mile en Italie ; les autres y font tolérées ; il eft
quelques villes même où leur culte eft public. On
y compte vingt-fix archevêchés, deux cents foi-
xante-huit évêchés , & un patriarchat à Venife. La
religion , prefque par-tout, femble plutôt confifter
dans une foule de momeries religieufes, de petites
pratiques fuperftitieufes, que dans un culte intérieur
mais fimple. On occupe les Italiens par des
cérémonies fans nombre ; on les éblouit par la
pompe ; on les amufe enfin. La plupart des eglifes
& des oratoires font des efpèces de fpeâacles où
Ton fe rafiêmble pour entendre un concert. Les.
amateurs y accourent pour juger de la beauté des
voix. Les dames y vont étaler leur parure : on y
caufe , on y r it, & fou vent même dans beaucoup
de couvens où l'on célèbre des fêtes de patron, Il
n’eft pas extraordinaire d’y voir fervir des glaces
& des rafraîchiffemens. Les Italiens, par-tout ailleurs
fur la réferve, femblent alors fecouer leur
contrainte ordinaire ; & de l’aveu d’une foule de
voyageurs, on croiroit que l’églife eft le feul endroit
où il leur foit permis d’étaler leur galanterie.
Les Juifs ont des fynagogues par tout; mais ils font
affujettis à porter une marque d’opprobre. Florence
eft le feul lieu où ils ne loient pas avilis ; cependant
ils n’y jouiffent point du droit de bourgeoifie.
Les Grecs établis en Italie , reconnoiffent l’autorité
du fouverain pontife ; ils ont aufii des églifes à
Livourne & à Venife, .
Il eft allez commun, dans les églifes, de voir
des morceaux de la mithologie parmi les bas-
reliefs , les ftatues & les peintures modernes qui
repréfentent des fujets de la religion. On voit à
Pife un tombeau antique, où eft gravée en relief
la chafle de Méléagre, & où l’on a renfermé les
cendres de la comtefte Béatrix, morte en 1113.
On remarque auffi au-dehors , vis-à-vis de l’un des
cotés de la croifée, une urne fépulcrale en forme
de vafe, fur lequel eft un Silène qui joue de la
flûte. Dans la facriftie de Sienne, font les trois
Grâces en marbre ; groupe antique très-eftimé,
qui a été long-tems dans l’églife même.
Il feroit difficile de compter les abus, les vices,
les crimes mêmes occafionnés par les immunités
des églifes. : les portes , les pérons , le fanâuaire
même , font profanés par des fcélérats qui vienn
e n t a u nom du c ie l, implorer l’impulîîfér Tout
eft afyle à Rome ; les palais des cardinaux, le
quartier d’un ambafladeur, les églifes, les couvens.
Les sbirres ne peuvent arrêter le coupable
qui s’y eft réfugié. Heureufement que l ’on commence
à s’appercevoir qu’il y va du bien général
d’abolir cette infâme coutume : & ceux qui habitent
ces lieux privilégiés, livrent fouvent aujourd’hui
les fcélérats à la juftice.
Excepté quelques villes maritimes de l’Italie où
le commerce eft encore afièz floriffant, prefque tout
le refte eft fans manufaélures & fans commerce,
A peine y fabrique-t-on les étoffes dé première né-
cefiïté. Les autres nations ont fu profiter de l ’indolence
naturelle aux peuples de ces climats, & ont
envahi tout ce qui pouvoit maintenir l’Italie dans
fon ancienne fplendeur. Le luxe qui, depuis quelques
années , achevé de l’écrafer ; la domination
étrangère à laquelle elle eft foumife en grande partie,
& qui lui enleve un argent qui ne lui revient
qu avec peine ; ajoutez-y un clergé très-riche & fi
nombreux, qu’il égale feul celui de plufieurs royau-
mes ; une quantité prodigieufe de moines & de
religieufes trop bien rentés ; des célibataires dans
toutes les villes & les campagnes ; un nombre incroyable
de nobles, qui tous dévorent les fruits
.,la .terre dan? une honteufe oifiveté; des proprietaires
trop riches, & des paÿfans plus pauvres
encore que chez les autres nations : telles font les
caufes principales de fon indigence & de fa dépopulation.
On compte plus de trois cents villes ,
dont chacune eft furchargée d’une nobleffe inutile.
