
l à i ^ 1666, & fini en 1680. Paul Riquet eft Vhomme
de génie auquel la France doit cet ouvrage aufli
hardi qu’utile. Il a fallu couper des montagnes ,
en écrafer d’autres, percer des rochers, élever
des endroits trop bas, & les foutenir par de
grandes levées de terre. Ce canal prend proprement
à l’étang de Thau, qui communique à la
M iditerrannée par le port de Cette , au moyen
d’un autre canal. On lui donne en ligne droite
32 lieues (d e 60 au degré) de longueur, 24
toifes de largeur, y compris les deux rives, &
il porte en tout rems 6 pieds d’eau, & 1800
quintaux de charge. On a pratiqué un baflin de
200 toifes de long fur 150 de large, à Nau-
roufe , qui eft l’endroit le plus éleve des deux
mers. Pour remplir ce baflin de manière qu’il
ne tariffe jamais, on a bâti le réfervoir de Saint
Féréol, près de Rével. Il a 1200 toifes de long
fur 500 de large & 20 de profondeur. Sa figure
eft triangulaire, & eft formée par deux montagnes
& par une grande & forte digue qui lui fert
de bafe. Cette digue eft traverfée par fon aqueduc
qui porte l’eau au baflin de Nauroüfe, lequel
eft par-là toujours en état d’en fournir au canal.
Enfin cet ouvrage , qu’il faut voir pour s’en faire
une jufte idée, eft digne des anciens Romains par
lé grand nombre des éclufes, des chauffées , des
ponts & des digues qu’il renferme. Rien de plus
étonnant que cette fuite d’éclufes , qui par leur
pente, lorfqu’elles font ouvertes , font une des
belles cafcades du monde. Rien de plus hardi que
ces aqueducs qui traverfent plufieurs rivières, &
fur lefquels pafîent des bateaux chargés de près de
1800 quintaux. Ce canal a coûté 13 millions, ce
q ui, vu la différence des monnoies , aujourd’hui
équivaut prefqu’au double : Louis XlV en a payé
une partie, & la province "de Languedoc a acquitté
l'autre;
Ce prince qui ne favoit pas moins récompen-
fer le génie que le faire naître , avoit abandonné
ce canal, avec la jurifdiélion & tous les revenus
, à Paul Riquet, & à tous fes defcendants mâles
, à l’extinâion defquels feulement, il devoit
retourner à la couronne. Mais les états du Lan-
quedoc acquirent en 1769 de la famille de Cara-
man, ifliie dudit fleur Riquet & fon héritière,
tous, les droits qu’elle y exerçoit fans exception,
pour la fomme de 8 millions 500 mille livres tournois
, payables dans l’efpace de 8 ans, à 4 pour
cent d’intérêt. Pendant l’intervalle, les bateaux qui
y paffent font tenus de payer un droit de 20 fols
pour chaque quintal ; & le roi lui-même le paie
lorfqu’il y fait conduire des munitions de, guerre,
de bouche ou autres &c. Si ce canal eft d’un
bon rapport , il faut convenir que les dépenfes
qu’il occafionne font confidérables ; car fans
compter les réparations continuelles qu’il exige,
les appointemens annuels des directeurs , receveurs,
contrôleurs, &c, &c, vont feuls à 10 0 ,0 0 0
livres.
L A :N ' Outre le canal royal, cette province en a
encore plufieurs autres q u i. communiquent aux
villes voifines de la mer. Tel eft celui de Grave ,
navigable jufqu’à Montpellier. I l joint les étangs
& la mer par la rivière de Lez. Tel eft celui de
Lunel-, qui aboutit également à la mer & aux
étangs. Tels font encore ceux de Radelle, de
Bourgidou & de Srlvéral, qui vont d’Aigues-
Mortes au Rhône, aux étangs & à la mer ; tel
eft enfin le canal de la Nouvelle, & Robine de
Narbonne, qui traverfe les étangs de Salers, de
la Saline & de Sigean , depuis le voifinage de
Perpignan jufqu’à Narbonne, d’où il eft continué
par la rivière d’A ude, jufqu’à une lieue du grand
canal.
