
5 8 4 P A S
tôur d'eux ? Toutes les nations américaines , depuis
le foixantième degré jufqu’au quarantième ,
parlent d’un continent de cinq cens lieues, & de
quatre à cinq mois de marche. Dans toute cette
étendue , il n’y a donc pas un détroit entre les
iners du fud & du nord. Ces fauvages ont moins
d’idée de cette mer, au nord oueft de leur pays ,
qu’ils n’en ont de peuples éloignés à mille lieues
de chez eux. Enfin , quand bien même il y auroit
-un paflage au Nôrd-oueft vers le pôle, pourquoi
le chercher par la baie de Hudfon-, jufqu’au fond
de la baie de Baffins, pour verir paflçr fous le pôle,
fk fe porter au cap dé Schalaginskoj, à travers une
mer inconnue, peut-être coupée dlles & de rochers
peut être fermée par des terres ?
Pour revenir à Ellis, un de mes amis qui le vit à
Livourne, il y a 7 à 8 ans, lui parlant de fes découvertes;
Ellis lui dit naturellement qu’il crpyoit tour
jours un paflage ou un détroit à la Répulfe-Baie ,
& non ailleurs ; que du refte , il ne penfoit pas que
dette découverte pût être d’un grand ufage, ni que
même l’efpérance d?un paflage de ce côté pût être
réalifée à l’avantage de la navigation. Je ne fuis pas
étonnéqu’Ellisait renoncé aune opinion qu’il avoit
foutenue avec tant de zele. Mais je'trouvé fort rer
inarquable qu’il ait perfifté à croire qii’il y eût un
^détroit à la Répulfe-Baie, avant qu’on parlât de la
découverte dont je vais donner 1 hiftoire.
Dans les papiers publics du mois d’avril 1769, je
lus ce qui fuit. Londres 4 avril.
« 11 y a quelques mois, qu’un officier, qui a cir
s» devant monté aes vaifleaux de la compagnie de la
y baie de Hudfon ,'fit part aux miniftres, qu’il avoit
y trouvé le paflage defiré par le nord-ouefl pour
y aller aux Indes orientales; ayant heureufement
» paflfé du détroit de Répulfe-Baie à un autre dér
y troit par lequel il avoit pafle dans l’Océan de la
v Tartarie. Cet officier, de l’agrément du miniftere,
« commença à mettre au -jour ces découvertes
y drefla des plans & des cartes exaâes des côtes
y par lefquelles il avoit pafle. Mais cette publica-
» tîon a été tout-à-coup fupprimée, & l’on pré-
« tend qu’il a été réfolu 9 fur les inflances de la
» compagne des Indes, & celle de la baie de Hud-
9> fon , de ne point rendre publique cette décou-
y v erte, ni rien qui y foit relatif ».
p n peut juger combien ma curiofité fut excitée
par cette nouvelle ; j’écrivis dans l’inftant à un ami.
de Londres, auffi curieux que moi de pareilles découvertes;
le priant de vouloir me dire au plutôt,
fi le fait étoit v ra i, fi on n’en pouvoit favoir le détail
, quel étoit le nom de l’officier, &c. &c.
J’eus une prompe réponfe, que le fait étoit vrai ;
que le capitaine fenommoit Alexandre Cluny ; qu'un
libraire lui avoit dit que dans peu il publierpit un
ouvrage de ce navigateur, ayec une carte ; quoiqu’il
n’y tôucheroit rien de cette découverte ni n’en
diroit quoi que ce fu t ju fq u ’à ce qu'il fût alluré de
la récompenfe proraife.
Je foupçonnai pourtant que la carte du moins
P A S
donnéroit plus ou moins d éclaircîflement, & îç
priai mon ami de m’envoyer cet ouvrage -fitôt
qu i ’ paroît o it, demandant s’il u y avoir pas moyen
de tirer quel lue choie de plu*, de M. Clu. y . Il
m’envoya le livre , me promettant de faire fon pot?
fibie polir parier au capitaine, & de me faire lui-
même le rapporr de leur entretien , devant me ve-?.
nir voi- en feprembre,
Louvrage a pour titre, l'American traveller ou le
y Qy aSeu? Américain , 8tc. fans nom d auteur. Voici
! ce qui regarde le paflage, comme on pourra le voir
Iqr l’extrait de la carte ( Voye carte X. ) Le fond de
laRepuife-Baie,eftentre66 & 6 7d.latitude, 292 d.
longitude ; le détroit fe détourne un peu incliné vers
le68| d. latitude &289 d, longitude, jufqu’à pref-
que 69 d? latitude & 265 d, longitude ; dé maniéré
que là longueur ne feroit qp’cnviron 27 d., ce qui
feroit 2027 lieues , jufqu’à fa communication avec
la mer du nord ; la fin forme deux caps ; l’un vers
le nord, cap Spurrel, l’autre au fud, cap Fowler ;
' la côte vers i’eft, prefque tout oueft & pueft-fud-’
oueft jufqu’à 68 d. latitude 8c 210 d. longitude,'
vers Tendrait où ri fupppfe que Givofderç avoit
abordé.
