les étymologies ffançoifes uniquement tirées de la
Bible. On oie dire que la récolte en feroit très-abondante
, & que ce pourroit être l’ouvrage le plus in-
téreffant qui auroit jamais été fait fur les langues-,
.par le foin que l’on auroit de faire la généalogie
des mots , quand ils auroient fucceflivement paffé
^lans l’ufage de plufieurs peuples, & de montrer
leur déguilèment quand ils ont été féparément adoptés
de diverfes nations. Ge qu’on propofe pour le
françois, fe peut également propofer pour plufieurs
.autres langues de l’Europe, où il eft peu de nation
qui ne foit dans le cas de pouvoir entreprendre un
tel ouvrage avec fuccès : peut-etre qua la fin ces
différentes recherches mettroient à portée de faire
le di&ionnaire raifonné des langues de l’Europe
ancienne & moderne. Le phénicien feroit prefque
•la bafe-de ce grand édifice, parce qu’il y a peu de
nos contrées où le commerce ne l’ait autrefois porté
, & que depuis ces tems les nations européennes fe
•font fi fort mélangées, ainfi que leurs langues propres
ou acquifes, que les différences qui fe trouvent
entre elles aujourd’hui, ne font qu’apparentes &
•non réelles. .
Au refte, J’entreprife de ces recherches particulières
ou générales, ne pourroit point fe conduire
par les mêmes principes dont nous nous fervons
pour chercher nos étymologies dans le grec & le lat
in , qui en paffant dans nos langues fe font fi peu
corrompues j que l’on peut prefque toujours les chercher
8t les trouver par des voies régulières* Il n’en
■ eftpas de même du phénicien; toutes les nations
de l’Europe en ont étrangement abufé, parce que
les langues orientales leur ont toujours-été fort étrangères
,S t que l’écriture en étoit finguliere & difficile
à lire. On peut fe rappeller ce que nous avons dit du
.travail des cabàliftes St des anciens mythologiftes,
qui ont anagrammatifé les lettres, altéré les fyllabes
.pour y chercher des fens myftérieux ; les anciens^eu-
ropéens ont fait la même chofe, non dans le meme
deffein, mais par ignorance , & parce que la nature
.d’une écriture abrégée St renverfée porte naturellement
à ces niéprifes ceux qui n’y font point familia-
rifés. Ils ont fouvent lû de droite à gauche ce qu’il
falloit lire de gauche à droite , & par-là ils ont ren-
•verfé les mots & prefque toujours les fyllabes. C ’eft
ainfi que de cathenoth, vêtemens, l’inverfe thounecath
j3l àonné-'tunicà ; que luag, avaler, a donné gula,
gueule ; hemer, v in , merum. Taraph , prendre, s’eft
changé en raphta, d’où raptus chez les Latins, &
■ attraper chez les François. De geber , le maître, St de
gtbereth, la maîtreffe , nos peres ont fait berger St
bergerete. Notre adje&if blanc vient de laban St leban,
■ qui fignifient la même chofe dans le phénicien ; mais
leban a donné belan, St par contraélion blan. De
laban les Latins ont fait albon, d'où albus & albanus;
8t par le changement du b en p , fort commun chez
les anciens, on a dit auffi alphan, d’où Yalphos des
Grecs. Avec une multitude d’expreffions fembla-
;Bles, toutes analysées St décompofées, un diâion-
naire raifonné pourroit offrir encore le dénouement
d’une infinité de jeux de mots , St même d’ufages anciens
& modernes , fondés fur cette ancienne lan-
;gue, & dont nous ne connoiffons plus le fel & la valeur
, quoiqu’ils fe foient tranfmis jufqu’à nous.
S i, à l’exemple des anciens , notre cérémonial
exige une-triple falutation; fi ces anciens plus fu-
. perftitieux que nous jettoient trois cris fur la tombe
des morts, en leur difant un triple adieu ; s’ils ap-
pelloient trois fois Hécate aux déclins de la lune;
1 s’ils faifoient des facrifices expiatoires fur trois au-
: tels, à la fin des grands périodes ; St s’ils avoient
.enfin une multitude d’autres ufages de ce genre,
c’eft que l’expreffion de la paix & du falut qu’on in-
:voquoit ou que l’on fe foujiaitoit dans, ces çirçonftances
, étôit prefque le même mot que celui qui dé-
fignoit le nombre trois dans les langues phéniciennes
& carthaginoifes ; le noeud de ces ufages éhyg-
matiques fe trouve dans ces deux mots fchalom 8e
J i halos. Par une allufion du même genre, nous difons
auffi, tout ce qui reluit n'eft pas or : or fignifie reluire;
& ce proverbe avoit beaucoup plus de fel chéz les
orientaux, qui fe plaifoient infiniment dans ces fo r tes
de jeux de mots.
