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riche en mots , n’ eft plus agréable , n’eft plus féconde
: nulle autre ne peut l’égaler dans l’art heureux
de peindre les differentes nuances d’une même
idée : nulle peut-être ne réunit une profodie auffi
marquée , n’a plus de légèreté, plus de grâces, &
n’eft plus propre à la poefie & à la mufique.
Le grand nombre de révolutions dont l’Italie a
été la proie , a dû néceffairement influer fur le
caraâère de fes peuples. Invefti au-dehors par des
ennemis de tout genre ,. au-dedans déchiré par des
guerres civiles, par-tout ayant à craindre de perfides
alliés , des maîtres & des tyrans, l’Italien,
pour défendre fa fortune & fa liberté, a dû op-
pofer la raie à la force ; trop foifele pour réfifter à
un monde d’ennemis ,.il a du chercher à les endormir
plutôt qu’à les provoquer, 8c à les furprendre
plutôt qu’à les combattre ; de là l'art des négociations
, le befoin de l’intrigue, la défiance, enfin
cette politique fourde que connoît fi rarement un
peuple guerrier; de là les vices affreux qu’on lui
reproche ; l’hypocrifie , la diflimulation, la trahi-
fon , & tant d’autres q u i, prefque dans tous les
pays, font les refîources du foible contre l’oppref-
feur cruel & puiflant : né bon , fenfible , on voit
que fes vices font plutôt l’effet des crifes politiques
te des circonffances, que de fon oaradère : nul
peuple peut-être n’eft entraîné plus facilement par
la pitié : aucun n’a plus de compaflion pour les
infortunés ; tendre epoux, bon père, fidèle ami,
avec beaucoup de vivacité & d’efprit, l’Italien
feroit une nation auffi refpeéîable qu’elle paroît
abâtardie, & mériteroit encore de fuccéder à ces
vieux Romains, fi au lieu de fes moines & de fes
prêtres, elle avoit pour la gouverner des loix &
des hommes ! Mais ce peuple dégénéré vit tranquillement
fous un defpotifme doux & facré; nul
reflorrnulle énergie ; il végète obfcurément, confond
les cérémonies religieufes avec le culte ; 8c
plus fuperftitieux que chrétien, il lui faut, pour
occuper fon imagination exaltée , des proceflions,
des confréries , 8c des agnus. Sa frugalité, la bonté
de l’eau , la douceur du climat, la richeffe des
productions en tout genre , tout concourt à lui former
un corps robufte & fain. Malgré fon extrême
vivacité, il poflede fur-tout l’art de fe contraindre
& en général eft beaucoup plus férieux que
le Français.
Les femmes ont prefque toutes un teint charmant;
leurs manières font douces , leur démarche
eft lente, étudiée; 8c quoiqu’on ne leur donne
pas l’éducation quece fèxe reçoit en Angleterre &
en France , il femble que la nature les en dédommage
en leur accordant un hon feus rare, beau-,
coup de fàgacité ,8c de. pénétration. Ainli cette
moitié charmante eft abandonnée à elle-même, fans
foins, fans culture ; & l’autre ,.ce font des prêtres
& des moines qui font chargés d’en- faire des hom-
mes. Malgré cette éducation ridicule & toute dévote
, l’Italien cependant n’eft point intolérant,
comme tant d’autres nations 1 il. aime- les protefi-
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tans ; il accueille bien toutes les religions, & n’en
perfécute aucune. Peut-être même e f l- il péu de
pays où il y ait un plus grand nombre d’efprits
forts , jufques dans le clergé : mais le favant, le
théologien , contents de ne rien croire , ont toujours
1 air de refpeâer ce qu’ils méprifent. Chez
cette nation fi vive , le goût pour tout ce qui
flatte les fens , eft porté à l-’extrême. La déÜcateffe
dans tout les enchante; poéfie, peinture , architecture,
belles-lettres , mufique; toute efpèce de
goût devient pour eux une paflion.
Tous les particuliers un peu à leur aife , ont
équipage ; c’eft un des premiers objets de luxe, à
caufe de la chaleur du climat 8c. de la dépenfe
modique qu’exige cette commodité. C ’eff: auffi la
coutume pour ce qu’on appelle gens d'un certain
monde , de fe raffembler le foir dans des lieux
publics, bâtis fouvent exprès, pour y faire la.con-,
verfation.
