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fleuve Aftérion, avoient nourri la foeur & l’époufe
de Jupiter. L’une de ces trois filles s’appelloit Eu±
bée; Ton nom fut donné à la montagne fur laquelle
paroiffoit- de loin le temple de Junon, dont Eupo-
leme avoit été l’archite&e. Son fondateur étoit Pho-
ronée fils d’ Inachus, contemporain d’Abraham, ou
peu s’en faut.
En entrant dans le temple, dit Paufanias, on voit
a'ffife fur un trône la ftatue de la déeffe, d’une grandeur
extraordinaire , toute d’or & d’ivoire. Elle a
fur la tête une couronne que terminent les Grâces
& les Heures ; elle tient une grenade d’une main,
& de l’autre un fceptre, au bout duquel eft un coucou.
Les regards des fpeâateurs fe portoient enfüite
fur la repréfentation en marbre d el’hiftoire de Biton
& Cléobis, deux freres recommandables parleur
piété envers leur m ere, & qui méritoient les honneurs
héroïques. On confervoit dans ce même temple
le plus ancien fimulacre de Junon, qui étoit de
poirier fauvage.
Le veftibule du temple offroit à la vûe les ftatues
de toutes les prêtreffes de la déeffe, prêtreffes fi ref-
peélées dans Argos, que l ’on y eomptoit les années,
par celles de leur facerdoce. Ces prêtreffes avoient
le foin de couvrir l’àutel de la divinité d’une certaine
herbe qui venoit fur les bords de l’Aftérion ;
l’eâu dont elles fe fervoient pour les facrifices, &
les myfteres fecrets ,fe prenoit dans la fontaine Eleu-
thérie, & il n’étoit pas permis d’en puifer ailleurs :
les fcholiaftes de Pindare nous inftruifent des jeux
que les Argiens faifoient en l’honneur de Junon,
Les Samiens fe vantoient que la reine des dieux
avoit pris naiffance dans leur île ; qu’elle y avoit été
clevée ; que même fes noces avec Jupiter avoient
été célébrées dans le temple qui lui étoit confacré ,
& qui a fait tant de bruit dans le monde. Voici ce
qu’en dit M. de Tournefort, après fon féjour fur les
lieux.
Environ à f©o pas de la mer, & prefque à pareille
diffance de la riviere Imbrafus, vers le cap de
C o rà , font les ruines du fameux temple de Junon ,
la prote&rice de Samos. Les plus habiles papas de
l’île connoiffent encore cet endroit fous le nom de
temple de Junon. Menodote Samien, cité dans Athe-
n ée, comme l’auteur d’un livre qui traite de toutes
les curiofités de Samos, affure que ce temple étoit
le fruit des talens de Caricus Sc des nymphes ; car
les Cariens ont été les premiers poffeffeurs de cette
île.
Paufanias dit qu’on attribuoit cet ouvrage aux
Argonautes qui avoient apporté d’Argos à Samos
une ftatue de la déeffe, & que les Samiens foute-
noient que Junon étoit née fur les bords du fleuve
Imbrafus, ( d’où lui vint le nom tflmbrajia ) , & fous
un de ces arbres * que nous appelions agnus caflus :
on montra long-tems par vénération ce pié d’agnus
caflus, dans le temple de Junon.
Paufanias prouve aufli l’antiquité de ce temple,
par celle de la ftatue delà déeffe, qui étoit delà main
de Smilis, fculpteur d’Egine, contemporain de Dédale.
Athenée fur la foi du même Menodote, dont
nous venons de parler, n’oublie pas un fameux miracle
arrivé, lorfque les Athéniens voulurent enlever
la ftatue de Junon : ils ne purent jamais faire
v o ile , qu’après l’avoir remife à terre, prodige qui
rendit l’île plus célébré & plus fréquentée.
Le temple dont il s’agit ic i, fut brûlé par les Per-
fe s , & on en regardoit encore les ruines avec admiration
: mais on ne tarda pas à le relever, & il fut
rempli de tant de richeffes, qu’on ne trouva plus de
place pour les tableaux & pour les ftatues. Verrès,
revenant d’A fie, ne craignit point le fort des Tyr-
rhéniens ; il ne fit pas fcrupule de piller ce temple,
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& d’en emporter les plus beaux morceaux ; les pirates
n’épargnerent pas davantage- cet édifice du tems
de Pompée.
