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qu’il eft devenu un modèle admirable à Ton tour.
J’avoue qu’il n’eft pas impoflîbleque des hommes
plus favorises du ciel que les autres, s’ouvrent d’eux-
mêmes un chemin nouveau, & y marchent fans guides
; mais de tels exemples font fi merveilleux, qu’ils
doivent paffer pour des prodiges.
En effet, le plus heureux génie a befoin de fe-
cours pour croître 6c fe foutenir ; il ne trouve pas tout
dans fon propre fonds. L’ame ne fauroit concevoir
ni enfanter une production célébré, fi elle n’a été
comme fécondée par une fource abondante de con-
noilfances. Nos efforts font inutiles, fans les dons de
la nature ; & nos efforts font imparfaits fi l’on n’accompagne
ces, dons, fi Y imitation ne les perfectionne.
Mais il ne fuffit pas de connoître l’utilité de Y imitation
; il faut favoir encore quelles regies on doit
fuivre pour en retirer les avantages qu’elle eft capable
de procurer.
La première chofe qu’il faut faire eft de fe choifir
un bon modèle. Il eft plus facile qu’on ne penfe de
fe laiffer furprendre par des guides dangereux; on a
befoin de fagacité pour difcerner ceux auxquels on
doit fe livrer. Combien Séneque a-t-il contribué à
corrompre le goût des jeunes gens de fon tems & du
nôtre ? Lucain a égaré plufieurs efpritsqui ont voulu
l’im iter, 6c qui ne poffédoient pas le feu de fon éloquence.
Son traducteur entraîné comme les autres,
a eu la folle ambition de lui dérober la gloire du
ftyle ampoulé.
Il ne faut pasmême s’attacher tellement à un excellent
modèle , qu’il nous conduifefeul 6c nousfafie
oublier tous les autres écrivain?. Il faut comme une
abeille diligente, voler de tops [côtés, 6c s’enrichir
du fuc.de toutes les fleurs. Virgile trouve de l’or dans
le fumier d’Ennius ; 6c celui qui peint Phedre d’après
Eurypide , y ajoute encore de nouveaux traits que
Séneque lui préfente.
Le difcernement n’eft pas moins néceffairp pour
prendre dans les modèles qu’on a çhoifis les chofes
qu’on doit imiter. Tout n’eft pas également bon
dans les meilleurs auteurs ; & tout ce qui eft bon ne
convient pas également dans tous les tems 6c dans
tous les lieux.
De plus , ce n’eft pas affez que de bien choifir ;
Yimitation doit être faite d’une maniéré noble, g én é -
reufe, 6c pleins de liberté. La bonne imitation eft une
continuelle invention. Il faut, pour ainfi dire , fe
transformer en fon modèle , embellir fes penfées,
& par le tour qu’on leur donne, fe les approprier,
enrichir ce qu’on lui prend, 6c lui laiffer ce qu’on
ne peut enrichir. C ’eft ainfi que la Fontaine imitoit,
comme il le déclare nettement.
Mon imitation n'efi point un efclavage :
» Je n’emploie que l’idée, les tours & les lois que
» nos maîtres fuivoient eux-mêmes ».
S i d'ailleurs quelque endroit plein cheveux d'excellencey
Peut entrer dans mes vers fans nulle violence ,
Je l'y tranfporte , & veux qu'il n'ait rien d'affecté 9
Tâchant de rendre mien , cet air d'antiquité.
Malherbe , par exemple , montre comment on
peut enrichir la penfée d’un autre, par l’image fous
laquelle il repréfente le vers fi connu d’Horace ,pal-
lida mors cequo pulfatpede , pauper uni tabernas, regum-
que turres.
Le pauvre enfà cabane, où le chaume le couvre,
Efifujet à fçs lois •
E t la garde qui veille au* barrières du louvre ,
N'eu défend pas nos rois.
Sophocle fait dire au malheureux A ja x, Iorfqu’é-
tant prêt de mourir, il trouve fop fils :
^ |9§i * ywwoio GrçtTpOf
s V * j tfxoïoi.
