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: II!
aux lieux, & aux perfonnes, ne font que l’écorce
de Vhonnêteté. Je conviens qu’elle demande la régularité
des allions extérieures , mais elle eft fur-tout
fondée fur les fentimens intérieurs de l’ame. Si le
jet des draperies dans la peinture, produit un des
grands1 ornemens du tableau, on fçait que leur principal
mérite ell de laiffer entrevoir le nud, fans dé-
guifer les jointures 8c les emmanchemens. Les draperies
doivent toujours être conformes au caraûère
du fujet qu’elles veulent imiter. Ainfi l’honnêteté con-
fifte i° . à ne rien faire qui ne porte avec foi un ca-
raftere de bonté , de droiture 8c de fincérité; c’eft là
le point principal: z°. à ne faire même ce que la loi
naturelle permet ou ordonne, que de la maniéré
& avec les réferves preferites par la décence. Pour
ce qui concerne Vhonnêteté confidérée dans le droit
naturel, voye^ Honnête. (D . J. )
HONNEUR, f. m. (Morale.) Il eft l’eftime de nous
mêmes , 8c le fentiment du droit que nous avons
à l’eftime des autres , parce que nous ne nous fom-
mes point écartés des principes de la vertu, 8c que
nous nous fentons la force dé les fuivre. Voilà Vhonneur
de l’homme qui penfe, & c’eft pour le confer-
ver qu’il remplit avec foin les devoirs de l’homme 8c
du citoyen.
Le fentiment de l’eftime de foi-même eft le plus
délicieux de tous ; mais l’homme le plus vertueux
eft fouvent accablé du poids defesimperfe&ions , 8c
cherche dans les regards, dans le maintien des hommes,
l’expreflion d’une eftime, qui le réconcilie avec
lui-même.
D e là deux fortes d’honneur ; celui qui eft en nous
fondé fur ce que nous fommes; celui qui eft dans
les autres , fondé fur ce qu’ils penfent de nous.
Dans l’homme du peuple, 8c par peuple j’entends
tous les états, je n’en fépare que l ’homme qui
examine l’étendue de fes devoirs pour les remplir,
&Ieurnature pour ne s?impofer que des devoirs v éritables.
Dans l’homme du peuple, l’honneur eft
l’eftime qu’il a pour lui-même, & fon droit à celle
du public, en conféquence de fon exaftitude à ob-
ferver certaines loix établies par les préjugés 8c par
la coutume.
De ces lois, lès unes font confirmes à la raifon 8c
à la nature ; d’autres leur font oppôfées , 8c les plus
juftes ne font fouvent refpe&ées que comme établies.
Chez les peuples les plus éclairés , la maffe des lumières
n’eft jamais répandue , le peuple n’a que des
opinions reçûes 8c confervées fans examen, étrangères
à fa raifon ; elles chargent fa mémoire , dirigent
fes moeurs > gênent, repriment, fécondent,
corrompent 8c perfectionnent l ’inftinélde la nature.
L'honneur, chez les nations les plus polies , peut
donc être attaché , tantôt à des qualités & à des actions
eftimables, fouvent à des ufages funeftes,
quelquefois à des coutumes extravagantes, quelquefois
à des vices.
On honore encore aujourd’hui dans certains
pays de l’Europe, la plus lâche 8c la plus odieufe
des vengeances , 8c prefque par-tout, malgré la religion
, la raifon 8c la vertu , on honore la vengeance.
Chez une nation p olie, pleine d’efprit 5c de force,
la pareffe & la gravité font en honneur.
Dans la plus grande partie de l’Europe, une mau-
vaife application de la honte attachée à ce qu’on
appelle fe démentir force quiconque a été injufte
un moment, à être injufte toute fa vie.
S’il y a des gouvernemens où le caprice décide indépendamment
de la lo i, ou la volonté arbitraire du
prince , ou des miniftres, diftribue , fans confulter
l’ordre 8c la juftice, les châtimens 8c les récompen-
fes, l’ame du peuple engourdie par la crainte, abattue
par l’autorité, refte fans élévation ; l’homme
dans cet état n’eftime , ni lui, ni fon femblable ; il
craint plus le lupplice que la honte, car quelle honte
ont à craindre des efclaves, qui confentent à l’être >
Mais ces gouvernemens durs, injuftes , cruels , injurieux
à l’humanité , ou n’exiftent pas, ou n’exif-
tent que comme des abus paffagers , & ce n’eft jamais
dans cet état d’humiliation qu’il faut confidé-
rer les hommes.