Il y a tant d’eccléfiafliques en Italie, que la plupart
font obligés de fe mêler de bien des profeff-
fions qu’on regarderoit en France comme incompatibles
avec leur état. On en voit à la tête des
fpeâàcles.; d’autres jouent la comédie, beaucoup
donnent des leçons d’armes. Un étranger qui voit
Rome pour la première fois , feroit tenté de croire
que cette ville n’eft habitée que par des prêtres. La
plupart des bourgeois & du bas peuple endimanchés
( fi j’ofe me fervir de cette expreflion portent
d’habit eccléfiaftique ; ils donnent le bras à
leur fille ou à leur femme à la promenade. Il n’y
a pas jufqu’au poftillon 8c au cocher du pontife,
qui ne foit en rabat ; tant dans une cour, dont
un prêtre eft le fouverain, chacun fe fait gloire de
porter l’uniforme.
La coutume italienne n’eft pas d’avoir table ouverte
comme en France : on ne donne à manger
que rarement, 8c dans de grandes occàfions. Les
familles opulentes & diftinguées ne mettent leur
luxe ni dans la bonne chère , ni dans les habits
maisàfe bâtir de vaftes 8c magnifiques palais qui.
•embelliffent les villes, à avoir beaucoup de pages,
de coureurs , de laquais , de chevaux , de voitures ,
de tableaux précieux , & de belles ftatues modernes
8c antiques. Dans les grandes conventions ou
affemblées, on préfente des confitures & des glaces
; dans les vifites du matin, du chocolat. Les
grands feigneurs ont fi peu befoin de cuifiniers,
qu’il y en a un grand nombre d’abonnés avec un
aubergifte , pour fe faire apporter à dîner à deux
ou trois paules par repas. Le goût de cette nation
la porte à amafler de grandes fournies par une.vie
très-frugale, pour les dépenfer à bâtir, à décorer
leur patrie par quelques grands édifices , 011 à faire
des fondations utiles; Cette manière de dépenfer
vaut bien le luxe obfcur 8c éphémère que l’on a
en France pour des riens ruineux.
Les Italiens étoient autrefois d’une jaloufie e ffrénée.::
regarder leur femme ou lëur maîtreffe avec
un air dé fatisfaéliûn ,.étoit fouvent. un motif affez iiaiffl
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fort pour exciter leur reffentiment ; mais depuis
quelques années, les focié^és font devenues genJ
raies & plus faciles. Les femmes reçoivent du
monde, & les hommes approchent peu-a-peu du
ton françois. L’ufage des figisbés eft general dans
toute l’Italie: une dame a fon cavalier qui vient
fiés le matin, fait antichambre jufqua ce quelle
foit vifible, refte continuellement .attache a les
côtés, fait fa partie , ou l’entretient jufqu au dîner,
revient après la méridienne , aflifte a fa toilette, la
mène aux quaraiite-heures, enfuite ala converla-
tion , & la ramène chez elle a l heure du fouper.
On fe pique de conftance en fait de figisbeature ,
c’eft une fociété fouvent auffi durable que celle du
mariage, prefque auffi autorifée par l ’ufage, oc a
laquelle on attache beaucoup d’importance. Ces
efpèces d’hommes font fouvent les gardiens & les
furveillans d’uiie femme , plus fouvent encore
quelque chofe de mieux ; on ne peut faire fa cour
que de concert avec eux ; car les figisbeS n ont
jamais prétendu être plus défintéreffés , ni plus incorruptibles
que les autres hommes.
Les Italiens comptent vingt-quatre heures » depuis
un foir jufqu’à l’autre : la vingt - quatrième
heure , qu’on appelle fouvent XAve-Maria , tonne
une demi-heure après le coucher du foleil, c eft-a-
dire , à nuit tombante. Si la nuit dure dix heures-,
& le jour quatorze , on dit que le foleil fe lève a
dix heures , & qu’il eft midi a dix-fept heures. Let
nfage avoit lieu autrefois chez les Juifs , les Athéniens
, & quelques peuples Orientaux. Il y a cependant
plufieurs villes , telles que Turin , Parme ,
Florence, où l’on â adopté les heures françoifes.
La plupart des églifes ont des tréfors très'riches.