I MI Virgile exprime la même chofe d’une maniéré differente.
Difce , puer , virtutem ex me , 1>erunique laborem,
Fortünam ex aliis.
Et noustrouvonsdans Andromaque la même idée
rendue encore d'une façon nouvelle.
Fais connoître a mon fils , les héros de fa race :
Autant que tu pourras., conduis-le fur leur, trace ;
Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté»
Plutôt ce qu'ils ont fait y que ce qu'ils ont été.
M. Defpréaux qui difoit en badinant, « qu’il n’é-
» toit qu’un gueux revêtu des dépouilles d’H orace, »
s’eft fi fort enrichi de ces dépouilles , qu’il s’en eft
fait un tréfpr, qui lui appartient juftement ; en imitant
toujours, il eft toujours original. Il n’a pas traduit
le poète latin, mais il a jouté contre lui, parce
que dans ce genre de combat, on peut être vaincu
fans honte.
Si Virgile n’avoit pas ofé jouter contre Homere
nous n’aurions point fa magnifique defcription de la
defcente d’Enée aux enfers, ni l’admirable peinture
du bouclier de fon héros. C ’eft ici qu’il faut convenir
que le poète latin nous apprend comment il s’y
faut prendre pour fe rendre original en imitant -
c’eft de cette maniéré que les grands Peintres & les
Sculpteurs imitent Ja nature, je veux d ire en l’em-
belliffant. Voye{ le mémoire de M. l’abbé Fraguier fur
.les imitationf de l’Enéjide.
L ’approbation confiante que l’Iphigénie de Racine
areçûe fur le théâtre françois, juftifie fans doute
l’opinion de ceux qui mettent cette tragédie au nombre
des plus belles.. En la comparant à la piece du
même nom, qui a fait les délices du théâtre d’Athènes,
on verra de quelle façon on doit imiter les anciens.
Eurypide,de l’aveu d’Ariftote, ne donne pas
à fon Iphigénie, un cara&ere confiant 6c foutenu *
d’abord f elle déclare qu’elle périt par le meurtre in-
jufte d’unpere barbare : un moment après, elle change
de fentiment, elle excufe ce pere, 6c prie CIy-
temneftre de ne point haïr Agamemnon , pour l’amour
d’elle. L’auteur de l’Iphigénie moderne fen-
tant la faute d’Eurypide, a pris grand foin de l’éviter
; il a peint cette fille toujours refpeâueufe & tou-
jours foumife aux volontés de fon pere.
Ainfi Y imitation née de la le&ure continuelle des
bons originaux, ouvre l’imagination, infpire le goût
étend le génie, 6c perfectionne les talens j c’eft ce
qui fait dire à un de nos meilleurs poètes :
Mon feu s'échauffe à leur lumière 3
Ainfi qu'un jeune peintre infiridt
Sous Coypel & fous l'Argilliere ,
De ces maîtres qui l'ont conduit,
Se rend la touche familière ;
I l prend noblement leur maniéré ,
E t compofe avec leur efprit.
Ne rougiffons donc pas de confulter des guides habiles
, toujours prêts à nous conduire. Quoiqu’ils
foient nos maîtres, la grande diftance que nous
voyons entre eux 6c nous, ne doit point nous effrayer.
La carrière dans laquelle ils ont couru fi glo-
rieufement eft encore ouverte ; nous pouvons les atteindre
, en les prenant pour modèles & pour rivaux
dans nos imitations ; fi nous ne les atteignons pas ,
du-moins nous pouvons en approcher , & après les
grands hommes, il eft encore des places honorables.
La réputation de Lucrèce n’empêcha pas Virgile de
paroître, & la gloire d’Hortenfius ne rallentit point
l’ardeur de Cicéron pour l’éloquence. Quel homme
étoit plus propre à defefpérer fes rivaux que Corneille
? cependant il a trouvé un égal ; & quoiqu’un
autre ait mérité la même couronne, la fienne lui eft
demeurée toute entière, n’a rien perdu de fon éclat*
ï M I Concluons que c’eft ^Yimitation cj<t les modernes
V iv e n t leur gloire, & que c’eft de cette même imitation
crue les anciens ont tiré leur grandeur. (JJ. J.)