Strabon l’appelle un grand temple, non-leulement
rempli de tableaux , mais dont toutes les galeries
étoient ornées .de pièces fort anciennes. C ’eft fans
doute parmi ces pièces, qu’on avoit expofé le fameux
tableau qui peignoit les premières amours de
Jupiter & de Junon ; d’une maniéré fi naturelle ,
qu’Origène ne put fe difpenfer de le reprocher aux
Gentils.
Il y avoit outre cela dans le temple de Junon à
Samos, une cour deftinée pour les -ftatues, parmi
lefquelles on en voyoit trois coloffales de la main
de Myron, portées lùr la même bafe. Marc-Antoine
les avoit fait enlever ; mais Augufte rendit aux Samiens
celles de Minerve & d’Hercule , & fe contenta
d’envoyer celle de Jupiter au capitole, pour
être placée dans une bafilique qu’il fit bâtir.
D e tant de belles chofes du temple de Junon S i mienne,
M. de Tournefort ne trouva fur la fin du
dernier fiecle, que deux morceaux de colonnes, &
quelques bafes d’un marbre exquis. Peu d’années
auparavant, les Turcs s’imaginant que la plus haute
étoit pleine d’or & d’argent, tentèrent de l ’abattre
à coups de canon qu’ils tiroient de leurs galeres.
Les boulets firent éclater quelques tambours, dérangèrent
les autres, & en mirent une moitié hors
de leur fituation.
On ne peut plus reconnoître le plan de cet édifia
ce q u i, félon Hérodote, étoit la fécondé merveille
de Samos, le temple le plus fpacieux qu’il eut vu ;
& nous ignorerions fans lu i, le nom de l’architeûe ;
c’étoit un famien appellé Rhctcus.
Il ne faut pas s’en tenir au deffein de ce temple
qui fe trouve fur les médailles antiques, parce qu’on
y repréfentoir fouvent différens temples fous là
même forme, comme par exemple , le temple dont
nous parlons , & celui d’Ephèfe, qui vraiffembla-
blement n’étoient pas du même defl’ein.
Paufanias, que je cite fouvent, fait mention de
trois temples de Junon dans la ville de Stymphale
en Arcadie ; le premier étoit appellé le temple de
Junon fille ; le fécond le temple de Junon mariée ;
& le troïfieme le temple de Junon veuve. Ces trois
temples lui furent érigés par Temenus , & Je dernier
fut bâti, lorfque la déeffe alla , dit-on, fe retirer
à Stymphale i après fon divoiÿcfc avec J upiter.
Cette reine des dieux recevoit aufli les plus grands
honneurs à Olympie ; il y avoit dans cette derniere
ville feize dames prépofées aux jeux que l’on y cé-
lebroit à fa gloire tous les cinq ans, & dans lefquels
on lui eonlacroit un péplus, efpece de robe fans
manches, & toute brochée d’or. Trois claffes de jeunes
filles defcendoient dans la carrière des jeux olympiques
, y difputoient le prix de la courfe, & la four-
niffoient prefque toute entière. Les vi&orieufes ob-
tenoient pour récompenfe une couronne d’olivier.
Carthage , fameufe capitale d’un vafte empire
paffoit pour être la ville favorite de Junon. Virgile
ne s’eft point fervi des privilèges de fon a r t , quand
il a dit, en parlant de cette ancienne ville d’Afrique
, la rivale de Samos dans cette occafion.
Quam Juno fertur , terris magis omnibus unam
Poil habita coluiffe Samo.
Æneid. lib. I. v . 15.’
Son témoignage , fondé fur la tradition , eft appuyé
par Hérodote, O vid e, Apulée & Silvius Itali-
cus. Ge dernier peignant l’attachement de Junon
pour la ville de Carthage , déclare en trois beaux
v e r s , qu’elle la préféroit à Argos & à Mycènes.
Hîc Juno ante Argos ( Jic credidit alla vetujlas )
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Ante Agamemnoniam, gratijjima tecta Mycenem ,
Optavit prof agis a ter nam condere fedem.