Je preflai donc mon ami d’avoir un entretien
avec M. Cluny, & de lui demander 1®. fi réellement
il »voit vu 8c paflê ce détroit? Pourquoi, ne voulant
rien publier de cette découverte, il avoit tracé,
ce détroit fur fa carte ? 30. Q u ’à 83 d. n’ayant vu>
ni terre ni glace . pourquoi il n’avoit pas été aflez
envieux de poufler jufqu’au pple pour le reçoit-
noître?
Mon ami m’en fit le rapport verbal en feptem*»
bre, m’affurant qu’il avoit eu une converfatipn avec
M. Cluny fur la fin d’août ; mais occupé des préparatifs
de fon départ, ils étoienr convenus d’en
avoir une plus ample à fon retour; qu’il avoir ré-
Bpondu à mes queftions :
i°. Que réellement il avoit vu & paflé ce détroit,
que même il avoit examiné tous les environs ,
ayant fait plufieurs voyages par terre dans ces quartiers.
20. Q u ’il y avoit tant de détails & de circonfr
tances fur cette découverte, au ppint que par Tinfr
pe&ion de la carte feule, & fans des explications ,
on n’en pouvoit guere faire ufage.
30. Que la penfée lui étpit bien venue de pouffer
vers le pôle, mais qu’il avoit en même tems ré-
fléchivqu’on ignqroit tout de ce côté ; que des gouffres.
quelque vertu aimantée, ou d’autres dangers
étoientà craindre fous le pôle, 8c qu’un feul vaif-
feau ne pouvoit rifquer çe vpyàge , avant que tout
tes les circonftances n?en fufîent connues.
Je recommandai fort à mon ami d’avoir une a?n-
pie converfatipn avçc M. Cluny à fpn retopr, fur
divers objets , dont je lui donnai la note.
Il ne put fe rendre à Londres avant le mois de
février 1770. Aufli-tôt il écrivit à M. Cljiny, ÔC
lui demanda un moment d’entretifn. Le capitaine
répondit qu’il le prioit d’attendrç lç rétabliflement
f A S
^e fafanté, qti*alorsil viendroit voirmofi ami a fa
campagne : celui-ci s’en informant, en juin, apprit
fa mort.
Tous ces faits intéreflans par eux-mêmes , inconnus
, & par la mort de M. C lu n y , devenus
■ tels que peut-être on oubliera cette découverte ,
on en donnera avec,le tems quelque conte fem-
blabié à ceux de l’amiral de Fonte 8c de Fuca.
J’ai cm qu’ il convenoit de faire un rapport fidele
de tout ce que j’ en fais , 8c l’accompagner de
quelques réflexions.
Que dire de cette découverte ? On me pardon-
neroit bien quelques-doutes.
'Midleton doit avoir découvert la baie de Ré-
pulfe ( quoique le Nettel\a ait été auparavant
placé à-peu-près dans ces mêmes parages ) : il l’a
trouvée de fix à fept lieues de largeur au fond.,
8c point de pajjage , ce qui lui a fait donner lé
nom de Repulfe-Bak. Tous les environs remplis
de glaces , le vaifleau en fut prisde 11 ou 12 Juillet
au nord-oueft du cap Dobbs ; une rivier-e dont
l ’embauchur-e-étoitde y à 8 lieues ; le lieutenant
envoyé le 15 pour la remonter, revint le 1 7 ,
ayant pénétré par les glaces , & trouvé qu’elles
en cQuvroient toute lalargeur ; point de poiflon
dans cette riviere, fans doute parce qu’e lle eft ^
le ,plus fouvent glacée.
Comment efpérer que dans un détroit, qui
avoit échappé à Midleton, il n’y eût pas de glaces
; dans un détroit, dis-je, de plus de judo
lieues.de-long , entre 67 & 69 à de latitude l mais
les Anglois prévenus, dirent que Midleton s’é-
toit laiffé corrompre.
