49° I D E
ce vo iiy & c’eft ôter route relation entre la Caiife 5e
1 Recourir aux idics innées , ou avancer que notre
ame a été créée avec toutes fes idets, c’ert le lervir
de termes vagues qui ne lignifient rien ; c’eft anéantir
en quelque forte toutes nos fenfations, ce qui elt
bien contraire à l’expérience ; c’eft confondre ce qui
peut êlre vrai à certains égards , des principes > avec
ce qui ne l’eft pas des idées dont il eft H N B
& c’eft renouveller des difpu.tes qui ont ete amplement
dil'eutées dans l’excellent ouvrage fur 1 enten-
dement humain.
Affurer que l’ame a toujours des idées, qu il ne
faut point chercher d’autre caufe que la maniéré
d’être | qu’ elle penfe lors même qu’elle ne s en ap-
perçoit pas , c’eft dire qu’elle penie fans penler, al-
fertion dont par cela même , qu’on n en a ni le ien-
timent ni le louvenir, l’on ne peut donner de preuve.
Pourroit-on fuppofer avec Mallebranche,qu une
fauroit y avoir aucune autre preuve de nos idets,
que les idées mêmes dans l’Être fouverainement intelligent
, & conclure que nous acquérons nos idees
dans l’inftant que notre ame Iesapperçoit en Dieu ?
Ce roman métaphyfique ne femble-t-il pas dégrader
l’intelligence fuprème ? La fanffeté des autres y emesfuffit
ellepourlerendre vraiffemblable ? & neftce
pas jetter une nouvelle oblcurite fur une queition
déjafrèsfobfcure par elle-même? . . . . ,
A la fuite de tant d’opinions différentes fur 1 origine
des idées, l’on ne peut fe difpenfer d’indiquer
celle de Leibnitz, qui fe lie en quelque forte avec les
idUs innUs-, ce qui femble déjà former un préjuge
contre ce fyftème. De la l'implicite de 1 ame humaj- I
ne il en conclut, qu'aucune chofÉ créée ne peut agir
fur elle; que tous les changemens qu’elle éprouvé
dépendent d’un principe interne ; que ce principe eft
la conftiiution même de l’ame, qui eft formée de maniéré,
qu’elle a en elle différentes perceptions, les
unes diftinâes, plufieurs confufes, & un très-grand
nombre defiobfcures, qu’à peine l’ame les apper-
çoit-elle. Que toutes ces idées enfemble forment le
tableau de l’univers ; que fuivant la différente relation
de chaque ame avec cet univers, ou avec certaines
parties de l’univers, elle a le fentiment des
idées diftinaes, plus ou moins, fuivant le plus ou
moins de relation. Tout d’ailleurs étant lie dans 1 u-
nivers, chaque partie étant une fuite des autres parties
; de même l'idée repréfentative a une liaifon fi
néceffaire avec la repréfentation du tout, qu’ellene
fauroit en être féparee. D ’où il fuit que, comme les
chofesqui arrivent dans l’univers fe fuccedent fuivant
certaines lo is, de meme dans 1 ame, les idées
deviennent fucceflivement diftinûes, fuivant d’autres
lois adaptées à la nature de l’intelligence. Ainfi
ce n’eft ni le mouvement , ni l’impreffion fur l’organe,
qui excite des fenfations. ou des perceptions
dans î’ame ; je vois la lumière, j’entends un fon,
dans le même inftant les perceptions repréfentatives
de la lumière & du fon s’excitent dans mon ame par
fa.conftitution, & par une harmonie néceffaire,
d’un côté entre toutes les parties de l’univers, de
l’autre entre les idées de mon ame, qui d’obfcures
qu’elles étoient, deviennent fucceflivementdiftinûes.
Telle eft Texpofition la plus fimple de la partie du
fyftème de Leibnitz, qui regarde l’origine des idées.
Tout y dépend d’une connexion néceffaire entre une
idée diftin&e que nous avons, & toutes les idées obf-
curesqui peuvent avoir quelque rapport avec elle,
qui fe trouvent néceffairement dans notre ame. Or,
Ton n’apperçoit point, & l’expérience femble être
contraire à cette liaifon entre les idées qui fe fucce-
dent ; mais ce n’eft pas là la feule difficulté que l’on
pourroit élever»contre ce fyftème, & contre tous
ceux qui vont à expliquer une chofe qui: vraifemfemblablement
nous fera toujours inconnue.
