
iio K A M bords de la Biftraca, lequel vient fi gros qu’oh
peut en conftruire des vaiffeaux. Les cotes orientales
font moins dépourvues de bois , & les plaines
même en fourniffent de fort beau. Ce pays,
foit par les montagnes & les volcans, foit par la
chaleur que la mer entretient par des brouillards
épais: ce pays, dis-je, n’a pas un hiver aulfi rigoureux
que l’annonce fa pofition géographique ;
mais s’il eft modéré, il eft long & confiant. Janvier
eft le mois le plus froid de l’année. Le prin-
tems eft court ; quoique pluvieux , eft parfemé de
beaux jours. L’été n'eft pas plus long, mais plus
inconftant & plus bizarre. Le voifinage de la mer
6c la fonte des neiges y couvrent tous les jours
le ciel d’un voile de vapeurs que le foleil ne
«difljpe guère qu’à midi. Cependant loin de la mer,
le tems eft conftamment lerein depuis le mois d’avril
jufqu’à la mi-juillet. L’été n’a rien de violent
au Kamtfchatka. La pluie y eft fine, la grêle petite,
le tonnerre fourd , l’éclair foible , la foudre rare ;
elle ri’y. a jamais tué perfonne. La plus belle faifon
de l’année eft l’automne , qui donne de beaux
jours durant le mois de feptembre, mais troublés
à la fin par les vents 8c les tempêtes qui annoncent
l’hiver. La glace prend aux rivières dès l’entrée de
novembre. Ce mois 8c les deux fuivans offrent rarement
des jours fereins. C ’eft en feptembre &
oélobre , en février & mars, qu’on peut voyager
6c commercer avec plus de fureté. La neige qui
tombé dans la prefqu’île entre le 52e 8c le 55e
degré , eft fi abondante, qu’à la fonte du printems ,
toute la campagne en eft inondée par le débordement
des fleuves. Les vents & les ouragans achèvent
de rendre ce pays incommode à ceux qui
l’habitent.
On y connaît peu de métaux : on a pourtant
découvert une mine de cuivre entre le lac Kouril
6c la rivière de Girowaia. On trouve de l’ocre
rouge , du tripoli, le long de la grande rivière ;
de l’ambre jaune eh quantité près de la mer de
Pineina. Les montagnes donnent une forte de
criftai d’un rouge de cerife, mais en petits mor*
çeaux. La rivière de Chariafowa, vers le 56e degré
de latitude, a dans fes environs du criftai verd
par grands morceaux ; & on trouve de tous côtés
des pierres tranfparentes de différentes couleurs,
mais nulles pierres précieufes.
Les principaux végétaux font le melèze ou larix,
le peuplier blanc, le faille , l’aune, le bouleau &
le petit cèdre , l’aube-épine , Je genevrier , le
grofeiller, &c.
Les plantes font la farana , qui tient lieu de fa?
rine 8c de gruau, mets fi agréable 8c fi nourrif-
fant, qu’il peut faire oublier le pain : l’herbe
douce, nommée fphQndilium, dont o.n fait dç§
bouillons, des confitures, 8c de l’eau-de-vie, 8c
plufieurs autres plantes que l’on mange aVec fuc-
çès dans les maladies. Il fe trouve aufli dans ce
pays une foulé de végétaux bons à manger, à la
teinture, §c dont on fe fe« eomme rejnçde$. ke§
K A M I animaux font le chien, dont on fe fert au Heu àé
I rennes pour les traîneaux, 8c dont les peaux font
de belles fourrures ; le renard , l’ours, le bélier
fauvage dont la chair eft très-délicate, la zibeline,
les marmotes, le goulu, 8cc. Les rats y font en
très-grand nombre 8c de plufieurs efpèces. Ils tra-:
verfent fouvent les rivières 8c les lacs à la nage ;
pour aller peupler d’autres cantons de leurs -colonies.
Les amphibies font le caftor, la loutre, les
veaux marins, les lions , 8c les- chats marins , les
vaches marines, 8cc. Les poiffons du Kamtfchatka
font la baleine , l’elpadon fon ennemi, 8cc. beaucoup
de poiffons de rivières. Les oifeaux font le
plongeon , le cormoran , le moüichatka , le kara ,
ieftariki, le gloupichi,le Corbeau aquatique, le
cigne, 8cc. ; les oies 8c les canards fauvages ,, des
oifeaux de proie, &c. Les habitans du Kamtfchatka
ont trois langues , la Kamtfchadale, la Koriague, &
laKourile. La langue des Kamtfchadales a beaucoup
de mots terminés comme ceux des Mongales Chinois
, des Japonois 8c des Tartares. Ces langues fe
reffemhlent dans les déclinaifons & les mots dérivés.
