
ration de cet âge mérite d’y être exterminée. Sont-ils
établis en Canaan? ils y courent fans celfe de Mo-
loch à Baal, & de Baal à Aftaroth. Qui pourroit le
croire ? les defcendans même de Moyfe fe font prêtres
d’idoles. Sous les rois, leur frénéfie n’a point à
peine de relâche ; dix tribus abandonnent Moyfe
pour les veaux de Béthel ; & fi Juda rentre quelquefois
en lui-même, fes idolâtries l’enveloppent aufli
dans la ruine d’Ifraël. Pendant dix fiecles enfin ce
peuple idolâtre & ftupide fut prefque femblable en
tout aux nations incirconcifes ; excepté qu’il avoit
le' bonheur de pofféder un livre précieux qu’il négligea
toûjours, Sc une loi fainte qu’il oublia au
point que ce fut une merveille fousjofias de trouver
un livre de Moyfe, Sc que fous Efdras il fallut ren
ouveler la fête des tabernacles, qui n’avoit point
été célébrée depuis Jofué. La conduite des Juifs dans
tous les temps qui ont précédé le retour de Babylo-
n e , eft donc un monument confiant de la rareté où
ont dû être les ouvages de fon premier Iégiflateur.
DélaifTés dans l’arche Sc dans le fanétuaire à la garde
desenfansd’Aaron, ceux-ci qui ne participèrent
que trop fouvent eux-mêmes aux defordres de leur
nation, prirent fans doute aufli l’efprit myflérieux
des miniftres idolâtres : peut-être qu’en n’en laiffant
paroître que des exemplaires fans voyelles pour fe
rendre les maîtres Sc les arbitres de la loi des peuples
, contribuèrent-ils à la faire méconnoître & oublier
; peut-être ne s’en fervoient-ils dèflors que pour
la recherche des chofes occultes, comme leurs defcendans
le font encore, Sc ne les firent-ils fervir de
même qu’à des études abfurdes & puériles, indignes
de la majeflé & de la gravité de leurs livres. Ce
foupçon ne fe juflifîe que trop, quand on fe rappelle
toutes les antiques fables dont la Cabale s’au-
torife fous les noms de Salomon & des prophètes,
& il doit nous faire entrevoir quelle fut la raifon
pour laquelle Ezéchias fit brûler les ouvrages du
plus (avant des rois : c’efl que les efprits faux Sc fu-
perflitieux abufoient fans doute dèflors de fes hautes
& fublimes récherches fur la nature, comme ils
abufent encore de fon nom Sc des écrits des prophètes
qui l’ont fuivi ou précédé. Au refie, que ce
foit l’idolâtrie d’Ifraël qui ait occafionné la rareté
des livres de Moyfe, ou que leur rareté ait occafionné
cette idolâtrie, il faut encore ici convenir que la
nature même de l’écriture a pû occafionner l’une Sc
l’autre. Jamais cette antique façon de peindre la parole
en abrégé, n’a été faite dans fon origine pour
être commune Sc vulgaire parmi le peuple : féerie
ture fans confonnes eft une énigme pour lui ; Sc celle
même qui porte des points voyelles peut être fi facilement
altérée dans fa ponctuation Sc dans toutes
fes minuties grammaticales, qu’il a dû y avoir un
grand nombre de raifons effentielles pour l’ôter de la
main de la multitude & de la main de l’étranger.
Un efprit inquiet & furpris pourra nous dire : Se
peut-il faire que Dieu ayant donné une loi à fon peuple,
& lui en ayant fi févérement recommandé l’ob-
lervation, ait pû permettre que l’écriture en fût ob-
feure Sc la leôure difficile ? comment ce peuple pou-
voit-il la méditer Sc la pratiquer ? Nous pourrions
repondre qu’il a dépendu de ceux qui ont été les organes
de la fcience & les canaux publics de l’inftru-
Ction , de prévenir les égaremens des peuples en
-rempliflant eux-mêmes leurs devoirs félon la raifon
Sc félon la vérité : mais il en eft fans doute Une caufe
plus haute qu’il ne nous appartient pas de pénétrer.
Ce n’eft pas à nous, aveugles mortels, à queftion-
ner la Providence : que ne lui demandons-nous aufli
pourquoi elle s’efl plû à ne parler aux Juifs qu’en
parabole ; pourquoi elle leur a donné des yeux afin
qu’ils ne viffent point, & des oreilles afin qu’ils n’en-
tendiffent point, & pourquoi de toutes les nations de
l’antiquité elle a choili particulièrement celle dont
la tête étoit la plus dure Sc la plus grofliere ? C ’eft
ici qu’il faut fe taire, orgueilleufe raifon ; celui qui
a permis l’égarement de fa nation favorite, eft le même
qui a puni l’égarement du premier homme, Sc
perfonne n’y peut connoître que fa fageffe éternelle.
