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delà duquel sa puissance cesse. Ce principe
est le même que celui des Asiatiques
, des Mages, etc. qui ne recon-
noissent l’action du mauvais principe,
que dans les effets sublunaires. C’est à
ce redoutable Génie, qu’ils offrent leurs
prières et leurs nombreux sacrifices,
afin de le fléchir, et afin qu’il consente à
les épargner. On voit encore ici un
exemple des effets de la crainte, et de
son influence dans la religion. Ils disent
que souvent ils se montre à eux sous
la figure d’un monstre difforme , couvert
de poil, et avec les pieds d’un
cheval ; figure assez semblable à celle
du Centaure , placé sous le Signe dans
lequel Tvphon , ou le Chef des ténèbrés
reprend son empire. Les habitans de
l ’île de Ténérifie' ( i ) reconnoissoient
un Dieu, suprême , a qui ils donnoient
le nom d' Achguaya-Xerax (.s'.sw.v) , qui
signifie le plus grand, le plus sublime,
le conservateur de toutes choses. Ils
admettaient aussi un mauvais Génie,
qu’ils appeloient Guayotta.
Les Madégases, ou habitans de l ’île
de Madagascar, reconn oissent aussi les
deux principes. Ils nomment le premier
Jadhar, ou le grand Dieu tout-puissant.
Ils ne lui élèvent point de Temples ;
ils ne le représentent jamais sous des
formes sensibles, et ne lui adressent
point de prières, parce qu’il est bon,
et qu’il connoîtleurs besoins ; mais ils lui
font des sacrifices. Le second, appelé
Angat, reçoit sa part des victimes qu’ils
immolent à l’autre. Ils donnent aussi
la forme de serpent au mauvais principe
, et supposent que ce Génie cruel
et sanguinaire a pris la forme de ce
reptile (2).
On retrouve à-peu-près les mêmes
idées chez les Tapuyes, peuple de
l’Amérique méridionale , situé presque
à la même latitude que le sont
les Madégases en Afrique. Ils recon-
noissent les deux principes, l’un bon,
(0 Ibid. p. 48a.
Σ\ Sonnerat, v. de l'Inde, t. 2, 1. 4 ,p - 328.
3) Vos5. de Orig. ldol. addend. ad. 1. l , p. 3.
l’autre mauvais (3). Mais ils ne cherchent
pas à gagner par leurs prières le premier,
parce qu’étant naturellement bon,
il ne peut faire de mal à personne, al,
révèsent au contraire, et ils invoquent
le second, parce qu’il est colère, et qu'il
nuit à ceux qui ne l’honorent pas. Iis
11’entreprennent pas de voyages, 11e
livrent point de combats, qu’ils n’aient
mis dans leurs intérêts ce génie malfaisant,
en l’honorant par tontes les
pratiques du cérémonial religieux. C’est
même de-là qu’ils s’attribuent la science
de la divination. Sonnerat dit à-peu-
près la même chose des Madégases, et
ce rapprochement peut conduire à
d’autres conséquences, sur la communication
des peuples de l’Asie avec
l'Amérique, en faifant le tour de
l ’Afrique, et prenant pour station intermédiaire
l’île de Madagascar.
Quoiqu’il en puisse être de la conjecture
ici hazaraée, il est certain que
le système fameux des Asiatiques. et
des Egyptiens sur les deux principes
se retrouve par-tout en Amérique. Les
habitans du Brésil (4) reconnoissent
un mauvais génie,"dont" le nom approche
fort de celui dés Madégases ;
il s’appelle Aguyan. Ce Génie leur
cause beaucoup de frayeur, et on leur
entend dire, que plusieurs d’entre eux
ont été changés en Démons. Ils ont
des devins, qui se disent en commerce
avec Aguyan, de qui ils prétendent
tirer des oracles, et l’art de guérir les
maladies.
Les Indiens de Tierra-Firme (5), qui
pensent qu’il y a un Dieu au ciel,
et que’ ce Dieu est le S o le il, recon-
noissent en outre un mauvais principe,
auteur de tous les maux qu’ils souffrent;
e t, pour l’engager à les traiter favorablement,
ils lui offrent des fleurs, des
fruits , des parfums et du maïs. Car on
a toujours traité les Dieux, comme les
hommes puissans, dè qui on veut ob-
(4) Cont. d’Orvill. t. 5 , p. 390.
