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Après les fuccefleurs d’Alexandre, les Indiens
récurent affez long-tems dans la liberté 8c dans
la mollefle qu’infpire la chaleur du climat & la
richeffe de la terre ; mais nous n’avons connu
l’hiftoire & les révolutions de l’Inde que depuis
la découverte qui a porté facilement nos vaiffeaux
dans ce beau pays.
Perfonne n’ignore que fur la fin du XVe fiècle,
les Portugais trouvèrent le chemin des Indes orientales,
par ce fameux cap des Tempêtes, qu'Em-
manuel, roi de Portugal, nomma cap de Bonne-
EJpérance , & ce nom ne fut point trompeur.
iVafco de Gama eut la gloire de le doubler le
premier en 1497, & d’aborder par cette nouvelle
route dans les Indes orientales, au royaume de
Calicut.
Son heureux voyage changea le commerce de
l ’ancien monde , & les Portugais en moins de cinquante
ans, furent les maîtres des richefles de
rlnde. Tout ce que la nature produit d’utile, de
rare , de curieux, d’agréable, fut porté par eux
en Europe : la route dù Tage au Gange fut ouverte
; Lisbonne & Goa fleurirent. Par les mêmes
mains, les royaumes de Siam 8c de Portugal devinrent
alliés ; on ne parloit que de cette merveille
en Europe, 8c comment n’en eût-on pas
,parlé? Mais l’ambition qui anima l’induflrie des
hommes à chercher de nouvelles terres & de
nouvelles mers, dont on efpéroit tirer tant d’avantages
, n’a pas été moins funefte que l’ambition
humaine a fe difputer, ou à troubler la terre
connue. ' •
Cependant, jouiflbns en philofophes du fpec-
tacle de l’Inde ; & portant nos * yeux fur cette
vafle contrée de l’orient, confidérons l’efprit 8c
le génie des peuples qui 1 habitent.
Les fciences étoient peut-être plus anciennes
dans l’Inde que dans l’Egypte; le.terrein des Indes
eft bien plus beau, plus heureux que le terrein
voifin du Nil ; le fol qui d’ailleurs y eft d’une
fertilité bien plus variée, a dû exciter davantage
la curiofité & l’induftrie. Les Grecs y voyagèrent
avant Alexandre pour y. chercher la fcience. C ’eft-
îà que Pythagore puiia fon fyftême de la mé^-
tempfycofe ; c’eft-là que Pilpay, il y a plus de
deux mille ans, renferma fes leçons de morale
dans dés fables ingénieufes , qui devinrent le livre
d’état d’une,partie de l’Indounan.
C ’eft. chez les Indiens qu’a été inventé le favant
& profond jeu 'd’échecs ; il eft allégorique comme
leurs fables, 3c fournit comme elles des leçons
ïndireàes. Il fut imaginé pour prouver aux rois
que l’amour des fujets eft l’appui du trône, 8c
qu’ils font fa force & fa puiflance.
C ’eft aux Indes que les anciens gymnofophiftes,
vivans dans une liaifon tendre de moeurs & de
fèntimçns, s’éclairoient dés fciences, les enfei-
gnoient à la jeuneflfe, 8c jouiffoient de revenus
aflurés, qui les laiffoient étudier fans embarras,
imaginatipn n’étoit fubjugée, ni par l’éclat
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dès grandeurs, ni par celui des richefles. Alexandre
fut curieux de voir ces hommes rares ; ils
vinrent à fes ordres ; ils refusèrent fes préfens,
lui dirent qu’on vivoit à peu de frais dans leurs
retraites, oc qu’ils étoient affligés de connoître
un fi grand prince, occupé de la funefte gloire
de déloler le monde
L’aftromonie, changée depuis en aftrologie, a
été cultivée dans l’Inde de tems immémorial; on
y divifa la route du foleil en douze parties ; leur
année commençoit quand le foleil entrait dans
la conftellation que nous nommons7e bélier ; leurs
femaines furent toujours de fept jours, & chaque
jour porta le nom d’une des fept planètes. .
L’arithmétique n’y étoit pas moins perfectionnée;
les chiffres dont nous nous fervons, 8c que
les Arabes ont apportés en Europe du tems de
Charlemagne, nous viennent de l ’Inde.