Si les crimes Sc les erreurs des Hébreux,, fembla-
bles aux crimes Sc aux erreurs des autres nations,
nous indiquent qu’ils ont pendant plufieurs âges négligé
les livres de Moyfe, Sc abufé de l’ancienne
écriture pour fe repaître de chimères Sc fe livrer aux
mêmes folies qu’encenfoit le refte de la terre ; la con-
fervation de ces livres précieux qui n’ont pû parvenir
jufqu’à nous qu’à-travers une multitude de ha-
zards, eft cependant une preuve fenfible que la Providence
n’a jamais cefle de veiller fur eux comme
fur un dépôt moins fait pour les anciens hébreux
que pour leur poftérité & pour les nations futures.
Ce ne fut que dans les fiecles qui fuivirent le retour
de la captivité de Babylone, que les Juifs fe livrèrent
à l’étude Sc à la pratique de leur lo i, fans
aucun .retour vers l’idolâtrie. Outre le fouvenir des
grands châtimens que leurs peres avoient efîuyés,
& qui étoit bien capable de les retenir d’abord ; ils
conçurent fans doute aufli quelque émulation pour
l’étude, par leur commerce avec les grandes nations
de l’Afie, & fut-tout par la fréquentation des Grecs,
qui portèrent bientôt dans cette partie du monde
leur politeffe » leur goût & leur empire. Ce fut alors
que la Judée fit valoir les livres de Moyfe & des prophètes
: elle les étudia profondément : elle eut une
foule de commentateurs, d’interpretes & de favans :
il fe forma même différentes fe&es defagesou de phi-
lofophes ; Sc ce goût général pour les lettres Sc la
fcience fut une caufe fécondé, mais puiflante, qui
retint les Juifs pour jamais dans l’exercice confiant
de leur religion : tant il eft vrai qu’un peuple idiot &
ftupide ne peut être un peuple religieux, & que l’empire
de l’ignorance ne peut être celui de la vérité.
Les premiers fiecles après ce retour furent le bel
âge de la nation juive : alors la loi triompha comme
fi M oyfe ne l’eût donnée que dans ces inflans. Pleins
de vénération pour fon nom Sc pour fa mémoire, les
Juifs travaillèrent avec autant d’ardeur à la recherche
de fes livres qu’à la reconftruélion de leur temple.
On ignore par quelle v o ie , en quel tems Sc en quel
lieu ces -livres fi long-tems négligés fe retrouvèrent.
Les Juifs à cet égard exaltent peut-être trop les fervi-
ces qu’ils ont reçus d’Efdras dans ces premiers tems ;
il leur tint prefque lieu d’un fécond Moyfe ,* Sc c’eft
à lui ainfi qu’à la grande fynagogue qu’ils attribuent
la collection Sc la ré vifion des livres (acres, & même
la ponctuation que nous y voyons aujourd’hui. Ils
prétendent qu’il fut avec fes collègues fécondé des
lumières furnaturelles pour en retrouver l’intelligence
qui s’étoit perdue : quelques-uns ont même
pouffé le merveilleux au point d’affûrer qu’il les
avoit écrits de mémoire fous la diCtée du Saint-
Efprit. Mais le Pentateuque entre les mains des Sa-
* Il eft vraiffemblable que le nom d‘Efdras a donné lieu
à. toutes Jes-traditions qui le concernent. Ce nom, tel qu’il eft
écrit dans le texte, fe devroit dire £ ^ ; & dérivé darar, il
a fecouru , on l'interprece fecours, parce qu’Efdras a été d'un
grand fècôurs aux Juifs au retour de leur captivité. Mais il
y en a eu d’autres qui l'ont aufli'cherché dans çehar, il a in-
-ftitui, il a enfeignè, & qui «fous ce point de vue ont regardé
Efdras comme l’inftituteur de la plupart de leurs ufàges, &
comme leur plus grand doffceur. Le changement de dialeéte
d'E[ra en Ejdrat parce que le ç tourne en fd comme en dft
i ’a fait eficore chercher dans fadar , il a arrangé ; H amis en ordre.
D’où ils ont aufli tiré cette conféquence, qu’Efdras avoit
été l’ordonnateur, le révifeur, & l’éditeur des livres facrés.
