
de latitude, II fe trouve un pays abondant en
bois. Mais de quelque côté qu’ il arrive , foit de
1 Amérique ou de la Tartarie orientale, comme
il double le cap Scalaginskoi, il doit au moins
pafler par une mer libre & fans glaces. Sous les
cercles polaires , il peut faire plus chaud en
été que chez nous en h iv e r , parce que le foleil
qui n eft alors pour nous qu’a quinze degrés d’é-
levation , & pour quelques heures chaque jour,
fe trouve au pôle de vingt-trois degrés d’éléva-
cion en été, fans jamais fe coucher. Ce jour continuel
fait préfumer, dit-on, qu’on iroit dans
lix femaines au Japon par cette route, tandis que
par la route de l’oueft, il faudrait neuf mois pour
arriver au même terme.
A ces preuves naturelles joignons en d’autres
que nous fournirent des témoignages auxquels
on ne peut fe refufèr. M .Gmelin, parlant des
tentatives faites par les Rufles pour trouver un
P aJTaSe a“ nord^eft ? dit que la maniéré dont
on a procédé à ces découvertes, » fera en fon
» tems le fujet du plus grand étonnement de tout
» le monde, lorfqu’on en aura la relation au-
» thentique , ce qui dépend uniquement, ajou-
» te-t-il , de la haute volonté de l’impératri-
» c e » . . . Quel fera donc ce fujet d’étonnement,
fi ce n eft d’apprendre que le pajjage regarde
jufqu’ ici comme impoflible , efttrès-pra-
tiquable ? Voila le feul fait qui puifle furprendre
ceux qu’on a tâché d’effrayer par des relations
publiées a deffein de rebuter les navigateurs. On
» fait que la Ruflie cherche à s’approprier les
» pays voifins dans l’Amérique , & qu’elle n’at-
» tend que des circonftances favorables pour
» executer ce projet ». Jufqu’à cé que cette
occalion fe préfente, elle fait tout ce qui dépend
d elle pour détourner les puiflances européennes
de tenter ce pajjage, & de s’établir dans
une partie de l’Amérique où l’on trouverait un commerce très-lucratif. » Les cartes & les écrits
» publies par ordre de la cour de Ruflie tendent
» a ce but, d’éloigner les étrangers d’une navi-
» gation qu’elle veut faire fans rivaux. Par tant
» de navigations infortunées ( dit la lettre d’un
T> officier Ruffe, écrite à ce fujet ) on jugera du
» compte qu’ il faut faire de ce pajjage par la
» mer glaciale , que les Anglois & les Hol-
» landois ont cherché autrefois avec tant d’em-
» preflement. Sans doute ils n’y auraient ja-
» S*iIs avoîent prévu les p é r ilsV
» if? “IF10111163 invincibles de cette navigation ?
» Reufliront-ils où nos Rufliens plus endurcis
» qu eux aux travaux , au froid , capables defe
i) pafler de mille chofes, & fécondés puiflam-
$ ment, n ont pu rçuflir ? A quoi bon tant de dé-
» penfes, de rifques & de fatigues l Pour aller
n °îî ’ a.u^ *n<*es Par i e chemin le plus court!
» Cela ferait bon, fi l ’on n’étoit pas expofé à hi-
yernejr trais ou quatre fois pn chemin. Çe plqs
»' court chemin n’exifte que fur nos globes 8ç~
» nos mappemondes».
Cet officier Rufle eft réfuté par un officier Aile- -
mand. C elui-ci,' dans les lettres écrites dePéters-
bourg, en i j6 x , à un gentilhomme Liyonien ,
dit que les Rufles font de mauvais marins. » C’eft
» pour cela que dans la moindre expédition qu’ils
» ont a faire fur mer, ils petdent toujours tant
» de navires 8c de monde. Toute leur fcience
» confifte dans une mifërable théorie. Un pilote
» Ruflien croit être très-habile quand il faitnom-
» mer les principaux vents, & calculer combien
» de lieues le vâifleau a avancé dans un quart.
» Pour le refte , il s y font fi neufs,, qu’on ri£
» que de faire naufrage avec e u x , lors même
» qu il fait le tems le plus favorable . . . Quand
1Varr*ve a un capitaine Ruflien que le vent
» change tout-d’un-coup, vous le Voyez perdre
» la tramontane. Il tourne le navire , & revient:
» a 1 endroit d’où il étoit parti. Us ne favent ce
» que c eft que louvoyer, 8c aufli-tôt qu’ ils l’en-
» treprennent , on eft perdu fans reflource. Les
» excellens navigateurs pour chercher de nouy
» veaux mondes » !