Un génie du premier ordre a prétendu que Yhon-
neur étoitde reffort des monarchies ,8c la vertu celui
des républiques. Eft-il permis de voir quelques
erreurs dans les ouvrages de ce grand homme, qui
a voit de l’honneur 8c de la vertu !
Il ne définit point Yhonneur, & on ne peut en le
lifant, attacher à ce mot une idéeprécife.
Il définit la v ertu , l’amour des lois 8c de la patrie.
Tous les hommes, du plus au moins, aiment leur
patrie, c’eft-à-dire, qu’ils l’aiment dans leur famille,
dans leurs pofl'effions, dans leurs concitoyens, dont
ils attendent 8c reçoivent des fecours 8c des corifo-
lations. Quand les hommes font contensdu gouvernement
fous lequel ils vivent, quelque foit fon genre
, ils aiment les lo is , ils aiment les princes , les
magiftrats qui les protègent 8c les défendent. La maniéré
dont les lois font établies, exécutées , ou vengées
, la forme du gouvernement, font ce qu’on appelle
l'ordre 'politique. Je crois que le préfident de
Montefquieu fe feroit exprimé avec plus de préci-
fion, s’il avoit défini Ta vertu, l’amour de l’ordre
politique & de la patrie.
L’amour de l’ordre eft dans tous les hommes.
Ils aiment l’ordre dans les ouvrages de la nature l
ils aimentles proportions & la fymétrie dans cet
arbre, dont les feuilles fe répandent en cercle fur la
tige, dans les différens émaux diftribués fymétrique-
ment fur l’infeôe, la fleur 8c le coquillage, dans l’af-
femblage des différentes parties qui compofent la figure
des animaux. Ils aiment l’ordre dans les ouvrages
de l’art: les proportions & la fymétrie dans un poë-
me,dansunepiecede mufique,dans un bâtiment,dans
un jardin, donnent à l’efpritla facilité de raffembler
dans un moment & fans peine, une multitude d’objets
, de voir d’un coup d’oeil un tout, de paffer alternativement
d’une partie à l’autre fans s’égarer, de revenir
fur fes pas quand il le veu t, de porter fon attention
où il lui plaît, 8c d’être sûr que l’objet qui
l’occupe, ne lui fera pas perdre l’objet qui vient de
l ’occuper.
L’ordre politique, outre le plaifir fecret de raffembler
& de conferver dans l’efprit beaucoup de
connoiffances & d’idées, nous donne encore le plaifir
de les admirer ; il nous étonne, 5c nous donne une
grande idée de notre nature. Nous le trouvons difficile
, utile 6c beau ; nous voyons avec furprife naître
d’un petit nombre de caufes, une multitude d’effets.
Nous admirons l’harmonie des différentes parties
du gouvernement, 8c dans line monarchie
comme dans une république, nous pouvons aimer
jufqu’au fanatifme cet ordre utile,fimple, grand, qui
fixe nos idées, eleve notre ame, nous éclaire, nous
protégé , 8c décide de notre deftinée. L’agriculteur
françois ou romain, le patricien ou le gentilhomme,
contents de leur gouvernement, aiment l’ordre 8c
la patrie. Dans la monarchie des Per fes, on n’ap-
prochoit point des autels des dieux , fans les invoquer
pour la patrie-; fl n’étoit pas permis au citoyen
de ne prier que pour lui feul. La monarchie des In-
eas n’etoit qu’une famille immenfe, dont le monarque
étoit le pere. Les jours où le citoyen cultivoit
Ion champ, étoient des jours de travail; les jours où
il cultivoit le champ de l’état 8c du pauvre, étoient
des jours de fêtes. Mais dans la monarchie., commit
dans la république, cet amour de la patrie, cette
vertu, n’eft le reffort principal, que dans quelques
fftjiôùon*,;
fituations, dans quelques circonftances : Yhonneur eft
par-tout un mobile plus conftamment a£lif. Les cou-»
ronnes civiques 8c murales , les noms des pays de
conquêtes donnés aux vainqueurs , les triomphes
excitoient aux grandes aftions les âmes romaines,
plus que l’amour de la patrie. Qu ’on ne me dife
point que je confonds ici Yhonneur 8c la gloire, je
îçais les diftinguer, mais je crois que par-tout où on
aime la gloire, il y a de Yhonneur. Il foutient avec
la vertu les faifeeaux du conful 8c le feeptre des
rois ; Yhonneur ou la vertu dans la république, dans
la monarchie , font le principal reffort, félon la nature
des lois, la puiffance, l’étendue, les dangers ,
la profpéritéde l’état.