■ Si notre jeùneflè nomme fabot le volubik buxum
-de Virgile, on en voit la raifon dans la Bible, où
fabav fignifie tourner. Si nos Vanniers appellent ojîer
le bois flexible qu’ils emploient, c’eft qu’oferi fignifie
liant, 8t ce qui fert à lier. Si les nourrices en difant
à leurs enfans, paye chopine , les habituent à frapper
dans la main ; St après les marchés faits fi le peuple
prononeéde même mot, fait la même aéfion 8t va
au cabaret, c’eft que chopen fignifie la paume de la
main, 8t que chez les Phéniciens on difoit frapper
un traité, pour dire faire un traité* Ceci nous apprend
que le nom vulgaire de la mefure de vin qui le
boit parmi le peuple après un accord ne vient que de
l’aftion qui l’a précédée. Telles feroient les connoif-
fances que l’étude de la langue phénicienne offriroit
tantôt a la Grammaire & tantôt à l’Hiftoire. Ces
exemples pris entre mille de l’un 8t de l’autre genre,
engageront peut-être un jour quelques favans à la
-tirer de fon obfcurité ; elle eft la première des langues
favantes, 8t d’ailleurs elle n’eft autre que celle
de la B ible, dont il n’eft point de page qui n’offre
quelques phénomènes de cette efpece. C ’eft ce qui
nous a engagé à propofer un ouvrage qui contri-
bueroit infiniment à développer le génie de la lan*-
gue hébraïque & des peuples qui l’ont parlée, 8t qui
nous feroit connoître la finguliere propriété qu’elle
a de pouvoir fe déguifer en cent façons, par des
inventons peu communes dans nos langues européennes
, mais qui proviennent dans celles de l’Afie,
de l’abfence des voyelles, & de la façon d’écrire de
gauche à d roite, qui n’a point été naturelle à tous
les peuples.
V. Il nous refte à parler plus particulièrement du
génie de la langue hébraïque & de fon carattere. C ’eft
une langue pauvre de mots 8t riche de fens ; fa ri-
chefle a été la fuite de fa pauvreté, parce qu’il a
fallu néceffairement charger une même expreffion
de diverfes valeurs , pour fuppléer à la difette des
mots 8t des fignes. Elle eft à-la-fois très - fimple &
très-compofée ; très - fimple , parce qu’elle ne fait
qu’un cercle étroit autour d’un petit nombre de
mots; & très-compofée, pajee que les figures, les
métaphores, les comparaifons, les allufions y font
très-multipliées, 8t qu’il y a peu d’expreffion où l’on
n’ait befoin de quelque réflexion, pour juger s’il
faut la prendre au fens naturel ou au fens figuré.