Les idées qu’ont eues les Indiens d’un Etre infiniment
füpérieur aux autres divinités, marquent au
moins qu’ils n’adoroient autrefois qu’un feul Dieu,
6c que le polithéifme ne s’eft introduit chez eux ,
que de la manière dont il s’eft introduit chez tous
les peuples idolâtres. Les bramînes , fuccefleurs
des brachmanes, qui l’étoient eux - mêmes des
gymnofophiftes, y ont répandu l’erreur 8c l’abru-
tiffement; ils engagent, quand ils peuvent, les
femmes à fe jeter dans des bûchers allumés fur le
corps de leurs maris. Enfin, la fuperftition 8c le
defpotifme y ont étouffé les fciences, qu’on y ve-
noit apprendre dans les tems reculés.
La nature du climat qui a donné à ces peuples
une foibleffe qui les rend timides, leur a donne de
même une imagination fi v iv e , que tout les frappe
à l’excès. Cette délicateffe, cette fenfibilité d’organes,
leur fait fuir tous les périls, 8c les leur fait
tous braver.
Par la même raifon du climat, ils croient que
le repos 8c le néant font le fondement de tontes
chofes , 8c la fin oit elles aboutiflent. Dans ces
pays où la chaleur exceflîve accable , le repos eft
fi délicieux , que ce ’qui réduit le coeur au pur
vuide, paroît naturel ; 8c Foé légiflateur de l’Inde,
a fuivi ce qu’il fentoit, lorfqu’il a mis les hommes
dans un état extrêmement pafflf.
Ce qu’on peut réfumer en général du vafte empire
, fous le joug duquel font les pauvres Indiens
, c’eft qu’il eft indignement goüverné par
cent tyrans, fournis à un empereur dur comme
eux, amolli comme èux dans les délices, 8c qui
j dévore la fubftance du peuple. Il n’y a point-là de
ces grands tribunaux permanens, dépofitaires des
lois, qui protègent le foible contre le fort. On
n’en connoît aucuri ni dans l’Indouftan ou le Mo-
g o l, ni en Perfe, ni au Japon , ni en Turquie ;
cependant fi nous jugeons les autres Indiens par
ceux de la prefqu’île en-deçà du Gange, nous de-»
vons fentir combien un gouvernement modéré fe-»
roit avantageux à la nation. Leurs ufages 8c leurs
coutumes nous repréfentent des peuples aimables ,
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I doux, & tendres, qui traitent leurs efclaves comme
I leurs enfans, qui ont établi chez eux un petit nom-
I bre de peines , & toujours peu féyères.
L’adreflè 8c l’habileté des Indiens dans les arts
S mécaniques, fait encore l’objet de notre etonne-
I ment. Aucune nation ne les furpafle en ce genre ,
I leurs orfèvres travaillent en filigrame avec une ae-
I licateffe infinie. Ces peuples lavent peindre des
( fleurs, 8c dorer fur le verre. On a des vafes de la I façon des Indiens propres à rafraîchir 1 eau, 8c qui
1 n’ont pas plus d’épaiffeur que deux feuilles de pa-
! pier collées enfemble. Leur teinture ne perd rien
| de ù couleur à la leffive; leurs émouleurs fabn-
1 quent artiftement les pierres à émouler avec de la
1 laque 8c de l’émeril ; leurs maçons carrellent les
ï plus grandes falles d’une efpece de ciment quils
■ font avec de la brique pilée 8c de la chaux de^co-
i quillages, fans qu’il paroiffe autre chofe qu une I feule pierre beaucoup plus dure que le tuf
Leurs toiles 8c leurs mouffelines font fi belles 8c 3
■ fi fines, que nous ne nous laffons point d en avoir, I 8c de les admirer. C ’eft cependant accroupis au mi-
I! lieu d’une cour, ou fur le bord des chemins, qu ils
I travaillent à ces belles marchandises, fi recher-
■ chées dans toute l’Europe , malgré les lois des
H princes pour en empêcher le débit dans leurs
H états. En un mot, comme le dit l’hiftorien philo-
|j fophe de ce fiècle , nourris des productions de
II leurs terres , vêtus de leurs étoffés , éclaires dans
I- le calcul par les chiffres qu’ils ont trouves, inf-
p truits même par leurs anciennes fables, amufes
jk par les jeux qu’ils ont inventes, nous leur de-
I yons des fentimens d’intérêt, d’amour 8c de re-
B connoiffance.
