ture à fa perfeClion. Quant au primitif inventeur J
laiflbns les rabbins le voir tantôt dans Adam, tantôt
dans Moïfe, tantôt dans Efdras ; laiffons aux Mythologues
le foin de le célébrer dans Thoth, parce que
othoth lignifie des Lettres ; 8c ne rougiffons point d a-
vouer notre ignorance fur une anecdote auffi tene-
breufe qu’intéreffante pour l’hiftoire du genre humain.
Paffons aux queftions qui concernent la ponctuation
, qui dans l’écriture hébraïque tient lieu des
voyelles dont elle eft privée*
II. Quoique les Hébreux ayçnt dans leur alphabet
ces quatre lettres aleph , he , vau S c jod , c eft-à-dire
a , c , u o u o y 8c i , que nous nommons voyelles ,
elles ne font regardées dans l ’hébreu que comme des
confonnes muettes, parce qu’elles n’ont aucun fon
fixe 8c propre, 8c qu’elles ne reçoivent leur valeur
que des différens points qui fe pofent deffus ou del-
fous, 8c devant ou après elles : par exemple, a vaut
o , a vaut i , a vaut c , « vaut o, & c. plus ordinairement
ces points & plufieurs autres petits fignes conventionnels
fe pofent fous les vraies confonnes, v a lent
feuls autant que nos cinq voyelles, 8c tiennent
prefque toujours lieu de Xaleph, du he, du vau, & du
jo d , qui font peu fouvent employés dans les livres
facrés. Pour écrire lacacy lecher, on écrit / c c,-pour
paredes, jardin, p r d s ; pour marar , être amer,
mrr; pourpharaq , brifer, p h rjq ; pour garah , batailler,
g r h , 8cc. Tel eft l’artifice par lequel les
Hébreux fuppléent au défaut des lettres fixes que les
autres nations fe font données pour défigner les
voyelles ; 8c il faut avouer que leurs fignes iont plus
riches 8c plus féconds que nos cinq carafteres , en
c e qu’ils indiquent avec beaucoup plus de variété
les longues 8c les brèves, 8c même les différentes
modifications des fons que nousfommes obligés d’indiquer
par des accens , à l’imitation des Grecs qui
en avoient encore un bien plus grand nombre que
nous qui n’en avons pas affez. Il arrive cependant,
& il eft arrivé quelques inconvéniens aux Orientaux
y de n’avoir exprimé leurs voyelles que par
des fignes auffi déliés, quelquefois trop vagues,
& plus fouvent encore fous-entendus. Les voyelles
ont extrêmement varié dans les fons; elles ont changé
dans les mots, elles ont été omifes, elles ont été
ajoutées & déplacées à l’égard des confonnes qui
forment la racine des mots : c’eft ce qui fait que la
plûpart des expreffions occidentales qui font en
grand nombre forties de l’Orient, font 8c ont ete
prefque toûjours méconnoiffables. Nous ne difons
plus paredes , marar , pliarac , 8c garah , mais paradis y
amer, phric, ou phrac, 8c guerroyer. Ces changemens
de voyelles font une des clés des étymologies, ainfi
que la connoiffance des différentes finales que les
nations d’Europe ont ajoutées à chaque mot orienta
l, fuivant leur dialefte & leur goût particulier.
Indépendamment des fignes que l’on nomme-dans
l’hébreu points-voyelles , il a encore une multitude
d’accens proprement dits, qui fervent à donner de
l’emphafe & de l’harmonie à la prononciation, à régler
le ton 8c la cadence, 8c à diftinguer les parties
du difeours, comme nos points & nos virgules.
L’écriture hébraïque n’eft donc privée d’aucun des
moyens néceffaires pour exprimer correctement le
langage, & pour fixer la valeur des fignes par une
multitude de nuances qui donnent une variété convenable
aux figures 8c aux expreffions qui pour-
roient tromper l’oeil 8c l’oreille : mais cette écriture
a-t-elle toûjours eu cet avantage ? c’eft ce que l’on a
mis en problème. Vers le milieu du feizieme fiecle,
Elic .Lévite , juif allemand, fut le premier qui agita
cette intéreffante 8c finguliere queftion ; on n’avoit
point avant lui foupçonné que les points - voyelles
que l’on trouvoit dans plufieurs exemplaires des livres
faints, puffent être d’une autre main que de la
main des auteurs qui avoient originairement écrit 8c
compofé le texte ; 8c l’on n’avoit pas même fongé
à féparer l’invention & l’origine de ces points, de
l’invention & de l’origine des lettres 8c de l’écriture.
