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vers eux par la fille de Thoas, afin d’inviter
leur Chef, quel qu’il soit, à se
rendre à son palais, pour y entendre
des propositions et des offres, qui ne
peuvent que leur être agréables (1).
Jason se rend à l’invitation ; et pour
paroître devant la Princesse , il se couvre
d’un magnifique manteau brodé
par Minerve elle-même, et dont cette
Déesse lui avoit fait présent. Le Poète
s’amuse ici à nous décrire tous les tableaux
mythologiques, que la Déesse y
avoit artistement tracés , dans une broderie
riche et éclatante. On y voyoit
représentés les Cy cl opes forgeant les
foudres de Jupiter (2) ; les deux fils
d’Antiopé , Âmphion et Zéthus , qui,
au son de sa lyre , bâtissoient les murs
de Thèbes ; Vénus armée du bouclier
de Mars , d’un poli si luisant, qu’il ré-
fléchissoit le tableau de ses charmes ;
la guerre desTaphiens contre Electryon
et l’enlèvement de ses boeufs (3). Plus
loin on distinguoit une course de chars ;
c’étaient ceux de Pelops et d’OEnomaüs.
Hippodamie devoit être le prix. Dans
un autre endroit on voyoit Apollon, qui
perçoit de ses traits le géant Titye, qui
avoit voulu outrager Latone. Enfin on
voyoit Phryxus et son fameux Belier.
Tels étaient les sujets variés, que Minerve
s’étoit plu à retracer sur le riche
manteau qu’elle avoit donné à Jason
(4). Cs Héros prit aussi en main la
lance dont Atalante lui avoit fait' présent
, lorsqu’elle le reçut sur le mont
Ménale. Jason, ainsi armé , s’avance
vers la ville , où Hypsipile tenoit sa
cour. Arrivé aux portes , il trouve une
foule de femmes des plus distinguées
qui l’attendoient , et au milieu desquelles
il s’avance , les yeux modestement
baissés , jusqu’à, ce qu’il fut introduit
dans le palais de la Princesse.
A peine s’y présente-t-il, que les portes
(1) Ibid. y. jy 6.
(2) V. 734.
(b v . 75t.
(t) V. 765.
s’ouvrent pour le recevoir, et qu’Iphi-
noë, chargée de l’introduire , s’em-
presse de le conduire à la Reine,’vis-
à-vis de laquelle étoit un siège sur lequel
on le place (5). La Princesse le
regarde , en rougissant , et lui adresse
un discours plein d’affection. Elle lui
demande pourquoi lui et sa troupe restent,
hors des murs dé sa ville. Elle
l’assure, qu’ils n’ont rien à redouter dé
la part des hommes ; qu’il n’en existe
plus aucun dans leur île (6). Ici, aulieu
de lui dire comment elles s’en sont défaites
, elle imagine, un conte , duquel
il résulte que tous les hommes étaient
passés dans là Thrace pour une expédition.
Qu’ils en avoient enlevé toutes
les filles:, et que de ! retour dans leur
île, ils s’étoient tellement attachés à leurs
captives, qu’ils avoient fini par se ; dégoûter
de leurs femmes , et même par
les maltraiter, elles et leurs enfans légitimes.
Enfin (7) , ajoute-t-elle , un
Dieu nous a inspiré le courage de fermer
nos portes a cés hommes perfides
et ingrats, lorsqu’à leur retour d’une
nouvelle expédition en Thrace ils voulurent
rentrer dans nos murs. Nous
voulûmes les forcer par-là à prendre à
notre égard les sentimens honnêtes,
qu’ils nous dévoient, ou à s’exiler loin
de notre île avec nos rivales. Nous leur
avons renvoyé ce qui restait encore de
mâles parmi nous , et tous ont pris le
parti de se retirer en Thrace. Ainsi rien
ne s’oppose à ce que vous vous établissiez
parmi nous , et que vous succédiez
aux états de Thoas mon père.
Cette île n’est pas à dédaigner ; car elle
est par son sol la plus fertile de la mer
Egée. Allez , reportez mes offres à vos
compagnons (8), et ne restez pas plus
long-temps hors de nos murs.
Jason remercie la Princesse des offres
généreuses, qu’elle veut bien lui faire j et
(5) V. 790.
(6) -V. 794.
(7) V. 820.
