croyant que son fils était mort, se précipita
du rocher , où il étoit à observer
le vaisseau , et se tua (1).
Cependant Thésée entra dans le port
de Phalère, et d’abord il se mit en devoir
de s’acquitter des sacrifices , qu’il
avoit voués avant son départ ; mais auparavant
, il envoya un Héraut à la
ville apprendre à son père son arrivée.
Ce héraut trouva beaucoup de gens
affligés de la mort du Roi ; mais il en
trouva aussi beaucoup qui, comme on
peut penser, plus touches de la joie
publique , que sensibles au malheur
u’une seule maison , le reçurent à bras
ouverts et lui offrirent des chapeaux de
fleurs , dont on couronne ceux qui portent
de bonnes nouvelles. Il prit des
couronnes ; mais au lieu de les mettre
sur sa tête, il en entoura le bâton que
les Hérauts portent à la main 5 et étant
de retour à Phalère, avant que Thésée
eût achevé son sacrifice, il s’arrêta à la
porte du temple pour ne le pas troubler.
Quand tout fut fini , et lorsque les libations
furent faites , alors il lui annonça
la mort de son père Egée. Thésée , et
tons ceux qui étoient avec lui , s’en
allèrent en grande hâte vers la ville ,
remplissant tout de leurs plaintes et de
leurs cris. De-là vient, dit-on, qu’en-
core aujourd’hui , dans les fêtes des
Rameaux, le Héraut n’est point couronné
, mais qu’il n’y a que sa baguette ,
etqu’àlafin des libations , toute l’assemblée
s’écrie , Ëleleu et Jou ,Jou , dont
le premier cri , suivant Plutarque, est
celui de gens qui se hâtent, et se préparent
au combat, et le second est le
cri de ceux qui sont dans le trouble et
l’affliction. J’observerai, que ce sont
deux mots consacrés dans les mystères
dw Soleil, sous le nom de Bacchus, et
que ces mots ne sont pas Grecs , mais
tirés des langues barbares ou orientales,
et des pays d’où les Grecs empruntèrent
leurs cérémonies religieuses et tous
leurs mystères.
Çi) SerT. ad AEneid. 1. 3, v. 74*
Q) Pausan. Attiç. p. 35.
Thésée , après avoir achevé les funérailles
d’Egée , acquitta ses voeux au
Soleil, ou à Apollon, le même jour, qui
étoit le septième jour du mois appelé
Pyanepsion. Ce jour-là on pratiquoit
une certaine cérémonie , qui consistent
à faire cuire des fèves , et bouillir ensemble
toutes sortes de légumes. On
emprunta encore de la même fête la
coutume de porter l’Eirésione , comme
Thésée l’avoit portée avant son départ
pour la Crète. C’est une branche d’olivier
sacré , tout environnée de bandelettes
de laine et garnie de toutes sortes
de fruits, parce qu’alors on vit cesser la
stérilité , dont toute l’Attique avoit été
affligée (g). ' '
Le vaisseau , sur lequel Thésée fit ce
Voyage, étoit une galère à trente rames,
que les Athéniens conservèrent jusqu’au
temps de Démétrius de Phalère , et
qu’ils eïlvoyoient tous les ans à Délos,
'dans les fêtes appelées Théories , ou
visite du Dieu Soleil, adoré dans cette
isle. On avoit grand soin de mettre des
planches neuves à la place de celles,
.quiSe pourrissoient ou qui vieillissoient;
ce qui lui donnoit une espèce d’éternité.
On attribue à Thésée toutes les cérémonies
de cette fête des Rameaux, et
en particulier l’usage de coëffer et d’habiller
en filles les jeunes garçons, qui
portent les rameaux le jour de cette
fête (h) , laquelle a pour objet Bacchus et
Ariadne, qui arrivèrent en automne ,
après la récolte des fruits. On consacra
une portion de terre et un temple à ce
Héros. L ’administration du sacrifice
fut confiée à la famille des Pbytalides ,
qui l’avoient reçu dans leur maison a
son arrivée de Trézène, et qui l’avoient
purifié (2) , après le meurtre de Syn-
nis et des autres Brigands , comme
lui-même avoit purifié Hercule (3).