Que notre ame ait des perceptions dont elle ne
prend jamais connoiffance , dont elle n’a pas la.
confeience ( pour me fervir du terme introduit par
M. Locke) ou que l’ame n’ait point d’autres idées
que celle qu’elle apperçoit, en forte que la perception
foit le fentiment même , ou la confeience qui
avertit l’ame de ce qui fe pafle en elle ; l’un ou l’autre
lyftème , auxquels fe réduiferit proprement tous
ceux que nous avons indiqués, n’explique point la
maniéré dont le corps agit fur Famé, & celle-ci réciproquement.
Ce font deux fubftances trop différentes
; nous ne connoiffons l’ame que par fes faculté
s , & ces facultés que par leurs effets : ces effets fe
manifeftent à nous par l’intervention du corps. Nous
voyons par-là l’influence de l ’ame fur le corps, &
réciproquement celle du corps fur l’ame ; mais nous
ne pouvons pénétrer au-delà. Le voile reftant fur
la nature de l’ame, nous ne pouvons fa voir ce qü’eft
une idée confidérée dans l’ame, ni comment elle s’y
produit; c’eft un fait, le comment eft encore dans
dans l’obfcurité ,& fera fans doute toujours livré aux
conjeâures.
z°. Paffons aux objets de nos idées. Ou ce font des
êtres réels, & qui exiftent hors de nous & dans nous 9
foit que nous y penfions, foit que nous n’y penfions
pas ; tels font les corps, les elprits, l’Être fuprème.
Ou ce font des êtres qui n’exiftent que dans nos
idées, des productions de notre efprit qui joint di-
verfes idées. Alors ces êtres ou ces objets de nos idées ,
n’ont qu’une exiftence idéale ; ce font ou des etres
de raifon, des maniérés de penfer qui nous fervent à
imaginer, à compofer, à retenir, à expliquer plus
facilement ce que nous concevons ; telles lont les relations,
les privations, les lignes, les idees univer-
felles, &c. Ou ce font des fixions diftinguées des
êtres de raifon, en ce qu’elles font formées par la
réunion ou la féparation de plufieurs idées fimplesr,
& font plutôt un effet de ce pouvoir ou de cette faculté
que nous'avons d’agir fur nos idées, & qui,
pour l’ordinaire eft défignée par le mot d’imagination.
V o yt{ Im a g in a t io n . T e l eft un palais dedia-
mant, une montagne d’o r , & cent autres chimères,
que nous ne prenons que trop fou vent pour des réalités.
Enfin, nous avons, pour objet de nos idées,
des êtres qui n’ont ni exiftence réelle, ni idéale ,
qui n’exiftent que dans nos difeours , & pour cela
on leur donne fimplement une exiftence verbale.
Tel eft un cercle quarré , le plus grand
de tous les nombres, & fi l’on vouloit en donner
d’autres exemples, ort les trouveroit aifémentdans
les idées contradictoires, que les hommes & même les
philofophes joignent enfemble, fans avoir produit
autre chofe que des mots dénués de fens & de réalité.
Ce feroit trop entreprendre que de parcourir
dans quelque détail; les idées que nous avons fur ces
différens objets ; difons feulement un mot fur la maniéré
dont les êtres extérieurs & réels fe préfentent
à nous au moyen des idées ; & c’eft une obfervation
générale qui fe lie à la queftion de l’origine des idées.
Ne confondons pas ici la perception gui eft dans
l’efprit avec les qualités du corps qui produifent
cette perception. Ne nous figurons pas que nos idees
foient des images ou des reffemblances parfaites de
ce qu’il y a dans le fujet qui les produit; entre la
la pjûpart de nos fenfations & leurs caufes, il n’y a
pas plus de reflemblance, qu’entre ces mêmes idées
& leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faifonsune
diftinûion. .
