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XVIe fiècle. dans la moitié de cet empire. La célèbre
ambaffade de trois princes chrétiens japonois
au pape Grégoire X I I I , e ft , ce me femble, l’hommage
le plus flatteur que le faint-fiège ait jamais
reçu. Tout ce grand pays, oii il faut aujourd’hui
abjurer l’évangile, 8c dont aucun fujet ne peut
fortir, a été fur le point d’être un royaume chrétien
, & peut-être un royaume portugais. Nos prêtres
y étoient honorés plus que parmi nous ; à
préfent leur tête y eft à prix, 8t ce prix même y eft
fort confidérable : il efl d’environ 12,000 livres.
L’indifcrétion d’un prêtre portugais, qui refufa
de céder le pas à un des officiers de l’empereur,
fut la première caufe de cette révolution. La fécond
e fut l’obflination de quelques Jéfuites, qui
foutinrent trop leurs droits, en ne voulant pas
rendre une maifon qu’un feigneur japonois leur
avoit donnée, 8c que le fils de ce feigneur leur
redemandoit. La troifième fut la crainte d’être fub-
jugués par les chrétiens. C ’eft ainfi que l’orgueil 8c
l ’égoïfme facré des miniftres de la religion, leur
avarice honteufe, leurs intrigues Lourdes, leur
ambition effrénée dans tous les tems 8c dans tous
les pays, ont caufé plus de mal à la religion chrétienne
que fes ennemis, même les plus ardens,
n’ont jamais pu en faire. On a cru difficilement à
une morale qui recommande l ’oubli des injures,
lorfque les prêtres ne pardonnent jamais ; qui prêche
le mépris des richeffes, lorfque les prêtres
font d’une cupidité infatiable ; qui regarde comme
une des premières vertus la douceur, la concorde,
la charité, la modeftie 8c le dévouement au bien
public, lorfqu’enfin les prêtres font durs, fuperbes,
intrigans, faélieux, perfonnels, fanatiques 8c per-
fécuteurs ! Les Japonois connurent trop tard le
caraâère de ces hommes bouillans qui les avoient
entraînés : ils avoient été dupes de leurs vertus
apparentes, de leur défintéreffement plus hypocrite
encore 1 Ils ne virent plus que le danger d’une
morale impofante 8c refpeétable , qui n’étoit, dans
ceux qui fembloient la pratiquer, qu’un moyen
plus adroit pour féduire : ils fe laffèrent enfin de
né leur entendre parler que de vertus, 8c de ne
voir en eux que des vices. Les bonzes appréhendèrent
d’être dépouillés de leurs anciennes poffef-
fions , 8c l’empereur enfin craignit pour l’état. Les
Efpagnols s’étoient rendus maîtres des Philippines
voifines du Japon r on fayoit ce qu’ils avoient fait
en Amérique ; il n’eft pas étonnant que les Japo-
nois- fuflent alarmés.
L’empereur féculier du Japon profcrivit donc
la religion chrétienne en 1586. L’exercice en fut
défendu à fes fujets fous peine de mort : mais
comme on permettoit toujours le commerce aux
Portugais 8c aux Efpagnols y leurs millionnaires
faifoient dans le peuple autant de proféîytes qu’on
en condamnoit au fupplke. Le monarque défendit
à tons les habitans-'d'introduire aucun prêtre chrétien
dans le pays. Malgré cette défenfe, le gouverneur
des îles Philippines fit paffef des corde.-
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liers efl ambaffade à l’empereur du Japon. Ces am-
baffadeurs Commencèrent par bâtir une chapelle
publique dans la ville capitale : ils furent chaffés,
8c la perfécution redoubla. 11 y eut long-tems des
alternatives de cruautés 8c d’indulgences : enfin arriva
la fameufe rébellion des chrétiens, qui fe retirèrent
en forces 8c en armes , en 1637, dans une
ville de l’empire. Alors ils furent pourfuivis , attaqués
8c maffacrés au nombre de trente-fept mille,
l’année fuivante 1638, fous le règne de l’impératrice
Mikaddo. Ce maffacre affreux étouffa la révolte
, 8c abolit entièrement au Japon la religion
chrétienne, qui avoit commencé de s’y introduire
dès l’an *549.
Si les Portugais & les Efpagnols s’étoient contentés
de la tolérance dont ils jouiffoient, ils au-
roient été aufli paifibles dans cet empire que les
douze feâes établies à Méaco, 8c qui compofoient
enfemble, dans cette feule ville, au-delà de quatre
cents mille âmes.
