Cet Ouvrage n’aura donc d’autre b u t, que de remonter à la source de
nos opinions religieuses, d'en fixer l'origine, d’en suivre les progrès, et
les formes variées ; de faire appercevoir la chaîne commune, qui les unit
toutes, et de proposer -une méthode générale, pour en décomposer la masse
informe et monstrueuse. Je ne parlerai point des Religions révélées, parce
qu'il n'en existe point, et. qu’il n’en peut exister. Toutes sont filles de
la curiosité, de l'ignorance, de l’intérêt et de l’imposture. Les Dieux, chez
moi, sont enfans des hommes ; et je pense, comme Hesiode, que la terre
a produit le Ciel ( i ). Aussi l’Ouvrage a-t-il toute l ’imperfection de son
Auteur. La plupart de ceux qui ont écrit sur l’antiquité religieuse ne
nous ont donné que des notions, ou fausses, ou incomplètes. Ils avoient,
avant d’écrire, une opinion faite., et ils n’ont travaillé que pour rassembler
des preuves propres à lui donner quelque vraisemblance. Alors leurs
études, leurs efforts n’ont servi qu’à les egarer, en ne leur montrant que
ce qu’ils vouloient voir. Us avoient déjà un système, et ils ont étudié
l’antiquité, afin de trouver de quoi l’établir. Pour moi, au contraire, en
étudiant l ’antiquité, j'ai tâché de saisir son esprit le plus universel, et
de faire sortir mon système du résultat de mes recherches, et de 1 ensemble
d’une foule de matériaux épars, que j'ai rapprochés, comparés et liés
entre eux. C'est l ’antiquité elle-même, qui, bien étudiée, bien approfondie,
a formé et fixé mon opinion sur elle. C ’est elle qui m’a conduit, comme
par la main, à la conclusion, que j'ai ensuite mise en principe; et j’ai
eu la satisfaction de voir, que la marche, qu’elle m avoit tracee, étoit
absolument celle de la nature. Chez moi, la première Religion et la plus
universelle se trouve être celle, qui est la première dans 1 ordre de nos
idées, et la plus naturelle à l'homme. L’empire des sens y précédé les
ouvrages de la réflexion ; et on y v o it, que les notions puisees dans 1 ordre
physique ont existé, durant bien plus de siècles et chez un bien plus
grand nombre d’hommes, que les abstractions métaphysiques posterieurement
imaginées. L’homme, chez moi, commence par où les autres le font finir,
et finit par où on le fait vulgairement commencer (2 ) . Ce n’est point un
( 1 ) Theogon. v. i z 6.
( 1 ) Les Chrétiens supposent, que l’homme reçut primitivement de la Divinité
même les véritables notions d l l’Etre suprême intellectuel, et qu il ne chercha la
Etre
P R É F A C E .
• • • . •
Etre imbu primitivement des notions de l ’être incorporel, et adorateur
d’un Dieu invisible, qui s’abaisse ensuite jusqu’au culte de l ’être corporel
et visible, par oubli du premier. Au contraire, ici l’homme adore son
Dieu où il. voit s'exercer son action puissante, et il place dans la cause
visible l’origine suprême et primitive de tous les effets, qu’il lui voit
produire. Ce ne fut que. long-temps après, qu’il imagina le besoin d’une
cause supérieure, et il la chercha par-toùt où il ne voyoit rien, et où il
ne pouvoit rien voir. Car s’il l’eût vu e, elle eût cessé d ’être cette cause,
et elle eût rentré dans l'ordre du monde visible. Cette marche, que je
suppose à l’esprit, est entièrement conforme au grand axiome, que toutes
nos idées nous viennent des sens; mais elle est l ’inverse de celle que
1 on fait communément tenir aux hommes , dans l’opinion des Juifs et
des Chrétiens. Il résulte seulement de-là, qu’ils ont to r t , et qu’ils ne
sont en contradiction avec moi , que parce qu'ils le sont avec le bon
sens et avec la nature elle-même. Les conséquences , qui peuvent suivre
de nos principes , n’entrent pas dans notre plan. Le principe seul doit
etre bien établi ; le reste suit nécessairement, et le plus ou moins d’opinions
et d idees renversées ne peuvent entrer en calcul aux yeux de la
raison. Eh! aurois-je jamais écrit, si j’eusse, à chaque pas, regardé les
conséquences ? Posons les principes ; le lecteur tirera les conséquences.
6St, a elles h chang er et à détruire les fausses opinions , et non
pas a celles - ci à les arrêter dans leur marche. Il est dur , je le sais
- e reveniir sur ses Pa s ; mais i! est encore plus humiliant de n’oser
jamais abjurer de langues erreurs. Nous sommes tous nés pour sentir
^ ^ Vérké; Êt ^’éducation, qui nous dégrade, nous livre
vrais enflmP^Stl|re'x ^ SOns Penser Par nous-vrais enfans de la Nature. mêmes, et nous serons les
J a r dabord fixé l ’idée, qu’on a du attacher à ce mot D ieu , et qu’il
revei er en nous ; persuadé que je suis, que les définitions précises
fut^adr da,nS IeS matériels, que lorsqu'il eut oublié le Dieu invisible, à qui
. a ress son Culte originairement dans l’ enfance du monde. C’est une erreur
e» que repousse le bon sens, et que détruit notre Ouvrage.
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