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et alors il les attaquera avec succès.
C’est ainsi, lui dit-elle , que vous réussirez
à enlever la riche toison, et que vous
la porterez en Grèce, ou par-tout ailleurs
oii il vous plaira aller, si enlin votre
intention est de courir encore les
mers. En achevant ces mots, elle arrose
ses joues d» larmes, que lui arrache
l ’idée que ce Héros va se séparer d’elle ,
et regagner des régions lointaines. Elle
baisse les yeux , et garde quelque temps
le silence , qu’elle rompt bientôt; elle
lui presse la main , en lui disant : au
moins, lorsque vous serez retourné dans
votre patrie, souvenez-vous de Médée,
Comme elle se souviendra de Jason; et
dites-inoi, avant de partir , où vous
comptez aller (i). Jason touché de sës
larmes, et déj à percé des traits de l'amour,
lui jure de ne l ’oublier jamais , s’il est
assez heureux de retourner dans sa
patrie , et si Aëtès ne lui suscite pas
ue nouveaux obstacles. Comme elle lui
avoit demandé quelques instructions sur
les lieux où il comptoit retourner, ou
sur la Grèce , il entre à cet égard dans
quelques détails, sur la Thessalie, où
régna autrefois Deucalion, qui élevades
autels aux douze grands Dieux. Il lui dit,
que là est Iolcos sa patrie ; il lui parle
aussi d’Ariàdne, sur laquelle Médée lui
avoit fait des questions ; èt il manifeste
le désir d’être aussi heureux que
Thésée (2).
Ce voeu, formé par la tendresse, redouble
le trouble de la Princesse ; et
d’un ton douloureux , elle se plaint
qu’Aëtès ne soit pas aussi bien disposé
que Minos, et de n’être pas elle-même
aussi belle que sa fille. Je ne prétends
qu’à une chose, lui dit-elle ; c’est
qu’arrivé à Iolcos, vous vous souveniez
de Médée. Quant à vous, votre image
restera à jamais gravée dans mon coeur*
malgré: tous mes parens. Mais si vous
veniez à m’oublier, songez que jé le
(1) Ibid. v. 1075. '
(a) V*. I l00.
(3) V. 1x13. , ifj
N I V E - H S E L L E .
saurais ; que la renommée, ou quelque
oiseau officieux , me l’apprendroit.
C’est alors , que l ’aile des vents me
porterait à Iolcos ; et qu’en vous accablant
des reproches , dus à un tel
excès d’ingratitude, je vous rappelerois,
que vous devez votre conservation à
celle que vous auriez si cruellement
oubliée, et que je m'établirais chez
- vous (3).
En parlant ainsi , des torrens de
lai-mes couloient de ses yeux. Jason la
rassure, en lui disant, qu’elle peut l’accompagner
en Grèce, où elle trouvera
toute la considération qu’elle mérite;
qu’elle y sera regardée comme une
Divinité tutélaire, par tous les parens
de ceux qu’elle va sauver. Il lui offre
sa main, et lui jure une foi éternelle.
Les discours de Jason flattent son coeur,
sans qu’elle puisse se dissimuler néanmoins
les malheurs, qui peuvent la menacer
(4).
Cependant ses femmes l'attendaient
avec impatience , et l ’heure- étoit arrivée,
où la Princesse devoit se rendre
au palais de sa mère. Elle ne s’apper-
cevoit pas des instans, qui s’écouloient
trop rapidement pour son désir , si Jason
ne l ’eût avertie prudemment de se retirer
avant que la nuit les surprît, et
que quelqu’un ne soupçonnâtleurentre-
vue ; ils se donnent un rendez-vous
pour une autre fo is , et ils se séparent.
Jason regagne son vaisseau , et Médée
rejoint ses femmes, qu’elle n’apperce-
voit pas ; tant son esprit étoit occupé
d’autres idées. Elle remonte sur son
ch a r, et retourne au Palais. Chalciopé
sa soeur l’interroge sur le sort de ses
enfans; elle n’entend rien et ne répond
rien ; elle s’assied sur un siège près du
l i t , dans l ’attitude de l’abattement et
de la douleur, et plongée dans les plu*
sombres réflexions ( 5).
Jason, retourné à son bord, fait
(4) V. 1132.
