494 R e l i g i o n u n i v e r s e l l e .
C H A N T
Xj E Chant suivant nous présente les
Argonautes, arrivés sur les terres dés-
Bébryciens, dans les états du féroce
Amycus fils de Neptune, qui défiôit
tous les étrangers au combat du ceste (1),
et qui avoit déjà tué beaucoup de ses
voisins. Il vient à la rencontre des
Argonautes, leur demande l’objet de
leur voyage, et leur tient un discours
menaçant. Il leur propose. le combat
du ceste , dans lequel il s’étoit
rendu si redoutable. Il leur dit, qu’ils
aient à choisir celui qu’ils Croiront
le plus brave d’entre eux , afin de le
lui opposer (2). Lès Argonautes furent
indignés de ce ton de hauteur, et surtout
Pollux, qui lui répond au nom de
tous avec non moins de fierté, et qui
se présente lui-même pour accepter le
défi. Aussitôt il quitte son manteau ,
dontlui avoitfaitprésentune desfemmes
de Lemnos. Son ennemi en fait autant.
Ils choisissent un lieu propre au combat
, autour duquel se range la foule
des Spectateurs. Ici le Poète fait la description
de l ’air et de la figure des
deux combattans. L ’un est d’une forme
hideuse, semblable à celle de Typhée
et des Monstres, enfans de la terre.
L ’autre, c’est Pollux, est brillant comme
l’astre qui paroît à l’entrée de la nuit.
Un tendre duvet couvroit ses joues ;
le feu pétilloit dans ses yeux. Il dé-
ployoit ses bras agiles et nerveux, que
le travail de la rame n’avoit pas altérés
(3 ). Amycus, placé à quelque dis-
(1) Apollon- I. 2 , y . 7. Hygin. Fab. U .
h ) Apoll. I. a , v . 16.
(3) V. 47-
S E C O N D .
tance, le regardoit d’un oeil fixe, comme
une proie sûre, dont il étoit impatient
de répandre le sang. Lycoreus , satellite
de ce roi brigand, apporte deux
énormes cestes, qu’il jette à leurs pieds.
Le féroce Amycus propose le choix à
son rival, d’un ton qui annonce son
orgueilleuse confiance. Pollux ne répond
rien , et ramasse en souriant
le ceste, qui est le plus près de lui,
sans examen ( 4 ). Castor son frère ,
et Talaüs fils de Bias , lui attachent
son ceste, et animent son courage par
leurs discours. Arêtus et Ornytns rendent
le même service au roi des Bébryciens
; et ils ignorent que c’est pour
la dernière fois. Ici commence la description
de ce terrible combat ( 5 ). ,Le
Poète nous peint les efforts du roi des
Bébryciens, comme le choc de la vague
impétueuse, dont l’effet contre le vaisseau
est rendu nul par l’art du Pilote.
Tel Pollux éhidoit avec adrésse ses
coups, sans recevoir aucune blessure;
et profitoit de tous les mouvemens irréguliers
de son ennemi, de manière
à lui porter à lui-même des coups plus
assurés. Ils sont hors d’haleine , las et
épuisés, et ils se mettent quelque temps
à 1 écart, pour essuyer leur sueur et
reprendre leur haleine. Mais déjà ils se
précipitent l’un contre l’autre, semblables
à des Taureaux, qui se disputent
une Genisse (6). Enfin Amycus,
se. dressant sur l’extrémité des pieds ,
se prépare à assener un coup terrible
(4) V. 6,.
(;) V. 67.
(6j V. 89.
R E L I G I O N U N I V E R S E L L E . 4<)5
à son rival. Celui-ci baisse la tête , esquive
le coup; et s’élançant en même
temps sur son ennemi, il l’atteint à
la tempe , lui brise la tête, et le renverse.