(8) V. 831,
il
il consent d’accepter les secours et tous
les approvisionnemens qu’elle leur promet.
Quant au sceptre de Thoas , il
l’invite à le garder ; non pas qu’il le dédaigne
, mais parce qu’une expédition
périlleuse l’appelle ailleurs. En achevant
ce discours, il touche la main droite de
la Reine , et s’empresse de retourner
vers ses vaisseaux. Une foule de jeunes
personnes se pressent autour de lui en
exprimant leur joie , et le suivent jusqu’aux
portes (1). En même temps , des
voitures chargées portent aux vaisseaux
les présens de la Reine , dont les
bonnes intentions pour les Argonautes
sont déjà connues par le,récit que leur a
fait Jason. Un accueil aussi favorable
les touche. On se rend au palais de la
Reine ; ce n’est que repas et que danses
dans toute la ville. On sacrifie à Vénus-
et à Vulcain'son époux , sous la protection
duquel est l ’îfe de Lemnos.
L ’attrait du plaisir retient les Argonautes
plusieurs jours , et les attache à
cette terre enchanteresse. Mais le sévère
Hercule , qui étoit resté à son bord
avec l’élite de ses-amis , les rappelle à
leur devoir et à la, gloire qui les atten-
doit sur les rives de la Colchide -(2)'.
Les reproches qu’il fait à là troupe sont
écoutés sans murmure , et on se prépare
à partir. Ici le Poète nous fait le
tableau de la douleur des femmes au
moment de la séparation , et trace l’expression
des voeux, qu’elles forment pour
l’heureux retour de ces hardis voyageurs.
Elypsipile baigne de ses larmes
les mains de Jason, et lui fait de tendres
adieux Elle lui répète, que si jamais
il lui prend envie de revenir dans
son île , il peut toujours-compter sur le
sceptre de Thoas , quelle remettra
entre ses- mains. Au reste, quelque part
que tu sois , lui dit-elle , souviens-toi
d’IIypsipile ; et avant de partir , pres-
(1) Ibid. v. 845.
(2) V. 865-874.
(?) V. 898.
Ù) V. 914.
■ Rel. Uaiv. Tome I,
cris-moi ce que je dois faire , en cas
que je devienne mère (3). Jason lui répond
: que si elle met au monde un
enfant mâle , il desire qu’elle l’envoie
à Iolcos, chez son père et sa mère ,
s’ils vivent encore , afin qu’il soit pour
eux une consolation durant son absence.
Il dit , et aussi-tôt il s’élance snr son
vaisseau à la tête de tous ses compagnons,
qui s’empressent de prendre en
main la rame. On coupe le cable , et
déjà le vaisseau s’éloigne de l’île (4).
Ils abordent le soir à Samothrace ,
île où régnoit Electre. Orphée leur avoit
conseillé de s’y rendre , afin de se faire
initier aux augustes mystères de Cette
île, avant d’entreprendre une navigation
aussi périlleuse. Ici le Poète s’arrête
par respect et n’ose en dire davantage
, pour ne pas révéler le secret des
mystères (5).- En conséquence il continue
sa narration , et il fait voyager
ses navigateurs entre la Thrace et l’île
d’Imbros, en cinglant vers le golfe Mêlas,
ou noir. Ils arrivent, sur le. soir,
à la Clier'sonèse de Thrace , et ils entrent
dans l’Hellespont, laissant à leur
droite le mont Ida, et les champs de
la Troade (6). Ils côtoyent les rivages
d’Abydos, de Percota , d’Abarnis. et
de Lampsaque. Il y a dans la Propon-
tide une îl'e élevée, assez voisine des
riches plaines de Plirygie , qu'arm e
l’AEsepus. Là est le mont des Ourses ,
qu’habitent les Géans. Leurs spectres
affreux effraient tous les peuples du
voisinage. Gés monstres ont chacun
six bras , toujours prêts à saisir leur
proie (7).
La plaine voisine de l’Isthme étoit
habitée par les Dolions. Le Héros Cy-
zique , qui bâtit la ville de ce nom , régnoit
sur ces peuples. Ce fut là que le
vaisseau Argo , poussé par le vent de
Thrace', aborda. Ils y laissèrent leur
Qqq
(5) V. 921.
(6) V. 930.
(7) V. 946.