apprît aux habitans de l'île de Céos à
sacrifier à la Canicule ; sacrilice qu’ils
répètent encore tous les ans, et par
lequel ils obtiennent ces vents heur
e u x , qui rafraîchissent l’air brûlé par
les ardeurs caniculaires (1).
Les Argonautes , après avoir élevé
sur le rivage un autel aux douze grands
Dieux , et l ’avoir chargé d’offrandes ,
retournent à leurs vaisseaux et se rembarquent.
Ils ont soin de ne pas
oublier sur-tout d’emporter avec eux la
fameuse colombe , qui doit leur ouvrir
la route du détroit. Déjà Minerve ,
qui s’intéressoit au succès de leur entreprise
, avoit franchi les airs portée
sur un nuage , et s’étoit placée près
des rochers redoutables , pour guider
leur route (2).
Ici le Poète nous décrit l ’étonnement
et la frayeur des Argonautes, à l’instant
où ils approchent de ces terribles écueils,
au milieu desquels bouillonne l ’onde
écumante. Leurs oreilles sont étourdies
du bruit affreux des roches, qui s’entrechoquent
, et du mugissement .des
vagues, qui vont se briser sur le rivage.
Le Pilote Tiphys manoeuvre avec son
gouvernail , tandis que les rameurs le
secondent de toutes leurs forces. Cependant
Euphémus, placé sur la proue,
lâche la colombe, dont chacun suit des
yeux le vol (3) ; elle file à travers les
roches qui se choquent sans cesse j èlle
échappe sans avoir rien perdu , que
l ’extrémité de sa queue (4). Cependant
l’onde agitée fait tourner le vaisseau ;
les rameurs poussent des cris ; mais le
Pilote les réprimande , en leur ordonnant
de forcer de rames, pour résister
au torrent qui les entraîne. Le flot les
reporte encore au milieu des rochers.
Leur frayeur est extrême, et la mort
semble suspendue sur leurs têtes. Le
Poète continue la description de ce terrible
passage ; celle des flots amoncelés
en forme de montagnes et prêts à retomber
à plomb sur le vaisseau, qui
eût été submergé, sans l’adresse du Pilote
, qui cède quelque temps à l ’impétuosité
des flots , et ralentit l’activité
et la résistance de la rame. Le vaisseau,
com me suspendu sur la cime des vagîtes,
semble voguer au-dessus des roches
elles-mêmes. Euphémus encourage les
rameurs , qui fendent l’onde en poussant
de grands c ris, tandis que la rame
se courbe én forme d’a rc , par la résistance
des flots , qui pressent le vaisseau
et l ’entraînent, au milieu des rochers
et dans le courant rapide qui les baigne
de son écume. C’est ici que Minerve ,
appuyant sa main gauche sur une des
roches , pousse le vaisseau avec la
droite , et le fait échapper avec la rapidité
d’un trait, sans avoir essuyé qu’un
léger dommage (5).
La Déesse, satisfaite d’avoir sauvé
leur vaisseau , retourne dans l ’Olympe,
et les rochers se raffermissent, conformément
aux ordres du Destin. Les
Argonautes respirent enfin de leurs
craintes. Rendus à une mer libre, ils
se croient pour ainsi dire échappés aux
gouffres de l ’enfer. Ce fut alors , que
Tiphys leur adressa un discours , pour
leur rappeler qu’ils doivent leur salut
à la protection de Minerve ; car elle a pris
soin elle-même de la construction de
leur navire , qui par cela feul est impérissable
(6). Il rassure Jason en lui
disant, qu’ils ont échappé aux dangers
les plus grands de leur expédition ; que
les autres obstacles seront beaucoup
plus aisés à vaincre , s’ils en croient les
avis de Phinée. En finissant ces mots ,
il dirige son vaisseau vers les côtes de
Bithynie. Jason lui répond , qu’il a dû
faire des réflexions sur les dangers
qu’il alloit courir , lorsqu’il a accepté
la commission de Pélias ; flue s’il paraît
inquiet, c’est moins pour lui-même,
que pour tant de braves Héros, dont
le sort lui est confié, et qu’il désire
pouvoir ramener un jour en Grèce.