Outre le grand nombre de chofes rares & de pierres
précieufes , on y voit des lampes^ 8c des de-
vans-d’autel d’argent, une infinité A'ex vota du
même métal, dont elles font tellement tapiffees ,
,qu’on ne fait où placer les nouveaux. Dans ce
pay s , on juge à-peu-près des faints comme des
hommes : l’opulence fait tout ; elle règle le degré
de confiance 8c de dévotion qu on doit leur accorder
; le plus riche eft toujours le mieux fêté. Mais
ces tréfors font comme ceux de l’avare, auxquels
c’eft un crime de toucher : on aimeroit mieux I
voir périr de faim les deux tiers des habitans d’une
v ille , que de puifer au coffre-fort du patron ; 8c
un faînt en Italie, doit aider les malheureux de fes
prières , mais non de fa bourfe.
A Venife , ainfi que dans prefque toutes les autres
villes , on voit plus de moeurs dans les familles
que dans les cloîtres. Une italienne fouvent
ne fe fait religieufe que pour jouir plus amplement
de fa liberté : rien de fi mondain que les couvens
de Venife 8c de Rome. Il n’eft pas rare de voir
des bals mafqués dans le parloir ; les religieufes y
prennent part, du moins à travers la grille : obtenir
un congé de quelque tems, pour la plus légère
indifpofition, eft la chofe la plus ordinaire 8c
la plus facile. Les billets doux trotteqt du matin
an foir, 8c la galanterie y eft portée au point d’ex-’
citer la jalon lie des autres femmes , qui n ont
trouvé de meilleur fecret pour fixer leurs volages,
que de fe montrer plus complaifantes 8c plus humaines.
En général on voit dans ces deux villes
célèbres, des chofes dont rougirait le clergé pro-
teflant ; 8c , je le dis à regret3 fi l’on veut trouyer
de la décence 8c des moeurs, on ne doit guère les
chercher dans le clergé Romain.
Dans beaucoup de petites villes d’Italie , les
curés avertiflent, à la fin de la quinzaine de Pâques ,
ceux qui n’ont point approché des facremens, de
fatisfaire à ce devoir. Dans les quatre oit cin’cf dimanches
fuivans , ces exhortations font réitérées
avec menaces d’excommunication. On excommunie
enfuite ceux qui font en retard, mais fans les
nommer , puis on les nommé, 8c enfin on affiche
l’excommunication à la porte de Péglife, avec leurs
• noms, furnoms., qualités , â g e , demeuré. Cette
dénonciation eft quelquefois fuivie des évenemens;
les plus tragiques, 8c le pays ne manque pas de
dévots zélés .qui fe font un devoir de purger la
terre de tous ces mécréans. On obtient aifément
l'impunité d’un crime que le feul amour de la rej
ligion a fait commettre.
Le grand nombre de canonifations qui fe font
à Rome, a rendu les Italiens affez indifféren.s ï
cette cérémonie ; Us ne pâroiffent y faire quelque
attention que par l’argent qu’elles répandent. Ces
nouveaux faints font toujours des fondateurs 8c
des religieux d’ordres affez opulens pour fournir
aux frais quelles exigent. La plupart du teins
même il y a affaut entre les différens couvens |
pour favoir lequel effacera par la lifte de fes faints
le nombre de l'autre. Un faint de plus dans line
mai fon , eft fouvent contr’elle un motif de jaloti-
fie 8c de haine : de là le peu de vénération q uW
a dans beaucoup de ces couvens , pour les nouveaux
béatifiés qui ne font point de leur ^ ordre t
ce qui faifoit dire à un légat 4e beaucoup d’efprit ,
ifli novi Sanlti ficiunt dubitjre de anliquis.
Il y a des gens en Italie dont tonte la vie fe
paffe à courir d'un pèlerinage à l ’autre.’Les faints 8c
les faintes les plus accrédités peuvent s’attendre à
une vifite au moins tous les deux ans : ils quittent
pour cela leurs femmes , leurs ènfans abandonnent
le foin de leurs affaires, 8c rapportent chez
eux en échange des bénédiffions 8c des indulgences.
Il eft affez commun de voir une jeune femme,1
belle 8c riche , prendre un habit de pèlerine, partir
dans une bonne calèche, avec un homme qui
n’eft pas toujours fon mari, demander l’aumône
de porte en porte dans les villes , accompagnée de
fon écuyer, 8c diftribuer aux pauvres l ’argent
qu’on lui donne. Le. peuple, eft édifié ; les maris
n’en conçoivent aucun ombrage ; 8c ce n’eft pas
croire en Dieu, que d’imaginer qu’une oeuvre auffi
fainte puiffe fervir de voile à quelque intrigue
profane. - ï ' ' .i ■ ■’
La religion Catholique eft la feule qui fou per-.