On fait que les bâtimeus dont fe fervent les
Rufles pour naviger dans la mer gla cia le, coûtent
a Archangel, avec tous leurs agrêts , trois
cens roubles. Peuvent-ils fe hafarder au moindre
danger avec de fi miférables nacelles Dira-t-on
que la mer Glaciale ne comporte pas de grand*
vaifleaux ? Cependant les vaifleaux Hollandois
qui ont depafle le cap feptentrional de la nouVel-
le-Zemble , 8c qui ont trouvé une mer libre julr
qu a la longitude des embouchures du Lena,
prouvent qu’on peut naviger fur la mer glaciale
avec d autres bâtimens que ceux des Rufles. Les
Hollandois aufll ne font pas moins jaloux que les
Rufles, de couper cours aux nouvelles découver*
tes. Ceux-ci veulent les faire fsuls ; ceux-là ne
veulent que les empêcher. Cette laborieufe nation
a reudu tributaires tant de peuples &
de pays , qu’elle a de la peine à les contenir.
Loin de pouvoir établir xle nouvelles colonies
, elle feiit que des découvertes, en l ’af-
foibliflant, ouvriraient la routé de fes richefle»
& de fon commerce à d’autres nations. C’ eft pour
leur fermer cette voie , que les Hollandois ont
tente meme de découvrir l’Amérique par le nord-
eft de l’Afie : ils font allés de l ’Inde au nord du
Japon, fonder les îles & les côtes qui rapprochent
le plus le nouveau-monde de l’ancien ? mais
ils n’ont parcouru que la moitié d.e la'route, encore
n en ont-ils peut-être fait que le femblant*
Tandis que les Hollandois cherchoient l ’Amérique
a tâtons par le fiid de l’A fie , les Rufles l’onc
découverte ou voulu découvrir par le nord. Mais
on ne connoît leurs travaux que par des mémoires
auxquels on n’ofe entièrement fe fier. Il n’y
a v o it, dit l’qfficier Allemand qu’on a déjà cité.,
ïfu’ un feul homme capable de donner des lumières
sûres & fideles fur cer. important objet de cu-
riofité ; » c’eft M. Muller , profefleur & fecré-
}) taire perpétuel de l’ academie impériale des
j) fciences, q u i, pendant toute fa vie , s’eft oc-
» cupé de l’hiftoire de la Ruflie. Ce célèbre favant
„ a fait des voyages dans toutes les provinces
}? principales de l’empire. . . . Il fait la langue
n du pays , 8c il s’étoit pourvu d’interprètes pour
» celles qu’ il ignorait. I l favoit les fources où il
» falloir puifer les inftrud ons néceflaires. Mais
„ à quoi ont fervi tant de veilles & de peines ?
» L’ infatigable hiftorien a fait un excellent ou-
» vrage , fans ofer le donner au public. La nation
» aime le panégyrique , mais non pas la vérité.
» Il fait imprimer plufieurs volumes fous le ti-
jj tre de Supplémens à l’HiJloire de la Ru (fie.
» Mais quelque bon & utile que foit ce liv re ,
» je n’oferois pourtant pas garantir qu’ il en
» foit lui-même fort content. I l eft bien perfua-
» dé que ce ne font que des fragmens imparfaits,
» 8c qu’ il a été obligé de fupprimer fouvent les
» traits les plus eflentiels. Si pn lui eût permis
» de remplir les devoirs d’ un écrivain fincere ,
» il aurait fans doute donné une hiftoire com-
» plette 8c digne de fa réputation. Mais , tant
» que le fénat de Pétersbourg fe mêlera de rayer
» & de corriger les pièces de M. Muller , nous
» n’aurons jamais une hiftoire fidelle de la
» Ruflie».
D’après ce témoignage d’un auteur récent qui
a fait un long féjour à Pétersbourg , avec l’ intention
, le zele 8c la capacité de s’ inftruire , il
fera permis de conclure qu’on ne doit pas adopter
, fans méfiance , la haute opinion que les
hiftoriens ou les géographes , payés par la cour
de Ruflie, ont voulu donner de cet empire , de
fon étendue & de fes découvertes.