Amycus expire aux pieds de son
vainqueur ( 1 ),
Les Argonautes applaudissent à la
cliûte de ce roi féroce. Les Bébryciens
veulent le venger; ils s’arment contre
Pollux; mais ses compagnons se préparent
à le défendre. Castor, son frère,
immole le premier qui se présente.
Pollux fait mordre la poussière à un
grand nombre d’autres; l’action s’engage
, et le Poète nous en donne les
détails. On distingue sur-tout dans le
combat le valeureux Jason , qui, à la
tête de sa troupe , charge et met en fuite
les Bébryciens (2), comme de timides
troupeaux. Ceux-ci se sauvent dans l’intérieur
de leur pays, et vont y porter
la nouvelle de la mort de deur Chef,'
dont l ’appui leur étoit si nécessaire ,
contre les peuples voisins, qui dévas-
toient souvent leur territoire, et leur
enlevoient leurs troupeaux. A la suite
de cette action , les Argonautes firent
quelques, réflexions sur la perte qu’ils
avoient faite d’Hercule , dont la présence
en eût imposé au roi des Bébryciens
, et leur eût épargné ce combat
du ceste, et l’action qui en avoit été
la suite (3 ). Us s’occupent de panser
leurs blessés ; ils sacrifient aux Dieux
et entonnent en honneur d’Apollon des
chants, qu’Orphée accompagne des accords
de sa Lyre.
Déjà le Soleil brilloit aux portes de
l’orient, et sembloit appeler aux champs
le pasteur et ses troupeaux , lorsque les
Argonautes , ayant chargé sur leur vaisseau
le butin dont ils avoient besoin ,
mirent à la voile et cinglèrent vers le
Bosphore. La mer devient grosse ; les
flots s’accumulent en forme d’énormes
(0 Ibid. v. 96.
u ) V. l ia— 136.
(3) v - ÎMi
(4) v. 177.
montagnes , qui semblent retomber sur
le vaisseau , et prêtes à le submerger.
Mais l’art du Pilote en détourne l’effet ;
et après quelques dangers, ils abordent
le lendemain sur la cote de la Bithynie
(4) de Thrace. Là régnoit Phinée ,
célèbre par ses malheurs. Ce Prince, à
qui Apollon avoit accordé la connois-
sance de l’avenir , fut frappé d’aveuglément
et tourmenté par les Harpies ,
qui enlevoient les mets qu’on lui ser-
voit, ou souilloient les viandes sur sa
table (5). Lorsque ce Prince infortuné
fut averti de l’arrivée de ces voyageurs,
il sort de chez lui , guidant et assurant
ses pas chancelans a l’aide d’un bâton.
Il va s’asseoir devant sa porte, tel
qu’un spectre décharné , qui attire
bientôt tous les regards de ces étrangers
; ils s’attroupent autour de ce vieillard
, lequel reprenant ses esprits, leur
adresse un discours , que les Dieux lui
avoient inspiré (6). Il leur parle, comme
étant déjà instruit de l’objet de leur
expédition en Colchide ; il leur fait le
tableau de ses malheurs et sollicite leur
secours , contre les oiseaux dévorans
qui troublent son repos (7) , et qu’il est
réservé aux seuls fils de Borée de détruire.
Les Argonautes paroissent touchés
de son sort, et sur-tout les deux
fils de Borée, Calais et Zétlrus , qui lui
étoient unis par Cléopâtre son épouse ,
et leur soeur , et fille de Borée. Zétlius,
les veux mouillés de larmes , prend les
mains de ce vieillard et lui adresse un
discours , dans lequel il plaint ses malheurs
et lui promet le secours qu’il attend
d’eux, pourvu qu’il leur réponde
toutefois, qu’ils ne déplairont pas en
cela aux Dieux (8) , qui ont cru devoir
le punir.
Le vieillard prend à témoin le fils de
Latone , qui l’inspire, que le service
qu’ils lui rendront ne sera pas blâmé
I Apoll. 1. 3. Apollon. I. 2, v. 193,
6) V. 2c8.
(7) V. 215—325.
(8) V