La figure des habitans a autant de reffemblance
que la langue , avec les trois premiers de ces peuples
, ce qui feroit croire qu’ils en defeendent ?
ils ont les cheveux noirs , peu de barbe, le vifage
large 8c plat , le nez ècrafé comme les Calmoucks ,
les yeux enfoncés, les jambes grêles, le rentre
pendant, les lèvres épaiffes , 8c la bouche grande;
ils vivent de racines , de poiffons, 8c d’amphibies.
La graiffe des veaux marins eft pour eux un grand
régal. L’eau eft leur feule boiffon. Leurs habille-
mens font des cafaques de peaux avec des fourrures.
Ces habits ne leur tombent que jufqu’aux
genoux. Les femmes portent fous la cafaque une
camifole 8c un caleçon , çoufus enfemble. Les .
hommes portent aufli des caleçons qui tombent
jufqu’aux talons ; 8c les deux fexes ont pour chauf*
fure des bottines.
Croiroit-on que le luxe ait pénétré jufques ches
ces fauvages ? Un kamtfchadale un peu aifé , dit-<
on, ne peut guère s’habiller, lui 8c fa famille, à
moins de cent roubles, ou de 500 livres: ils habitent
fous des cabanes , dont les matériaux font
portatifs ; 8c ils ont leur maifon d’été 8c leur maifon
d’hiver, Ces maifons conftriiites en bois font recouvertes
de gàfon ; au milieu du toit, on ménage
une ouverture quarrée , qui tient lieu de
porte, de fenêtre 8c de cheminée: leurs meubles
font dçs taffes, des auges, des paniers, des canots
, des. traîneaux, voilà" leurs richeffes ; leurs
armes font l’a re, la lance, la pique 8c la cui-
raffe, C ’eft avec des os de poiffons, des pierres,
ou du criftai, qu’ils fe faifoient des haches, des
couteaux, des aiguilles, avant que les Ruffes leur
en euffçnt porté de fer en échange de leurs four-?
rures. Les moeurs de ces peuples reffemhlent au
climat J tout eft groflier 8c fauyage ; leurs inclinations
ne diffèrent guères de l’inftinddes bêtes;
leur fçuvçraip bonhçur çft flans les. plaifirs çor-
K A M jporels ; à peine fe doutent-ils qu’ils aient une ame.
Les enfans n’ont point de refpeél pour leurs pa-
rens; ceux-ci n’ont point d’autorité fur leurs en-
fans : chez cette nation pauvre, la vieilleffe infirme
eft traitée avec mépris, 8c il femble qu’un
père fe donne un fils pour avoir un maître. Les
mariages font encore plus bizarres : une fille eft
une place forte qu’il faut emporter d’aflaut; elle
eft défendue par d’autres femmes qui fe jètent fur
Famant, 8c l’accablent de coups, l’égratignent,
lui arrachent les cheveux ; il faut qu’il triomphe
de tous ces obftacles, ou qu’il refte dans le célibat.
S’il eft vainqueur, il emporte fa maîtreffe;
alors les deux partis fe réconcilient, 8c on célèbre
le feftin des noces chez les. parens de la fille. Ce
peuple que la nature a traité avec tant de rigueur,
ajoute encore à fes maux par la guerre. Avant que
les Ruffes euffent pénétré dans ces climats, une
partie de la nation êtoit occupée à détruire l’autre.
On n’en a fournis une partie qu’avec bien de la
peine. Rien au monde de plus dégoûtant que leurs
feftins ; leurs danfes , leurs chanfons, leur mufi-
que , leurs idées fur la religion 8c fur Dieu , tout
eft bizarre, abfurde 8c barbare; leurs fuperftitions
égalent leur ignorance. Ils croient à toutes ces
rêveries révoltantes que les prêtres ont inventées
ailleurs pour tromper les hommes. Il faut efpérer
que ces peuples brutes, la honte de l ’efpèce humaine
, le poliront peu-à-peu par leur commerce
avec la Ruflie , 8c qu’on verra par la fuite des
hommes, où Fon ne trouve aujourd’hui que des
êtres barbares, ftupides, 8c fi fort au-deffous de
l’intelligence de certains animaux.
Mais hélas ! combien ce voeu que je forme eft
loin encore d’être réalifé ! Il eft bien plus facile
de corrompre un peuple que de le civilifer ! Les
Ruffes ont porté dans ces climats leurs vices ,
leur luxe, leur ambition, leur avarice ,. leur industrie.