Celte langue eft expreffive & énergique dans les
hymnes St les autres ouvrages où le coeur & l’imagination
parlent & dominent. Mais il en eft de
cette énergie comme de l’expreffion d’un etranger
qui parle une langue qui ne lui eft pas encore
affez familière pour qu’elle fe prête à toutes fes jdées;
ce qui l’oblige, pour fe faire entendre, à des efforts
de génie qui mettent dans fa bouche une force qui
n’elt pas naturelle à ceux qui la parlent d’habitude.1
Il n’y a point de langue pauvre 8t même fauvage,
qui ne foit v iv e , touchante, St plus fouvent fubli-
me, qu’une langue riche qui fournit à toutes les
idées St à toutes les fituations. Cette derniere à la
• vérité a l’avantage de la netteté, de la jufteffe, &
de la précifion ; mais elle eft ordinairement privée
de ce nerf furnaturel St de ce feu dont les langues
pauvres St dont les langues primitives ont été ani-
méés. Une langue telle que la françôife , par exemple
, qui fuit les figure* & les allufions, qui ne fouffrerien
q'ue de naturel, qui ne trouve de beauté que
dans le fimple, n’eft que le langage de l’homme réduit
à la raifon. La langue hébraïque au contraire eft la
vraie langue de la Poéfie, de la prophétie, 8t de la
révélation; un feu célefte l’anime & la tranfporte:
quelle ardeur dans fes cantiques ! quelles fublimes
images dans les vifions d’Ifaïe ! que de pathétique 8t
de touchant dans les larmes de Jérémie ! on y trouve
des beautés & des modèles en tout genre. Rien de
plus capable que ce langage pour élever une ame
poétique ; & nous ne craignons point d’afsûrer que
la Bible, en un grand nombre d’endroits fupérieure
aux Homere & aux Virgile, peut infpirer encore
plus qu’eux ce génie rare 8t particulier qui convient
à ceux qui fe livrent à la Poéfie. On y trouve moins
à la v érité, de ce que nous appelions méthode , St
de cette liaifon d’idées où fe plaît le flegme de l’occident
: mais en faut-il pour fentir ? Il eft fort fingu-
lier, & cependant fort w a i , que tout ce qui com-
pofe les agrémens & les ornemens du langage, &
tout ce qui a formé l’éloquence, n’eft dû qu’à la pauvreté
des langues primitives ; l’art n’a fait que copier
l’ancienne nature-, & n’a jamais furpaffé ce
qu’elle a produit dans les tems les plus arides. De-là
font venues 'toutes ces figures de Rhétorique , ces
fleurs , & ces brillantes allégories où l’imagination
déploie toute fa fécondité. Mais il en eft fouvent
aujourd’hui de toutes ces beautés comme des fleurs
tranfportées d’un climat dans un autre ; nous ne les
goutons.plus comme autrefois, parce qu’elles font
déplacées dans nos langues qui n’en ont pas un befoin
réel, & qu’elles ne font plus pour nous dans le
vrai ; nous en fentons le jeu , & nous en voyons
l’artifice que les anciens ne voyoient pas. Pour nous,
c’eft le langage de l’art ; pour eu x, c’étoit celui de
la nature.
La vivacité du génie oriental a fort contribué
auffi à donner cet éclat poétique à toutes les'parties de
la Bible qui en ont été fufceptibles, comme les hymnes
& les prophéties. Dans ces ouvrages , les pen-
fées triomphent toûjours de la ftériliré de la langue,
& elles ont mis à contribution le c ie l, la terre &
toute la nature, pour peindre les idées où ce langage
fe refufoit. Mais il n’en eft pas de même du fimple
récitatif & du ftyle des annales. Les faits, la clarté ,
& la précifion néceflaire ont gêné l’imagination
fans l’échauffer ; auffi la diétion eft-eile toûjours fe-
ch e, aride, concife, & . cependant pleine de répétitions
monotones ; le feul ornement dont il paroît
qu’on a cherché à l’embellir, font des confonnances
recherchées, des paronomafies, des métathèfes, &
des allufions dans les mots qui préfentent les faits
avec un appareil qui ne nous paroîtroit aujourd’hui
qu’affeâation, s’il falloit juger des anciens félon notre
façon de penfer, & de leur ftyle par le nôtre.
Caïn va-t-il errer dans la terre de Nod, après le
meurtre d’Abel , l’auteur pour exprimer fugitif,
prend le dérivé de nadad, vagari , pour faire allufion
au nom de la contrée où il va.
Abraham part-il pour aller à Gerare, ville d’Abi-
xnelech ; comme le nom de cette ville fonne avec
les dérivés de gur & de ger, voyager & voyageur,
l’Ecriture s’en fert par préférence à tout autre terme
, parce que peregrinatus efi in Gérard préfente par
un double afpett peregrinatus ejl in peregrinatione.
Nabal refufe-t-il à David la fubfiftance, on voit
à la fuite que chez Nabal étoit la folie , que l’Ecriture
exprime alors par nebalah.
Ces fortes d’allufions fi fréquentes dans la Bible
tiennent à ee goût que l’on y remarque auffi de donner
toûjours l’étymologie des noms propres : chacune
de ces étymologies prefente de même un jeu
de mots qui fonnoit fans doute agréablement aux
oreilles des anciens peuples ; elles ne font point toû-
Tom e V I I I %
jours régulièrement tirées ; & il a paru aux Savans
qu’elles étoient plus fouvent des approximations &
des allufions, que des étymologies vraiment grammaticales.