Im it a t io n , fi fi ( Morale. ) c’eft; dit Bacon, la
traduction des préceptes en exemples. Un jeune
homme qui veut s’avancer dans la carrière de la
gloire & de la vertu; doit commencer par fe proposer
d’exeellens modèles, & ne pas prendre d’après
eux quelques traits deïeffemblance, pour une parfaite
conformité ; mais avec le tems, il doit devenir
lui-même fon modèle ; e’eft-à-dire régler fes aftions
par fes aftions , 6c donner des exemples après en
•avoir ftiivi’. (D* J.') . A. .
Im it a t io n eh Mufique, eft l’emploi d un meme
Wrt de chant dans plufieurs parties qui fe font entendît
l’une après l’autre; A l’uniffon, à la tierce,
à là quàrte, ou à quelqu’autre intervalle que ce foit,
Yimitation eft toujours bien prife ; meme en changeant
plufieurs notes, pourvu que le même chant
fe recônnoiffe toujours, & qu’on ne s’écarte point
des lois d’une bonfie modulation. Souvent pour rendre
Yimitation plu? fenfible, on la fait précéder d’un
filence. On traité Yimitation comme on veut; on la
prend, on l’abândonne, on en commence une autre
à fa liberté ; en un mot les réglés en font aufli relâchées
que celles de la fugue font féveres : c’eft pourquoi
les grands maîtres la dédaignent, & toute imitation
trop affeftée décele prefque toujours un écolier
en compofition.
IM ITATIVE, Phrase ; (Gram. & Poéfie). J ’appelle
phrafe imitative avec M. l’abbé du Bos ( qui
me fournira cet article de Grammaire philofophi-
que ) toute phrafe qui imite en quelque maniéré
le bruit inarticulé dont nous nous fervens par inf-
tinâ: naturel, pour donner l’idée de la chofe que la
phrafe exprime avec des mots articulés.
L’homme qui manque de mots pour exprimer
■ 'quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à fon
gré le fentiment dont il eft touché, a recours naturellement
ài'èxpédientde contrefaire ce même bruit,
• & de marquer fes fentimens par des fons inarticulés.
Nous fommes portés par un mouvement naturel à
dépeindre par des fons inarticulés le fracas qu’une
maifon aura fait en tombant, le bruit confus d’iine
affemblée tumultueufe, & plufieurs autres chofes.
L’inftinft nous porte à fuppléer par ces fons inarticulés,
à la ftérilité de notre langue, ou bien à la
lenteur de notre imagination.
Mais les Ecrivains latins, particulièrement leurs
poètes qui n’ont pas été gênés comme les nôtres,
& dont la langue eft infiniment plus riche, font remplis
de phrafes imitatives qui ont été admirées 6c citées
avec éloge par les Ecrivains du bon tems. Elles
ont été louées par les Romains du fiecle d’Augufte
qui étoient juges compétens de ces beautés.
Tel eft le vers de Virgile qui dépeint Poliphème.
Monflrum horrendum , informe , ingens, cui lumen
ademptum.
Ce vers prononcé en fupprimant les fyllabes qui
font élifion, & en faifant fonner Yu comme les Romains
le faifoient fonner, devieilt fi l’on peut s’exprimer
ainfi, un vers monftrueux. T el eft encore le
vers oii Perfe parle d’un homme qui nazille, 6c qu’on
ne fauroit aufli prononcer qu’en nazillant*
Rancidulum quiddam balbâ de nare locutus.
Le changement arrivé dans la prononciation du
latin, nous a voilé, fuivant les apparences, une partie
de cés beautés, mais il ne nous les a point tou-
- tes cachées.