Le Kamtfchadale aujourd’hui eft une forte de
métis qui tient du Cofaque, du Ruffe, 8c de fon
caraélère propre. On lui a donné les arts de
l’Europe, 8c c’étoit un préfent funefte, lorfque
Fon ne l’éclairoit pas affez pour lui indiquer l’u-
fage qu’il devoit en faire; fon caractère eft altéré,
on l’a affoibli î 8c policé. Ce robufte habitant du
nord fuccombe fous l’eau - de-vie ; on lui fournit
en échange de fes fourrures précieufes cette liqueur
empoifonnée, avec laquelle les Européens corrompent
8c détruifent tous les fauvages, 8c on
lui a infpiré un luxe éphémère qui le ruine en
abrégeant fa vie. Il eft bien vrai qu’on en a bap-
tifé quelques milliers ; mais ce bien que la religion
a voulu leur faire, équivaut-il au mal que
Favarice leur a caufé ? Et pour avoir changé de
religion, ont-ils moins de préjugés ? Sont-ils plus
éclairés? Enfin, font-ils plus heureux? Ofons le
dire i c i , parce que la vérité entraînera toujours
la plume d’un écrivain honnête, les Ruffes ont
porté prefque fous le pôle un brigandage, une
ambition effrénée, une cruauté enfin, qui ne peut
K A M iii
fe comparer qu’aux barbaries des Efpagnols dans
la conquête de l’Amérique.
Mais cette prefqu’île , au moment où j’écris >
devient intereffante aux navigateurs comme aux
autres hommes ; elle exige donc plus de détails*
On connoît trois routes pour le Kamtfchatka.
La-première par la Léna, dans la mer Glaciale,
d’où.Ton entre par les rivières d’Infligirka 8c de
Kowitma ; de-là par terre, on peut gagner la mer
de Pedgina. Cette route eft de douze cents lieues ;
les glaces fondues oppofent tant d’obftacles qu’il
ne faut pas moins d’un an pour ce trajet, même
avec un vent favorable ; fi le tems eft contraire ,
on eft trois ans à faire cette route, 8c on a les
plus grands rifques à courir.
La fécondé route par terre mène à AnadirzkoL
On cotoie la^ rivière de Pengina, près la mer de
ce nom, 8c a travers les montagnes , on gagne 1 Oftrog inferieur du Kamfchatkoi. Cette route de;
mande fept mois au moins.
La troifieme route qui eft la feule, car les deux
premières font abandonnées ; la dernière route ,
dis-je, fe fait prefque toute par eau. C ’eft de beaucoup
la plus courte 8c la moins fatigante. On
defeend dIakoutsk la Lena, jufqu’à l’embouchure
de lA ld an ; on remonte celle-ci jufqu’à l ’embouchure
de la Maiou, d’ou Fon remonte jufqu’à 1e
Joudoma. On gagne par cette rivière un endroit
qu’on nommé Lacroix-Joudoma, d’où Fon fe rend
à Okhotsk par terre, ou bien Fon s’arrête en chemin
fur la rivière d’Ourak, que Fon defeend pour;
gagner par mer le port d’Okhotsk ; mais comme
cette rivière eft dangereufe par fes cataraéies, on
ne s’y expofe guère.
Les îles Kouriles inveftiffent le Kamtfchatka ;
elles font comme autant de ftations qui condui-
fent de ce continent au Japon, 8c feront peut-
être un jour les échelles du commerce du Japon
8c de l’Inde avec le nord de l’Afie , ou meme
de l’Europe. Voye^ Kouriles.
Les différens peuples de Kamtschatka font, i%-
les Kamtfchadales ; 20. les Koriaques, qui fe di-
vifent en deux branches , dont les uns habitent
la prefqu’île , 8c font fixes; les autres font voi-
fins, 8c mènent une vie errante avec leurs rennes,
parmi ces peuples fixes, arrêtant leurs courfes
à-peu-près dans les limites géographiques ou ceux-
ci ont fixé leurs domiciles ; 30, les Tchouktchi ,
efpèce de Koriaques plus fiers 8c plus forts que
les deux autres peuples. Je ne parlerai pas des
Kouriles, parce qu’ils habitent des terres détachées
du continent. On trouve dans la langue de ces
peuples des expreflions fingulières, 8c qui peignent,
leurs idées avec beaucoup d’énergie. Ils
appellent le mois du grand froid, le mois qui rompt
les haches; le tems le plus chaud, le mois des longs
jours. Dans un canton, il y a le mois des poiffons
rouge s , & le mois des poiffons blancs,, pour exprimer
les mois où ces poiffons retournant des rivières
à la ;ner, fourniffçnt une pêche abondante.