Les qualités des objets, ou tout ce qui eft dans
un objet, fe trouve propre à exciter en nous une
idée. Ces qualités font premières & effentielles, c ’eft-
à-dire, indépendantes de toutes relations de cet objet
avec les autres êtres , U telles qu’il les conferve-j
ro it. quand même il exifteroit foui. ©u elles font
des qualités fécondés , qui ne confiftent que dans les
relations que l’objet a avec d’autres , dans la puif-
fance qu’il a d’agir fur d’autres, d’en changer l’etat,
ou de changer lui-même d’état, étant appliqué à
un autre objet; fi c’eft fur nous qu’il agit, nous appelions
ces qualités fenjîbles ; fi c’eft iur d’autres ,
nous les appelions puiffances ou facultés. Ainfi la propriété
qu’a le feu de nous échauffer, de nous éclairer
font des qualités fenfibles, qui ne feroient rien
s’il n’y avoit des êtres fenfibles, chez lefqucls ce
corps peut exciter ces idées ou fenfations ; de même
la puiffance qu’il a de fondre le plomb par exemple
, lorfqu’il lui eft appliqué, eft une qualité fécondé
.du feu, qui excite chez nous de nouvelles
idées, qui nous auroient été abfolument inconnues,
fi l’on n’avoit jamais faitl’eflai de cette puiffance du
feu fur le plomb.
Difons que les idées des qualités premières des objets
repréfentent parfaitement leurs objets ; que les
originaux de ces idées exiftent réellement ; qu’ainfi
Vidée que vous vous formez de l’étendue, eft véritablement
conforme à l’étendue qui exifte. J e penfe qu’il
en eft de même des puiffances du corps, ou du pouvoir
qu’il a en vertu de fes qualités premières & origi- ‘
nales de changer l’état d’un autre,ou d’en être changé.
Quand le feu confume le bois, je crois que la plupart
des hommes conçoivent le feu , comme un amas
de particules en mouvement, ou comme autant de
petits coins qui coupent,féparent les parties folides du
bois, qui laiffent échapper les plus fubtiles & les
plus légères pour s’élever en fumée, tandis que les
plus grolfieres,tombent en forme de cendre.
Mais, pour ce qui eft des qualités fenfibles , le
commun des hommes s’y trompe beaucoup. Ces
qualités ne font point réelles, elle ne font point fem-
blables aux idées que l’on s’en forme ; ce qui influe
pour l’ordinaire , fur le jugement qu’on porte des
puiffances & des qualités premières. Cela peut venir
de ce que l’on n’apperçoit pas par les fens, les qualités
originales dans les élemens dont les corps font
compofés ; de ce que les idées des qualités fenfibles,
qui font effeûivement toutes fpirituelles, ne nous
paroiffent tenir rien de la groffeur, de la figure, ou
des autres qualités corporelles ; & enfin de ce que
nous ne pouvons pas concevoir , comment ces qualités
peuvent produire les idées & les fenfations des
couleurs, des odeurs, & des autres qualités fenfibles
, fuite du myftere inexplicable qui régné, comme
nous l’avons d it , fur la liaifon de l’ame & du
corps. Mais, pour cela, le fait n’en eft pas moins
v ra i; & f i nous en cherchons les raifons, nous verrons
que l’on en a plus d’attribuer au feu, par exem:
p ie , delà chaleur, ou de croire que cette qualité du
feu que nous appelions la. chaleur, nous eft fidelle-
ment repréfentée par la fenfation à laquelle nous
donnons ce nom, que l’on en a de donner à une aiguille
qui me pique, la douleur qu’elle me caufe ;
fi ce n’eft que nous voyons diftin&ement l’impref-
fion que l’aiguifle produit chez moi, en s’infinuant
dans ma chair, au lieu que nous n’appercevons pas
la même chofe à l’égard du feu ; mais cette différence
, fondée uniquement fur la portée de nos fens, n’a
rien d’effentiel. Autre preuve encore du peu de réalité
des qualités fenfibles, & de leur conformité à
nos idées, ou fenfations; c’eft que la même qualité
. nous eft repréfentée par des fenfations très-differentes
, de douleur ou de plaifir fuivant les tems & les
circonftances. L’expérience montre d’ailleurs en plufieurs
ca s , que ces qualités que les fens nous font
appercevoir dans les objets, ne s’y trouvent réellement
pas. D ’oii nous nous croyons fondés à conclure
que les qualités originelles des corps font des
„ qualités réelles^ qui exi>ftept réellement dans les
corps, foit qtie hous y penfions, foit que rioüs n’y
penfions p a s ,& que les perceptions que nous eii
avons, peuvent être conformes à lêursobjets; mais
que les qualités fenfibles n’y font pas plus réellement
que ladouleur dans une aiguille;qu’il y a dans les
corps quelques qualités premières, qui font les four-
ces & les principes des qualités fécondés , ou fenfibles
, lefquelles n’ont rien de femblable avec celles-
ci qui en dérivent, & que nous prêtons aux corpsi
Faites que vos yeux ne voyent ni lumière ni couleur
,' que vos oreilles ne foient frappées d’aucun
fon, que votre nez ne fente aucune odeur ; dès-lors
toutes ces couleurs, ces fons, & ces odeurs s’évanouiront
& cefferont d’exifter. Elles rentreront dans
les caufes qui les ont produites, & ne feront plus ce
qu’elles font réellement, une figure, un mouvement,
une fituation de partie : aufli un aveugle n’a-
t-il aucune perception delà lumière, des couleurs.