La côte de Languedoc a une trentaine de
lieues d’étendue ; mais c’eft la plus dangereufe
& moins commode de tout le royaume ; nul
gros'vaifleau ne peut en approcher fans courir
le rifque d’échouer dans les fables dont elle eft
chargée : on ne fait fi c’eft le Rhône qui les y
chai rie , ou fi ce font les flots qui les élèvent
du fond de la mer, mais jufqu’ici ils ont été:
un obftacle à rétabliflement de quelque port,
qui feroit cependant d’une grande importance
pour cette province. Celui d’Aigues-mortes formé
par St. Louis eft comblé aujourd'hui, & la ville
eft éloignée de deux petites lieues de la mer.
Le cardinal de Richelieu fit conftruire, à grands
frais , un môle au cap d’A gd e , qui fut bientôt
couvert par les fables. On a fait depuis à Agde
quelques ouvrages nouveaux , qui offrent un
afyle aux navires d’une certaine grandeur. Enfin
013 a travaillé au port de Cette, qui eft aujourd’hui
le principal de la province, quoiqu’il ne
puiffe contenir que les galères & les vaiffeaux
médiocres.
En général, le commerce du Languedoc eft
confidérable ; toutes les villes un peu importantes
'Ont des foires qui facilitent le débit de leurs denrées.
Les objets d’exportation , fuivant M, de Baf-
ville , lui rapportent annuellement 13,988,000 livres,
au,lieu que ce que l’on tire du dehors fe
réduit à une fomme de 5,340,225 liv. Les principaux
articles qu’il fournit, font des grains qui paffent
en Italie & en Efpagne, les vins qu’on conduit
en Allemagne , fur les côtes d’Italie & en Angleterre.
Les huiles d’olives qui fe débitent en
Suifle & en Allemagne ; les marrons, châtaignes ,
raiflns fecs, qu’on envoie à Tunis, à Alger ; les
draps fins de diverfes qualités , dont on tranfporte
dans le Levant cinquante à foixante mille pièces
par an ; les draps plus greffiers qui fe débitent en
Allemagne, en Flandres , en Suifle , à Gênes , en
Sicile, à Malte , &c. : les petites étoffes de laine
appelées cadis , burats , ferges, bayettes, ratines ,
crépons , &c. ; les bas de laine , chapeaux, couvertures
,bergames, & autres tapifferies de même
genre ; les toiles, les lacets, futaines & bafins, &c. ;
les étoffes de filofelle, les foies travaillées, à cou-
LA N rire, &c. ; les étoffes à fleurs , bas , rubans, gazes ,
&c. ; les cuirs tannés, peaux de moutonsg de
chèvres * &c. ; les gants, le parchemin, le papier,
la colle-forte, les eaux-de-vie , les eaux de la reine
& les liqueurs de toute efpèce; le verd-de-gris, le
paftel, le fafran , les prunes , le falicot, le tourne-
fo l , les bois , le fe r , le cuivre, les carres à jouer ,
le favon , la cire- blanchie , les verres à vitres & à
boire, les aiguilles , les graines de jardinage , &c.
&c. Tels font les objets d’exportation de cette
province.
Elle tire du dehors des toiles de différentes ef-
pèces , venant de Normandie , Bretagne, Flandre,
Picardie , Anjou , Lyonnois , Auvergne , Rouer-
gue, Suifle & Hollande ; des boeufs & des moutons
d’Auvergne, du Limofln & du Rouergue ; des épiceries
qui ■ viennent de Bordeaux ; du poiflon
falé de Marfeille & de Bordeaux ; du fer de Bourgogne
& -du comté de Foix; de la quincaillerie
d’Auvergne ; de la mercerie d’Allemagne ; des
laines d’Efpagne , de Conftantinople, de Salé,
d’Alger , & autres lieux de Barbarie.
On pourroit rendre ce commerce plus floriflant,
en faifant ceffer ces règles arbitraires établies fous
les noms de traite-foraine & traite-domaniale. Ces
règles forment une jurifprudence très-compliquée,
qui déroute le commerce, décourage le négociant,
occafionne fans cefle des procès , des faifies , des
confifcations , & je ne fais combien d’autres fortes
d’ufurpations. D ’ailleurs , la traite-foraine du Languedoc
, fur les frontières de Provence, eft abu-
five , puifqu’elle eft établie en Provence. La traite
domaniale eft deftruâive du commerce étranger,
& principalement de l’agriculture.
Il eft , félon la remarque judicieufe de l’auteur
moderne des confidérations fur les finances ,
un autre vice intérieur en Languedoc, dont les
riches gardent le fecret, & qui doit a la longue
porter un grand préjudice à cette belle province.