En France, en Allemagne, en Angleterre, les
nobles cultivent les arts , & donnent par état leur
fang à la défenfe de la patrie ; les nobles Italiens
jouiffent d’une paix éternelle , vieillirent dans la
langueur des plaifirs & du repos. Le droit d’aîneiffe
maintient prefque tous les biens fur la tête d’un
feul membre de chaque famille , & le s cadets font
forcés à embraffer l’état eccléfiaftique, ou à périr
pour ainfi dire de mifère. Aujourd’hui l’Italie,
en exceptant toutefois la Sicile, la Sardaigne, &c.,
ne poffède guère que quatorze millions d’habitans.
Si 1 on en croit les auteurs anciens , la feule Campagne
de Rome égaloit prefque ce nombre autrefois.
Nous ne rifquons pas d’avancer que ce pays
fi beau & fi riche , pourroit cependant nourrir au-
de là de trente millions d’habitans.
De bons obfervateurs ont remarqué que lé clergé
féculier & regulier, en Italie , étoit dans la proportion
de 1 à .3 6. En Efpagne , la proportion eft
de 1 à 30. M. Büfching dit qu’elle eft en France
de 1 à 34. Ce Calcul eft de toute faufteté. On
comptoit en France, en 1667, fous C o lb e r tq u a rante
mille cures ; prêtres habitués, chapelains &
vicaires, quarante mille ; abbés, prieurs , chanoines
, chantres , enfans de choeur , vingt mille. Total
du clergé féculier, cent mille* Les réguliers , religieux
rentéstrente-cinq mille; non rentés, quarante
cinq mille; religieufes, quatre-vingts mille;
ce qui en tout ne donne que deux cents foixante
mille. Le royaume , il eft vrai, n’avoit pas encore
les provinces & les pays qui y ont été réunis par
les traités de Nimègue & de Vienne. Mais auffi ,
depuis l’efpace d’un fiècle, le clergé François a été
réduit de près de moitié.
Nous allons faire une appréciation hypothétique
des provinces conquifes. Suppofons d’abord 2000
cures à la Flandre , ce qu’elle n’a fûrement pas , &
autant de vicaires , 600 jeunes gens dans les fémi-
naires ; portons à 2000 le clergé régulier des deux
fexes , cela feroit 6600 : en Franche-Comté , fix
mille: en Lorraine, mille fept cents cures, mille
fept cents vicaires ; deux mille, tant religieux que
religieufes : les évêchés de Metz & de Verdun,
mille fix cents eccléfiaftiques , en comprenant les
réguliers des deux fexes. Suppofons encore un
nombre de fix mille pour l’Alface, quoiqu à 1 exception
des cinq villes impériales, fon cierge ait
été compris dans le dénombrement de 1667 ; tout
cela égale vingt-cinq mille fix cents. Aâuellement,
faifons un calcul pour l’état préfént de la France:
quarante-fix mille quatre cents cures ( c eft fans
doute plus de douze cents au-dela de ce qu elle
n’a réellement ). Comme plufieurs cures des villes
& des campagnes ont jufqua deux & trois vicaires
, & que les deux bons tiers n’en ont pas, fup-
•pofons un pareil nombre en pretres habitues , chapelains
, vicaires, quarante-fix mille quatre cents ;
abbés , prieurs, chanoines, chantres, vingt-deux
mille.Total du clergé féculier, cent quatorçe mille
huit cent. Le cierge régulier, depuis environ un
fiècle, eft fort diminué: fuppofons donc trente
mille religieux rentés, quoique nous oyions de
> bonnes raifons pour croire qu’il ne pafle pas vingt
mille. Mettons un pareil nombre pour les religieux
non rentés, trente mille. Comme la fomme des
célibataires d’un fexe équivaut à peu de çhofe près
la fomme des célibataires de l’autre fexe , mettons
foixante mille religieufes , & je crois ne pas m’éloigner
beaucoup de la vérité, total cent vingt
mille. Ôn compte en France environ cent quarante
féminaires, quoique les jeunes gens qui s’y trouvent
ne foient pas d’âge encore , pour la plupart,
à prendre un établiffement, & que plufieurs rentrent
dans le monde, peu appelés à l’état eccléfiaftique
, fuppofons donc enfin trois cents jeunes
gens dans chacun de ces féminaires, ce qui nous
donnera quarante-deux mille élèves , qui, ajoutés
au refte, complettent un nombre de deux cents
foixante-feize mille huit cents. Il n’y a perfonne fans
doute qui ne voie combien , dans cette hypothèfe,
le nombre eft exagéré ; puifque , d’après les meilleurs
calculateurs, depuis 1756 , 1759 & 1762,
on ne fait guère monter le clergé de France qu’à
cent quatre-vingt-quatorze mille deux cents quatorze
, ioit par les fages réglemens qui ont retardé
l’émiflion des voeux, foit par le relâchement dans
la dévotion , foit par ie grand nombre de maifons
fupprimées entièrement ou réunies à d’autres depuis
près d’un fiècle. O r , la population en France,
félon M. Moheau qui a travaillé fur cet objet en
1778 , étant portée à vingt-trois millions cinq cents
mille habitans , il s’enfuit que le rapport du clergé,
au refte de la France , eft comme 1 à 84-3 'quarts*
Je né Crains pas même d’avancer, malgré ce qifen
dit M. Biiching, qu’elle eft au moins dans le rapport
d’un à 100.