Nos poètes qui ont voulu enrichir leurs vers de
ces phrafes imitatives, n’ont pas réufli au goût des
François, comme ces poètes latins réufliffoient au
goût des Romains. Nous rions du vers où du Bartas
Tome PlIIjf
I MM 369 dit en décrivant un courfier, le champ pial, bat ;
abbat. Nous ne traitons pas plus férieufement les
vers où Ronfàrd décrit en phrafe imitative le voldô
i’aloiiette.
Elle guindée du Yépkirc,
Sublime en l'air , vire & revire \
É t ’y décligne un jo li cri ,
Qui fît , guérit, & tire Tiré
Des efprits mieux que je n'écris.'
Pafquier rapporte plufieurs autres phrafes imitât
tives des poètes frànçois, dans le chap. x. lïv. ÿ~lll.
de fes recherches, où il veut prouver que notre lan-»
gue n’eft pas moins capable que la latine de beaux
traits poétiques ; mais les exemples que Pafquier
rapporte, réfutent feuls fa propofition.
En effet, parce qu’on aura introduit quelques
phrafes imitatives dans des vers, il ne s’enfuit pas que
ces vers foient bons. II faut que ces phrafes imitait*
ves y ayent été introduites, fans préjudicier au fens
6c à la conftruttion grammaticale. Or on citeroit
bien peu de morceaux de poéfie françoife, qui foient
de cette efpece, 6c qu’on puiffe oppofer en quelque
façon à tant d*aiitres vers, que les latins de tous les
tems ont loué dans les ouvrages des poètes qui
avoient écrit en langue vulgaire. M. l’abbé du Bos
ne connoiffoit même en ce genre que la defcription
d’un affaut qui fe trôiive dans l’ode de Defpreaux
fur la prife de Naniur; le poète, dit-il, y dépeint
en phrafe imitative le fôldat qui ^gravit contre une.
brèche, 6c qui vient le fer 6c IT'nam.ne en main ,
S u r les monceaux de piques,
De corps morts, de rocs, de briques
S'ouvrir un large chemin.
Je n’examinerai pas fi l’exemple de l*Abbé du Bos
eft très-bon ; je dirai feulement qu’on en citeroit peu
de meilleurs dans notre langue. Les poètes anglois
font plus fertiles que les nôtres en phrafes imitatives*
comme Adiffon l’a prouvé par plufieurs traits admir
râbles tirés de Milton. J’en trouve aufli quelquefois
dans le Virgile de Dryden, où il peint avec plaifir
les objets par des phrafes imitatives ; témoin la defcription
fuivante du travail des Gyelopes.
One ftirs the fire and one the bellows blows ,
The hijfing fieel in the fmithy drownd ;
The giot with beating anvils groans around,
By turns their arms advance in equal time,
By turns their hand defeend, and hammers chimel
They turn the glowing majf with crooked longs
The fiery work proceeds with rufiick fongs»
( .d . j . >
IMMACULÉ, adj. ( thèolûg. ) qui eft fans tache
ou fans péché.
Les Catholiques fe fervent de de terme en parlaht
de la conception de la Vierge qu’ils appellent imma-
culée, pour fignifier qu’elle eft née fans péché originel.
VoyC{ PÉCHÉ OÉIGINEt.
' Quand on donne le bonnet à un do&eur de for-
bonne , on lui fait jurer qu’il foutiendra Y immaculée
conception de la Vierge. La forbonne fit ce decret
dans le 14e fiecle, & quatre-vingt autres univerfi-
tés l’ont fait depuis à fon imitation, foye^ Sorbonne.
Au refte il faut obfervet que dans cette favante
faculté on ne regarde pas ce point comme un article
de fo i, mais comme une opinion pieufe & catholique >
& c’eft en cefens-làque fes candidats la foutiennent
tous les jours dans leurs thefes : mais H leur eft défendu
aulfi bien qu’aux profejffeurs de tenir 1 opinion
contraire.
Les ordres militaires d’Efpagne fe font obligés à
foutenir cette prérogative de la Vierge. V oye^CoNp
C c c ^