Dans les grands empires, on eft plus conduit par
Yhonneur, par le defir 8c l’efpérancedel’eftime. Dans
les petits états il y a plus, l’amour de l’ordre politique
8c de la patrie ; il régné dans ces derniers un
ordre plus parfait. Dans les petits états, on aime la
patrie , parce que les liens qui attachent à elle, ne
font prefque que ceux de la nature ; les citoyens
font unis entr’eux par le fang, 8c par de bons offices
mutuels ; l’état n’eft qu’une famille, à laquelle
fe rapportent tous les fentimens du coeur , toujours
plus forts, à proportion qu’ils s’étendent moins. Les
grandes fortunes y font impoffibles, 8c la cupidité
moins irritée ne peut s’y couvrir de ténèbres ; les
moeurs y font pures, & les vertus fociales y font
des vertus politiques.
Remarquez que Rome naiffante 8c les petites républiques
de la Grece , où a régné l’enthoufiafme
de la patrie, étoient fouvent en danger ; la moindre
guerre menaçoit leur conftitution 8c leur liberté.
Les citoyens , dans de grands périls, faifoient naturellement
de grands efforts ; ils avoient à efpérer
du fuccès de la guerre, la confervation de tout ce
qu’ils avoient de plus cher. Rome a moins montré
l’amour extrême de la patrie, dans la guerre contre
Pyrrhus, que dans la guerre contre Porfenna, 8c
moins dans la guerre contre Mithridate, que dans la -,
guerre contre Pyrrhus.
Dans un grand é ta t, foit république , foit monarchie
, les guerres font rarement dangereufes pour
la conftitution de l’état, & pour les fortunes des citoyens.
Le peuple n’a fouvent à craindre que la perte
de quelques places frontières ; le citoyen n’a rien à
efpérer du fuccès de la nation ; il eft rarement dans
des circonftances où il puiffe fentir 8c manifefter
l ’enthoufiafme de la patrie. Il faut que ces grands
états foient menacés d’un malheur qui entraineroit
celui de chaque citoyen, alors le patriotifme fe reveille.
Quand le roi Guillaume eut repris Namur,
on établit en France la- capitation, 8c les citoyens
charmés de voir une nouvelle reffource pour l’état,
reçurent l’édit de cet impôt avec des cris de joie.
Annibal, aux portes de Rome, n’y caufa ni plus de
douleurs , ni plus d’allarmes, que de nos jours en
reffentit la France pendant la maladie de fon roi. Si
la perte de la fameufe bataille d’Hochted a fait faire
des chanfons aux François mécontens du miniftre; le
peuple de Rome , après la défaite des armées romaines
, a joui plus d’une fois de l’humiliation de fes
magiftrats.
Mais, pourquoi cet honneur mobile prefque toujours
principal dans tous les gouvernemens, eft-il
quelquefois fi bizarre ? pourquoi le place-t-on dans
des ufages ou puériles, ou funeftes ? pourquoi im-
pofe-t-il quelquefois des devoirs qxie condamnent la
nature, la raifon épurée 8c la vertu ? 8c pourquoi dans
certains tems eft-il particulièrement attribué à certaines
qualités , certaines attions, 8c dans d’autres
tems,à des aâions 8c à des qualités d’un genre oppofé?
