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fer en abondance ; d’autres provinces fournirent
des pierres précieufes, jafpes , agates, cornalines,
des perles dans les huîtres 8c dans plufieurs autres
coquillages de mer. L’ambre gris fe recueille fur
les côtes, & chacun peut l’y ramaffer. Les coquillages
de mer, dont les habitans ne font aucun
cas, ne cèdent .point en beauté à ceux d’Am-
boine 8c des îles Moluques. Le Japon poffède aufli
des drogues eftimées, qui fervent à la peinture 8c
à la médecine. On n’y a point encore découvert
l’antimoine & le fel ammoniac : le vif-argent & le
borax y font portés par les Chinois. Les Hollan-
dois retirent de ce pays en échange des marchan-
difes d’Europe & des Indes, ils retirent, dis-je,
jufqu’à douze mille livres de camphre, du cuivre,
plufieurs centaines de balles de porcelaine, une
boëte ou deux de fil d’o r , de cent rouleaux la
boëte, toutes fortes de cabinets vernifles, 8c d’autres
ouvrages de cette efpèce ; des parafais, des
écrans, des cornes d’animaux, des peaux de poif-
fons, que les Japonois préparent avec beaucoup
d’art & de propreté ; des pierreries, de l’o r , du
fowa,' métal artificiél, compofé d’o r , d’argent,
& de cuivre ; des rattans, du papier peint & coloré
en or & en argent, du papier tranfparent, du
riz le plus fin de toute l’A n e , du facki, efpèce
de breuvage qui fe fait avec du riz; des fruits,
du tabac, diverfes fortes de thé , &c. &c.
L ’empire du Japon eft fitué entre le 31e & le
42e degré de latitude feptentrionale. Les Jéfuitès ,
dans une carte corrigée fur leurs obfervations agronomiques
, le placent entre le 157e & le 175 e d . ,
30’ de longitude1 II s’étend au nord-eft & à l’eft-
< nord-eft : fa largeur eft très-irrégulière , & étrmte
en comparaifon de fa longueur,, qui, prife en
droire ligne , & fans y comprendre toutes les côtes,
a au moins deux cents milles d’Allemagne. Il eft
comme le royaume de la Grande-Bretagne, haché
& coupé, mais dans un plus haut degré, par des
caps, des bras de mer, des anfes & des baies. Il
fe trouve un bras de mer entre les côtes les plus
feptentrionales du Japon , & un continent voifin.
C ’eft un fait confirmé par les découvertes récentes
dès Rnffes. Jedo eft aujourd’hui la capitale de cet
empire : c’étoit autrefois Méaco. Voye% Jedo &
Méacq.
Si le Japon excite la curiofité des géographes,
il eft encore plus digne des regards d’un philo-
fophe. Nous fixerons ici les.yeux du leéleur fur le
tableau intéreflant qu’en a fait l’hiftorien philofophe
de nos jours. Il nous peint avec fidélité ce peuple
étonnant, le feul de l’Afie qui n’a jamais été
vaincu , qui paroît invincible, qui n’eft point,
comme tant d’autres., un mélange de différentes
nations, mais qui femble aborigène ; & au cas
qu’il descende des anciens Tartares, douze cents
ans avant J. C ., fuivant l’opinion du P. Couplet,
toujours eft-il sûr qu’il ne tient rien des peuples
voifins. Il a quelque chofe de l’Angleterre, par la
fierté infulaire qui leur eft commune, & par le fui-
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eide, qu’on croit fi fréquent dans ces deux extrémités
de notre hémifphère : mais fon gouvernement
ne reffemble point à l’heureux gouvernement de la
Grande-Bretagne, ni à celui des Germains ; fou
fyftême n’a pas été trouvé dans leurs bois.
Nous aurions dû connoître ce pays dès le xm
fiècle, par le récit du célèbre Marco Paolo. Cet
illuftre Vénitien avoit voyagé par terre à la Chine,
& ayant fervi long-tems fous un des fils de Gengis-
Kan, il eut les premières notions de ces îles, que
nous nommons Japon, & qu’il appèle Zipàngri;
mais fes contemporains, qui admettoient les fables
les plus groffières , ne crurent point’ les vérités que
Marco Paolo annonçoit : fon manuferit refta long-
tems ignoré ; il tomba enfin entre les mains de
Chriftophe Colomb, 8c né fervit pas peu à le
confirmer dans fon efpérance de trouver un monde
nouveau , qui pouvoir rejoindre l’orient & l’occident.