On trouve même dans la Bible plufieurs
allufions différentes à l’occafion d’un même nom
propre. Nous nous bornerons à un exemple déjà
connu. Le nom de Moyfe , en hébreu Mofchéh, que
le vulgaire interprète retiré des eaux , ne fignifie
point a la lettre retiré, ni encore moins retiré des
eaux y mais retirant, ou celui qui retire. Si cependant
la fille de Pharaon lui a donné ce.nom en le fauvant
du N il, c’eft qu’elle ne fçavoit pas l’hébreu correctement
, ou qu’elle s’eft fervie d’une diale&e différente
, ou qu’elle n’a cherché qu’une allufion générale
au verbe mafehah , retirer. Mais il eft une autre
allufion à laquelle le nom de Mofchéh convient davantage
; c’eft dans ces endroits fi fréquens, où il eft
dit, Moïfe qui vous a ou qui nous a retirés d'Egypte,
Ici l’allufion eft vraiment grammaticale & réguliere
, puifqu’elle peut préfenter littéralement, le retireur
qui nous a retirés f Egypte. C ’eft un genre de
pléonafme hiftorique fort commun dans l’Ecriture,
& duquel il faut bien diftinguer les pléonafmes de
Rhétorique, qui y font encore plus communs ; fans
quoi on courroit le rifque de perfonnifier des verbes
& autres expreffions du difeours, ainfi qu’il eft arrivé
dans la Mythologie des peuples qui ont abufé
des langues de l’orient.
Cette fréquence d’allufions recherchées dans une
langue où les confonnances étoient d’ailleurs fi naturelles,
à çaufe du fréquent retour des mêmes ex»
preffions, a de quoi nous étonner fans doute ; mais
il eft vraiffemblable que la ftérilité des mots qui
obligeoit de les ramener fouvent, eft ce qui a donné
lieu par la fuite à les rechercher avec empreffement.
Ce qui n’étoit d’abord que l’effet de la néceffité a
été regardé comme un agrément ; & l’oreille qui
s’habitue à tout y a trouvé une grâce & une harmonie
dont il a fallu orner une multitude d’endroits
qui pouvoient s’en paffer. Au refte, de tous les agrémens
de la diélion, c’eft à celui-là particulièrement
que tous les anciens peuples fe font plû , parce qu’il
eft prefque naturel aux premiers efforts de l’eljprit
humain ; & que l’abondance n’ayant point été un
des carafteres de leur- langue primitive,' ils n’ont
point crû devoir ufer du peu qu’ils avoient avec
cette fobriété & cette délicateffe moderne , enfans
du luxe des langues. Nous en voyons même encore
tous les jours des exemples parmi le peuple, qui eft
à l’égard du monde poli ee que les premiers âges du
monde renouvellé font pour les nôtres. On le voit
chez toutes les nations qui fe forment, ou qui ne fe
font pas encore livrées a l’étude. On ne trouve plus
dans Cicéron ces jeux fur les noms & fur les mots
fi fréquens dans Plaute ; & chez nous les progrès de
l’efprit & du génie ont fupprimé ces concetti qui ont
fait les agrémens de notre première littérature. Nous
remarquerons feulement que nous avons confervé
la rime qui n’eft qu’une de ces anciennes confonnances
fi familières aux premiers peuples, dont nos peres
l’ont fans doute héritée. Quoique fon origine fe
perde pour nous dans des fiecles ténébreux, nous
pouvons foupçonner que cette rime ne peut être
qu’un préfent oriental, puifque ce nom même de rime
qui n’a de racine dans aucune langue d’Europe, peut
lignifier dans celles de l’orient Y élévation de la voix ,
ou un fon élevé.
Nous ne fommes point entrés dans ce détail pour
faire des reproches aux écriyains hébreux qui n’ont
point été les inventeurs de leur langue, Sc qui ont
été obligés de fe fervir de celle qui étoit en ufage
de leur tems & dans leur nation. Ils n’ont fait que fe
conformer au génie St au carattere de la langue re*
çûe & à la tournure de l’efprit national dont Dieu a