ma patrie et mes pareils, prends soin
de ma réputation et de ma gloire. Tu
me l ’as promis , et les Dieux en sont
témoins (i).
Ainsi parloit Médée d’un ton de
douleur ; mais la jo ie , au contraire ,
pénétrait le coeur de Jason. Il la relève,
l ’embrasse et la rassure. Il atteste les
Dieux, Jupiter et Junôn , garants des
sermens cju’il lui a faits , de la prendre
pour son épouse , dès qu’il sera retourné
dans sa patrie. En même temps.il
lui prend la main en signe d’union (2}.
Médée leur conseille de faire avancer
promptement leur vaisseau près du bois
sacré, qui recèle la riche toison , afin
de l’enlever à la faveur des ombres de
la nuit, et à l’insu d’Aëtès. Ce qu’elle
dit est aussi-tôt exécuté. Elle monte à
bord'du vaisseau, qui déjà s’éloigne
de la rive. L’onde écume avec bruit
sous le tranchant de la rame. Médée
regarde encore la terre, vers laquelle
elle étend ses bras. Jason la console
par ses discours et relève son courage.
C’étoitcetinstant delanuit, qui précède
le retour de l ’aurore , et dont profite
le chasseur. Jason et Médée débarquent
dans une prairie , où reposa autrefois
le Relier, qui avoit porté Phryxus en
Colchide. Ils apperçoivent l ’autel, qu’y
avoit élevé le fils d’Athamas , et sur
lequel il immola ce Relier à Jupiter,
par l ’ordre de Mercure (3). Les deux
amans slavancèrent seuls dans la forêt,
pour y Chercher le Hêtre sacré, auquel
était suspendue la toison. Au pied
étoit un énorme serpent , qui déjà alon-
geoit ses replis tortueux , et qui faisoit
retentir l ’air d ’hoïribles sifflemens. Ici
le Poète s’amuse à faire la description
du monstre , et de l’effroi qu’inspirent
au loin les sifflemens aigus, qu’il, fait
entendre. La jeune Princesse s’avance
vers lui , après avoir invoqué le Dieu
du sommeil et Hécate , et les avoir 1
(1) Ibid. v. 91.
(»)-'V. ioo.
(3) V. 110.
priés de s’intéresser à sort succès (jj.
Jason, saisi de crainte , la suivoit. Déjà
le Dragon, vaincu par les enchantemens
de Médée , avoit déroulé par terre les
mille replis de son corps : sa tête s’élève
néanmoins encore , et se prépare
à les dévorer. Mais la Princesse secoue
sur ses yeux une branche trempée dans
une eau soporifique. Le monstre retombe
et s ’endort. Jason saisit cet instant
pour enlever la Toison ; et vainqueur,
par le bienfait de Médée , il retourne
avec elle au vaisseau , qui lés
attendoit. Le Poète s’occupe ici à décrire
la joie de Jason { lorsqu’il eut
enlevé ce riche dépôt, et la manière
triomphante, dont il se présente à ses
compagnons, qui admirent la Toison,
et qui s’empressent de la toucher .(5).
Mais Jason s'y oppose ; il jette même
dessus un voile ; et après avoir fait embarquer
Médée , il harangue les Argonautes
; il leur donne les plus heureuses
espérances d’un prochain retour
dans leur patrie , puisqu’enfin l ’objet
de leur voyage est rempli. Tl leur
annonce , qu’il va amener Médée avec
lui , dès qu’elle désire les suivre. Il leur
vante les importans services qu’elle leur
a rendus , et il les invite à la défendre
Contre les poursuites d’Aëtès irrite ,
qui ne manquera pas de paroître bientôt
, pour s’opposer à leur départ. Il le*
exhorte, les uns à forcer de rames, et
les autres à s’armer pour repousser les
attaques de leurs, ennemis. H leur fait
entendre , que de-là dépend leur retour
en Grèce , leur salut, et celui de leur
famille, qui les attend , et dont ce vaisseau
porte les espérances (6). Il dit ,
eten même tempsii s’arme lui-même. Les
Argonautes lui répondent par des cris,qui
expriment leur ardeur. Jason , ‘ avec
son épée , coupe le, cable qui retient
encore le vaisseau. Il se place près du
pilote Ancée , ayant Médée à ses côtés ;
(4) V. 148.
fil V. .86.