Après cêt établissement, Thésée exécuta
un très-grand dpssein : car il réunit
en un seul corps de ville tous les habl-
(3) Apollod. 1. 2.
tans de l’Attique, qui avoient été jus-
ques-lù dispersés dans les bourgs , et
par conséquent très-difficiles à rassembler
, quand il fallait prendre leur avis
sur les mèsures de bien public. Souvent
même il naissoit de-là entr’eux des
querelles et des guerres. Isocrate , dans
son éloge d’Hélene, nous décrit l’état
malheureux auquel étoient réduites les
peuplades de l ’Attique, éparses sous l’empire
de petits chefs et de petits tyrans,
$e faisant souvent entr’elles la guerre
(1). Leur situation étoit à peu près telle
que celle de nos villages, sous la tyrannie
féodale des seigneurs. Il semble, dit
Isocrate, que les distinctions que l’on obtient
d’un peuple esclave n’ont rien de
bien flatteur ; en conséquence, Thésée
chercha à relever l’ame du peuple en
faisant passer en ses mains l’autorité,et en
proclamant la souveraineté du peuple ou
ladémocratie (2). Afin d’y réussir,Thésée
alla lui-même de bourg en bourg, et de
famille en famille , pour tâcher de les
persuader. Les simples particuliers et
les pauvres goûtèrent ses raisons sans
peine ; mais quand il vint à parler aux
plus riches et aux plus puissans , quoiqu’il
leur proposât une forme de gouvernement
populaire , qui ne reconnoi-
troit point de R oi, et où il ne se réser-
voit que l ’intendance, de la guerre et le
maintien des loix, et où il laissoit le reste
au peuple, qui auroit une égale autorité ;
il trouva de la résistance : tant l’égalité
a toujours trouvé, dans les riches et les
puissans , des obstacles à son établissement.
Il en gagna pour tarit quelques-uns ;
et enfin les autres, considérant que sa
puissance étoit déjà fort grande , aimèrent
mieux lui accorder de bonne grâce
ce qu’il demandoit, que d’attendre à s’y
voir réduits par la force. Thésée fit donc
abattre, dans toutes les bourgades, tous
les palais, ettoutesles salles d’assemblée
de chaque bourgade, et il fit bâtir un palais
commun, dans le lieu où il est encore au-
(1) Isocrat. Helenæ Laudat. p. 440.
(a) Ibid. p. 441, 443.
jourd’hui, dit Plutarque. Il unit aussi tout
le peuple par un sacrifice commun, qu’il
appela Panathénées. Il déposa ensuite
l’autorité royale (3) , et ne pensa qu’à
régler et à policer la république , après
avoir consulté l ’oracle du Soleil, ou
d’Apollon adoré à Delphes.
Pour peupler et augmenter sa ville ,
il fit une proclamation digne d’un législateur
, qui établit la démocratie (4) , et
qui donne à son gouvernement la fraternité
, la liberté et l’égalité pour base ,
comme on le suppose dans cette fiction
solaire. Il appela les étrangers, pour y
jouir des memes droits, que tous les
anciens citoyens. Il voulut qu’Athènes
fut la patrie de tout le monde , et la
proclamation qu’il fit est la même,qui se
répète encore aujourd’hui , dit Plutarque
, dans certaines cérémonies, où le
héraut crie : Tous Peu ples, venez ici.
Malgré qu’il eût consacré le principe
de l’égalité , base-du gouvernement populaire
, il établit néanmoins trois classes
de citoyens, distinction qui étoit
plutôt relative à leurs fonctions qu’à
leurs droits politiques. La première
classe étoit chargée du dépôt de la
religion et des loix, et du soin de con-
noître de tout ce qui concernoit le droit
divin et humain. La dignité même des
fonctions, qui luiétoient confiées , rejail-
lissoit en partie sur les personnes qui
les exerçoient, et leur donnoient une
haute considération. La seconde classe
çomprenoit les laboureurs , que leur
utilité et le bésoin , qu’on avoit d’eux,
mettait en état de balancer le crédit
de la première. La troisième classe
étoit celle des artistes, qui par son
nombre empêchoit les deux autres classes
d’acquérir sur elle de la prépondérance.
Par ce moyen, dit Plutarque, il
mit une espèce d’égalité entre tous ,
malgré la différence des états. Il est le
premier , ajoute cet Auteur , qui ait
consacré le nom de Peuple pour les
(3) Ibid. p. 535.
(4) Paus. Att'tc. p. 3.
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