Au sein des ténèbres d’une nuit profonde
, lorsque le ciel est chargé d’épais
nuages » lorsque tous les corps ont disparu
à , htos yeux, et que nous semblons
habiter seuls avec nous-mêmes, et avec
l’ombre noire quinous enveloppe, quelle
est alors la mesure de notre existence?
combien peu diffère-t-elle d’un entier
néant, .sur-tout quand la mémoire et
la pensée ne nous entourent pas des
images des objets, que nous avoit
montrés le jour? Tout est mort pour
nous, et nous-mêmes le sommes en
quelque sorte pour la Nature. Qui peut
nous donner la vie, et tirer notre ame
de ce mortel assoupissement qui enchaîne
son activité dans l’ombre du
calios ? un seul rayon de la lumière peut
nous rendre à. nous-mêmes et à la Nature
entière , qui sembloit s’être éloignée
de nous. Voilà le principe de notre véritable
existence, sans lequel notre vie ne
seroit que le sentiment d un ennui prolongé.
C’est ce besoin de la lumière,
c’est son énergie créatrice, qui a été
sentie par tous les hommes, qui n’ont
' rien vu de plus affreux que son absence.
Voilà leur première divinité, dont un
seul rayon, brillant au sein du cahos,
en fait sortir l’homme et tout l’univers.
Voilà ce qu’ont chanté tous les poètes
qui ont imaginé des cosmogonies ; voilà
le premier dogme d’Orphée, de Moyse
et de tous les Théologiens; voilà l ’Or-
jnnsd qxte les Perses invoquent et qu’ils
regardent comme la source de tout le
bien de la Nature, comme ils placent
dans les ténèbres et dans Ahriman leur
chef l’origine de tous les maux. La
lumière est la vie de l’Univers, l’amie
de l’homme, et sa compagnie la plus
agréable ; avec elle il ne s’apperçoit
plus de sa solitude; il la cherche dès
qu’elle lui manque, à moins qu’il ne
veuille pour reposer ses organes fatigués
se dérober à lui-même et au spectacle
du monde.
Mais quel est son ennui, lorsque son
reveil a précédé'le retour du jour, et
qu’il-est forcé d’attendre la lumière!
quelle est sa joie aussi, lorsqu’il entrer
voit ses premiers rayons, et que l’aurore
blanchissant l’horizon rappelle sous sa
vue tous les tableaux qui avoient disparu
dans l’ombre. Il voit alors ces enfans
de la terre, dont la taille gigantesque
s’élève au sommet des airs, les haute*
montagnes couronner de leur cîme
tout lnorizon , et former la barrière
circulaire qui termine la course des
astres. La terre s’aplanit vers leurs
racines, et s’étend en vastes plaines
entre-coupées de rivières, couvertes de
prairies, de bois, où de moissons,
dont l’aspect un moment auparavant
lui étoit dérobé par un sombre voile,
que l’aurore d’une main bienfaisante
vient de déchirer. La Nature reparoît
toute entière, aux ordres de la divinité,
qui répand la lumière. Mais le Dieu
du jour se cache encore au regard de
l ’homme, afin que son oeil insensiblement
s’accoutume à soutenir le vif éclat
des rayons du Dieu, que l’aurore va
introduire dans le temple de l’Univers,
dont il est l’ame et le père. Déjà la
porte par où il doit entrer est nuancée
de mille couleurs, et la rose vermeille
semble être semée sous ses pas; l’or
mêlant son éclat à l’azur forme l’arc
de triomphe sous lequel doit passer, le
vainqueur de la nuit et des ténèbres.
, La troupe des étoiles à disparu devaiit
lui, et lui a laissé libre les champs de
l’Olympe dont il va seul tenir le sceptre.
La Nature entière l ’attend ; lés oiseaux
par leur ramage célèbrent son approche
et font retentir de leurs concerts les
plaines de l’air au-dessus desquelles va
voler son char, et qu’agitent déjà.les
douces haleines de >ses chevaux. La
cîme des arbres estunollement'balancée
par le vent frais qui s’élève de l’Orient.
Les animaux qv.e n’effraye point l’approche
de l’homme, et qui vivent sous
son toit, s’éveillent avec lui, et reçoivent
du jour et de l’aurore le signal
qui les avertit du moment où ils.pour-
ront chercher leur nourriture dans lés
prairies et dans les champs, dont une
tendre rosée a imprégné les plantes,
les herbes et les fleurs.