Jamais commerce ne fut plus avantageux aux
Portugais que celui du Japon. Il paroît a fiez ., par
les foins qu’ont les Hollaridois de fe le conferver ,
; à l’exclufion des autres peuples , que ce commerce
1 produifoit, fur-tout dans les commencemens , des
profits immenfes. Les Portugais ÿ achetoient le
meilleur thé de l’Afie, les plus belles porcelaines ,
ces bois peints, laqués, verniffés, comme paravents,
tables, coffres, boëtes, cabarets & autres
femblables, dont notre luxe s’appauvrit tous les
jours, de l’ambre gris, du cuivre d’une efpèce
fupérieure au nôtre, enfin l’argent 8ç l’or, objet
principal de toutes les entreprifes de négoce.
Le Japon, aufli peuplé que la Chine à proportion
, 8c non moins induffrieux, tandis que la
nation efl plus fière 8c plus brave, poffède prefque
tout ce que nous avons, 8c prefque tout ce qui
nous manque. Les peuples de l'Orient étoient autrefois
bien fupérieurs à nos peuples occidenraux ,
dans tous les arts de l’efprit 8c de la main : mais
que nous avons regagné le tems perdu, ajoute
M. de Voltaire 1 Les pays où le Bramante 8c Michel
Ange ont bâtiS. Pierre de Rome, où Raphaël:
a peint, où. Newton a calculé l’infini, où Leibnitz
partagea cette gloire , où Huyghens appliqua,
la cycloïde aux pendules à fécondés , où Jean de
Bruges trouva la peinture à llhuile, où Cinna 8c
Athalie ont été écrits ; ces pay s , dis-je, font
devenus les premiers pays de la terre. Les peuples*
orientaux ne font à préfent dans les beaux arts que
des barbares ou des enfans , malgré leur antiquité r
8c tout ce que la nature a fait pour eux.
Jetons préfentemerit un coup d’oeil fur cet empire
, 8c rapportons quelques détails fur les- lieux,
fur les productions du fo l, fur les moeurs, 8c Tin—
duftrie des habitans.
Les grands chemins font fi larges, que deux
troupes de voyageurs , quelque nombreufes
qu’elles foient, peuvent y pafîer en même teins
8c fans obflacles. Ces routes x les plus grandes
<3u moins, font divifées en milles géométriques,
'qui commencent au grand pont de Jedo, comme j
au centre commun de tous les grands chemins.
Les chemins de traverfes ont aufli leurs inferip-
tions pour guider les voyageurs.
L’étude & les fciences font le principal amufe-
mënt de’ la cour du dairi : non-feulement les cour-
tifans, mais plufieurs de leurs femmes fe font fait
un grand nom par divers ouvrages d efprit. Les
almanachs fe faifoient autrefois a la cour du daiii.
Aujourd’hui c’eft un fimplë habitant de Meaco qui
les drefle ; mais ils doivent être approuvés fa r un
kungi, qui les fait imprimer. La mufique èft en
honneur aufli dans cette cour, 8c les1 femmes fur-
tout y excellent à jouer de plufieurs fortes d’inf-
trumens. Tous les cinq ou fix ans , l’empereur
féculier rend une vifite au roi-pontife : on emploie
une année entière aux préparatifs de ce
voyage, qui fe fait avec un fafte & une magnificence
extraordinaires. A fon arrivée dans la capitale
eccléfiaftiqtie , les troupes s’y rendent en fi grand
nombre, que cent mille maifons dont Meaco efl
compofée , ne fuffifent pas pour les loger ; on efl
obligé de dreffer des tentes hors de la ville. Le
cubofama ou empereur préfente fes refpeéls au
dairi , comme un vafîal à fon fouyérain.; 8c après
lui avoir fait de magnifiques préfens, il en reçoit
de lui de fort riches ; mais cette Vaflalité apparente
n’empêche point que le cubofama ne jonifle
du pouvoir abfolu. Outre fon domaine qu’on fait
monter à plus de la moitié du Japon , 8c les droits
qui fe lèvent en fon nom fur le commerce étranger
8c fur les mines, chaque feigneur efl obligé
de lui entretenir un nombre de foldats, proportionné
au revenu dont il jouit : toutes fes troupes
montent à trois cent huit mille fantafîins, 8c trente-
huit mille huit cents hommes de cavalerie. De
fon côté, il compte à fa propre folde cent mille
hommes de pied , 8c vingt mille chevaux, qui
compofent les garnirons de fes places, fa maifon
'8c fes gardes. Les armes des cavaliers font dès
carabines, des javelots , des dards 8c le fàbre. Les
fantaflins ont chacun deux fabres, une efpèce de
piqué , 8c un moufquet. Si l’empereur avoit befoîn
de plus grandes forces, il lui feroit facile de raf-
fembler de formidables armées, fans caufer aucun
défordre dans le commerce de fes états.
