» est en même-temps l ’ouvrage de la
» Nature, et la Nature elle-même. C’est
» une folie de vouloir sortir hors de
» lui pour chercher autre chose. » Tel
est le précis des grands principes philosophiques
que Pline met à la tête de
son histoire de la Nature. Personne
jusqu’ici ne s’est avisé de refuser au
monde la prérogative de cause première
et universelle visible. L ’empire de la
Nature sur-tout ce qui naît, croît, et
périt ici bas, est trop marqué pour qu’on
puisse s’v méprendre;'mais on a imaginé
depuis l’existence d’une cause invisible
, d’une nature différente de celle
de la cause visible , placée hors d’elle,
agissant sur elle!; et ceux qui croient
à tout, l’ont admise, sans s’inquiéter
des preuves. Les autres ont continué
de la placer où ils la voyoient, sans
se perdre dans des. régions inconnues.
La réalité de l’une appuyée du témoignage
de tous les sens, n’étoit contestée
par personne : celle de l’autre etoit au
moins douteuse, et si on pouvoit se
défier des illusions des sens, on devoit
encore plus être en. garde contre celles
de l’imagination et de la métaphysique.
Ces hommes que nous appelons païens,
grossiers et aveugles, croyaient qu’il n’y
a qu’un effet don t on puisse demander
quelle est sa cause ; mais que la cause
elle-même ne souffre point cette question,
à moins qu’elle ne se présente à
nous, comme effet vue sous un autre
rapport; et alors c’est encore d’un effet
dont nous cherchons la cause, et non
pas d’une cause. Or, l’Univers ne se
présentoit à leurs yeux, que sous l’aspect
d’une cause très-puissante et toujours
active, et jamais comme effet. Ils ne
l’avoient point vu naître, croître, s’altérer
, ni vieillir , il paroissoit toujours
le même , et n’offroit aucun des caractères
de l’être produit et destructible;
» ( 1 ) car l’Univers , dit Ocellus, consi-
» dété dans sa totalité ,ne nous annonce
» rien qui décèle une origine, on pré-
» sage une destruction y on ne l ’a pas
(l) C. i. § A
» vu naître, ni croitre , ni s’améliorer,
» ni se détériorer, ni décroître, il est
» toujours le même, de la même ma-
» nière, toujours égal, ét semblable à
33 lui-même. » Il ne paraît pas que depuis
Ocellus, nos observations nous en
aient appris davantage. Il étoit donc
naturel aux hommes de s’arrêter ou les
effets sembloient Unir, et ou 1 etre prend
un caractère différent de celui qu ont
tous ceux qui lui sont subordonnés i
cet être étoit la Nature. 11 etoit necessaire
de remonter jusqu’à 1 arbre , pour
y chercher la cause du fruit, et jusques
à la terre, pour y trouver celle de l ’arbre;
l’un et l’autre produits et reproduits ,
étoient évidemment des effets ; mais la
série des productions et des reproductions
paraissant finir à là terre,^ qui
n’offroit rien de ce qui' caractérisé fetre
produit et passager ; là finirent aussi
les recherches de l’homme sur la progression
des causes ; là fut attache le
sommet de la chaîne des générations,
dû règne végétal, minerai , et même
du règne animal; car, enfin il falloit
bien s’arrêter quelque part; et la Nature
sembloit avoir fixé ce point, dans son
propre sein. La progression infinie dans
les causes, est une. absurdité ; et puisqu'il
faut qu’elle s’arrête , pourquoi la
prolonger au-delà du terme on on la
voit finir ? Ceux qui ont injaginé 1 etre
immatériel, que de leur propre aveu
on np peut voir, ont été obliges également
de terminer là-, ces questions ;
qui Va produit ? et ,de répondre, il existe
sans aucune cause que sa propre nature.
Voilà précisément.(Ce que les anciens
disoient de l’univers ( a) ; il est_ parce
qu’il est ; et qu’il ne serait pas, s’il n eût
toujoursiété. Quelque système que l ’on
adopte’, il faut toujours se contenter
de cette réponse; c’est une vérité necessaire,
dont notre esprit s’accommode
avec peine, et qu’il est force de recevoir.
