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Aussi les Phrygiens attribuoient-ils à la
terre la suprématie sur les autres élé-
mens, et la faisoient-ils la mère de tout,
si on en croit Firmicns. Cybèle étoit
leur grande divinité. Les Turcs la chan-
toient dans leurs hymnes.
Les Rois de la Chine se disent lils
du Tien, ou du c ie l, comme ceux du
Pérou s’honorent d’être les enfans du
soleil, et les Grecs de descendre d’Her-
Cule. Les Iroquois adorent le ciel, sous
le nom de Garounia ; les Hurons sous
celui de Sorouhiata. Iis le reconnoissent
les un s et les autres pour le grand Génie,
le bon Manit , le maître de la vie et
l ’Etre-suprême.
C’est cette union sacrée du ciel avec
la terre, dont les effets sur-tout se manifestent
au printemps, qui a été chantée
dans ces beaux vers de Virgile si connus :
» La terre , dit ce Poète , s’éntr’ouvre
» au printemps., pour demander au ciel
» les germes de la fécondité. Alors l’E-
» ther, ce Dieu puissant, descend au
k sein de son épouse, joyeuse de sa pré-
3’ sence , ' au moment où il fait couler
33 les germes dé la fertilisation dans les
33 pluies, qui l’arrosent. L ’union de leurs
*3 deux immenses corps (î) donne la
3» vie et la nourriture à tous les êtres,
33 qu’ils font éclore 33.
Virgile , comme on voit, donne le
nom de père tout-puissant au ciel, ou
à l ’Ether , à cette substance active et lumineuse,
dont les émanations sont dans
les astres, et dont le foyer principal est
dans le soleil, et celui d’épouse du ciel,
de mère de tous lés êtres produits, à la
terre ; et il attribue à leur action mutuelle
l’organisation de la matière, qui
compose la substance de tous les corps ,
quele printemps va faire naître. On voit,
qu’ici la poésie parle le même langage
que la philosophie, dans ses chants Sur
la Nature et sur les causes des choses,
dont la connoissançe , dit le j même
0 ) Geoig. , v. 324.
(2) Virgil. Ibid. v. 490.
(3) Colufneîle , p. IQ*
Poète (2) , fait le bonheur de celui mjj
peut l’acquérir.
Coluuiefle (3), dans son traité d ’Agri,
culture, a aussi chanté les amours de
la Nature , et son mariage avec le ciel
qui se consomme tous les ans au pria,
temps. Il nous peint l’esprit de vie, ou
l'aune, qui anime le monde, pressée des
aiguillons de l’amour, et brûlante de
tous les feux de V énus, s’unissant à la
Nature et à elle-même, puisqu'elle en
fait partie , et remplissant son propre
«ein de nouvelles productions. C’est cette
union de l’Univers avec lui-même, cette
action mutuelle de ses deux sexes , qu’il
appelle les grands secrets de la Nature,
ses orgies sacrées, et les mystères de
l ’union du ciel avec la terre, dont les
initiations aux mystères d’Àtis et de
Cybèle , ainsi que ceux de Bacchus,
retraçoient l’image. Ceci s’accorde bien
avec ce que dit Sanchoniaton, en terminant
le récit mythologique des aventures
d’Uranus et de Gnê , et de leurs
enfans (4), « que c’.étoit-là les leçons,
33 que l’on donnoit aux initiés dans les!
» orgies, et que l’on voiloit sous la bro-
>3 derie du merveilleux »,
Cette vérité reçoit un nouveau degré
de confirmation , parle témoignage de
Varron(s), qui nous dit formellement,
que les grandes divinités adorées à
Samothrace , dans les mystères fameux
de cette île, étoient le ciel et la terre,
considérés comme causes premières ,
ou premiers Dieux , et comme agens
mâle et femelle , qui conservent entre
eux les rapports , que l’ame êt le principe
du mouvement ont avec le corps,
ou avec la m a tiè requ i les reçoit. « Ce
» sont-là les grands Dieux, les Dieux
a pùissans, dit Varron, que l’on révéré
» dans les mystères.de Samothrace»-
S. Augustin, en parlant des statues,
qui représentaient ces deux grandes
divinités, ou le ciel et la terre (6), dit,
(4) Euseb. Præp. Ev. 1. 3 , c, 10.
(5) Varro. de Ling, Lat. !. 4 , §. 10.'