Il y a la plus grande contradiction entre les
nombreux voyages que les Rufles prétendent
avoir faits pendant huit années , depuis Archangel
jufqu’ à la riviere de Colyma , & les difficultés
insurmontables dont ils iement cette route ,
pour la cacher ou l’ interdire aux autres nations;
entre la pêche abondante qu’ils ont faite de
poîflbns monftrueux , ou même d amphibies,
qui viennent chaque jour boire dans l’ Indigirs-
ka , & les glaces perpétuelles dont ils veulent
que l’ embouchure de cette riviere foit comme
fermée ; entre l’énorme quantité de bois dont ils
couvrent les côtes delà mer glaciale en certains
endroits, où ce bois ne peut être venu qu’après
avoir tourné autour du cap Swioetoïnoff, & l’i-
naccejfibilite' de ce. même cap , où l’on ne veut
pas que les vaifleaux puiflent jamais pafler; entre
l’agitation perpétuelle que les vents & les
vagues excitent, dit- on , au cap Schalaginskoi,
& l’efpèce de continent de glace immobile qu’on
y jette comme une digue , pour empêche^ les
navigateurs de le tourner. Ces contradiélion
montrent le peu de certitude qu’ il y a dans le
relations des Rufles, fur leurs propres découvertes.
On fait quelques obje&ions contre la poflibi-
lité du pajjage par le nord ejl : il eft à propos d’y
répondre.
La côte de la mer Glaciale s’avance tous les
jours , dit M. Gmelin , 8c la terre y gagne , foit
en largeur , (bit en hauteur. Il y avoit autrefois,
entre la terre & les glaces, un efpace d’eau où
les bâtimens Rufles pouvoient pafler. Aujourd’hui
cette eau paraît avoir fait place à la terre ,
foit que l’une ait pu s’écouler par quelque nouvelle
iflu e ,fo it que l’autre ait infenjfiblement
haufle : car on prétend que le continent hauffe
par-tout, & que la mer baifle . . . Mais , quand
même la mer Glaciale aurait baifle d’un aemi-
pouce par an , comme l ’Océan fait en Suède ,
depuis un fîécle que les vaifleaux Rufles navigent
au Kamtschatka , elle n’auroit pas perdu cinq
pieds de profondeur. D’ailleurs, il ne s’agit pas
de côtoyer les bords de la mer Glaciale, il faut
s’en éloigner à plus de cent lieues , jufqu’au-
delàjdu 8oedégré^de latitude , & l’on doit y trouv
er une mer fans fond & fans glaces , libre pour
les vaifleaux. Mais la mer Glaciale , replique-
t-on . doit fe couvrir déplus en plus de nouvel
les glaces, que les fleuves qui y débouchent ne
ceflent d’y jetter tous les ans.
Si ce raifbnnement avoit de la force, cette mer
ne devrait plus être qu’ un bloc ferme & folide.
Si les glaces du pôle engendraient d’autres glaces
de proche en proche , le globe ferait gelé
jufques vers la zone torride. Si les glaces aug-
menraient ainfi par dégrés, les vapeurs, les fources
& les rivières diminueraient. Mais , de ce
qu’on ne les voit point tarir , il faut conclure au
contraire que la mer Glaciale , loin de fe g e le r ,
eft parfaitement libre & liquide , par un concours
& une réunion de caufes phyfiques qu’ il
ferait poflible de déduire , & par une multitude
d’autres qui viendront peut-être un jour à la
connoiflance des naturaliftes , par d’autres enfin
, qu’ ils ne connoîtront peut-être jamais. Ne
peut-il pas y avoir fous le pôle des volcans , des
foupiraux de feu central , des gouffres , par lef-
quels la mer s’engloutit , ou du moins fe décharge
de fes glaces ?
Le pajjage au nord-ejlpexit fe tenter ailement
dans une feule failbn ; les vaifleaux de la pêcher
de la baleine fe trouvent ordinairement à la vue
du Spitzberg, fous le ioixame-feizieme dégré de
latitude , des l ’entrée de mai. En allant au nord-
eft jufqu’au quatre-vingt-cinquieme dégré, on
même jufqu’au quatre-vingtieme ., on aura cent
Ibixànte dégres de longitude à parcourir pour
doubler le cap de Schalaginskoi ; mais ce$ dé*