Les Argonautes applaudissent à ce généreux
sentiment (i). Jason , encouragé
par leurs acclamations , leur témoigne
sa .reconnoissance pour leur attachement,
et leur déclare, que quand il faudrait
descendre aux enfers, il y descendrait
sans penr avec e u x , sûr qu’il
est de leur courage et de leur persévérance.
Mais il ajoute, qu’il ose se flatter
que les grands dangers sont passés , et
qu’ils n’ont rien à craindre, sur-tout
s’ils sont fidèles aux avis de Phinée. Il
disoit, et pendant ce temps-là les Argonautes
, ramant sans relâche, avoient
déjà passé l’embouchure de l ’impétueux
Rhebas, le cap Noir , et l’embouchure
du Phyllis, où autrefois Dipsacus reçut
chez lui le fils d’Athamas , lorsque ,
porté sur son Belier , il fuyoit Orcho-
mène (2). Ce fut là qu’il immola son
belier à Jupiter Laphystius (3). Les A r gonautes
, après avoir dépassé tous ces
lieux , et le port de Calpé , arrivèrent
au crépuscule près d’une île déserte ,
appelée l’île xhynias , où ils débarquèrent.
Là ils eurent une apparition
d ’Apollon , qui avoit quitté la L y c ie ,
et qui alloit vers les contrées Hyperbo-
réennes. Ici je dois faire une observation
importante ; c ’est que les anciens
supposoient qu’Apollon restoit en Lycie
les six mois d’hiver , et qu’il la quittoit
au printemps pour passer au nord, chez
les Hyperboréens , suivant les uns ; à
D e lo s , suivant d’autres (4). Or l ’expédition
des Argonautes , ou la conquête
du Belier céleste par Jason, image
symbolique du Soleil, n’est qu’une fiction
sacrée sur ce fameux passage célèbre
chez tous les peuples. G’étoit le passage
de la mer Rouge, chez les Hébreux,
et l’entrée à la terie promise. C’est la
(1) Ibid. V. 640.
(a) V. 650.
(3) Apollon. Scholiast. ibid. v. 655. Pausan.
Attic. g . ta. Boiotic. p. 30$.
Pâques chez les Chrétiens , ou le passage
par l’A gneau, au règne de la L u mière
, et le triomphe du Dieu Lumière,
Dieu Agneau , sur le Prince des ténèbres
, représenté sous l’emblème du Serpent,
que tue Apollon, aussi Dieu de la
Lumière.
Le poète (5) nous fait une description
brillante du Dieu du jour, Apollon,
fils de Latone. Deux tresses de cheveux
, de couleur d’or , pendôient
sur ses épaules. Il tenoit de sa main
gauche son arc d’argent ; son carquois
flottoit sur son épaule. L ’île trembloit
sous' ses pas. Sa vue frappa d’e'tonne-
ment les Argonautes ; ils n’osoient le
regarder en face. Le Dieu continua sa
route à travers les airs. Orphée invite
ses compagnons à donner à cette île
le nom d’île d’Apollon du matin , puisque
c ’étoit à ce moment du jour, qu'il
leur avoit apparu ; et à lui élever un
autel surle rivage. Si ce Dieu, dit-il, nous
procure un heureux retour en Thes-
salie, nous lui immolerons des Chèvres ;
dans ce moment sacrifions-lui ce que
nous pourrons. Et to i, Dieu, qui viens
de nous apparaître , sois-nous propice.
Il dit , et aussi-tôt les uns s’empressent
d’élever un autel, tandis que d’autres
parcourent l ’î le , pour y chercher quelques
daims, quelques chevreuils, qui erraient
dans ces rarêts épaisses. L e Dieu
favorise le succès de leur chasse (6).,
dont les fruits sont déposés sur l’autel
en holocauste. Ils invoquent Apollon,
Dieu du matin ; ils forment des choeurs,
et dans leurs chants , ils répètent l ’Io-
Poean en honneur du blond Phæbus. Le
Chantre de Thrace accompagne leurs
chants des sons harmonieux de sa Lyre.
(7) Il chante la victoire , que ce Dieu
avoit remportée dans sa jeunesse , près
des roches du Parnasse , sur le serpent
Python ; victoire à laquelle avoient ap-
(4) Serv. Comm. in AEneid. 4 , v. 143.
(5) Apollon, ibid. V. 678.
(6) V. 700.
(7! V. 706.
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