On sentit que ce serait reculer la
difficulté, et non pas la résoudre, que
de chercher la cause de la cause, et
(2) Ocelt. c . i - § . 2,
que l’éternité d’existence pouvoit au
moins autant appartenir à ce que l ’on
voyoit toujours exister, qu’à un être
abstrait, imaginé uniquement pour expliquer
cette perpétuité aussi inexplicable
en lu i, qu’elle l’étoit dans la Nature.
La Nature fut donc, et dut être le terme
des recherches des premiers hommes sur
la divinité, ou sur la cause première
universelle, jusqu’à ce que le monde des
esprits et des intelligences, placé hors des
limites de la Nature, eût été créé par les
métaphysiciens. Ces subtilités de quelques
penseurs, ne firent jamais qu’une
légère exception à l’opinion générale
sur la nature qui resta en possession
de sa divinité , et tint presque tous les
- mortels attachés à son culte, comme
elle les tenoit enchaînés sous ses
lois.
C H A P I T R E II.
C u l t e d e l à N a t u r e p r o u p é p a r l H i s t o i r e .
I j ’Univebsai.it]! du culte rendu à la Nature,
à ses parties et aux principauxageps
de la cause universelle, est appuyée sur
les monumens les plus authentiques de
l ’histoire de tous les peuples du monde. -
On lit dans le Pentateuque des juifs,
ouvrage dont on vante l’antiquité, une
exhortation de leur législateur, pai;
laquelle il met son peuple en garde,
contre le culte rendu à la Nature chez
toutes les autres nations ; cet homme,
élevé à l’école de quelque spiritualiste ,
voulant propager la doctrine des métaphysiciens
, et en faire la base de la
religion de sa petite horde, lui rappelle
les entretiens qU’il eut avec l’invisible,
et le prestige des tourbillons de flamme
et de fumée qu’il imagina, pour s'investir
en quelque sorte aë la divinité,
et pour parler en son nom, ( i ) « Sou-
33 venez vous , dit-jl , que -vous
» n’avez vu aucune figUre, ni aucune
33 ressemblance, au jour que le seigneur
33 vous parla à Horeb au milieu du féu,
33 de peur qu’étant séduits, vous ne
i* fassiez quelqu’imâge, quelque ligure ;
33 ( 2 ) qu qu’élevant yôs.yeux a,u ciel, et
33 y voyant le soleil, la lune., et tous
» les astres , vous ne tombiez, dans 1" 11S11-
33 sion çt', dans l’erréur, et’ que vous
(i) Deut. y. ,15, &c. . ,
33 ne rendiez un culte d’adoration à
33 des créatures que le seigneur votre
3? Dieu a faites pour le service de toute»
33 les nations qui sont sous le ciel, 3»
Quoique ce Pentateuque ne soit en
grande partie qu’un recueil de contes,
du genre des contes Arabes ; cependant
on y voit que l’auteur, quel qu’il soit ,
étoit un spiritualiste, et qu’il ne rappelle
son peuple au culte de la cause
invisible, que parce que tous les peuples
au milieu desquels il vivoit, adoraient
le monde et ses parties les plus brillantes
et les plus actives. Il avoit à les défendre
contre la séduction du spectacle imposant
de l’Univers, et contre celle de
l’exemple des nations les plus civilisées
de l’orient, qui n’avoient point d’autre
culte ; sans cela cette défense paraîtrait
assez inutile ; et malgré cette précaution ,
la force impérieuse de l’exemple, et celle
de l’action de tous les sens, ramenoit toujours
le juif aux pieds des images et
des autels de la Nature : Tant est grand
$on empire sur l ’homme, tant les abstractions
métaphysiques auront toujours de
peine à détruire le témoignage des sens.
C’est contre ce culte si naturel aux
gommes que les spiritualistes et les prétendus
inspirés de la secte judaïque ,
A 2
m v. 19.