(s) Cont. d’Oivill. ibid. t. 5 , p. 231.
tenir quelque faveur. Cet Ltre ténébreux
leur apparoît souvent, à ce que
disent les prêtres, qui sont en même-
temps législateurs, médecins et ministre,
de la guerre : car les prêtres par-tout
se sont saisis de tontes les branches de
pouvoir, que la force et l’impostüre
exercent sur les crédules mortels. L ’empire
que s’arrogent les prêtreS sur l’esprit
■ malin lui-même , qu’ils forcent,
disent-ils, à répondre aux questions
qu’ils lui font , leur donne une
grande autorité sur toute la nation ,
et la finesse qu’ils ont de 11e faire ces
conjurations magiques qn’en secret,
ajoute encore au respect qu’on leur
porte. Ils font, comme les anciennes
sibylles ( 1 ) , des contorsions, poussent
des cris, des hurlemens accompagnés
des plus affreuses grimaces, comme les
Corybantes. Ils s’accompagnent du bruit
de certaines pierres , qu’ils frappent en
cadence, de celui de lugubres tambours,
du son des flûtes de cannes, et de celui
qu’ils tirent de plusieurs os dé bêtes
liés ensemble. Faisant succéder à un
bruit affreux un morne silence, ils parviennent
â en imposer à ce peuple im-
bécille. Ce peuple est celui de tous les
siècles et de tous les pays, ainsi que
les prêtres imposteurs sont aussi ceux
de tous les temps et de toutes les régions
du monde 5 la différence n’est
que du plus ou moins , ou dans les
formes. N’avons-nous pas nos exorcistes,
etles prêtres dansnos campagnes ne sont-
ils pas réputés possesseurs d’un grimoire
magique, avec lequel ils évoquent et
consultent le Diable? voilà le peuple
du Brésil.
Les Caraïbes admettent aussi deux
sortes (2) d’esprits, les uns bienfaisans,
qui font leur séjour au ciel, et dont
chacun a le sïen, qui lui sert de guide
sur la terre. Ce sont nos anges gardiens.
Les autres mal-faisans , sans demeure
Exe, parcourent les airs pen-
,.(*) Virg. AEneid, I. 6. v. 80.
(*) Cont. d’Orv. Ibid. t. 5 , p.73.
dant la nuit, et prennent plaisir à nuire
aux' mortels. Ils o n t, dit-on , outre
cela queiqu’idée d’un Etre-suprême ,
qu’ils pensent être fort tranquille, occupé
à jouir de son bonheur sans se
mêler du sort des hommes.
Les habitans de la Louisianne (3 )
reconnoissent aussi deux principes , l’un
Mâle , principe du bien , et l ’autre
Femelle, principe du mal. Ces deux
principes , selon eux, gouvernent tout
le monde.
Les’Floridiens adorent le Soleil, la
Lune et les Astres. Ils reconnoissent
aussi un mauvais principe (4 ) , sous le
nom de Toïa, qu’ils cherchent à se
rendre favorable en célébrant des fêtes
en son honneur. Leur principale so-
lemnité en honneur de ce génie
est très-nombreuse et très-bruyante sur
tout. Ils font retentir le bruit d’une
multitude de tambours , qui accompagnent
leurs danses, et les chants qui
ont pour objet les louanges du Toïa.’
Au milieu de ces exercices, les prêtres
feignent d’entrer dans une sainte fureur,
et se sauvent dans le bois, sous
prétexte de consulter le mauvais principe.
Pendant leur absence , les femmes
et les Elles ne cessent de pleurer, et
de pousser d’affreux gémisseinens ,
comme les anciennes Bacchantes de la
Grèce. Elles se tailladent le visage et
les bras, comme les Galles de Cyrbèle ,
et elles offrent au Toïa le «sang qui
coule de leurs blessures. C’est ainsi que
l’imposture sacerdotale, en faisant le
tour du monde, a cherché dans l’avilissement
des hommes des garants sûrs
de leur obéissance aveugle à ses lois
cruelles. Quelquefois ces prêtres sont
deux jours entiers sans reparaître; enfin
Us se montrent et débitent à leur retour
tout ce qu’ils supposent avoir
appris de la propre* bouche du malin
esprit. Ces sortes d’oracles, fruit del’im-
posture la plus hardie, règlent pendant
3) Cont. d’Orvill. ibrd. t. 5, p 408.
4) Ibid. t. J , p. 502.
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