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plaudi les Nymphes du fleuve Pleistus ,
en répétant ces mots d’encouragement,
Io , Io , qui ont passé dans les chants
de son triomphe (1). Les Argonautes
terminent ce sacrifice par se jurer sur
cet autel un mutuel secours ; et depuis
ce temps on trouve en ce lieu le temple
de la Concorde, dont ils jetèrent les
fondemens. Le troisième jour, ils profitent
d’un vent favorable pour s’éloigner
de l'île , et ils passent à la vue de
Pembouchure du fleuve Sangaris , du
pays des Mariandyniens , du fleuve
Lycus , et du lac Anthemoise. Enfin ils
arrivent à la presqu’île Achérnsie (?_,) ,
qui se prolonge dans la mer de Bitliy-
nie. Les flots se brisent sur les rochers
qui la bordent , et son sommet est
planté de platanes , qui jettent une
ombre épaisse. Plus bas est une vallée
où l’ on trouve l ’antre de Pluton , au
milieu d’une sombre forêt. La vapeur
infecte, qui s’en élèv'e, forme au-dessus
une espèce de bruine , que fait fondre
ensuite le Soleil du midi. Un bruit continuel
, produit par l ’agitation des
arbres et par celle des flots , règne autour
de cette montagne. Là est aussi
l ’embouchure de l ’Achéron , qui va_ se
jeter à l’orient du Cap , par des ravins
escarpés (3).
C’est dans cette presqu’île , qu’abordèrent
les Argonautes , lorsque le vent
fut baissé. Lycu s, qui commandôit dans
ce pays, et les Mariandyniens, n’igno-
roient pas qu’ils voyoient en eux les
vainqueurs d’Amycus , leur ennemi.
Déjà la renommée avoit précédé les
Argonautes dans ces lieux , et leur y
avoit fait des amis. Ils révèrent Pollux
comme un Dieu. Tous ceux qui avoient
fait la guerre contre les parjures Bébry-
ciens s’empressent de voir et de fêter
leurs vainqueurs (4). Le fils d’Eson se
fait un plaisir de satisfaire leur curiosité
, en leur faisant connoître les noms
et la race de chacun de ses'compagnons,
et en leur contant par quel ordre ils
avoient entrepris ce voyage , quel en
étoit le b u t, et Ce qui leur étoit déjà
arrivé à Lemnos , près de Cyzique ,
en Mysie ; comment ils avoient perdu
Hercule ;• l’apparition de Glaucus ; le
combât et' la mort du Roi des Bébry-
ciens ; les malheurs de Phinée et sés
prophéties en leur faveur; leur passage
à travers les roches Cyanées et la Théophanie
d’Apollon dans l’île Thynias (5).
Lycus les écouta avec plaisir; mais il
fut affligé de la perte qu’ils avoient
faite d’Hercule, Que vous avez perdu,
leur dit-il, en vous séparant d’Hercule !
que vous êtes privés d’un grand, secours
, bien nécessaire dans une expédition
semblable ! Je connois ce Héros ;
je l ’ai vu autrefois chez Dâscylus mon
père, lorsqu’il marchoit contre les Amazones
, à la conquête du baudrier de
la fameuse Hippolyte. J’étois jeune
alors , et un tendre duvet.couvroit à
peine mes joues. Je le vis dans les funérailles
de Priolaüs, mon frère , qui
avoit été tué par les Mysiens , entrer
en lice dans les combats du pugilat, et
renverser le redoutable Titias , le plus
vigoureux athlète de son âge , dont il
brisa les dents. Il soumit à l’empire de
mon père les Mysiens et les Phrygiens,
voisins de notre pays , les Bithymens et
plusieurs autres Nations, jusqu’à l ’embouchure
du -Rhébas. Les Paphlago-
niens, descendans de Pélops , se soumirent
eux-mêmes à nous volontairement.
Mais depuis l ’absence d’Hercule,
les Bébryciens et leur injuste Chef Amy-
cus nous ont inquiétés , et nous ont
dépouillés d’une grande partie de nos
possessions. J’apprends , que vous les
en avez "punis : car ce n’est pas sans
une secrètevolonté des D ieux , que vous
leur avez fait la guerre , Pollux ; après
avoir tué leur Prince féroce (6). Recevez-
(1) Ibid. v. 7*5»
(*) v - 73°-
0) V. 747.