Ce ju if , homme d’ailleurs fort lettré pour
un juif 8c pour fon tems , entreprit le premier de
réformer à cet égard les idées reçûes ; il ofa re-
eufer l’antiquité des points-voyelles, 8c en attribuer
l’invention 8c le premier ufage aux Mafforetes, docteurs
de Tibériade, qui fleuriffoient au cinquième
fiecle de notre ere. Sa nation fe révolta contre lu i,
elle le regarda comme un blafphémateur, 8c les fa-
vans de l’Europe comme un fou. Au commencement
du dix-feptieme fiecle,Louis Capelle, profef-
feur à Saumur, prit fa défenfe, 8c foûtint la nouvelle
opinion avec vigueur ; plufieurs fe rangèrent de fon
parti: mais en adoptant le fyftème de la nouveauté
de la ponctuation, ils fe diviferent tous fur les inventeurs
& fur la date de l’invention ; les uns en firent
honneur aux Mafforettes, d’autres à deux illuftres
rabbins du onzième fiecle , 8c la multitude crut au-
moins devoir remonter jufqu’à Efdras 8c à la grande
fynagogue. Ces nouveaux critiques eurent dans
Ch. Buxtorf un puiffant adverfaire, qui fut fécondé
d’un grand nombre de favans de l’une 8c de l’autre
religion ; mais quoique le nouveau fyftème parût à
plufieurs intéreffer l’intégrité des livres facrés, il ne
fut cependant point proferit, 8c l’on peut dire qu’il
forme aujourd’hui le fentiment le plus général.
Pour éclaircir une telle queftion autant qu’il eft
poffible de le fdire, il eft à propos de connoître quels
ont été les principaux moyens que les deux partis
ont employés : ils nous expoferont l’état des chofes ;
8c nous faifant connoître quelles font les caufes de
l’incertitude où l’on eft tombé à ce fujet, peut-être
nous mettront-ils à portée de juger le fond même de
la queftion.
Le Pentateuque famaritain, qui de tous les textes
porte le plus le fceau de l’antiquité , n’a point de
ponctuation ; les paraphraftes chaldéens qui ont commencé
à écrire un fiecle ou deux avant J. C. ne s’en
font point fervis non plus. Les livres facrés que les
Juifs lifent encore dans leurs fynagogues, 8c ceux
dont fe fervent les Cabaliftes, ne font point ponctués
: enfin dans le commerce ordinaire des lettres ,
les points ne font d’aucun ufage. Tels ont été les
moyens de Louis Capelle 8c de fes partifans, 8c ils
n’ont point manqué de s’autorifer auffi du filence général
de l’antiquité juive 8c chrétienne fur l’exiften-
ce de la ponctuation. Contre des moyens fi forts 8c
fi pofitifs on a oppofé l’impoffibilité morale qu’il y
auroit eu à tranfmettre pendant des milliers d’années
un corps d’hiftoire raifonnée 8c fuivie avec le feu!
fecours des confonnes ; 8c la traduction de la Bible
que nous poffédons a été regardée comme la preuve
la plus forte 8c la plus expreffive que l’antiquité juive
n’avoit point été privée des moyens neceffaires
8c des fignes indifpenl'ables pour en perpétuer le fens
8c l’intelligence. On a dit que le fecours des voyelles
néceffaire à toute langue 8c à toute écriture, avoit été
encore bien plus néceffaire à la langue des Hébreux
qu’à toute autre ; parce que la plûpart des mots
ayant fouvent plus d’une valeur, l’abfence des
voyelles en auroit augmenté l’incertitude pour chaque
phrafe en raifon de la combinaifon des fens dont
un groupe de confonnes eft fufceptible avec toutes
voyelles arbitraires. Cette derniere confidération eft
i ^ réellement effrayante pour qui fait la fécondité de la
combinaifon de 4 ou 5 fignes avec 4 ou 5 autres ;
auffi les défenfeurs de l ’antiquité des points voy elles
n’ont-ils pas craint d’avancet que fans eux! le texte
facré n’auroit été pendant des milliers d’années
qu’un nez de cire ( inftar naß cerei, in diverfas formas
mutabilis fuiffet. Leulden, phil. heb. dife. 14 .), qu’un
monceau de fable battu par le v ent, qui d’âge en âge .