(6j August. de Çiv, Dei. 1. 7 , e. 28.
qu’oB
qu’on représentait dans le ciel, l’être qui
fait tout, et dans la terre', l’être de qui
tout est fait. Ce qui rentre dans notre
théoriesur la cause active et sur la cause
passive, dont on a cherché par-tout à
retracer la peinture , par le Phallus et
le Ctéïs, et par le Lingam, figures mystérieuses
de cette, double cause, comme
nous l’avons dit. On remarquera que
S. Augustin ajoute, que c’est d’après
les mystères des anciens , qu’il a jugé
de l’olijet symbolique de ces statues ,
qu’il dit représenter le ciel et la terre.
Nous aurons occasion de donner un plus
grand développement à' cette théorie,
dans l’ouvrage que nous annonçons ici
sur les mystères ., et qui fera partie de
celui-ci.
On voit donc par tout ce que nous
venons.de dire, que .les anciens., dans
leurs initiations, dans leurs; statues , et
•dansles symboles religieux de leur culte,
clans leurs poésies et leurs chants sur
la Nature, dans leurs cosmogonies., et
leurs fables sacrées, se sont principalement
occupés d’exprimer la même idée
philosophique , qu’avoit fait naître en
eux le spectacle de l’Univers , et celui
du jeu des causes pliysiqués ; que ç’é-
toit-là l’objet de leur théologie. Car leurs
Théologiens, observe avec raison Isidore
(1) , étoient les mêmes que leurs
Physiciens, et on ne des appela Théologiens
, que parce qu’ils considéraient
la Nature sous ses rapports de divinité.
Je pourrais en dire autant des premiers
Poetes et des phis. anciens Philosophes 5
car, dans ces temps: éloignés , tout se
confondoit ensemble , poésie, philosophie,,
théologie , oracles, &c. Les prêtres
etoient tout, ils étoient les dépositaires
de touteslès. counoissances naturelles,les
peintres et.les chantres.de làNature. Pour
donner .plus, de dignité à leurs, leçons, ils
parent le* style mesuré de ,1a poésie,; le
nombre' et l ’harmonie dit vers retça'ça
la marche, régulière des corps célestes ,
et leurs retours périodiques, Les accords
( ' ) Isid. Orig. L 8., ç. 6 ..
li-elig, JJuiv. Tome I.
de la musique imitèrent l ’harmonie
universelle. Ils se saisirent des grandes
ligures, tracèrent de grandes images,
pour s’élever en quelque sorte à la
hauteur de leur sujet. En chantant les
Dieux, ils voulurent paraître inspirés
par eux , et remplis d’une sorte d’enthousiasme
, qui les tiroit de, l’état naturel
et du rang de l ’homme ordinaire.
•Ils eurent recours au merveilleux de
la fiction, pour piquer la curiosité de
l’homme presque toujours ami des récits
surprenais et pour l’étonner par des
prodiges , afin de subjuguer son admi-
ration et son respect pour leurs leçons.
Ils couy rirent le corps sacré de la Nature
du voile de l’allégorie | qui la’ cachoit
au profane, et ne la laissoit apercevoir,
qu’au sage, qui l’a voit cru digne de
faire 1 objet de ses recherches ët de son
étude. Rlle ne se montroit qu’à ceux
qui l ’aimoient véritablement, etrepous-
soit loin, d’elle la coupable indifférence
qu’elle livrait aux erreurs et aux préjugés
de l’ignorance. Elle ne, se présentoit
à ceux-ci, que sous des dehors monstrueux
et sous des formes bizarres, plus
propres à effrayer qu’à plaire. Le plaisir
était réservé tout entier à ceux qui cher-
çhoient à la deviner, et qui, par des efforts
soutenus, montraient qu’ils étoient '
dignes d’être admis dans son sanctuaire.
« Les sages de la G rèce, dit Pausanias,
33 ne s’exprirpoient autrefois que d’une
33 manière énigmatique, et jamais d’une
|f manière directe et naturelle (2.) 33.
. Pausanias fait cette remarque à l’occasion
des aventures monstrueuses de
Saturne et de Rhee, ou l’on voit un père
dévorer ses enfaus , et une mère lui
donner une piet're et un cheval à dévorer
pour le tromper., et pour sauver
Neptune et Jupiter. Pausanias s’excuse
d’être oblige, de rapporter ces faits, et
d’autres semblables, en disant que les
Arcadiens, les peuples les plus .anciens
de, la Grèce, lui avoient appris, qne
entait spus,.cette forme bizarre que les
(2) Pays. Arcad. p. 242.