Les modernes moins excufâbles que les anciens
H ont nommé Indes, des pays fi différens par leur
■ pofition 8c par leur étendue fur notre globe , que
■ pour oter une partie de l’équivoque, ils ont di-
B vifé les Iûdes en orientales 8c occidentales. ; ,
. Nous avons déjà parlé des Indes orientales au
mot Inde (1). Nous.ajouterons feulement ic i ,
B qu’elles comprennent quatre grandes parties de
m l Afie , favoir l’Indouftan , la prefqu’île en - deçà
B du Gange., la prefqu’île au-delà du Gange, 8c les
B îles de la mer des Indes , dont les principales font
H celles de Ceyîan $ de Sumatra , de Java, de Bor- 1 n éo , les Celèbes ., les Maldives, les M-oluques,
I auxquelles on joint communément les Philippines
8c les îles Mariannes. Lorfqu’il n’eft queftion
que de commerce , on comprend encore fous le
nom d’Indes orientales, le Tonquin, la Chine,
B -8c le Japon ;. mais à parler jufte , ces vaftes pays ,
* ni les Philippines , moins encore les îles Marian-
| *ies , ne doivent point appartenir aux Indes orien-
I la ies , puifqu’elles vont au-delà.
Peu de tems après que les Portugais eurent trou-
| v é la route des Indes par le cap de Bonne-Efpé-
I rance, ils découvrirent le Bréfil; 8c comme on
> ne. connoiffbit pas alors diftinâement le rapport
•| çpi il avait avec les Indes -9 on le baptifa du même
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nom ; on employa feulement pour le diftiiîguér le
furnom d’occidentales, parce qu’on prenoit la route
de l’Orient en allant aux véritables Indes, 8c la
route d’Occident pour aller au Bréfil. De-là vint
l’ufage d’appeler Indes orientales , ce„qui eft à l’o rient
du cap de BonnerEfpérance , & Indes occidentales
, ce qui eft à l’pccident de ce cap.
On a enfuite improprement étendu ce dernier
nom à toute l’Amérique ; 8c par un nouvel abus ,
qu’il n’eft plus poflible de corriger, on fe fert dans
les relations du nom d’indiens, pour dire les Américains.
Ceux qui veulent parcourir l’hiftoire ancienne
des Indiens pris dans ce dernier fens , peur-
vent confulter Herréra ; je n’ai pas befoin d’indiquer
les auteurs modernes, tout le monde les
connoît; je dirai feulement que déjà en. 1602,
Théodore de Bry fit paroître à Francfort un recueil
de deferiptiohs des Indes orientales 8c occidentales,
qui rormoit 18 vol. in-fol. ,8c cette collégien
complète eft recherchée de nos jours par fii
rareté.
Le peuple a fait une divifion qui n’eft rien moins
que geogrophique : il appelle grandes Indes, les Indes
orientales, 8c petites Indes les Indes occidentales.
Nous ne nous flattons pas de peindre ici les
moeurs des Indiens. Rien de plus mobile que leur
cara&ère ; il dépend des lieux , des prêtres , des
gouvernemens, du climat, 8c varie autant parle
moral que par le phyfique. Généralement parlant,
l’Indien eft brun , d’une taille médiocre, 8c très-
maigre ; cette maigreur exceflive eft l’effet d’un foi
brûlant, qui excitant une tranfpiration trop abondante
, doit réduire les individus à une forte de
féchereffe 8c de marafme. Il eft bon plus par pa~
refle que par caraélêre , 8c n’a de courage que
lorfqu’il eft enivré par l’opium. Doué de l’imagination
la plus tendre, fa tête s’exalte facilement ;
il eft capable de tout alors; mais il retombe bientôt
dans cette molle oifiveté qui fait la bafe de fon
caraétère lubrique, léger , fuperftitieux ; il aime
la liberté , 8c par-tout $f eft dans les chaînes ; s ’il
fecoue quelquefois le joug de la tyrannie, il ne
prodigue fon fang que pour le choix d’un autre
maître ! L’Inde , dans toute fon étendue ne renferme
pas une feule république ; pas un feul roi ;
mais par-tout de vils efclaves , 8c des defpotes. d e
beau pays 8c jadis le berceau des fciences, eft .aujourd’hui
le féjour de la barbarie. Nul progrès dans
les arts; parce que le defpotifme éerafe tous les
arts : nulle perfection, nulle découverte î C ’eft
ainfi que l’intérêt d’im feul homme dévoue des gér
nérations nombreufes à l’obfcurité, à l ’ignorance ,
à l’efclavage. Envain jouit-on d’un fol enchanteur,
envain la nature prodigue-t-elle d’elle-même toutes
fes richefles ? L’homme fuccède à l’homme , l ’ef-
clave à Tefclave, les fiècles, les générations fe
fuccèdent, 8c l’Indien toujours timide, toujours
lâche, toujours foible , a la même marche. porte
les mêmes fers ; 8c à quelques étoffes près, qu*