Il paroît enfin , environné de "toute
sa gloire , cet astre bienfaisant, dont
l’empire va s’exercer sur toute la terre.
Son disque majestueux répand à grands
flots la chaleur et la lumière, dont il
est le plus, grand foyer. A mesure qu’il
s’avance dans sa carr ière, l’ombre , sa
rivale éternelle, s’attachant aux corps
qui la produisent, et à la matière grossière
dont elle est fille (ee) , fuit devant
lui, marchant toujours en sens opposé,
décroissant à mesure qu’il s’élève, et
attendant sa retraite pour se réunir à
la sombre nuit dans laquelle est replongée
la terre, au moment qu’elle ne
voit plus le Dieu père du jour et de
la Nature. Il a d’un pas de géant franchi
l’intervalle qui sépare l’Orient de l’Occident,
et-il descend sous l'horizon aussi
majestueux qu’il y étoit monté. Les
traces de ses pas sont encore marquées
par la lumière qu’il laisse sur les nuages
qu’il colore, et dans l ’air qu’il blanchit,
et où se luisent plusieurs fois en divers
sens les rayons de lumière, qu’il lance
sur l’atmosphère quelques heures après
sa retraite, pour nous accoutumer à son
absence et pour nous épargner l’horreur
d’une nuit subite. Mais enfin insensiblement
elle arrive , et déjà son crêpe noir
s’étend sur la terre, triste de la perte
d’un père bienfaisant.
Ici un nouveau phénomène se présente
aux yeux de l ’homme. Du côté
où il a vu le soleil disparoître, un
nouvel astre .sorti en quelque sorte de
ses flancs, et formé de sa substance,
pendant le sommeil du Dieu du j our ( f f ) ,
vient reparer en partie la perte de la
lumière, en se parant de jour enjourd’un
vêtement plus lumineux , qui s’étend
au point qu’au bout de quatorze jours
il la couvre toute entière, et que son
disque plein et parfaitement arrondi
rivalise en quelque sorte avec le Dieu
Ùui lui prête sa lumière et qui lui abandonne
l’empire de la nuit , à laquelle
•a lune (c ’est le nom du nouvel astre )
■ va présider, comme lui-même préside
au jour. Mais sa gloire étant empruntée,
elle ne peut être de longue durée. Comme
ce nouvel astre avoit paru naître et
croître par degrés, jusqu’à ce qu’il eût
acquis toute la plénitude de lumière
qu’il peut recevoir , on le voit bientôt
décroître par les mêmes degrés, et enfin
s’éteindre, jusqu’à ce qu’ayant été réuni
au Dieu de la lumière, il ait de nouveau
rallumé ses feux , qui vont croître
et décroître comme les premiers, pour
s’éteindre et se rallumer encore aux
rayons du soleil. Cette dépendance dans
laquelle ce nouvel astre est du premier,
la courte dure'e de l’existence périodique
de sa lumière, jointe à ses altérations,
dont le soleil n’offre aucun exemple,
et à la foiblesse de cette lumière, et
à son défaut de chaleur ; tout dut la
faire subordonner au soleil, qui conserve
son éclat majestueux pendant tous les
siècles. Néanmoins la lune dut lui êtra
associée, tant à cause de la grandeur
de son disque égal à celui du soleil,
qu’à cause de la conformité de la fonction
, qu’elle remplit pendant la nuit,
avec celle du soleil pendant le jour, qu’à
cause de la continuité de lumière qu’ello
entretient dans l’air, lorsque pleine elle
mon te sur l’horizon , au moment où le
soleil se retire, et qu’elle ne se retire elle-
même, qu’à l’instant qu’il reparoît.
Le phénomène de ses phases, phénomène
unique pour l’homme,qui n’aide
point sa vue du secours du télescope,
dut sur-tout fixer l’attention des hommes
et devenir l’objet de leurs recherches par
sa singularité. Il leur offroit une mesures
du temps la plus simple, après celle
des nuits et des jours. Tous les sept
jours la lune prerioit une nouvelle face,
et tous les vingt-neuf jours , ou au bout
de quatre fois sept jours elle reprenoit
sa première face. Ces petites périodes
de temps devenoient autant de mesures
de durée, et cette facilité de compter
les sommes de jours plus ou moins
grandes dut être sentie bientôt ; aussi
nous la trouvons adoptée dès l’antiquité