(A) V. 763.
(5) V. 77».
(6) V. 800.
en mes remercîmens pour ce moment ,
et les expressions de mà joie. Je vais
déterminer Dâscylus , mon fils, à vous
accompagner, et il vous fera trouver
des amis SEr toute cette cô te , jusqu’à
l’embouchure du Thermodon. Je vais
moi-même , en reconnoissance de ce
service signalé , élever sur le rivage
Achérusien un Temple aux fils de Tyn-
dare , Castor et Pollux , que lès matelots
âppercevront de loin en pleine mer,
et à la vue duquel ils pourront invoquer
ces divinités favorables. J’assignerai
aussi dans le voisinage une certaine
quantité de terres , ^affectées au culte
de. ces Dieux. Tels étaient les discours
que tenoit Lycus aux Argonautes, pendant
le festin qu’il donnoit à ces étrangers
(1). "Ceux-ci, le lendemain, songent
à retourner à leurs , vaisseaux.
Lycus les accompagne, ety fait transporter
de riches présens, en même temps
qu’illeur donne sonfils pour lesaccompa-
gner. Avant leur départ , mourut le
célèbre devin Idmon , fils d’Abas , tué
par un sanglier, qui étoit caché dans
les roseaux d’un murais profond, et
qui sauta sus lu i, et le. blessa mortellement,
au moment où il franchissoit un
fossé voisin du lieu qui receloit ce terrible
animal.
Ses compagnons poussent un cri en
le voyant tomber. Peleus lance aussitôt
un javelot contre le Monstre , qui
fuyoit dans ses marais , et qui revint
sur le coup. Mais Idas le perça et l ’étendit
mort sur la place. La troupe éplorée
rapporte vers le vaisseau l’infortuné
Idmon , qui expire entre leurs bras (2).
L ’embarquement est suspendu par ce
contre-temps. On- le pleure pendant
trois jours , et le quatrième on fait ses
funérailles avéc pompe et magnificence.
Lycus, avec tout son peuple, y assiste ,
ef. fournit lés nombreuses victimes dont
on a besoin pour les sacrifices." On
(1) Ibid. v. 813.
(1) V. 836.
(3) V. 870.
élève un tombeau , que la postérité la
plus rfeculée devoit remarquer, et sur
lequel on planta un olivier. Il est situé
près d’PIéraclée, et les habitans du
pays l’honorent, sous le nom de tombeau
d’Agamestor. Le pilote Tiphys
mourut aussi en ces lieux, et les Parques
ne lui permirent pas de conduire plus
loin le navire Argo. Ce double coup
attéra les Argonautes.- Plongés dans
la plus profonde douleur, ils refusoient
de prendre d e la nourriture. Junon
vint relever leur courage abattu , en
ranimant celui d’Ancée fils de Neptune
, he'ros habile dans l ’art de conduire
un vaisseau. Ce fut lui, qui le
premier adressa la parole à Pelée ,
pour lui témoigner sa surprise d’un
découragement aussi universel (3 ). Il
lui vante ingénuement ses talens et son
adresse dans la manoeuvre j des vaisseaux
; il est encore plus pilote , que
guerrier. Il ne doute pas, qu’il n’y ait
sur leur bord beaucoup de gens également
habiles dans cette partie. Il propose
en conséquence une espèce de concours
, qui décidera du choix que l’on
fera d'un nouveau Pilote (4 ). Pelée fait
part de ces réflexions à Jason , qui ne
pàroît pas les goûter ; il semble ignorer
qu’il y ait encore quelqu’un parmi eux
en état de gouverner le vaisseau. Car la
douleur et le désespoir, qui s’étoient emparés
de tous , annoncent qu’ils ne trouvent
plus en eux de ressource ; et qu’ils
s’attendent à être obligés de vieillir dans
une terre étrangère , sans pouvoir pénétrer
chez A ë tè s , ni retourner dans
leur patrie ( 5 ). Aussitôt il s’offre pour
conduire le vaisseau ; et après lui Ergi-
nus , Nauplius et Euphémus se mettent
sur les rangs pour disputer cette gloire ;
mais presque tous les suff r ages se. réunirent
en faveur d’Ancée ( 6 ).
On se rembarque enlin au bout de
douze jours, et l ’on profite du souffle
(4 V. 880.
(5) V. 895.
(6) V. 900.