Autant il efl facile au cubofama d’amaffer d’îm-
menfes tréfors, autant les grands trouvent-ils de
difficulté à multiplier leurs richefles. La politique
du fôuverain les engage dans des dépenfes excef-
fives ; 8c quand il forme quelque entreprife confldérable
, il en charge un certain nombre de fei- !
gneurs ;qui font obliges de l’exécuter à leurs frais»
La politique de cette cour efl comme celle de tous
les defpotes, entièrement fondée fur la crainte 8c
la défiance.
La police, l’adminiftration 8ck Iégiflation s’exécutent
fur le même plan ; des lois féroces , ou ab- ■
furdes , 8c des fupplicés, tel efl le fecret de tous les 1
tyrans : fans- cefie. inquiets., fooibr.es, ombrageux:,
comme ils, n'aiment rien , ô a ne les aime point ;
comme ils fe font craindre , ils craignent à leur
tour, Scfônt des malheureux pour être malheureux
eux-mêmes. •
En général jes Japonois' font fort mal faits. Ils
ont le teint olïvâtrç, les yeux petits, les jambes
grofles, la taillé au* deflbus, de la médiocre., le
nez court, un peu éçrafé 8crelevé en pointe , les
fourcils épais., les joues plates , les traits greffiers
8c très-peu de barbe qu’ils fe raient ou s’arrachent.
Cette défeription cependant ne convient pas à toutes
les provinces, 8c les grands feigneurs n’ont rien
de choquant dansTair 8c dans les traits du vifage. A
1 egard des femmes, tous les voyageurs leur accordent
de la beauté ; mais prefquë tou tes. font d’une
taille très-petite. L ’habillement des grands 8c des
nobles font des robes traînantes de ces belles étoffes
de foie à fleurs d’or 8c d’argent qui fe font dans
l’île de Fatfifio 8c dans celle de Kamakura. De petites
écharpes qu’ils ont au cou leur font une efpèce
de cravate ; une autre plus large leur fert de
ceinture. Leurs manches font larges 8c pendantes.
Leur fabre 8c leur poignard a la poignee très-fôu-
vent enrichie de perles 8c de diamans. Les bourgeois,
les artifans, les marchands ont des habits
qui 11e defeendent qu’à la moitié des jambes, 8c
dont les manches ne paflènt pas le coude ; le refte
du bras efl nud, mais ils portent tous des armes
d’une propreté recherchée. Leurs cheveux font
rafés derrière- la tête, au lieu que les nobles fe font
rafer le haut du front. Les femmes ont encore plus
de magnificence dans leurs vêtemens que les hom mes
; elles font toutes coiffées en cheveux, mais
différemment félon leur condition. Sur quantité
de longues veftès , elles ont une robe flottante qui
traîne de quatre pieds, 8c une large ceinture ornée
de fleurs oc de figures. C ’eft par le nombre de fes
; vèftes qu’on juge de la qualité (Tune femme. On
'affure quelles montent quelquefois jufqu’à cent»
8c qu’elles font d’une étoffe fi déliée qu’on peur
en mettre plufieurs dans la poche. Les dames delà:
première qualité ne paroi fient jamais dans les rues
fans un cortège nombreux de filles magnifiquement
parées, 8c de femmes de chambre. L ’ufage oblige
ries femmes à ne recevoir aucune vifite fans avoir
un voile fur la tête. Ces vifites ne leur font pernii-
fes qu’une fois l’an.
Les Japonois ne négligent rien pour cultiver Fefo
prit de leurs enfans , 8c les études font les mêmes
pour l’es- deux fexes. Aufli les femmes favantes ne*
font pas rares au Japon. On leur Rapprend a parler
correctement, à bien lire, 8c à bien former les car
raélères ; enfuite on leur én feigne les principes de'
leur religion ; après cela la logique, l’éloquence, la
morale, k poéfie 8c la peinture. Peu de nations
ont plus de goût 8c de génie pour les beaux arts»
La langue Japonoife efl nette, articulée , diftinéle
8c riche ; mais les caraélères font greffiers 8c informes.
A l’égard de l’écriture favante » elle efl à-pei*-