Lib. I. v . 46.
Si nous paffons en Italié, nous trouverons qu’avant
l’exiftance de Rome , Junon jouiffoit déjà d’un
temple à Falere en Tofcane. Il reffembloit à celui
d’Argos , & félon Denis d’Halicarnaffe, .on y fui-
.voit le rit des Argiens.
- Cependant les conquérans de l’univers fortoient
à peine d’une retraite de voleurs. A peine leur ville
naiffante étoit élevée au-deffus de fes fondemens ,
que Tatius , collègue de Romulus, y établit le culte
de la reine du ciel. Numa Pompilius , voulant à fon
tour gagner les bonnes grâces de cette divinité fu-
prême , lui fit ériger un nouveau temple , & défendit
, par une loi expreffe, à toute femme débauchée
d’y entrer , ni même de le toucher.
Sous le régné de Tullus Hoftilius', les pontifes
confultés fur l’expiation des meurtres involontaires,
drefferent deux autels, & y pratiquèrent les cérémonies
qu’ils jugèrent propres à purifier le jeune
Horace, qui venoit de tuer fa foeur. L’un de ces autels
fut confacré à Junon, & l’autre à Janus.
Tarquin le fuperbe lui voua le temple du capitole
en commun avec Jupiter & Minerve ; & d’abord ,
après la prife de Veïes , Camille lui en bâtit un en
particulier fur le mont Aventin. En un mot ,-la fille
de Saturne & de Rhée, voyoit tant de temples érigés
uniquement en fa faveur, dans tous les quartiers
de Rome , qu’elle ne put plus douter de la vénération
extraordinaire que lui portoient les Romains.
Aufli Virgile ( & c’eft un des beaux endroits de
fon Enéide ) introduit ingénieusement Jupiter , annonçant
à fon époufe qu’il arriveroit que les def-
Cendans d’Enée la ferviroient plus dévotement que
tous les autres peuples du monde , pourvu qu’elle
voulût fe défifter de fes perfécutions; à quoi la déeffe
ambitieufe confentit avec plaifir.
Hinc gens Aufonio mijlam quod fanguine furget
Supra homines , fupra ire Deos pietate videbis.
Nec gens ulla tuos ce que celebrabit honores.
Annuit his Juno , & mentem lottata retorcit.
Æneid. lib. X I I , v. 838.
Les honneurs que Junon recevoit dans d’autres
villes d’Italie , n’étoient- guère"moins capables de
la contenter. Elle étoit fervi e fous le titre de fofpita,
confervatrice,avec une dévotion finguliereà Lanuvium
, fur le chemin d’Appins. Il falloit même que
les confuls de Rome, à l’entrée de leur confulat,
allaffent rendre leurs hommages à Junon Lanuvien-
ne. Il y avoit un grand tréfor dans fon temple, dont
Augufte tira de groffes fommes, en promettant
d’en payer l’intérêt, & s’affurant bien qu’il ne tien-
droit jamais fa parole. On croit que ce temple avoit
été fondé par les Pélages , originaires du Pélopon-
nèfe ; & l’on appuie ce Sentiment , fur ce que la
Junon de Lanuvium eft nommée par Elien, Juno
Argolica.
Quoi qu’il en foit, nous devons à Cicéron , dans
fes écrits de la nature des D ieux , liv. I , chap. x x ix ,
le plaifir de connoître l’équipage de cette déeffe.
Cotta dit à Velleïus : « votre Junon tutélaire de
» Lanuvium ne fe préfente jamais à v ou s, pas mê-
» me en fonge, qu’avec fa peau de chevre, fa ja-
» v elin e, fon petit bouclier, & fes efcarpins recour-
» bés en pointe fur le devant ».
Mais le temple de Junon Lacinia, qu’on voyoit
à fix milles de Crotone, eft encore plus fameux dans
l ’hiftoire. Ne nous étonnons pas de la variété de
fentimens qui régné touchant fon fondateur & l’oc-
cafion de fa fondation ; de tous tems les hommes
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ont inventé mille fables en ce genre ; on convient,'
& c’eft affez, qu’il furpaffoit une fois, par fon étendue
, le plus grand temple de Rome. Il étoit couvert
de tuiles de marbre , dont une partie fut transférée
dans la capitale, l’an de fa fondation 579 ,
pour couvrir le temple de la Fortune équeftre, que
Quintus-Fulvius Flaccus faifoit bâtir.