auroit perdu fa figure 8c fa foritie primitive. En-
vain leu« adverfaires appeiloient à leur fecours une
tradition orale pour en conferver le fens de bouche
en bouche, 8c pour en perpétuer l’intelligence d’âge
en âge. On leur' difoit que cette tradition orale n’é-
toit qu’une fable, 8c n’avoit jamais fervi qu’à tranfmettre
des fables. En vain ofoient-ils prétendre que
les inventeurs modernes des points voyelles avoient
été infpirés du Saint-Efprit pour trouver 8c fixer le
véritable fens du texte facré 8c pour ne s’en écarter
jamais. Ce nouveau miracle prouvoit aux autres
l’impoffibilité de la chofe, parce que la traduction
des livres faints ne doit pas être une merveille fupé-
rieure à eelle de leur compofition primitive. A ces
raifons générales on en a joint de particulières 8c en
grand nombre : on a fait remarquer que les paraphraftes
chaldéens , qui n’ont point employé de
ponctuations chms leurs commentaires ou Targum,
fe font fervisÂrès-fréquemment de ces confonnes
muettes, aleph, vau, 8c jod y peu ufitées dans les textes
facrés,où elles n’ont point de valeur par elles-
mêmes , mais qui font fi effentielles dans les ouvrages
des paraphraftes, qu’on les y appelle matres leclionis ;
parce qu’elles y fixent le fon 8c la valeur des mots,
comme dans les livres des. autres langues. Les Juifs
& les rabbins font auffi de ces caraCteres le même
ufage dans leurs lettres 8c leurs autres écrits, parce
qu’ils évitent de cette façon la longueur 8c l’embarras
d’une ponctuation pleine de minuties.
Pour répondre à l’objeCtion tirée du filence de
l’antiquité, on a préfenté les ouvrages même des
Mafforetes qui ont fait des notes critiques 8c grammaticales
fur les livres facrés, 8c en particulier fur
les endroits dont ils ont crû la ponctuation altérée
ou changée. On a trouvé de pareilles autorités dans
quelques livres de doCteurs fameux 8c de cabaliftes,
connus pour être encore plus anciens que la Maffore ;
c ’eft ce qui eft expolé 8c démontré avec le plus grand
détail dans le livre de C l. Buxtorf, de antiq. punct.
cap. Ó. part. I. 8c dans le Philog. heb. de Leufden.
Quant au filence que la foule des auteurs 8c des écrivains
du moyen âge a gardé à cet égard, il ne pourrait
être étonnant, qu’autant que l’admirable invention
des points voyelles feroit une chofe auffi récente
qu’on voudroit le prétendre. Mais fi fon origine
fort de la nuit des tems les plus reculés, comme
il eft très-vraiffemblable, leur filence alors ne
doit pas nous furprendre ; ces auteurs auront vû les
points, voyelles ; ils s’en feront fervis comme les
Mafforetes, mais fans parler de l ’invention ni de
l’inventeur ; parce qu’on ne parle pas ordinairement
des chofes d’ufage, 8c que c’eft même là la raifon
qui nous fait ignorer aujourd’hui une multitude d’autres
détails qui ont été vulgaires 8c très-communs
dans l’antiquité. On a cependant plufieurs indices
que les anciennes verfions de la Bible qui portent les
noms des Septante 8c de S. Jérôme, ont été faites
fur des textes ponCtués ; leurs variations entre elles
8c entre toutes les autres verfions qui ont été faites
depuis, ne font fouvent provenues que d’une ponctuation
quelquefois différente entre les textes dont
ils fe font fervis ; d’ailleurs, comme ces variations
ne font point confidérables, qu’elles n’influent que
fur quelques mots, 8c que les récits, les faits, 8c
l’enfemble total du corps hiftorique, eft toûjours le
meme dans toutes les verfions connues ; cette uniformité
eft une des plus fortes preuves qu’on puiffe
donner, que tous les traducteurs 8ctous les âges ont
eu un fecours commun 8c un même guide pour déchiffrer
les Confonnes hébraïques. S’il fe pouvoit
trouver des Juifs qui n’euffent point appris leur langue
dans la Bible , 8c qui ne connuffent point la
ponctuation, il faudrait pour avoir une idée des
difficultés que préfente l’interprétation de celles qui
ne le font pas, exiger d’eux qu’ils en donnaffent une
nouvelle traduction, on verrait alors quelle eft l ’impoffibilité
de la chofe, ou quelles fables ils nous feraient
, s’ils étoient encore en état d’en faire.