Tel eft le grand art des Juifs dans la compofition de leurs hi-
ftoires traditionnelles : c’eft donc avec bien de la raifon que
les Chrétiens ont rejetté ce qu’ils débitent fur Efdras , & tant
d’autres anecdotes qui n’ont pas de meilleurs fondemens.
maritàins ennemis des Juifs, dément une fable aüfîi
abfurde : .nous devons donc être certains que la
reftauration des livres de Moyfe & le renouvellement
de la loi n’ont été faits que fur de très-antiques
exemplaires Sc fur des textes ponCtués, fans lefquels
iLeût été de toute impofîibilité à un peuple qui avoit
négligé fes livres, fon écriture Sc fa langue, d’en retrouver
le fens & d’en accomplir les préceptes. D epuis,
cette époque, le zele des Juifs pour leurs livres
facrés ne s’eft jamais ralenti. Détruits par les
Romains & difperfés par le monde, ils en ont toû-
jours eu un foin religieux, les ont étudiés fans cefle,
& n’ont jamais fouffert qu’on fît le plus léger changement
non-feulement dans le fond ou la forme de
leurs livres, mais encore dans les caraCteres & la
ponctuation ; y toucher, feroit commettre un facri-
lége ; & ils ont à l’égard du plus petit accent ce ref-
peCt idolâtre Sc fuperftitieux qu’on leur connoît pour
tout ce qui appartient à leurs antiquités. Il n’y a
point pour eux de lettres qui ne foient faintes, qui
ne renferment quelque myftere particulier ; chacune
d’elles a même fa légende & ion hiftoire. Mais il
eft fuperflu d’entrer dans cet étonnant détail : tout
réel qu’il eft, il paroîtroit incroyable, aufli-bien
que les peines infinies qu’ils fe font données pour
faire le dénombrement de tous les caraCteres de la
Bible, pour, favoir lé nombre général de tous en-
femble, le nombre particulier de chacun, Sc leur
pofition refpeCtive à l’égard les uns des autres Sc à
l’égard de chaque partie du livre ; vaftes Sc minu-
tieufes entreprifes, que des Juifs feuls étoient capables
de concevoir Sc d’exécuter. Bien éloignés de
ç.ette fèrvitude judaïque, nos favans commencent à
prendre le goût des Bibles fans ponctuation, & peut-,
$tre en cela tombent-ils d’un excès dans un autre. Si
nous n’étions point dans un fiecle éclairé, où il
n ’eft plus au pouvoir des hommes de ramener l’âge
de la fable, nous penferions à l’afp eft des nouvelles
éditions des Bibles non ponftuées, que la Mythologie
voudroit renaître.
Il n’eft pas néceffaire fans doute, en terminant ce
ui concerne l’écriture hébraïque, de dire qu’elle fe
gure de droite à gauche; c’eft une Angularité que
peu de gens ignorent. Nous n’oferions déterminer fi
cette méthode a été aufli naturelle dans fon tems,
que la nôtre l’eft aujourd’hui pour nous. Les nations
fe font fait fur cela différens ufages. Diodore,/iv.
I I I . parle d’un peuple des Indes qui écrivoit de haut
en bas : l’ancienne écriture de Fohi nous eft repré-
fentée de même par les voyageurs. Les Egyptiens,
félon Hérodote, è cri voient, ainfi que les Phéniciens,
de droite à gauche ; Sc les Grecs ont eu quelques
monumens fort anciens, dont ils appelloient l’écriture
/3ov<7Tpo<peJV, parce qu’à l’imitation du labour des
filions, elle alloit fucceflivementde gauche à droite
& .de drqite à gauche. Peut-être que le caprice, le
myftere, ou quelqu’ufage antérieur aux premières
écritures, ont produit ces variétés ; peut-être n’y
a-t-il d’autre, caufe que la commodité de chaque peu-
ple. relativement aux inftrumens Sc autres moyens
dont on s’èft d’abord fervi pour graver , defliner ou
écrire i mais de Amples conjectures ne.méritent pas
d’ajonger notre article. -v
III. L’hiftoire de la langfte ^hébraïque n’eft chez les
rabbins qu’un tiffu de fables, & qu’un ample fujet de
queftions ridicules Sc puériles. Elle eft,félon eu x, la
langue dont le Créateur s’eft fervi pour commander
à la nature, au commencement du monde ; ç’eft de
la bouche de Dieu même que les anges & le premier
homme l’ont apprife. Ce font les enfans de celui-ci
qui l’ont tranfmife de race en race & d’âge en âge,
au-travers des révolutions du monde phyfique &