(5) V. 1160.
paît
R E L I G I O N U A i 3
part à ses compagnons du succès de Son
entrevue, et leur montre l’antidote puissant
dont il est muni. La nuit se passe ;
et le lendemain, dès la pointe du jour,
les Argonautes envoient Télamon et le
fils d’AEtholus demander au roi Aëtès
les dents du Dragon, qu’il avoit promis.
Celui-ci leur remet les dents du
Dragon de Cadmus, que ce Héros avoit
autrefois tué à Thèbes, près la fontaine
de Mars, qu’il gardoit (« ). Minerve,
qui en avoit arraché les dents , en
avoit donné la moitié à Cadmus , et
l ’autre moitié à Aëtès. Ce sont ces dernières
, que le roi confia aux députés
des Argonautes, pour être remises à
Jason, qui devoit les semer, comme
Cadmus , et, c.omme lu i , tuer les guerriers
qui naîtroient dans les sillons (1).
Cependant le Soleil étoit descendu
sous l’hémisphère inférieur, et dans
les régions inconnues aux hommes de
nos climats, et la nuit avoit attelé ses
chevaux. Les Argonautes étoient couchés
; mais Jason, les yeux tournés
vers la constellation de l’Ourse, obser-
voit l ’heure de la nuit , à,, laquelle il
devoit faire son sacrifice. Le Ciel étoit
pur et l’air câline ; il exécute dans le
plus grand secret les ordres de Médée.
Il se baigne dans les eaux du fleuve,
et fait un sacrifice à la . redoutable
Hécate, dont il invoque le secours. La
Déesse l ’exauce, et apparoît elle-même
à ce Héros. Le Poète nous décrit le
spectre effrayant d’Hécate ; les Serpens
qui tressent sa chevelure, et les Chiens
qui l’accompagnent, et qui font retentir
l ’air d e . leurs aboyemens. Jason est
étonné ; mais son courage n’en est
point abattu : il retourne à ses compagnons
(2 ).
Déjà l’Aurore découvrait les sommets
du Caucase , et le roi Aëtès se revêtoit
de son armure , que lui avoit donnée
Mars , après l’avoir enlevée au Géant
Mimas. Sa tête étoit couverte d’un
(.1) Ibid. v. 1189.
(2) V. ii io .
Reliÿ. Univ. Tome I.
N I V E R S E L L E .
casque brillant, dont l ’éclat éblouissant
offrait l ’image du disque du Soleil, au
moment où il sort du sein des flots. Il
présentoit en avant un énorme bouclier
, formé de plusieurs cuirs, et ba-
lançoit une pique redoutable, à laquelle
aucun des Argonautes n ’eùt pu résister
, si ce n’est Hercule ; mais il les
avoit abandonnés. Tout près on voyoit
Phaéton son fils, qui tenoit les coursiers
qui atteloient le char, sur lequel
il alloit monter. Déjà il en a pris le*
rênes, et il traverse la ville pour se
rendre au lieu du combat ( 3 ).
Un peuple nombreux le. suit. Cependant
Jason , fidèle aux conseils de Médée
, frottoit ses armes avec la drogue ,
que cette princesse lui avoit donnée ,
et qui devoit en fortifier la trempe , de
manière que rien ne pût les faire ployer.
Enfin il en frotte son propre .corps,
qui acquiert une vigueur et une force
à laquelle rien ne résiste. Il agite avec
fierté ses armes et déploie ses bras nerveux.
On se rend au champ de Mars ,
qui étoit à péu de distance .de ta ville ;
ils; trouvent Aëtès et; ses. Colchidiens.
Jason s’élance aussi-tôt de son vaisseau
font équipé tout armé , ét se présente
au combat. On. l’eût pris pour Mars ou
pour Apollon , lorsqu’il est armé. Il
promène ses regards surde; champ, cpi’il
doit labourer; il voit le jougA’airàiii ,
qu’il doit imposer aux taureaux , et le
dur soc avec lequel il va sillonner le
champ. Il s’approche ; il enfonce en
terre sa lance , pose son casque, et
s’avance avec _son seul bouclier , pour
chèrcher la trace des terribles taureaux.
Ceux-ci s’élancent du lieu de leur retraite
obscure et couverte d’une épaisse fumée.
Le feu sortoit avec impétuosité de
leurs larges narines. Cette vue effraie
les Argonautes ; mais Jason , toujours
intrépide , tient spn bouclier en avant
et les attend de pied ferme , comme le
rocher qui attend la vague, qui vient se
(3) V. 1236.
T t t