(6) V. 305.
èt disposé à combattre. Le vaisseau
cependant s’éloigne à l’aide de la rame ,
et cherche à gagner le large (1).
Cependant le féroce Aëtès et ses Col-
chidiens avoient été informés de la passion
de Médée pour Jason , et des démarchés
, qui en avoient été la suite.
Ils avoientdéjà pris les armes, et se précipitaient
en foule le long des rives du
fleuve, qu’ils faisoient retentir de leurs
cris menaçàns. A leur tête étoit le R o i ,
porté sur un char attelé de coursiers
rapides , que lui avoit donnés le Soleil
son père. Il tenoit d’une main un bouc
lie r , et de l’autre des brandons allumés.
Absyrthe ou Phaéton guidoit les
rênes de son char (2). Mais déjà lè
vaisseau, à la faveur du Courant du
fleuve , et aidé de la rame ,- ga’gnoit la
mer. Le Roi désespéré invoque la vengeance
des Dieux , et prend le Soleil
et Jupiter à témoins de l’outrage que
lui ont fait Ces étrangers. Il ordonne à
ses sujets de les poursuivre, et les rend
responsables, sur leur tête , dû soin dé
le venger. Lé jour même, les 'Colchi-
diëns s’embarquent et se mettent à la
poursuite des Argonautes. C e u x -c ij
poussés par un vent heureux, et secondes
par Junon, arrivèrent, au bout de trois
jours , à l’embouchure du fleuve Halys.
(3) Ils débarquèrent sur cette côte’,
pour y faire un sacrifice à Hécate ,
suivant les conseils de Médée. Le Poète
ne croit pas devôir lever le ;voile sacré',
qui cbuvroit ces 'cérémonies mystérieuses
; il nous parle seulement du
Temple d’Hécate, qu’on voyoit encore
sur cette côte , et qu’y avoient éleve
les Argonautes , en honneur de cette
Déesse (4).
Ce fut en ce lieu , que Jason et ses
Compagnons se rappelèrent les conseils,
que leur avoit donnés Phinée , de retourner
dans leur patrie par une autre
(1) Ibid. V. 211 *
(2) V. 225.
( 3) v - *45-
route -, mais quelle étoit' cette route ?
ils l’ignoroient.-'Ce fut alors qu’Argus
leur nt'part -des connoissances Géographiques,
qu’il avoit reçues des Prêtres
Egyptiens : car les Colchidiens étaient
une colonie d’Egypte. Il vante l’antiquité
de ce peuple , i ses découvertes ,
les merveilles de son fleuve ;• il leur
raconte les voyages d’un de leurs Rois ,
qui avoit parcouru l’Europe et l’Asie
en vainqueur, et qui avoit laissé par-tout
des établissemens , qui rappeloient sa
puissance , sa sagesse et sa gloire. Ce
fut lui qui fonda une colonie en Col-
clïide , et qui y laissa ces savantes
colonnes, destinées à conserver le dépôt
dés connoissances humaines , et qui
contiennent une description exacte de
la terre et des mers (à). C’est là qu’on
voit tracé le cours du Danubé‘ , qui
prend sa source dans les contrées glacées
du nord , et qui, traversant la Seyr
tliie et la Thracê , se divise en deux
autres branches , dont l’une aboutit à
la mer Adriatique , et l’autre à celle de
Sicile , tandis qu’une autre partie de
ses eaux va se décharger clans le Pont-
Euxin. Argus avoit à peine achevé son
discours , qu’un prodige vint à l ’appui
de son opinion , et de l’indication qu’il
donnoit d’une nouvelle route. En conséquence
les Argonautes font voile vers
l’embouchure du Danube (6).
Pendant ce temps-là le.s Colphidiens,
qui s’étoient mis” à leur poursuite, s’é-
tpignt séparés : les uns avoient-pris' là
route du Détroit èt des roches Cyané.esj
les autres, à la tête desquels étoit Absyrthe
, s’étoient portés vers l'embouchure,
(ju Danube , à l ’entrée duquel
q|t \%ç “Pèticg', qui partage son cours
en plusieurs branches. Les, Çolchidie.ns
entrent par un can al, et les Argonautes
par un autre! Ici le Poète peint la surprise
des insulaires et des barbares, qui
(4) V. 251.
(j) V. 280.
(6) V. 302.