A tous ces argumens fi l’on vouloit en ajoûter
un nouveau, peut-être pourroit-onencore faire parler
l’écriture des Grecs en faveur de l’antiquité de
la pon&uation hébraïque 8c de fes accens, comme
nous l’avons fait ci-devant parler en faveur des caraCteres.
Quoique les. G recsayent eu l’art d’ajoûter
aux alphabets de Phénicie les voyelles fixes 8c déterminées
dans leur fon, leurs voyelles font encore
cependant tellement chargées d’accens, qu’il fem-
bleroit qu’ils n’ont pas ofé fe défaire entièrement de
la ponctuation primitive. Ces accens font dans leur
écriture auffi effentiels , que les points le font chez
les Hébreux; 8c fans eux il y auroit un grapd nombre
de mots dont le fens feroit variable 8c incertain.
Cette façon d’écrire moyenne entre celle des Hébreux
8c la nôtre, nous indique fans doute un des
degrés de la progreffion de cet art ;mais quoi qu’il
en foit, on ne peut s’empêcher d’y reconnoître l’antique
ufage de ces points voyelles, 8c de cette multitude
d’accens que nous trouvons chez les Hébreux.
Si le feizieme fiecle a donc vû naître une opinion
contraire, peut-être n’y en a-t-il pas d’autre caufe
que la publicité des textes originaux rendus communs
par l’Imprimerie encore moderne ; comme
elle multiplia les Bibles hébraïques, qui ne pouvoient
être que très-rares auparavant, plus d’yeux en furent
frappés, 8c plus de gens en raifonnerent ; le
monde vit alors le fpeCtacle nouveau de l’ancien art
d’écrire, 8c le filence des fiecles fut néceffairement
rompu par des opinions 8c des fyftèmes, dont la contrariété
feule devrait fuffire pour indiquer toute l’antiquité
de l’objet où l’imagination a voulu, ainfi que
les y eu x , appercevoir une nouveauté.
La difeuffion des points voyelles ferait ici terminée
toute en leur faveur, fi les adverfaires de fon
antiquité n’avoient encore à nous oppofer deux puif-
fantes autorités. Le Pentateuque famaritain n’a point
de ponctuation, 8c les Bibles hébraïques que lifent les
rabbins dans leurs fynagogues pour inftruire leur
peuple, n’en ont point non plus ; 8c c’eft une réglé
chez eux que les livres ponCtués ne doivent jamais
fervir à cet ufage. Nous répondrons à ces objections
i°. que le Pentateuque famaritain n’a jamais été
affez connu ni affez multiplié, pour que l’on puiffe
favoir ou non, fi tous les exemplaires qui en ont exi-
fté ont tous été généralement dénués de ponctuation.
Mais il fuit de ce que ceux que nous avons en
font privés, que nous n’y pouvons connoître que
par leur analogie avec l’hébreu, 8c en s’aidant aufli
des trois lettres matres leclionis. z°. Que les rabbins
qui lifent des Bibles non ponctuées n’ont nulle peine
à le faire, parce qu’ils ont tous appris à lire 8c à
parler leur langue dans des Bibles qui ont tout l’appareil
grammatical, 8c qui fervent à l’intelligence
de celles qui ne l’ont pas. D ’ailleurs qui ne fait que
ces rabbins toûjours livrés à l ’illufion, ne fe fervent
de Bibles fans voyelles pour inftruire leur troupeau,
que pour y trouver, à ce qu’ils difent, les fources
du Saint-Efprit plus riches 8c plus abondantes en in-
ftruCtion ; parce qu’il n’y a pas en effet un mot dans
les Bibles de cette efpece, qui ne puiffe avoir une
infinité de valeur par une imagination échauffée, qui
veut fe repaître de chimere, 8c qui veut en entretenir
les autres ?
C’eft par cette même raifon, que les Cabaliftes