Colomb ne fe trompa que dans l’opinion,
que le Japon touchoità 1’hémifphère qu’il découvrit
: il en étoit fi convaincu , qu’étant abordé à
Hifpaniola, il fe crut dans le Zipàngri de Marco
Paolo.
Cependant lorfqu’il ajôutoit un nouveau monde
à la monarchie d’Efpagne, les Portugais de leur
côté s’agr an diffoien t avec le même Æ on heur dans
les Indes orientales. La découverte du Japon
leur eft due, & ce fut l’effet d'un naufrage. En
1542, lorfque Martin - Alphonfe de Souza étoit
vice-roi des Indes orientales , trois Portugais, Antoine
de Mo ta , François Zeimoto, 8c Antoine '
Peixota, dont les noms méritoient de pâffer à la
poftérité, furent jetés , par une tempête , fur les
côtes du Japon ; ils étoient a bord d’une jonque
chargée de cuir, qui alleit de Siam à la Chine :
voilà l’origine de la première connoiffance qui fé
répandit du Japon en Europe.
Le gouvernement du Japon a été, pendant deux
miile quatre cents ans, afîez femblable à celui du
calife des Mufulmans, 8c de Rome moderne. Les
chefs de la religion ont été , chez les Japonnois ,
les chefs de l’empire plus long-tems qu’en aucune
autre nation du monde. La fucceflion de leurs pontifes
rois, & de leurs pontifes reines ( car dans
ce pays-là les femmes ne font point exclues du
trône pontifical ) remonte 660 ans avant notre
ère vulgaire.
Mais les princes féculiers s’étant rendus infenfi-
blement indépendans & fouverains dans* les provinces
dont l’empereur eccléfiaftique leur avoit
donné l’adminiftration , la fortune difpofa de tout
l’empire en faveur d’un homme courageux & d’une
habileté confommée, q u i, d’une condition baffe
& fervile, devint un des plus puifîans monarques
de l’univers.: on l’appela Ta'ico.
Il ne détruifit, en montant fur le trône , ni le
nom, ni la race des pontifes, dont il envahit le
pouvoir ; mais depuis, l’empereur eccléfiaftique ,
nommé Dairi, ou- Dairo , ne fut plus qu une idole
révérée , avec l’apanage impofant d’ une cour ma-
J A P gnîfique. Voytt^ Dairo. Ce que les T u f es ont fait
a Bagdad, ce que les Allemands ont voulu faire
à Rome, TaïcoTa fait au Japon, 8c fes fucceffeurs
l’ont confirmé. .
Ce fut fur la fin du XVIe fiècle , vers I an 15 »3
de J. C . , qu’arriva cette révolution. Taico inftruit
de l’état de l’empire, & des vues ambitieufes des
princes & des grands, qui avoient fi long-tems
pris les armes les uns contre les autres , trouva le
fecret de les abaiffer & de les dompter. Ils font aujourd’hui
tellement dans la dépendance du Kubo,
c’eft-à-dire , de l’empereur féculier, qu’il peut les
difgracier , les exiler, les dépouiller de leurs pof-
femons , 8c les faire mourir quand il lui plaît, fans
en rendre compte à perfonne. Il ne leur eft pas
permis de demeurer plus de fix mois dans leurs
biens héréditaires ; il faut qu’ils paffent les autres
fix mois dans la capitale, où l’on garde leurs
femmes & leurs enfans pour gage de leur fidélité.
Les plus grandes terres de la couronne font gouvernées
par des lieutenans , 8c. par des receveurs :
tous les revenus de ces terres doivent être portés
dans les coffres de l’empire; il femble que quelques
mîniftres qu’on a eus en Europe, aient été inftruits
par le grand Taïco.
Ce prince, pour mettre enfuite fon autorité a
couvert de la fureur du peuple, qui fortoit des
guerres civiles, fit un nouveau corps de lois fi ri-
goureufes, que, comme celles de Dracon, elles ne
Semblent pas être écrites avec de 1 encre , mais
avec du fang. Elles ne parlent que de peines corporelles
ou de mort, fans efpoir de pardon ni de
furféances pour toutes les contraventions faites aux
ordonnances de l’empereur. Il eft vrai , dit M. de
Montefquieu, que le caraâère étonnant de ce peuple
opiniâtre, capricieux, déterminé , bizarre, &
qui brave tous les périls & tous les malheurs , femble
à la première vue, abfoudre ce légiflateur de
l’atrocité de fes lois ; mais des gens qui naturellement
méprifent la mort, 8i qui s’ouvrent le ventre
à la moindre faritajfie , font-ils corrigés ou arrêtés
par la vue des fuppUces, 8c ne peuvent-ils pas
s’y familiarifer ?