moral., Sc qui l’ont fait paffer fans interruption &
fans altération de la famille des juftes au peuple d’If-
Tome y i l l%
raël qui en èft forti, G’eft une langue enfin dont fto*
rigine eft toute célefte,& qui retournant un jour à
fa fource, fera la langue des bienheureux dans le
ciel, comme elle a été fur la terre la langue des
faints & des prophètes. Mais laiffons-là ces pieufes
rêveries, dont la religion ni la raifon de notre âge
ne peuvent plus s’accommoder, & fuyons cet excès
qui a toujours été fi fatal aux Juifs, qui ont idolâtré
leqr langue Sc les mots de leur langue en négligeant
les chofes. Si le refpeCt que nous:avons pour les paroles
de la Divinité, nous a porté à donner le titre
de fainte à la langue hébraïque, nous (avons que ce
n’eft qu’un attribut relatif que nous devons également
donner aux langues cnaldéenne * fyriaqüe, &
greque , toutes les fois que le Saint-Efprit s’en eft
fervi : nous favpns d’ailleurs que iâ Divinité n’a
point de langage, & qu’on ne doit donner ce nom
qu’aux bonnes infpirations qu’elle met au fond dé
nos coeurs, pour nous porter au b ien, à la. vérité ,
à-la pa ix,"&pour nous les faire aimer. Voilà la langue
divine ; elle eft de tous les âges Sc de tous les
lieu x, & fon efficacité l’emporte fur les langues dé
la terre les plus éloquentes & les plus énergiques. -
La langue hébraïque eft une langue humaine, ainfi
que toutes celles qui fe font parlées &qui fe parlent
ici bas ; comme toutes les autres, elle a eu fon commencement
, fon régné & fa fin, Sc comme elles encore,
elle a eu fon génie particulier, fes beautés & fes
défauts. Sortie de la nuit des tems, nous ignorons fon
origine hi,ftorique ; & nous n’oferions avancer avec
Ja confiance des Juifs, qu’elle eft antérieure aux anciens
des aftres du monde, S’il étoit permis Cependant
.d’hazarder quelques conjefturesraifonnables,
fondées fur l’antiquité même de cette langue Sc fur
la pauvreté, nous dirions qu’elle n’a commencé
qu’après les premiers âges du monde renouveïlé ;
qu’il a pû fe faire que ceux même qui ont échappé
aux deftruftions, ayent eu pour un tems une langue
plus riche Sc plus foripêe, qui auroit été fans doute
une de celles de.l’ancien monde ; mais que la poftér
rité de ces' débris du genre humain n’ayant produit
d’abord que de petites fociétés qui ont dû néceffai»
rement être long-tems miférables Sc toutes occupées
de leurs befoins & de leur fubfiftance., il a dû arriver
que leur langage primitif fe fera appauvri, aura
dégénéré, de race en race, & n’aura plus formé
qu’un idiome de famille, qu’une langue pauvre,
concife Sc fauvage pendant plufieurs fiecles, qui fera
enfuite devenue, la mere des langues qui ont été
propres Sc particulières aux premiers peuples 8c à
leur colonie. Il en eft des langues comme des-nations:
elles font riches; fécondes, étendues en proportion
de la grandeur Sc de la puiflance des fociétés
qui les parlent ; elles font arides Sc pau vres chez
les Sauvages ; Sc elles fe font agrandies & embellies
partout ôù la population, le commerce, les fciences
Sc les pallions ont agrandi l’efprit humain. È.llesont
aufli été/fujettes à toutes les révolutions morales St
politiques, où ont été expofées les puiffances de la
terre.; elles fe font formées, elles ont régné, elles
ont dégénéré, Sc fe font éteintes avec elles. Jugeons
.donc quels terribles effets ont dû faire fur les premières
langues des hommes, ces coups de la Providence,
quipeuveut.éteindre les nationà en un clin*
d’oe il, .& qui ont autrefois frappé la terre, comme
nous l’apprennent nos traditions religieufes & tous
les monumens de la nature. Si les arts ne furent
point épargnés, fi les inventions fe perdirent, Sc s’il
a fallu des fiecles pour les retrouver Sc les renou-
v eller, à pius forte raifon lès langues qui en avoient
été lafource,Ie canal & le monument, fe perdirent-
elles de même, & furènt-ellçs enfevelies dans la
ruine commune. Le très-petit nombre de traditions
qui nous relient fur les temps antérieurs à ces révo=