Il faut fe rappeller le. grand principe de l’utilité
de David Hume : c’eft l’utilité qui décide toujours de
Tome V IU % ^
notre eftiitie. L’homftie qui peut nous être tuile eft
l’hortime que nous honorons ; 8c chez tous les peuples
, l’homme fans honneur eft celui qui par fon
caraûere eft cenfé ne pouvoir fervir la fociété*
.# Mais certaines qualités, certains talens, font eii
divers tems plus ou moins utiles; honorés d’abord *
ils le font moins dans la fuite. Pour trouver les eau-»
fes de cette différence, il faut prendre la fociété dans
fa naiffance , voir Yhonneur à fon origine, fuivre
la fociete dans fes progrès, 8c Yhonntür dans fetf
changemens.
L homme dans les forets où la nature l’a placée
eft né pour combattre l’homme 8c la nature. Trop!
foible contre fes femblables , 8c contre les tigres, S
s’affocie aux premiers pour combattre les autres*
D(’abord la force dü corps eft le principal mérite ; la
débilité eft d’autant plus méprifée, qu’avant l’invention
de ces armes, avec Iefquels un homme foible
peut combattre fans defavantage , la force du
corps étoit le fondement de la valeur.La violence fût-
elle injufte, n’ôte point Yhonneur. La plus douce des
occupations eft le combat ; il n’y a de vertus que le
courage, 8c de belles avions que les viéloires. L’amour
de la vérité , lafranchife, la bonne-foi, qualités
qui fuppofent le courage, font après lui les plus
honorées ; 8c après la foibleffe , rien n’avilit plus
que le menfonge. Si la communauté des femmes
n eft pas établie, la fidélité conjugale fera leur hon-
neur, parce qu’elles doivent, fans (ecours , préparer
le repas des guerriers, garder 8c défendre la maifon *
élever les enfans; parce que les états étant encore
égaux, la convenance des perfonnes décide des mariages
; que le choix 8c les engagemens font libres,
8c ne laiffent pas d’exeufe à qui peut les rompre. Ce
peuple groffier eft néceffairement fuperftitieux , delà
fuperftition déterminera l’efpece de fon honneur ,
dans la perfuafion que les dieux donnent la viéloirô
à la bonne caufe. Les différens fe décideront par le
combat, 8c le citoyen, par honneur, ver fera le fang
du citoyen. On croit qu’il y a des fées qui ont un
commerce avec les dieux, 8c le refpeô qu’on a pour
elles, s’étend à tout leur fexe. On ne croit point
qu’une femme puiffe manquer de fidélité à un homme
eftimable, 8c Yhonneur de l’époux dépend de la chaf-
tetéde fonépoufe.
Cependant les hommes dans Cet é ta t, éprouvent
fans ceffe de nouveaux befoins. Quelques-uns d’en»
tr’eux inventent des arts,desmachines.La fociété en»
tiere en jouit, l’inventeur eft honoré, ôtl’efprit commence
à être un mérite refpeâé. A mefure que la
fociété s’étend 8r fe polit, il naît une multitude de
rapports d’un feul à plufieurs ; les rivalités font plus
fréquentes, lespaffions s’entreheurtent; il faut des
lois fans nombre ; elles font féveres , elles font
puiffantes , & les hommes forcés à fe combatre toujours
, le font à changer d’armes. L’artifice 8c la dif-
fimulation font en ufage ; On a moins d’horreur de la.
fauffeté , 8c la prudence eft honorée. Mille qualités
de l’ame fe découvrent, elles prennent des noms ,
elles ont un ufage : elles placent les hommes dans
desclaffes plus diftinguées les unes des autres , que
les nations ne l’étoient des nations. Ces claffeS de
citoyens ont de Yhonneur des idées différentes.
La fupériorité des lumières obtient la principale
eftime ; la force de l’ame eft plus refpeftée que celle
du corps. Le légiflateur attentif excite les talens les
plus néceffaires ; c’eft alors qu’il diftribue ce qu’on
appelle les honneurs. Ils font la marque diftin&ive par
laquelle il annonce à la nation qu’un tel citoyen eft
un homme de mérite 8c déhonneur. Il y a des honneurs
pour toutes les claffes. Le cordon de S. Michel eft
donné au négociant habile 8c à l’artifan induftrieux j.
pourquoi n’en décoreroit-on pas le fermier intelligent
, laborieux, économe, qui fructifie la terre è
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