Le beau pays qui a donné naiffance à l’Ariofte
& auTaffe, a produit auffi des grands hommes
dans tous les genres de littérature.; aujourd’hui
même il peut fe vanter d’avoir beaucoup de per-
fonnes d’une fcience profonde. Le génie v if &
brillant de fes habitans, leur caraéjère mélancolique
qui lés porte à réfléchir , euffènt fans doute
contribué à élever les arts d’agrément 8c les haines
fçiences au plus haut degré, fi l’on favoit leur inf-
pirer plus d émulation. On doit fur-tout aux Italiens
la perfeélion de l’hydraulique ; les autres con-
noiffances qu’ils cultivent le plus, font la phyfique
expérimentale, l’hiftoire naturelle, la poéfie , les
antiquités, &c. Outre les univerfités qui font en
grand nombre, & prefque auffi mauvaifes que
celles de France, on compte trois à quatre cents
académies, toutes, fous des noms allégoriques &
bizarres. Les principales fon t, à Modène , les Dif-
fonanti ; à Meffine, Y academ ia Peloritana ; à Bologne
, les Otioçi 8c Gelât i ; à Florence, Y academia
Platonica ; à Sienne , les întronati ou les Hébétés ;
à Spolette, les Ottufi ou les Efprits bornés ; à
Rome, les Humorijli, Lincci, Fautajlici ; à Gênes »
le,s Addoormentati ; à Padoue; les Ricovratï & Or-
diti ; à Viçence, les Olimpici; à Parme, les Inno-
minati ; à Milan , les Nafcoti ; à Naples , les Ar-
denti ; à Mantoue , les Invaghiti ; à Pavie, les A f-
fidati ; à Cefène , les Ojfufcati ; à Faenza , les Fi-
loponi ; à Ancône, les Caliginofi ; à Rimini, les
Adagiati ; à Peroufe , les Infenfati ; à Macerata, les
Catenati', à Viterbe, les Oftinati \ à Brefcia, les
Occulti ; à Tre v ifo, les Perfeveranti ; à Verone , les
Filannonici ; à Lucques, les Ofcari:, à Alexandria,
les Immobilis a Cortone, les Humcrofi, &c. &'c. &c.
Peu de ces académies, pour fruit de leurs futiles
travaux, produifent autre chofe que de vains jeux
d’efprits. Ce font continuellement des concetti,
des pointes, des fonnets, & puis encore des fon-
nets , des concetti & des pointes ; on peut regarder
Florence comme l’Athènes de lltalie.
Si l’Italie a eu la gloire d’être deux fois le berceau
des arts , on peut dire auffi qu’il n’y a pas
de pays au monde qu’on puiffe lui comparer par
le grand nombre de les chefs-d’oeuvre dans la peinture
, l’architeâure & la mufique. La peinture fut
introduite de la Grèce à Rome , fous le confulat de
Livius Denterus & de Paul Emile , parÇ. Fabius ,
& n’y fleurit que peu de te ms avant le règne d’Au-
gufte : mais bientôt un goût dépravé bannit peu-à-
peu de Rome la peinture & les autres arts. Dans la
fuite, la Grèce ayant fubi le joug des Turcs, la peinture
revint en Italie, & y fut perfeélionnée par des
maîtres Ti habiles, que les Italiens l’emportèrent
bientôt fur les autres nations. Dès le x n z e fiècle ,
on travailloit le plus fouvent dans les églifes en mo-
faïque, ou on peignoit à frefque. Les Italiens s’attribuent
à tort l’invention de l’art de graver en taille
douce, dont l’honneur appartient aux Allemands.
André de Montégnav, natif de Padoue, & mort en
1 4 1 7 , âgé de foixante-fix ans,fut le premier.qui
exerça cet art en Italie; & jamais les Italiens,
dans ce genre , n’ont pu approcher des François,
& pas même des Allemands. Mais depuis qu’ils
ont appris la peinture & la fculpture des Grecs,
ils ont toujours eu dans cet art les plus grands
maîtres, & ont le pas fur toutes les autres nations.