En même tems que l’empereur dont je parle ta-
choit, par des lois atroces , de pourvoira la tranquillité
de l’état, il ne changea ripn aux diverfes
religions établies de tems immémorial, ;dans le
p a y s , & laiffa à*tous fes fujets la liberté de pen-
ier comme ils voudrpient fur cette matière.
Entre ces religions, celle qui eft la plus étendue
au Japon , admet des récompsnfes des peines
après la vie ; 8c même celle de Sin.to, qui a
tant de feâateurs , reconnojt des lieux de délices
.pour les gens de bien, quoiqu’elles n’ad.mette point
de lieu de tourmens pour les mécbans ; mais ces
deux feâes s’accordent dans la morale. Leurs principaux
commandemens „ qu’il§ appèlent divins, font
les nôtres ; le menfonge, l’incontinence , le larcin,
Je meurtre, font défendus ; c ’eft la loi naturelle
ïgdtûtç çn préceptes pofitifs. Ils y ajoutent le pré-
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cepte de la tempérance, qui défend jufqu’aux liqueurs
fortes, de quelque nature qu’elles foient,
8c ils étendent la défenfedu meurtre jufqu’aux animaux.
Siaka, qui leur donna cette lo i , vivoit environ
mille ans avant notre ère vulgaire. Ils ne diffèrent
donc de nous en morale ; que dans le précepte'
d’épargner les bêtes , & cette différence n’eft
pas à leur honte. Il eft vrai qu’ils ont beaucoup
de fables dans leur religion, en quoi ils reflem-
blentà tous les peuples.
La nature humaine a établi d autres reffemblan-
çes entre ces peuples & nous. Ils ont la fuperfti-
tion des fortilèges que nous avons eue fi long-tems.
On retrouve chez eux les pèlerinages, les épreuves
dft feu , qui faifoient autrefois une partie de notre
jurifprudence ; enfin ils placent leurs grands hommes
dans le c iel, comme les Grecs & les Romains.
Leur pontife a feul, comme celui de Rome
moderne , le droit de faire des âpothéofes, & de
confacrer des temples aux hommes qu’il gn juge-
dignes. Ils ont aufli, depuis très-long-tems , des
religieux, des hermites, des inftituts mêmes, quî
ne font pas fort éloignés de nos ordres guerriers ;
car il y avoit une ancienne fociété de folitaires, qui
faifoient voeu de combattre pour la religion.
Le Japon étoit également partagé entre plufieurs
feéles fous un pontife roi, comme il l’eft fous un
empereur féculier : mais toutes les feéles fe rgu-
nifloient dans les mêmes points de morale. Ceux
qui croyoient la métempiycofe & ceux qui n’y
croyoient pas, s’abftenoient 8c s’abftiennent encore
aujourd’hui de manger la chair des animaux
qui rendent fervice à l’homme : tous s’accordent 3
les laiffer v iv re , 8i à regarder leur meurtre comme
une aélion d’ingratitude & de cruauté. La loi de
Moïfe, tue & mange, n’eft pas dans leurs principes t
& vraifemblablenient le chriftiapifjne adopta ceux
de ce peuple, quand il s’établit au Japon.
La doftrine de Confucius a fait beaucoup de
progrès dans cet empire. Comme elle fe réduit
toute à la fimpie morale, elle a charmé tous les
efprits de ceux qui ne font pas attachés aux bonzes ,
8c c’eft toujours la faine partie de la nation. O »
croit que le progrès de cette philofophie n’a pas
peu contribué à ruiner la puiflapce du Dairi ; l’empereur
qui régnoit en 170,0, n’ayoit pas d’autre
religion.
IL fçmble qu’on abufe plus au Japon qu’à la
Chine de cette doctrine de Confucius. Les philo-
fophes japonois regardent l lronijcide de foi-même
comme une aélio.n vertueiife ? quand elle ne bleffe
pas la fociété. Le naturel fier & violent de ces
infulàir.es met fouvent cette théorie en pratique,
rend l’homicide beaucoup pl.us commun encore ,au
Japon qu’il ne l’eft en Angleterre,
La liberté de c0nfcie9.ce ayant toujours été accordée
dans çet empire, ainfi que dans prefque tout le
refte de l’Orient, plufieurs religions étrangères s’é«
toient paifiblement introduites au Japon. Perfonne
n’ignore qu’il fit des progrès prodigieux fur la fin du
i> y