Cette diftin&ion bien établie pourroit nous mener
à la queftion de l’eflence & des qualités effentiel-*
les des êtres, à faire voir le peu d’exaélitude des idées
que nous nous formons des etres extérieurs ; à ce que
nous connoiffons des fubftances, & à ce qui nous
en reftera toujours inconnu, aux modes ou aux
maniérés d’ê tre, & à ce qui en fait le principe ,*
mais outre que cela nous meneroit trop loin , on
trouvera ces fujets traités dans les articles relatifs.
Contentons-nous d’avoir indiqué cette diftinélion
fur la maniéré de connoître les qualités premier.es ,
& les qualités fenfibles d’un objet, & paffons aux
êtres qui n’ont qu’une exiftence idéale. Pour les faire
connoître, nous eboififfons, comme ayant un
rapport diftinft à nos perceptions, ceux que notre
efprit confidere d’une maniéré générale, & dont il
fe forme ce que l’on appelle idées univerfelles.
Si je me repréfente un être rée l, & que je penfe
en même tems à toutes les qualités qui lui font particulières,
alors l'idée que je me fais de cet individu,
eft une idée finguliere ; mais, fi écartant toutes ces
idées particulières, je m’arrête feulement à quelques
qualités de cet être, qui foient communes à tous
ceux de la même efpece, je forme par-là une idée
univerfelle, générale.
Nos premières idéesFont vifiblement fingulieres.-
Je me fais d’abord une idée particulière de mon
pere, de ma nourrice ; j’obferve enfuite d’autres
êtres qui reffemblent à ce pere, à cette femme, par
la forme, par le langage, par d’autres qualités. Je
remarque cette reflemblance, j’y donne mon attention
, je la détourne des qualités par iefquelles mon
pere, ma nourrice, font diftingués de ces êtres ;
ainfi je me forme unzidée h laquelle tous ces êtres participent
également; je juge enfuite par ce que j’entends
dire, que cette idee fe trouve chez ceux qui
m’environnent, & qu’elle eft défignée parle mot
hommes. J.e me fais donc une idée générale, c’eft-
à-dire, j’écarte de plufieurs idées fingulieres , ce qu’il
y a de particulier à chacune, & je ne retiens que ce
qu’il y a de commun à toutes : c’efl: donc à Vabfirac-
tion que ces fortes d'idées doivent leur naiflance*
V o y t^ Ab s t r a c t io n .
Nous avons raifon de les ranger dans la claffe des
êtres de raifon , puifqu’elles ne font que des manières
de penfer, & que leurs objets qui font des êtres
univerfels, n’ont qu’une exiftence idéale, qui néanmoins
a fon fondement dans la nature des chofes ,
ou dans la reflemblance des individus ; d’où il fuit
qu’en obfervant cette reflemblance des idées fingulieres
, on fe forme des idées générales ; qu’en rete-*
nant la reflemblance des idées générales, on vient à
s’en former de plus générales encore ; ainfi l’on construit
une forte d’échelle ou de pyramide qui monte
par dégré, depuis les individus jufqu’à Vidée de tou»*
tes, la plus générale, qui eft çeUe de l’être,