Les biens y ont augmenté de valeur, à mefure que
les progrès du commerce ,. foit intérieur ou extérieur
‘, ont hauffè le prix des denrées. Les impôts
n’y ont pas augmenté de valeur intrinfèque, dans
la même progreffion, ni en proportion des dépenfes
néceflaires de l’état. Cependant les manoeuvriers
, fermiers , ouvriers , laboureurs, y font
dans une pofition moins heureufe que dans d’autres
provinces qui‘paient davantage. Laraifon d’un fait
fi extraordinaire en apparence, yient de ce que le
prix des journées, des corvées, n’y a point hauffé
proportionnellement à celui des denrées. Il n’e ft,
en beaucoup d’endroits de cette province, que de
fix fols, comme il y a cent ans. Les propriétaires
des terres, par l’effet d’un intérêt perfonnel malentendu
, ne veulent pas concevoir que la con-
fommation du peuple leur reviendroit avec bénéfice
; que d’ailleurs, fans aifance, il ne peut y
avoir d’émulation ni de progrès dans la culture &
dans les arts ; jmais s’il arrive un jour que dans les
autres provinces ©n vienne à corriger l’arbitraire,
LAN ,157
le Languedoc fera vraifemblablement defert, ou
changera de principe.
Cette province eft très-peuplée : d’après un calcul
qui en a été fa it, on a trouvé deux mille cinq
cents quarante-fept communautés, & environ un
million cinq cents foixante mille & quelques habi-
tans. Leur génie , leurs moeurs , leur caractère, ne
font pas par-tout les mêmes. Ceux du haut-Languedoc
font- groifiers , & montrent peu d’induftrie,
qualités fort ordinaires à tous les hommes qui s’attachent
à la culture des terres. Ceux du bas-Languedoc
font pleins d’efprit, d’aélivité , d’induftrie ,
& .également propres au commerce \ aux manu-
faéhires, aux fciences & aux arts.
Cette province eft celle de tout le royaume oh
le clergé eft le plus nombreux & le plus riche : on
y compte trois archevêchés, favoir Narbonne ,
Touloufe, & Albi ; vingt évêchés, qui font A gd e ,
Beziers, Lodève , Montpellier , Nifmes , Alais ,
Saint Pons, Uzès, Carcaffone , Aleth, Lavaur,
Mirepoix , Montauban , Rieux , Saint - Papoul,
Mende, Caftres , le Puy , Viviers, & Cominges ;
quarante neuf abbayes d’hommes, douze de filles ,
fix cents trente - fept prieurés , deux cents quarante
huit maifons religieufes d’hommes, cent cinq
de filles , deux grands prieurés , & foixante corn-,
manderies de l’ordre de Malte.
On y trouve deux univerfités célèbres, l’une à
Touloufe , & l’autre à Montpellier ; fix académies ,
favoir, une à Beziers , une à Nifmes, trois à Tou-,
loufe, & une à Montpellier; quantité de collèges
& de féminaires ; des hôpitaux & d’autres fondations
pieufes dans prefque toutes les villes ; enfin
des bureaux de charité dans prefque toute la pro-,
v in ce , pour en bannir la mendicité il ne manr
queroit à ce dernier établiffement, pour être utile
que de lui donner la forme des maifons de travail
de la Hollande , mais la nation Françoife n’a
pas fait encore affez de progrès dans l’art de l’économie
. politique.
Pour le gouvernement civil & l’adminiftratioiî
de la juftice, il y a un parlement à Touloufe ,
éoal en prérogatives à celui de Paris ; il comprend
lé Languedoc, le pays de Foix , l’autre partie de
la Guienne & de' la Gafcogne ; une eeur des aides
& des comptes à Montpellier, un confeil fupéreur
à Nifmes, qui comprend les Cévennes, & une
partie du bas Languedoc.
Pour l’adminiftration économique, le Languedoc
a fes états généraux , compofés du clergé, de
la nobleffe, & du tiers-état.
Et pour l’admimftration militaire, il y a un
gbuverneur général, un commandant, trois lieu-
tenans généraux pour le ro i, l’un pour le haut—,
Languedoc, l’autre pour le b a s , & le troifième
pour les Cévennes , le Vivarais , & le Vélay ; neuf
lieutenans de roi de la province , neuf lieutenans
des maréchaux de France, trente-un gouverneurs
particuliers , vingt-neuf lieutenans de roi dans les
v illes, huit grands fénéchaux, &c. & c ,, fans par