Comme ce cenfeur périt miférablement, le fénat,
par une aftion de piété & de juftice , fit reporter les
tuiles au même lieu d’où on les avoit ôtées. Annibal
n’exécuta pas le deffein qu’il avoit d’enlever une colonne
d’or de ce beau temple. Servius, Pline &. T ite-
Live récitent plufieurs chofes miraculeufes , qu’on
diloit arriver dans cet endroit : mais Tite-Live n’en
croyoit rien ; car il ajoute : « on attribue toujours
» quelques miracles à ces fortes de lieux, fur-tout
» lorfqu’ils font célébrés par leurs richeffes & leu r
» fainteté ». Pour cette - fois cette remarque eft
d’un hiftorien qui penfe.
Au refte, on ne fauroit réfléchir au culte qu’on
rendoit à Junon en tant de pays & avec tant d’appareil
, fans en attribuer quelque chofe à l’avantage
de fon fexe. Toute femme qui gouverne un état
avec diftinélion , eft généralement plus honorée &
plus refpeftée que ne l’eft un homme de pareille autorité.
Les peuples ont tranfporté dans le ciel te t
ufage de la terre. Jupiter étoit confidéré comme un
r o i , & Junon comme une reine ambitieufe , fiere,
jaloufe , vindicative , implacable dans fa colere ,
d’ailleurs partageant le gouvernement du monde
avec fon époux, & affinant à tous fes confeils.
Un homme de génie du fiecle paffé, penfoit que
c ’étoit de la même fource que provenoient les excès
d’adorations où des chrétiens font tombés envers
les faints & la vierge Marie , tant en Angleterre
qu’ailleurs. Erafme lui-même prétendoit que
la coutume de faluer la fainte-vierge en chaire après
l’exorde du fermon, étoit contre l ’exemple des anciens
, & qu’il vaudroit mieux les imiter.
Au titre de reine que portoit Junon, & à fa qualité
de femme , qui augmentoit fa célébrité , nous
joindrons, pour comble de prérogatives, la direction
en chef qu’on lui donnoit fur tous les mariages,
& leurs fuites naturelles : illi vincla jugalia curce, dit
Virgile. Voye^ fes commentateurs, ils vous indiqueront
cent autres paffages femblables, & vous expliqueront
les épithetes de jugalis^t pronubay de popit*
lonia, de Voyiez, de yavaXta, de ira.p*vvy.<poçi &c. qui ont
été affeâées à la femme de Jupiter , à caufe de fon
intendance fur tous les engagemens matrimoniaux.
Elle avoit encore, en cette qualité , des furnoms
particuliers, fondés fur ce qu’elle préfidoit à la conduite
des nouvelles mariées , à la maifon de leurs
maris, à i ’oignement que faifoit la fiancée au jambage
de la porte de fon époux ,•& finalement au fe-
cours qu’elle accordoit à cet époux pour dénouer
la ceinture virginale. Vous trouverez ces fortes de
furnoms dans ces paroles latines, d’une priere à cette
déeffe du mariage, lterducam, domiducam, unxiam ,
cinctiam , mortelles puellce debent in nuptias convocare ,
ut earum itinera protegas , in optatas domos ducas , 6*
quùm polies ungent, fauftum omen ajfgas, & cingu-
lumponentes in thalamis , non relinquas. Cet hymne
eft dans Martianus Capella, de Nupt. Philol. lib. I I .
Je n’ofe indiquer les autres épithetes qu’on donnoit
à Junon , pour lui demander fon affiftance dans
le lit nuptial ; la chafteté de notre langue, & les
égards que J’on doit à la pudeur, m’obligent de les
taire.
Difons feulement que la fuperftition romaine étoit
fi grande , qu’il y avoit des femmes qui honoroient
Junon, en faifant femblant de la peigner & de la parer
, & en lui tenant le miroir devant fes ftatues ;
car c’étoit un proverbe, « que les coëffeules pré-.