais encore celles qu’il eft néceffaire de faire
pour dreffer ôc applanirdeç terrains de cours, ayantcours,
baffe-cours, terraffes , &c. ainfi que les jardins
de ville ou de campagne ; car il n’eft guere pof-
fible qu’un terrein que l’on choifit pour bâtir, n’ait
des inégalités qu’il ne faille redreffer pour en rendre
l’ufage plus agréable Ôc plus commode.
Il y a deux maniérés de dreffer le terrain , T une
qu’on appelle de niveau , & l’autre félon fa pente
naturelle ; dans la première on fait ufage d’un inftru-
ment appellé niveau d'eau, qui facilite le moyen de
dreffer fa furface dans toute fon étendue avec beaucoup
de précifion ; dans la fécondé on n’a befoin
que de râler les butes , ÔC remplir les cavités avec
les terres.qui en proviennent. Il fe trouve une infinité
d’auteurs qui ont traité de cette partie de la
Géométrie pratique affez amplement, pour qu’il ne
foit pas befoin d’entrer dans un trop long détail.
L’excavation des terres, ôc leur tranfport, étant
des objets très - confidprables dans la conftruâion,
on peut^ dire avec vérité que rien ne demande plus
d’.attention ; fi on n’a pas une grande expérience à
ce lujet, bien loin de veiller à l ’économie, on multiplie
la dépenfe fans s’en appercevoir ; ici parce
qu’on eft obligé de rapporter des terres par de longs
circuits, pour n’en avoir pas affez amaffé avant que
a ’élever des murs de maçonnerie ou de terraffe ; là ,
parce qu’il s’en trouve une trop grande quantité,
qu’on eft obligé de tranfporter ailleurs, quelquefois
même auprès de l’endroit d’où on les avoit tirés : de
maniéré que ces terres au-lieu de n’avoir été remuées
qu’une fois, le font deux, trois, ôc quelquefois
plus, ce qui augmente beaucoup la dépenfe ; ôc
il arrive fouvent que fi on n’a pas bien pris.fes précautions
, lorfque les fouilles ôc les fondations font
faites, on a dépenfé la fomme que l’ on s’étoit prer
pofée pour l’ouvrage entier.
La qualité du terrein que l’on fouille, l'éloignement
du tranfport des terres, la vigilance des infpe-
âëurs ôc des ouvriers qui y font employés, la con-
noiffance du prix de leurs journées ,1a provifion fuf-
fifante d’outils qu’ils ont befoin, leur entretien, les
relais, le foin d’appliquer la force, ou la diligence des
hommes aux ouvrages plus ou moins pénibles, & la
faifon où l’on fait c es fortes d’ouvrages, font autant
de confidérations qui exigent une intelligence
confommée, pour remédier à toutes les difficultés
qui peuvent fe rencontrer dans l’exécution. C ’eft-là
ordinairement ce qui fait la fcience ôc le bon ordre
de cette partie, ce qui détermine la depenfe d’un
bâtiment, ôc le tems qu’il faut pour l’élever. Par la
négligence de ces différentes obfervations ôc le defir
d’aller plus v ite , il réfulte fouvent plufieurs inçon-
véniens. On commence d’abord par fouiller une
partie du terrein, fur laquelle on eçnftrqit ; alors
l’attelier fe trouve furchargé d’équipages., & d’ouvriers
de differente efpece, qui exigent chacun un
ordre particulier. D ’ailleurs ces ouvriers, quelquefois
en grand nombre, appartenant à plufieurs entrepreneurs,
dont les intérêts font diffère ns , fe nuifent
les uns aux autres, & par conféquent aufli à ^accélération
des ouvrages. Un autre inconvénient eft ,
que les fouilles ôc les fondations étant faites en des
tems ôc des faifons differentes, il arrive que toutes
les parties d’un bâtiment où l’on a préféré la diligence
à la folidité ayant été bâtis à diverfes repri-
fes, s’affaiffent inégalement, & engendrent des fur-,
plombs, lézardes (n) , &çf
Le moyen d’ufer d’économie à l’égard du tranfport
des terres, eft non-feulement de les tranfpor-
ter le moins loin qu’il eft poflible, mais encore d’ufer
des charrois les plus convenables ; ce qui doit en
décider, eft la rareté des hommes, des bêtes.de
fomme ou de voitures, le prix des fourages , la fi-
tuation des lieux, & d’autres circonftances encore
(«) Efpeces de crevaffes.