Si d’un autre côté je fais réflexion, que Cluny
a dit avoir vu -, qu’ il s’ efl: adreffé aux miniftres -,
qu’ il avoit commencé à drefFer des plans 8c .des
carres*; qu’ il^efpéroitcune grande récompenfe, &
lans doute d’être employé pour perfeétionner la
découverte avant que de l’obtenir ; que les deux
compagnies dévoient être perfuadéesde la vérité,
puifqii’ elles fe mirent à la traverfe.; .q.if’ il a également
tracé le pajjage Tur la carie publiée, 8c
impofé .des noms aux deux .caps, >&c. On n’ en
devroit plus douter. On peut y ajouter que le peu
8c très-peu qu’on fait des pays occidentaux -d-e
cette partie fi vafte de l’Amérique , nous peut
faire conj.e.£lurer, que pluson avance vers l’oueft,
plus le pays eft fertile, peuplé 8c Tair tempéré.
'M. Stéiler a remarqué qii’ il y aune différence
fin-prenante en c e c i, -entre l ’extrémité orientale
de l’Afie & l e continentoppofé de l’Amérique;
d’ ailleurs quelques-uns foupconnent ane la partie
la plus feptentrionale de l ’Amérique conlifte
^en des-ifles.
.Adoptons donc cette découverte, jüfqii’ à x e
xfue .les relations contraires nous la faflent abandonner.
Mais examinons la queftion : ? eut-elle
conduire au %ut de trouver une route p lu s comm
o d e p lu s courte pour des Indes-orientales que
i+eUt.-en doublant le cap de Bonne-jEJpe'rancey le
•&éqgrt JFam. JJ.
P A S f S s
dis , non : & alors quelle récompenfe mérita^
t-e lle , fi on n’en peut tirer aucun avantage ?
On ne peut pafl’er à la Baie de Hudfon 8c y naviguer,
que dans les mois de juillet 8c d’août ;
encore avec de grandes précautions contre le*
glaces par lefquelles les navigateurs .ont été enfermés
du plus au moins dans le courant même
de ces deux mois. Voilà qu’ en août on feroit parvenu
heureufement a la baie.de Repulfe , & plus
de trois mois de perdus , à compter du mois de
mai; je dis plus, puifqu’on part fouvent-plutôt
en mars même , pour la mer du nord-eft. Quel
parti prendre alors ? faire le trajet par un détroit
peu large, de 200 lieues de lo n g , à compter
même ce paflage fans aucun empêchement. ; il ne
faudra guere moins d’un mois dans ces parages,
aufti long-tems que la route ne feroit pas plus
connue & fréquentée ; alors vers la fin de fep-
tembre , on le trouveroit dans la mer du nord,
inconnue , vers les 7od à la même latitude , où
on compte celle-ci libre , depuis 265 d longitude
au 210 ; en fuppofant ici que les nouvelles cartes
doivent être adoptées , ce fera 55 d & fe ra environ
360 lieues ; donnons feulement trois femai-
nes pour les faire, & on approchera de la fin
d’oélobre , alors-on fe trouvera à l’entrée du détroit
;f i on vouloit adopter le calcul de M. de
l’Ifle , qui pofe 800 lieues depuis là jufqu’au
Japon , jufqu’où ceci nous meneroit-il ( Il faudra
hiverner quelque part. Sera-ce à la baie de
Hudfon? La relation de Midleton.& de tous
les autres ne permettroit pas d’ efpérer qu’on
trouvât des gens qui vouluflent s’expofer fur les
côtes de -cette mer inconnue , fans habitations,
fans vivres , fans fecours. Encore moins , fera»
ce fur les côtes occidentales de l’Amérique que
l’on ne connoit pas ? Sera-ce fur celles de l’Aile ?
on n’y feroit pas reçu fort amicalement par les
Ruflea. Ou bien enfin poufleroit-nn pendant
tout l’hiver .jufqû’au Japon , pour s’y radouber
8c fe pourvoir de vivres , 011 plutôt pour s’y voir
expofé à être mis à mort ? Si tout réuffiflbis
d’une maniéré telle quîon pourroitJe foûhaiter
ce feroit doubler ou tripler le tems qu’on emploie
ordinairement pour aller aux Indes.
Il vaut beaucoup mieux tenter de trouver un
pujfage .au nord-eft. Voici les raifons qui parlent
en faveur de cette route.
Lés harpons anglais , hollandois 8c bifeaïen*
qu^on trouve quelquefois dans les baleines qui
fe ^prennent fur la mer d’Amur , prouvent la
réalité de ce paflage. Ces baleines ne peuvent y
venir que du Spitzberg, en doublant le capScha-
laginskoi. Si cet intervalle étoit couvert -de glace.,
elles y .périroient, parce qu’ une baleine
peut à peiné vivre.jquelquésheures fous la glace.
Le bois jette fur les côtes du Groënland mtiefte
-par fa groCeur _&-par les vers dent i l eft rongé^
•qu i l vient .d’ uii pays .chaud ; -car il h?eft -guere
probable qd’ au-delà du quatrG-vingtième -degré